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année 41- ST2 jour 87 (après-midi)

Qu'importe ce qu'il se soit passé, la présence de sa famille était une source de confort. De trop nombreuses choses ne pouvaient néanmoins pas être oubliées par Yulia. Ses propres erreurs, majoritairement. Regarder les membres de son petit clan bien en face restait difficile. D'autant plus ceux qui avaient souffert de la maladie. Le rappel était trop percutant et l'événement trop frais. L'excuse avait été toute trouvée. Même si sa position n'était pas inconnue des autres vipères, il était nécessaire qu'elle revienne parmi les siens. Qu'elle reste dans les parages en tant que gradée était important. Avec June, elles devraient faire front. Yulia songeait aussi qu'il était important qu'elles communiquent sur ce qu'il s'était passé, même à demi-mots.

Une chose à la fois.

Elle était revenue à proximité d'un rassemblement de vipères avec l'aide de Leonor. Ce simple effort l'avait laissé avec sur les bras une fatigue frustrante. Récupérer ne se ferait pas en un jour. Face à cette constatation, Yulia avait dû accepter qu'elle ne pourrait pas encore assumer son rôle. Pas tout de suite. Elle s'était contentée de donner quelques ordres aux valides pour assurer le roulement d'une partie de l'organisation mais pour une fois depuis longtemps, elle n'avait pas la tête à ça. Elle évitait encore de trop s'attarder sur les malades. Yulia n'avait même pas encore osé s'intéresser aux pertes. Ce répit serait de courte durée. Il faudrait qu'elle se confronte à la vérité rapidement. Pour le moment, on ne poussait pas à cause de son état mais elle devinait qu'elle ne s'en tirerait comme ça que jusqu'au lendemain. Ce qui était déjà mieux que rien, elle n'allait pas s'en plaindre.

Un peu à l'écart, elle s'était trouvée une place contre un mur où elle avait pu s'enrouler dans ses couvertures et se poser pour fixer un feu distant. Ne plus avoir à s'allonger était un changement plaisant.

— Pourquoi j'ai l'impression que tu as quelque chose à me dire ? dit-elle avec un sourire dans la voix assez peu visible.

Elle connaissait Len depuis trop longtemps. Yulia n'allait pas dire qu'elle ne pouvait rien lui cacher mais elle avait appris à décrypter les signes. Leonor avait cet air qui disait tout. Pourtant, elle marchait rarement sur des œufs mais Yulia lui avait donné toutes les raisons de craindre ses réactions. Encore quelque chose qui ne se réparerait pas en un jour. Elle aurait à faire des efforts pour ça. Ce qu'elle était prête à faire pour Len.

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Sujet compliqué, songea Yulia en la voyant se raidir. Elle fronça légèrement les sourcils, fixant Leonor avec un peu plus d'appréhension que de curiosité désormais. En laissant parler son intuition, elle ne s'était pas attendue à récolter une telle réaction. Elle n'avait pas tant que ça réfléchit à ce qui viendrait. Simplement qu'elle désirait éviter les non-dits entre elles pour avancer sur une bonne base. Son silence avait déjà fait assez de dégâts.

Lorsque Len lui répondit, l'information mit un temps à s'installer. Il lui avait fallu une seconde pour comprendre le ton plus grave de la situation. Ainsi que qui se cachait derrière ce elle. Violette. Bien sûr qu'il s'agissait de Violette. Même avec cette certitude, Yulia avait du mal à tout mettre bout à bout. Dire qu'elle était surprise aurait été un euphémisme. La dragonne avait vraiment peu de raisons de venir la voir. L'idée qu'elle ait parlé à Leonor était tout aussi déroutante.

— Ok. dit-elle, après un trop long silence.

Son esprit bloquait toujours un peu. Yulia n'était pas certaine de ce qu'elle ressentait en cet instant. C'était inattendu. Lors de leurs dernières conversations, Violette avait mis les choses au clair. Elles étaient censées être civiles jusqu'à la fin du voyage et après... Eh bien, il ne devait pas y avoir d'après. Une visite de la dragonne ne collait pas au plan. C'était un détour inattendu.

Violette s'inquiétait pour elle. Assez pour se déplacer. Elle n'aurait pas dû être si étonnée. Bien sûr qu'elle savait, dans le fond, que la dragonne se souciait d'elle à sa façon, mais venir était différent. Elle avait pris une forme de risque. L'avouer de la sorte pouvait aussi mettre en avant une certaine fragilité.

— Donc, elle allait bien. souffla-t-elle, soulagée.

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Les mots étaient dit dans le but de la rassurer mais Yulia n'en avait pas besoin. Elle connaissait Leonor depuis trop longtemps. Elle était la personne en qui elle avait le plus confiance. Celle qui savait tout d'elle. Même ses secrets les plus sombres. Rarement Yulia prenait-elle la peine de censurer ses pensées devant son amie. Violette n'avait été qu'un petit secret temporaire. Un secret de polichinelle dans les faits. Len avait été là pour tout le reste. Une indéfectible présence sans laquelle elle se serait sans doute perdue. Douter de Leonor n'était donc pas une option. Elle ne pouvait tout simplement pas l'imaginer agir dans son dos ou révéler un élément privé.

— Je sais. souffla-t-elle tout en simplicité.

Plus n'était pas nécessaire.

Un battement passa avant que Yulia ne tourne la tête pour la scruter un instant. Les sourcils légèrement froncés par la réflexion, elle continua.

— Il y a autre chose.

Aucun doute dans la voix de Yulia. Elle était certaine que Leonor omettait de lui dire quelque chose. La vipère manquait simplement de piste à suivre pour comprendre de quoi il s'agissait. Elle savait juste que Len était intérieurement agitée par autre chose.

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Ce n'était pas tous les jours que Leonor agissait de la sorte. Yulia s'adoucit, sa position se faisant plus posée encore. Elle se tenait à l'écoute. Prête à tout entendre. C'était de Len qu'on parlait tout de même. Elle hésita à lui assurer qu'elle pouvait lui parler. Qu'elle l'écouterait qu'importe ce qu'elle avait à dire mais elle préféra conserver le silence au début. Il valait mieux laisser à son amie le temps de rassembler ses pensées.

L'annonce qui avait tout d'une question sans réellement en être une la laissa coite pendant une seconde. C'est tout ? La réalité n'était pas si simple mais elle s'était attendu à pire. A une nouvelle plus personnelle pour Leonor. Elle fit l'effort de fermer la bouche et battit rapidement des paupières. Elle comprenait néanmoins. Le sous-entendu derrière l'hésitation. Elle avait ressenti la même chose avec Théa. Après tout ce qui s'était passé, Len avait toutes les raisons de ne pas savoir sur quel pied danser avec elle.

— Merdé comment ? demanda-t-elle, après une poignée de secondes silencieuses.

Un fin sourire s'était glissé sur ses lèvres. Une façon de rassurer. L'affaire ne pouvait pas être si grave. Aucun dragon n'avait encore fondu sur les vipères avec des idées de vengeance en tête après tout. Mais elle avait besoin de détails pour appréhender la suite. Pas vis à vis de Leonor mais bien de potentiels ennuis qui pourraient les attendre au tournant.

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Avec les minutes qui passaient et les difficultés visibles de Leonor à s'exprimer, Yulia avait eu tout le temps de s'imaginer des choses. Elle avait bien essayé de s'en empêcher mais son cerveau n'avait rien voulu entendre. Lorsque son amie parla enfin, Yulia avait déjà monté un certain nombre d'hypothèses plus ou moins rocambolesques. Aucune n'avait un réel rapport avec la vérité et c'était sans doute mieux.

La fouille des corps faisait partie de leur vie, même en ville. C'était de loin l'un des aspects les plus dérangeants mais ils ne pouvaient pas se permettre de laisser quoi que ce soit se perdre. Mais elle comprenait que la scène ait pu bouleverser Len. Humainement, rien de tout ce qui s'était produit n'était facile à vivre. Ils sortaient déjà de jours de voyage difficiles.

La vipère se détacha d'un peu de ses couvertures pour réussir à sortir un bras et aller poser la main sur l'épaule de la blonde, la serrant doucement pour lui apporter son soutien. Son implication dans l'empoisonnement ne cessait de la rattraper mais elle n'était pas la plus à plaindre. Il y avait plus important à l'instant que de s'apitoyer sur son sort.

— Je suis désolée que t'ais eu à traverser ça, Len.

Elle chercha un instant ses mots, n'oubliant pas la situation difficile avec ce dragon. Même si Yulia aurait préféré mettre de côté, elle voulait au moins s'assurer que les arrières de son amie étaient bien couverts.

— Et il est entier ce dragon ?

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Ce fameux dragon devait vraiment avoir laissé une impression détestable à Leonor. Cela n'empêcha pas Yulia de rire. Elle était d'un côté soulagée mais cette touche de regret chez Len restait amusante. Elle la savait plus que capable de détruire un homme si elle le jugeait nécessaire. Dragon ou non.

— Tu me rassures. Je ne suis pas encore assez en forme pour t'aider à cacher un corps. avait-elle plaisanté en retour.

L'idée de ne pas avoir à parlementer avec les gradées du nord n'était pas pour lui déplaire non plus. Si on entrait dans les détails, il aurait été juste de dire qu'elle aurait préféré parler d'autre chose avec l'une d'elles.

— Je doute qu'il aille pleurnicher chez ses gradées. On sait comment sont les dragons. Elle peinait à imaginer Violette s'abaisser à perdre son temps avec un Membre qui n'aurait pas pu se défendre lui-même. Au pire, t'es pas la seule blonde dans ce campement. Si tu ne m'as pas quittée, c'est qu'il s'est trompé de fille.

C'était sans doute trop optimiste mais Yulia n'avait pas envie de trop s'en faire pour une situation si hypothétique. Il n'y avait pas mort d'homme. Si un problème venait, elles l'affronteraient ensemble à ce moment là.

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Il était bon de pouvoir rire avec Len. Après tout ce temps que Yulia avait passé à la tenir à l'écart, partager de tels moments ne pouvaient qu'être positif. Ils aidaient à guérir après des jours trop sombres.

Face à une telle perche qui lui était tendue, Yulia fit mine de réfléchir.

— Je sais pas trop. souffla-t-elle, l'index posé sur son menton. Il faut reconnaître que ce rassemblement prouve qu'il y a de beaux spécimens dans les autres clans.

Le déclarer était facile parce qu'elle était consciente que son amie ne manquait pas de confiance en elle et que cela ne serait pas pris au sérieux. Elle ne faisait que récolter le fruit de cette petite graine d'humour que Leonor avait semé.

— Mais tu seras toujours ma préférée, ne t'inquiète pas.

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Le petit numéro de Len n'avait pas mis longtemps à tirer un rire sincère à Yulia. Il éclata un peu fort et elle s'empressa de glisser la main sur sa bouche pour ricaner un peu plus discrètement.

— Tu as donc un plan. dit-elle, hochant la tête et mimant le sérieux.

Les circonstances n'avaient pas été favorables à l'amusement mais Yulia ne doutait pas que son amie n'aurait eu aucun mal à trouver quelqu'un avec qui passer le temps. Elle ne doutait pas non plus que d'autres avaient déjà dû profiter d'une ou deux occasions. On pouvait difficilement reprocher à qui que ce soit de saisir l'opportunité de passer du temps avec des gens d'autres clans en dehors du train-train quotidien. Elle n'allait pas prétendre qu'elle ne l'aurait pas fait avec Violette si leur situation avait été autre. Si elle-même avait été dans un autre état d'esprit, elle aurait aussi traîné plus souvent avec d'autres gens.

— Je m'étonne quand même que personne n'ait encore attiré ton œil. Juste comme ça. En passant.

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Le petit sourire disait tout. Yulia avait toujours été impressionnée par la capacité de sa meilleure amie à gérer ses relations amoureuses. Elle semblait avoir maîtrisé l'équilibre entre l'amusement et le respect. Elle ne mentirait pas, elle trouvait tous les ragots que Len amenaient assez divertissants. Cela se voyait dans son langage verbal. Les mains en soutient pour son visage, Yulia l'écoutait avec une attention bien plus amusée. Pour satisfaire la théâtralité de sa partenaire de toujours, elle joua même les impatientes jusqu'à ce que vienne l'histoire attendue.

— T'es la seule à l'avoir remarqué ou il paraît réceptif ? questionna-t-elle, investie.

Yulia avait bien noté qu'il s'agissait d'un dragon dans un coin de sa tête. Beaucoup de pensées avaient été attirées par ce détail mais elle avait fait l'effort de ne pas s'y attarder. Il ne fallait pas qu'elle gâche le plaisir de Len. Tous les dragons ne se valaient pas. Les difficultés de sa romance avec Violette ne devaient pas non plus impacter son point de vue. Idem pour l'empoisonnement. A cause de ce qu'elle savait, il lui était plus difficile de s'imaginer se liant à l'un d'eux pour le moment mais ça ne voulait rien dire. Sa reprise en main était si récente qu'il était important qu'elle fasse ce genre d'efforts pour les gens qui comptaient. A force, elle arriverait sans doute à le faire sans avoir à y réfléchir et avec plus de sincérité.

La fatigue aidait à sa façon. Yulia se rendait bien compte qu'après tout ça, elle était en quête de légèreté et de divertissement.

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Rire était si facile avec Leonor. Yulia n'en oubliait pas tout, elles se tenaient toujours au milieu d'un campement de personnes en mauvais état, pas si loin non plus d'une pile de corps pour lesquels elle portait la responsabilité, mais elle parvenait ainsi à se rappeler que le but de ce voyage n'avait pas été d'apporter la mort. Il avait ses bons côtés. Des occasions de se rapprocher des gens qu'on aimait et de faire de nouvelles rencontres. Dans le cas de la vipère, on pouvait affirmer qu'il était bien tombé. Se tenir hors de l'influence de la ville et de ses responsabilités familiales lui avaient fait du bien. Il y avait eu Lena, certes, mais au moins elle n'avait pas eu à se soucier de son paternel depuis un moment. Elle pouvait aussi tenir sa culpabilité vis à vis de sa mère à distance. Être ici était loin d'être facile mais on pouvait trouver du positif dans tout, ce que Len avait tendance à faire.

— Lui non plus ne doit pas être rayonnant. remarqua-t-elle, pensive. Imagine après un bon décrassage.

Après la maladie, elle en rêvait d'autant plus. Yulia aurait donné beaucoup pour une bassine d'eau et des vêtements propres. L'alternative était bien moins glamour. Elle gratterait néanmoins des écailles de sang séché sur sa peau pendant un moment encore.

— Mais je te rassure, tu brilles encore bien assez. dit-elle en replaçant la mèche gênante derrière l'oreille de Len.