Kagan & Alina

année 41, seconde saison tempérée, journée 93

  une bouffée d'air

Je n'avais jamais été aussi heureux et conscient de la chance que j'avais d'être patrouilleur, c'était au final le meilleur moyen de s'éclipser du territoire et de pouvoir réfléchir posément pour peu que l'on tombe sur un patrouilleur qui n'a pas déjà été embobiné par les beaux discours de ces Anciens qui étaient prêts à vous embrigader à chaque coin de rue, quand il n'était pas question de vous frapper gratuitement parce que, grosso modo, votre tête ne lui revenait pas ou parce que vous ne vouiez pas un amour et un respect indéfectible au Conseil des Héros qui prenait soudainement beaucoup trop de place pour que ce ne soit que pour notre bien. Si les Dragons n'étaient pas parfaits - et ça n'arriverait jamais, aucun clan ne pouvait se vanter d'être infaillible -, je me rendais compte que nous avions évolués sur certains points, malgré la régression très récente. Les Golden étaient une minorité qu'on ne cherchait pas mais qu'on n'écoutait pas non plus forcément. Au mieux, on les évitait ou on les acceptait pour ce qu'ils étaient et non parce qu'ils étaient cette pseudo élite. Puisque nous devions toujours plus travailler, je quittais le territoire sans crainte, je bossais, rien de plus.

La chance m'avait souri un peu plus. J'allais travailler avec Alina qui, je l'avais appris avec le temps, partageait mon point de vue au sujet des Dragons sur pas mal de points. Passer du temps avec elle n'était jamais désagréable, au contraire, on ne voyait pas les heures défiler et au bout du compte, on se complétait pas mal. Je savais que je pouvais lui faire confiance et vice versa. Je l'avais accueillie d'un sourire une fois qu'elle était fin prête et j'avais attendu de me sentir moins observé pour entamer la conversation. Les murailles n'avaient plus du tout la même valeur. « Alors ? Ils sont combien à t'avoir abordée en grands sauveurs des Dragons depuis notre dernière patrouille ? » Cette dernière patrouille datait d'il y a deux jours. Même si je présentais le tout sur le ton de la plaisanterie, le sujet était on ne peut plus sérieux. C'était souvent plus facile d'aborder les choses graves de la vie de cette façon. En tout cas, c'était ma philosophie. Avec ceux qui le méritaient.

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Alina avait toujours apprécié sa tâche mais la situation actuelle ne pouvait que la rendre d'autant plus reconnaissante. Patrouiller, avoir la chance de s'éloigner de cette atmosphère oppressante qui baignait le territoire des dragons était une bouée à laquelle si peu d'entre eux avaient la chance de se raccrocher. Alina se savait d'autant plus chanceuse après avoir expérimenté une garde renfort durant les distributions des rations. Plus jamais elle ne voulait avoir à revivre ça. Elle s'était senti bouillir, la misère et le désespoir qu'elle avait lus sur le visages des soumis et puis l'injustice ultime de ces anciens qui se croyaient tout permis. Le pire, c'est qu'elle comprenait bien que les heures sombres du clan n'étaient pas prêtes de s'arrêter mais un pas après l'autre, toujours plus loin des murailles, elle se sentait presque revivre comme si respirer loin de toute cette sombre déchéance devenait plus facile. Savoir qu'elle serait aidée dans sa tâche par Kagan n'était qu'un miracle de plus. Elle aurait détesté devoir partager son service avec l'un de ces suiveurs, incapable de réfléchir sans que le conseil ne leur souffle quoi penser. Kagan faisait partie de ces dragons qu'elle appréciait. Ils étaient différents par bien des côtés mais ils partageaient la même façon de voir les choses et en ces temps mouvementés, elle était aussi reconnaissante de pouvoir s'appuyer sur des éléments solides comme lui pour ne pas perdre espoir pour ce clan qu'elle aimait pourtant encore si fort.

Alina avait tout d'abord gardé ses distances, il y avait des yeux partout, rapportant le moindre des faits et gestes suspects à ces grands manitous perchés là haut, ceux qui pensaient pouvoir redresser leur clan en achevant la force de travail du clan, ces pauvres soumis qui n'étaient plus réduits qu'à des machines à produire, à travailler toujours plus pour toujours moins. Aussi prudent qu'elle, ce ne fut que lorsqu'ils avaient mis assez de distance entre eux et le territoire que Kagan s'était finalement rapproché. Elle se doutait qu'ils ne pouvaient pas échapper à une discussion tournant autour de ce qui se passait chez eux mais au moins, elle pouvait parler sans crainte que cela lui retourne dessus. Elle n'avait, après tout, toujours pas digéré son altercation violente avec cet ancien lors du ravitaillement. L'approche humoristique rendait la discussion plus supportable mais derrière cette désinvolture, Alina pouvait deviner l'inquiétude et le ras-le-bol que son coéquipier ressentait. Quoi, tu veux dire que tu ne comptais pas me déblatérer les mêmes bêtises ? Oh oui, grand conseil, prouve-moi à quel point nous ruiner la santé va nous rendre plus fort ! Elle l'avait dit sur un ton faussement surpris, faussement béat avant de rire bêtement. Elle essayait de garder le sourire, pas très pressée de transmettre sa morosité à Kagan. Mais pour répondre à ta question, trop, ils sont beaucoup trop. Je suis bien contente de partager ce service avec toi. Cette fois-ci, son sourire plus rayonnant était aussi plus sincère.

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La tension durant les premiers pas fut palpable, impossible à nier. Nous étions tous les deux trop conscients de la réalité des Dragons, surtout depuis que les Anciens avaient décidé d'afficher leur couleur même en dehors du territoire. Les autres clans ne devaient pas comprendre grand-chose à toute cette histoire et ce n'était pas plus mal, je n'avais pas envie de devoir encore m'expliquer, justifier le comportement complètement arriéré de certains de mes comparses et encore moins d'avoir à me justifier auprès de tout le monde. Me prendre la tête ne me tentait pas. Pas en dehors des frontières en tout cas. « Quoi, tu veux dire que tu ne comptais pas me déblatérer les mêmes bêtises ? Oh oui, grand conseil, prouve-moi à quel point nous ruiner la santé va nous rendre plus fort ! » L'ironie ne manquait pas de subtilité non plus. Au moins, c'était clair. Je me mis à rigoler à mon tour, heureux de la savoir encore suffisamment en état que pour une petite touche d'humour qui dissimulait à peine ce que nous pouvions penser de ce règne de la terreur qui débutait tout juste.

« Mais pour répondre à ta question, trop, ils sont beaucoup trop. Je suis bien contente de partager ce service avec toi. » Je répondis à son sourire par un sourire à mon tour. Nous n'étions pas les mêmes et heureusement, je n'aurais pas voulu me retrouver en face de moi-même mais nous n'étions pas à l'opposé non plus. Savoir que le sentiment était partagé me reboostait un peu plus. C'était autre chose que de traîner avec quelqu'un qui tirait la tronche ou qui prônait la justice Dragonne, la vraie vie Dragonne. Que des conneries. « Moi aussi. Je me dis qu'on a moins de chance de se faire dégager avec toi qu'avec un pro-Martin ou pro-Lila ou pro-je-ne-sais-qui-encore. Puis, t'es un sacré brin de fille. C'est toujours amusant de voir des abrutis s'imaginer qu'ils peuvent te parler comme on le ferait avec une enfant fragile. » Il suffisait de se rappeler un Aigle qui s'était légèrement planté à ce sujet et le rire que la scène m'avait arraché. C'était une erreur qui se répéterait sûrement avec les Anciens qui pensaient pouvoir, pour certains en tout cas, jouer les coqs de basse-cour, comme ces misérables Aigles.

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Alina ne pouvait qu'acquiescer aux paroles de son coéquipier de patrouille. Les Dragons aux idées trop arrêtées ne se baladaient pas que sur le territoire. Il y en avait toujours eu pour lancer des piques à tout va, des insultes bien plus dégradantes que ce qu'une simple rivalité inter-clans ne pouvait tolérer. Mais depuis la prise de pouvoir des Anciens, certains dragons qu'elle pensait pourtant modérés et ouverts, des qualités que la fonction de patrouilleurs demandait, avaient radicalement changé leurs fusils d'épaule. Alina essayait de leur laisser le bénéfice du doute. Parmi tous ces nouveaux puristes, certains devaient probablement ne pas avoir une marge de manœuvre assez grande que pour refuser de participer à ces batailles d'égo, on avait probablement même du forcer la main de plusieurs d'entre eux. Parfois, c'était simplement le vrai visage des gens qui se dévoilaient. Kagan avait de toute façon raison. Être patrouilleur venait avec une certaine neutralité. Il fallait bien s'entendre avec le reste des membres envoyés, une harmonie, des amitiés se tissaient même quand on parvenait à passer outre les barrières de l'appartenance ennemie. Et quand on était dragon, il fallait d'autant plus se battre contre certains stéréotypes qu'on s'hâtait de leur refourguer. Alors ne pas avoir à rattraper les conneries d'un coéquipier trop stupide que pour garder sa stupide fierté dragonne sur le territoire, c'était un poids en moins à porter. Tout n'était pas noir ou blanc. Les autres clans devaient être au courant de ce qui se tramait chez les dragons, certains membres à la rancœur tenace pourraient vouloir se servir des tensions déjà présentes chez les reptiles pour essayer d'insuffler un peu plus de zizanies. Cette fois, ils pouvaient essayer, il en faudrait beaucoup pour tourner Alina contre Kagan. Et elle pensait que Kagan la connaissait assez pour lui retourner la faveur. Oh si tu savais, ça a déjà commencé. J'ai été affectée à une garde de plus pour aider à la distribution des rations...c'était il y a quelques jours. Un stupide crétin d'Ancien pensait pouvoir dépasser les soumis qui faisaient la file avant lui. T'imagines ce culot?! C'était la première fois qu'elle en parlait à quelqu'un qui n'était pas sa mère et se remémorer la situation la mettait hors d'elle. Elle ignorait si ce gars avait des connexions et si sa réaction explosive lui retomberait dessus mais sur le moment, elle n'avait pu se retenir face à cette injustice. Peut-être qu'un jour, elle s'emporterait contre le mauvais connard, qu'elle ferait le faux pas de trop. Du J'aurais bien besoin de l'aide d'un grand gaillard comme toi pour protéger la petite chose fragile que je suis. A nouveau, elle l'avait dit sur un ton qui se voulait plus léger, se permettant même de lui attraper les mains tout en marchant à reculons, affichant un air faussement suppliant et pitoyable.

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« Oh si tu savais, ça a déjà commencé. J'ai été affectée à une garde de plus pour aider à la distribution des rations...c'était il y a quelques jours. Un stupide crétin d'Ancien pensait pouvoir dépasser les soumis qui faisaient la file avant lui. T'imagines ce culot?! » Malheureusement, ce n'était pas très difficile d'imaginer un tel culot. Ils étaient nombreux ceux qui dépassaient outrageusement la limite sous prétexte qu'ils étaient au-dessus des règles, qu'ils étaient protégés par ceux qui détenaient le pouvoir ou par les règles parfois trop archaïques du clan. Pour toutes ces raisons, j'avais rapidement visé l'équipe des Aspirants. C'était une nécessité si je voulais pouvoir tenir tête à certains Golden qui se prenaient de haut alors qu'ils étaient plus jeunes et beaucoup moins expérimentés. Je ne cherchais pas la misère mais je n'étais pas un tendre non plus. Rendre les coups n'était pas toujours possible, se contenir non plus mais c'était un devoir. Il n'y avait pas que moi dans l'équation. Il y avait aussi Evie.

« Rassure-moi, tu t'es contrôlée ? Tu n'as pas franchi les limites ? » C'était la règle d'or chez les Dragons. Il ne s'agissait pas de fermer les yeux face à toutes les injustices mais de calculer quand ça en valait la peine, quand nous avions réellement du poids dans l'équation. Agir en douce, dans l'ombre, c'était une autre possibilité. Alina réagissait généralement plus aux injustices et laissait ses émotions la guider. Ce n'était pas réellement un défaut mais il était toujours question de dosage. Je n'aurais pas voulu apprendre à notre retour de garde qu'elle était convoquée parce qu'avec cette belle brochette d'Anciens, ça signifiait encore plus probablement la mort. Elle serait un exemple, un de plus.

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La réaction de Kagan ne l'étonna pas une seconde. Il était un dragon, il avait grandi dans ce clan moisi par les injustices de classes. Quand on naissait dragon, on apprenait vite à vivre avec le fonctionnement plus que précaire des règles établies par ceux qui se disaient purs. Pour une question aussi simple que la survie, il fallait être conscient de ses propres limites. Quand on n'était qu'un pion parmi tant d'autres, on rêvait de défier les têtes pensantes mais ça n'était que ça. Des rêves. Dans la réalité, n'importe qui avec un minimum de jugeote choisissait ses batailles avec soin. C'était parfois difficile de devoir fermer les yeux face à la misère que des personnes encore moins bien placées sur l'échelle du clan avaient à subir. Même si elle restait prudente, avec son caractère, il lui arrivait trop souvent de sortir les griffes à la place de baisser les yeux. Alina ne put donc que faire la moue. S'était-elle contrôlée? Plus que suffisamment aurait été sa première réponse. Seulement, elle ignorait tout de l'ancien qu'elle avait défié. S'il avait des liens au conseil et la rancune facile, elle était bonne à passer un mauvais quart d'heure. Quelque chose dans les mots qu'il avait utilisés lui disait qu'il ne faisait pas forcément partie de la bande de reptiles qui se bousculaient pour essuyer la sueur du front d'anciens comme Martin. Mais elle n'en savait rien. Elle haussa les épaules, la grimace discrète. Elle ne voulait pas affoler Kagan pour rien. Par des temps pareils, il avait déjà de quoi largement le tenir éveillé la nuit. Il devait se préoccuper de sa sœur et de lui-même, c'était déjà une charge mentale énorme quand le moindre faux pas pouvait retomber sur ses proches. Hmf. Franchi les limites, franchi les limites...répéta-t-elle faussement songeuse. Disons que je l'ai juste secoué un peu. Elle ne pensait pas embellir le tableau. Elle n'avait pas non plus été jusqu'à lui tirer une balle dans le pied. Mais avec tout ça, Alina s'en voulut un peu de gâcher le peu de répit qu'ils gagnaient hors du territoire. Cette histoire la mangeait de l'intérieur. Pas juste pour des questions de représailles et de sécurité personnelle. L'air plus sombre, elle lâcha les mains de Kagan, reprenant sa place à ses côtés. Tu sais, je ne pense pas que ce gars était un des leurs. Cela ne voulait pas dire qu'il n'était pas un vaste connard et qu'il avait l'air taré à sourire après s'en être pris une bonne. Il n'était pas con, ça, elle en mettrait sa main à couper. Elle n'avait d'ailleurs pas pu lui répondre quand il avait répliqué à son attaque. Ou peut-être qu'elle n'était qu'un livre ouvert et il avait simplement trouvé les mots pour la secouer. Se torturer en y repensant en boucle ne l'aiderait pas alors pourquoi pas profiter de cette garde pour vider son sac. Il m'a demandé si j'ferais pareil avec des soumis. Si elle ferait respecter les ordres, si elle lèverait la main contre plus faible qu'elle...Elle aurait eu envie de dire que jamais elle ne tomberait aussi bas, mais elle n'était qu'une membre et une dragonne et elle devait choisir ses batailles après tout. Est-ce que cela faisait d'elle une mauvaise personne? Sûrement. Cependant on ne lui offrait aucune porte de secours, ce n'était pas comme si des personnes crédibles s'étaient ouvertement opposées à ce règne de la terreur. Ha, c'était trop la honte, j'te jure. J'ai même pas été foutue de lui clouer le bec après être monté sur mes grands chevaux. Elle ricana, pleine d'autodérision pour la piètre justicière qu'elle faisait.

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« Hmf. Franchi les limites, franchi les limites... » Depuis le temps, j'avais appris à connaître Alina et ce n'était pas bien difficile de remarquer qu'elle simulait la réflexion. J'étais persuadé en la voyant comme ça qu'elle n'allait pas m'annoncer qu'elle était restée sagement à sa place, pas complètement en tout cas. J'étais moi-même tenté d'en coller une à pas mal de Dragons aussi cons que mauvais mais je ne pouvais pas me le permettre, c'était aussi simple que ça. « Disons que je l'ai juste secoué un peu. » Je l'ai juste secoué un peu. J'avais soupiré, un peu inquiet parce que même si elle était sous mes yeux, qu'on se parlait, rien ne nous promettait que rien ne l'attendait à notre retour de patrouille. Ou même en-dehors des frontières, loin des regards. Si ça n'avait pas été elle, j'aurais probablement mis ça de côté, dans un coin très éloigné et très noir de ma tête, sauf que c'était précisément elle.

« Je suis pas un mec étouffant mais fais quand même attention à toi, Lina. » Ce surnom était venu de lui-même après plusieurs patrouilles effectuées ensemble. C'était si facile de se montrer familier avec une fille comme elle ; pas compliquée, pas chiante, une humaine avec ses hauts et ses bas. J'avais même pris le temps de poser mon index sur son front, au milieu de celui-ci. « Je sais que t'es de ceux qui ont quelque chose là-dedans. N'oublie pas qu'on doit tous survivre. Toi la première. » Je ne comptais pas jouer les chevaliers servants, elle était Membre au même niveau que moi, mais ça ne me dérangeait pas de lui dire ce que je ressentais, comme à cet instant précis.

« Tu sais, je ne pense pas que ce gars était un des leurs. » Le problème c'était qu'elle n'avait aucune assurance, que certains étaient particulièrement doués pour masquer leurs intentions ou, pire encore, pour retourner leur veste en moins de temps qu'il ne me fallait pour me lever du lit. Je ne voulais pas douter d'elle et de son analyse mais on n'était jamais à l'abri, ni à l'extérieur des murailles, ni à l'intérieur de celles-ci. Le mensonge permettait souvent de rester en vie et c'était chacun pour soi à Paris. A quelques exceptions près. J'avais juste haussé les épaules. Je l'avais déjà mise en garde, pas besoin d'en rajouter, elle aurait pu croire que je la traitais comme une enfant, comme une femme fragile. Principe complètement con.

« Il m'a demandé si j'ferais pareil avec des soumis. » S'il n'était pas foncièrement mauvais, cet Ancien n'était pas franchement fréquentable non plus. Il n'y avait qu'un crevard ou un Ancien frustré, doublé par la vie pour poser une question pareille quand il avait été lui-même Membre. A quoi bon faire chier avec un sujet aussi sensible si ce n'était pas pour pourrir la vie de l'autre ? Ce n'était malheureusement pas un cas isolé chez les Dragons et on nous entraînait à ne pas se laisser bousculer émotionnellement par le premier venu. J'espérais que ça lui passerait, elle n'avait pas besoin de ça.

« Ha, c'était trop la honte, j'te jure. J'ai même pas été foutue de lui clouer le bec après être monté sur mes grands chevaux. » J'avais haussé les épaules, loin d'être choqué par la révélation. On espérait tous pouvoir répondre, rétorquer directement après une telle pique mais, dans les faits, ce n'était pas aussi facile. Nous avions été entraînés à obéir, à fermer les yeux, pour survivre jour après jour. Le danger était partout parce qu'il suffisait de bonnes connexions pour s'en prendre plein la gueule au coin de la rue le lendemain. Elle, elle était juste trop intense à certains moments mais vraiment pas du genre à écraser les autres par plaisir. Ça jouait aussi.

« Je t'avoue que je préfère ça. Ce con te cherchait. T'allais être prise dans une bagarre interminable et il lui aurait suffi de pas grand-chose pour réussir à convaincre les Anciens qu'il est innocent. En tout cas, c'est comme ça qu'il faut voir les choses. Certains réussissent à avoir les témoins de la situation dans leur sac. » Ce que je disais n'était pas nouveau mais ce n'était pas une mauvaise idée de le rappeler de temps à autre, quand c'était pertinent. « Faut qu'on te change les idées. Et s'il recommence, on pourra toujours discuter de son cas. » Parce qu'une fois, ça ne signifiait pas grand-chose, en plus d'être le quotidien dragon.