Jules & Ead

année 41 ; saison intermédiaire ; journée 85

  le déni, c'est la survie

Je n'aurais jamais dû sortir, prendre la garde de cette fille qui était trop sévèrement malade. Rien n'avait laissé présager cette tempête, alors j'avais cru que marcher ne me ferait pas de tort, j'en avais besoin parce que je faisais les cent pas dans ma chambre avant qu'une sentinelle ne me prévienne qu'un gardien devait en remplacer un autre. Plus encore que les autres jours, j'étais une bombe prête à exploser et si j'étais restée sur le territoire, j'aurais fini par craquer sur quelqu'un. La résistance au froid, en me demandant beaucoup d'énergie, en plus de gérer les alentours de l'hôpital, tout ça allait me demander beaucoup de concentration et j'en oublierais tôt ou tard tout ce qui m'agitait, c'est-à-dire la réflexion de mon frère. J'étais consciente que j'étais invivable depuis plusieurs jours mais je pensais qu'il comprendrait qu'entre l'état de notre oncle et Kaleb qui m'évitait, soit disant pour mon propre bien, j'étais dépassée.

Je n'aurais vraiment pas dû suivre ce raisonnement. Je travaillais sérieusement mais ce n'était pas la journée pour briller bêtement. Je n'étais pas encore arrivée aux alentours de l'hôpital que la tempête m'avait mise hors service. Mon épaule gauche me faisait un mal de chien et ne voulait plus m'obéir. Au moindre mouvement, je râlais de douleur, je hurlais même à certaines occasions. Tel un animal blessé, je m'étais réfugié dans un coin plus ou moins isolé par des murs, un cul-de-sac, gardant mes insultes pour moi. Jusqu'à ce qu'une silhouette passe. Je priais intérieurement pour qu'elle ne me voie pas, un peu par fierté. Personne n'aimait avoir l'air faible. Pourtant, quelques secondes plus tard, je me relevais tant bien que mal de mon bras en bon état pour la rejoindre, après un long soupir. Il m'avait fallu la voir galérer pour suivre un élan de générosité. Ce n'était pas par pitié mais j'étais incapable de rester sans bouger dans ce genre de situation. Bouger était périlleux avec ce vent qui soufflait, je me tenais çà et là de mon bras valide pour la retrouver. Le vent ne l'aidait pas non plus, vu ce qu'elle avait comme débris logé dans la jambe. « Je peux t'aider jusqu'à l'hôpital, t'es amochée. » Au passage, j'aurais certainement dû faire un tour là-bas aussi mais avec un peu de chance, elle ne le remarquerait pas ou s'en moquerait totalement.

ead & jules
A41 SI J85

le déni, c'est la survie

Idiote. Idiote. Idiote. Tu n'aurais pas pu être une bonne Dragonne pour une fois ? C'était si difficile que ça de rester sur le territoire ? Se maudire intérieurement n'était pas totalement inutile lorsque l'on tentait d'oublier la douleur. Il valait mieux s'énerver sur soi-même que sur le mal en lui-même, une chose qu'elle avait eu tout le temps d'apprendre durant son adolescence, puis pendant des années de service qui n'avaient pas été faciles tous les jours. Une main appuyée au mur pour maintenir son équilibre, elle progressait tant bien que mal. Plutôt mal que bien. Rien ne semblait vouloir l'aider. Le vent soufflait de face, tentant de l'arracher au sol à la moindre occasion, chaque mouvement lui donnait l'impression que sa jambe se faisait découper, lentement, et le sang qui lui coulait dans les yeux ne facilitait en rien le tout. Il y avait aussi cette pulsation douloureuse dans son crâne, souvenir laissé par la chute que sa tête avait de toute évidence amortie. Quelle Ancienne elle faisait ! Elle n'avait fait que des erreurs de rookie aujourd'hui. Lorsque la voix résonna, elle cru un instant à une hallucination, le vent hurlait fort après tout, mais la présence était plus difficile à manquer. Son souffle court, elle décida de s'arrêter un instant en s'appuyant à une façade et passa la manche de son manteau sur son visage pour absorber un peu le sang et s'offrir un meilleur point de vue sur la potentielle ennemie qui venait d'apparaître. Non. Je peux pas me permettre de penser comme ça. Elle l'observa quand même un instant à la recherche d'une quelconque menace avant de soupirer.

- Est-ce que t'en serais seulement capable ?

Il était difficile de manquer la façon qu'elle avait de protéger l'un de ses bras. Qu'importe la blessure, ça ne devait pas être totalement anodin. C'était peut-être idiot de sa part, mais elle ne tenait pas à avoir la souffrance d'une gamine de plus sur la conscience.

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  le déni, c'est la survie

L'inconnue ne semblait pas prête à m'accueillir à bras ouverts. Sa méfiance était de rigueur, elle ne pouvait pas savoir, même après ce que je lui avais dit, que je ne cherchais pas à l'abattre. Des raisons, ce n'était pas ce qu'il manquait, surtout que la tempête était une excuse toute trouvée. Des morts, il y en aurait forcément, il y en avait à chaque tempête et celle-ci semblait drôlement carabinée. « Est-ce que t'en serais seulement capable ? » J'avais été piquée à vif. Sa remarque me renvoyait aux conseils de mon frère, de mon oncle et même de Kaleb. Des mots incompréhensibles étaient sortis, preuve que je râlais et que je ne la visais pas précisément parce que je gardais tout ça pour moi. Je lui en voulais plus d'avoir joué ce jeu alors qu'elle ne me connaissait pas. Je n'étais pas paranoïaque, pas à ce point, elle ne pouvait pas vouloir me calmer pour mon bien, comme on me le sortait si souvent. Elle n'y gagnait rien.

« Je suis pas en sucre. Je peux au moins surveiller qu'il t'arrive rien jusque-là, ce sera déjà ça. » Encore une fois, je me préoccupais des autres, avec beaucoup trop d'insistance pour ma propre santé. S'occuper des autres, ça permettait d'oublier ses propres soucis. Malheureusement, face à ce que je devinais être une Ancienne ou une Soumise adulte, je risquais de me confronter à une tête encore plus dure que la mienne, ce qui n'allait pas arranger mes affaires. « Si tu veux pas de mon aide, je peux continuer mon chemin. » J'avais failli hausser les épaules avant de me rattraper de justesse.

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le déni, c'est la survie

Sur quel spécimen était-elle tombée là ? Elle ne paraissait pas méchante, loin de là, mais ses humeurs ne semblaient pas la rendre facile à comprendre. Peut-être qu'elle le devait uniquement à la douleur, les blessures avaient tendance à vous changer, mais elle en doutait sincèrement. La voir jouer les dures lui rappela par contre quelqu'un. De façon générale, on affichait pas sa faiblesse dans les ruines, mais cette fille avait tout d'une tête de pioche qui s'obstinait à vouloir aider une inconnue. Un truc un peu moins commun au Nord. Elle ne pu s'empêcher de l'imaginer Jaguar, à force de traîner avec eux dans sa jeunesse, elle avait repéré des habitudes purement félines. L'effet de la vie en communauté et tout ce qui en découlait.

- T'emporte pas comme ça, gamine. Ta blessure crève les yeux et j'ai une dignité, tu m'excuseras de ne pas être pressée de me servir de toi comme appui.

Elle pouvait comprendre la nécessité de protéger son ego, mais elle n'allait pas sauter à pieds joints dans une manœuvre stupide. Elle pouvait être aussi forte qu'elle le voulait, mais, en cas de blessure, certaines fois, ça ne valait pas grand chose. Et forcer contre la douleur n'était pas toujours non plus la solution la moins dangereuse. C'était un coup à rester à vie avec un handicap qui lui gâcherait sa carrière. Ou sa vie, tout simplement.

- Mais la compagnie me dérange pas. Je doute de pouvoir faire grand chose avec une arme en l'état.

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Elle avait mis un peu de temps avant de me répondre, m'observant en se posant des questions, en tout cas, c'était l'impression qu'elle me donnait. Est-ce que j'avais dit quelque chose de blessant ou est-ce que je m'étais mal exprimée ? Bonne question. « T'emporte pas comme ça, gamine. Ta blessure crève les yeux et j'ai une dignité, tu m'excuseras de ne pas être pressée de me servir de toi comme appui. » C'était donc mon attitude qui la dérangeait, ce n'était pas la première personne à trouver que j'en faisais trop mais je ne pensais pas qu'une inconnue me le reprocherait. En temps normal, les inconnus ne crachaient pas sur mon insistance ou en profitaient sans scrupule. Bon, c'était vrai, certains n'en abusait pas mais elle aurait pu le faire, ça ne se serait pas retourné contre elle.

« Mais la compagnie me dérange pas. Je doute de pouvoir faire grand chose avec une arme en l'état. » A nouveau, il m'a fallu me retenir consciemment de ne pas hausser les épaules, un trop grand réflexe chez moi. A côté de ça, je faisais la moue parce qu'elle m'avait arrêté dans mon élan et que je n'avais aucun argument pour la contrer, j'étais trop consciente qu'elle avait raison et c'était désagréable, quoi qu'on en dise. « Tu l'as dit toi-même, je suis pas en état mais même si je l'étais, c'est pas mon genre de tenter de buter quelqu'un de blessé. J'suppose que je peux effectivement être cette compagnie. » Il n'y avait plus qu'à espérer qu'elle puisse faire avec une aussi mauvaise compagnie parce que sinon, elle allait craquer sans aucun doute.

AVENGEDINCHAINS
 

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le déni, c'est la survie

- C'est pas ce que j'ai sous-entendu.

Elle aurait pu très bien le cacher, mais cette fille dégageait trop d'émotions que pour camoufler facilement une telle fourberie. Elle s'y connaissait pourtant là-dedans, son père savait se faire apprécier lorsqu'il faisait un effort et on ne l'aurait pas deviné si vicieux. On en rencontrait aussi souvent chez les Dragons lorsque l'on avait pas la chance d'appartenir au bon groupe. Même être Golden ne l'avait pas beaucoup protégée quand des Spécialistes avaient décidés de chercher des noises à la chair à pâté qu'elle avait été. Elle repérait sans mal les connards désormais et fuyait leur influence dans sa vie comme la peste. Voire, elle les combattait férocement maintenant qu'elle était plus libre de ses mouvements. Tout ça pour dire qu'elles n'étaient vraiment pas sur la même longueur d'onde.

- Tu dois t'en attirer, des emmerdes.

C'était dit presque sur le ton de la conversation avant qu'elle ne se remette en marche et soit un instant forcée au silence, ses mâchoires serrées par la douleur d'avoir à mettre du poids sur sa jambe ne favorisant pas vraiment la discussion. Pourtant, penser à autre chose semblait être un bon plan, même si à cette allure, elle allait se faire abandonner derrière parce qu'elle aurait finir par vexer cette gamine.

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« C'est pas ce que j'ai sous-entendu. » J'avais préféré gardé tout ce qui me venait à l'esprit pour moi, ça n'aurait servi à rien de jeter de l'huile sur le feu quand nous étions au beau milieu du centre neutre, même si nous n'étions pas si loin que ça de l'hôpital. J'avais un minimum d'instinct de survie, même si j'étais complètement paumée et malgré toute l'agitation en moi. Elle n'avait pas l'air d'être particulièrement mauvaise mais je ne pouvais pas me fier aux apparences. C'était culotté de penser comme ça quand, quelques minutes avant je lui proposais mon aide. Le problème essentiel, c'était que je ne connaissais pas ses limites. Je devais l'énerver depuis un moment, il valait mieux ne pas lui donner des raisons de me laisser pour morte en pleine tempête.

« Tu dois t'en attirer, des emmerdes. » Elle, par contre, semblait beaucoup moins embêtée par tout ça. Elle était soit trop franche, soit trop spontanée. Je m'étais arrêtée en l'entendant annoncer ça aussi légèrement, ne sachant pas trop comment réagir. Ce n'était pas tant que je le prenais personnellement que l'idée qu'elle devine ça aussi facilement. Ce n'était pas la première, d'autres avaient compris ça quand j'arrivais à me gérer un peu mieux. Je n'étais pas Espionne. Néanmoins, c'était désagréable. Je m'épuisais souvent à tort pour les autres mais ça ne voulait pas dire que j'appréciais l'idée qu'on découvre mes faiblesses si rapidement. « Oui. Plus d'une personne ont essayé de m'aider mais je suis un cas désespéré. » Elle s'en moquait certainement mais j'avais répondu, préférant encore parler dans le vide que pas du tout.

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Avec l'âge, on finissait par se rendre compte qu'être direct ouvrait bien des portes. Du moins, elle s'en était rendue compte, en plus d'avoir suffisamment testée les différentes options pour savoir que se faire discrète n'empêchait pas les autres de vous mettre en pièces si ils le désiraient. Les bourreaux de son adolescence avaient rarement eu besoin d'une motivation pour frapper. Lorsque l'on s'exprimait, au moins, on gardait le contrôle. Cela n'avait rien à voir avec cette situation, mais c'était là une habitude qu'elle avait prise. Elle n'aimait pas changer qui elle était et mâcher ses mots, encore moins face à une gosse qui n'était clairement pas mauvaise, juste paumée. Peut-être que cela la changerait qu'on ne prenne pas de pincettes avec elle pour éviter une crise. La pause soudaine le suggérait quelque part et elle en profita pour s'arrêter à son tour, ôtant le poids de sa jambe blessée en s'appuyant de l'épaule à un mur.

- T'as encore le temps de grandir, va. N'abandonne pas trop vite. Et puis, ce n'est pas forcément une mauvaise chose. Entre l'action et l'apathie, le choix est vite fait.

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  le déni, c'est la survie

« T'as encore le temps de grandir, va. N'abandonne pas trop vite. Et puis, ce n'est pas forcément une mauvaise chose. Entre l'action et l'apathie, le choix est vite fait. » Je savais dans le fond qu'il faudrait un événement ou une personne marquante pour que j'arrête avec mes mauvaises habitudes ou que ça soit au moins un peu plus contrôlé mais cette discussion n'était pas un mauvais début non plus. Le plus surprenant dans cette histoire, c'était que j'avais l'impression que venant d'une inconnue, c'était plus percutant. Sûrement parce qu'elle n'y allait pas par quatre chemins et c'était souvent plus simple avec une parfaite inconnue. A moins que ce ne soit qu'elle. Malgré tout, je préférais rester dans le doute et ne pas me confronter directement à quelqu'un d'autre dans sa trempe, même pour expérimenter la théorie.

« Merci. » Cette jeune femme m'intimidait, d'autant plus maintenant que la tension retombait progressivement. Je me sentais sotte de m'être emportée comme je l'avais fait sous ses yeux. Je ne pouvais rien y changer et je sentais déjà l'agitation en moi mais nous étions coincées et je ne voulais pas franchement dépasser la limite. Essentiellement pour elle. Je me contentai donc de regarder mes pieds sans un mot de plus.