Cam & Jackson

année 41, seconde saison tempérée, soirée 93

Dis-moi que c'est faux

La démarche avait été naturelle dans un premier temps, lors des premiers pas mais plus j'approchais le Golden Quarter, plus je sentais la tension grimper dans mon dos. Bientôt mes épaules me tiraillaient également. Je n'aurais probablement pas dû être aussi méfiant parce que j'étais le fils de Lila et qu'on ne dirait rien si je ne portais pas ce brassard mais je n'étais plus certain de rien du tout. En plus de ça, je ne voulais plus me reposer sur ces principes qui m'avaient protégé jusque-là alors que tout volait en éclats sur le territoire. Cette position était inconfortable mais je voulais connaître la réalité moi aussi, cette réalité dont m'avait parlé Jin. Je lui devais bien ça. Non, je leur devais bien ça. Ils étaient nombreux ceux qui avaient ouvert les yeux avant moi, le petit protégé d'une ancienne chef. Je ne pouvais plus jouer à ce jeu, pas quand des innocents étaient tous les jours ramassés à la petite cuillère parce que c'était ouvertement admis, plus qu'avant encore, de taper sur ceux qui ne suivaient pas le rang.

Voir Jackson était une évidence dès que j'étais rentré mais les événements s'étaient enchaînés et je n'avais pas eu l'occasion de souffler. J'avais quitté Max en lui donnant ma destination, sans doute en partie par superstition ou précaution mais surtout parce que je ne lui cachais jamais rien. Je n'avais pas eu le coeur à la pousser à venir avec moi, pas cette fois, pas alors que la fille de Martin n'était plus que l'ombre d'elle-même. Nous devions nous serrer les coudes, raison pour laquelle elle devait garder ses forces pour le moment. Je n'avais pas vraiment l'impression que ça finirait par se calmer grâce à des discussions civilisées. Nos parents avaient complètement pété les plombs. Arrivé au Golden, je ne craignais pas seulement Martin, ni seulement Milo mais ma mère était comprise dans le lot. Je ne la reconnaissais plus. Je ne tenais pas à ce que nous parlions, elle ne comprendrait pas mon point de vue. J'en étais convaincu. Elle rêvait d'une grandeur révolue, je ne désirais même pas savoir si tout ceci était le fruit de son imagination ou de celle d'un autre Ancien. C'était trop pour moi.

Ce n'était qu'une fois Milo parti que j'étais sorti de ma cachette. J'entendais déjà Magnus me dire que j'étais trop grand que pour être loupé et ça me fit bêtement sourire. Je n'aurais jamais parié que mon frère serait la personne la plus réconfortante mais cette crise avait au moins eu le don de nous rapprocher. J'espérais que nous continuerions d'évoluer dans ce sens une fois cette période sombre derrière nous. Parce qu'il y aurait forcément un futur plus ensoleillé. Penser autrement finirait de m'achever. « Jack. C'est moi. Je suis rentré. » J'étais rentré sans plus de cérémonie et je l'avais avertie dès que j'avais entendu des bruits de pas. Les temps étaient durs pour tout le monde, elle devait forcément être à cran, je ne pouvais pas jouer encore plus avec ses nerfs. Je balayais la pièce principale du regard avant de tomber sur un brassard. « Ton père essaie de te convaincre, comme ils le font tous, je suppose ? » Je cherchais cette fois son regard du mien, espérant y lire la réponse que j'attendais. Elle ne pouvait pas trahir les Dragons. Elle ne pouvait pas me trahir. Pas après tout ça.

Cam & Jackson

année 41, seconde saison tempérée, soirée 93

Dis-moi que c'est faux

Le territoire devait sans doute être en effervescence après les annonces de Martin. Des annonces auxquelles elle aurait du prêter plus d’attention car il y avait peu de chance qu’elle ne soit pas concernée. Pourtant, son esprit était plus que jamais occupé par l’existence d’une seule personne. Son père venait de partir, ou de fuir après qu’elle a essayé d’aborder le sujet avec lui. Elle ne comprenait pas et quand elle ne comprenait pas, la frustration et l’anxiété se faisaient une joie de tourmenter son esprit. Il m'entraîne c'est tout. Elle n’en croyait pas un mot. Jackson connaissait les personnes que son père avait pris sous son aile. Sa relation fraternelle avec Kaiden était la preuve que lorsqu’il s’agissait simplement d’entraînement et de potentiel, Milo ne s’entourait pas de mystère. Quelque chose clochait et elle devait apprendre quoi. 



Quand elle entendit la porte s’ouvrir à nouveau, elle arriva en trombe, le bruit de ses pas immanquables, persuadée que son père était de retour après avoir oublié quelque chose à la maison. Cette fois, elle ne le laisserait pas filer. Elle s’écrasa presque contre le pauvre Cam. Et il lui fallut du temps pour que l’information percute son esprit embrumé. Elle ne l’avait pas revu depuis son départ et le revoilà sain et sauf devant elle. Elle lui sauta au cou, volontairement cette fois, l’étreignant si fort qu’elle devait sans doute l’étouffer, ses tracas envolés. Elle ne comprit pas tout de suite ce qu’il lui demandait. Ses yeux s’arrêtèrent sur le brassard qu’il lui arrivait d’arborer quand elle était en compagnie d’autres Golden du quartier. C’était une façon étrange de débuter une conversation après autant de temps à part. Elle avait tant de questions à lui poser, des questions plus intéressantes que la possibilité que son père essaye de l’influencer. Elle haussa les épaules, pas gênée mais perturbée par cette approche. Euh, nan, pas vraiment. Faudrait qu’il fasse des phrases de plus de cinq mots pour me convaincre. Elle soupira. Le problème se trouvait bien dans le fait que Milo refusait de lui parler. Ou qu’il s’exprime autrement que par grognements, tu le connais. Elle s’écarta légèrement de son ami, l’invitant à la rejoindre dans la pièce principale. Mais on s’en fout un peu, non ? C’est qu’un bout de tissu. Alors que toi, t’as du en vivre des aventures! Dis-moi tout! T’es rentré quand ?

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Dis-moi que c'est faux

J'étais rassuré à propos d'un élément essentiel, elle n'avait pas changé, elle était toujours ma meilleure amie, celle qui m'étouffait parfois un peu trop pour mon propre bien. Je pouvais essayer de laisser mes inquiétudes de côté pour l'instant parce que si je n'étais pas heureux de voir ce brassard autour de son bras, Jackson était un élément essentiel dans ma vie, dans mon quotidien, celle qui me défendait parfois contre des cons, parfois contre mon propre frère. Ce contact m'avait manqué aussi alors que j'étais parti pour ce fameux voyage durant lequel je m'étais senti perdu, au milieu de beaucoup trop de personnes que je ne connaissais pas et qui ne me connaissaient pas.

« Euh, nan, pas vraiment. Faudrait qu’il fasse des phrases de plus de cinq mots pour me convaincre. » Dans le fond, je n'étais pas certain de savoir quelle situation était la plus effrayante : son père qui la tire vers le bas ou que ce soit à cause d'autres Membres du Golden Quarter. C'était peut-être même son nouveau Lieutenant. Je ne le connaissais pas assez pour miser sur sa position mais il n'était pas le plus tendre avec son équipe. « Ou qu’il s’exprime autrement que par grognements, tu le connais. » C'était cohérent avec le personnage et j'aurais voulu la garder dans mes bras et toujours dans mon périmètre pour qu'elle soit bien entourée mais je n'étais pas certain de pouvoir faire le poids face à Milo. J'avais soupiré, pas plus avancé qu'au départ mais je prenais autant que possible sur moi.

« Mais on s’en fout un peu, non ? C’est qu’un bout de tissu. Alors que toi, t’as du en vivre des aventures! Dis-moi tout! T’es rentré quand ? » Je n'étais pas du même avis qu'elle, ce n'était pas qu'un bout de tissu mais ça signifiait sans doute qu'elle n'était pas dans le délire de certains, elle suivait le mouvement. Je pouvais donc potentiellement tuer dans l'œuf cette idée complètement insensée.

Son enthousiasme vis-à-vis du voyage était légitime, on ne racontait quasiment rien aux Dragons concernant les conditions de vie compliquées de certains des nôtres et j'en avais fait les frais pour la première fois, moi, enfant du Golden, enfant trop protégé. Elle n'était sûrement au courant de rien concernant ce voyage qui avait détruit plus d'un Membre, même parmi les plus aguerris. « Je suis rentré il y a deux jours. C'était une catastrophe. Il y a eu plein de morts, de malades et au-delà de tout ça, il y avait beaucoup trop de monde, beaucoup trop d'inconnus. On était les uns sur les autres. » Rien du rêve que certains avaient pu imaginer. C'était encore moins une partie de plaisir quand on n'était pas à l'aise avec les autres.