Fear must be erased
année 41 - saison intermédiaire (zénith 77)

Le pas est prudent, les yeux concentrés. Tu progresses lentement dans un paysage qui se dégage de plus en plus. Les Dragons ont toujours mis un point d'honneur à faire de leurs alentours une plaine à l'allure mortelle. Les cachettes potentielles sont presque inexistantes. Une attaque serait un vrai festin pour les Tireurs d'élite. Tu as beau le savoir, tu déplores ton absence de possibilités. Les murailles se découpent au loin mais elles te semblent encore trop éloignées. Ce n'est pas suffisant. Tu as la peur au ventre mais pas encore assez pour surmonter. C'est une méthode toute dragonne. Même en les ayant fui, même en les détestant souvent, tu as gardé leur mentalité. Une peur doit être vaincue et le mieux pour ça est de s'y confronter totalement. Si tu dois à ton père de ne plus avoir peur du noir, le moment où tu as surpassé ta peur reste traumatisant. Tu te souviens encore nettement de cette maudite nuit. L'obscurité la plus totale autour de toi, la solitude, les sons inquiétants. Tu avais pleuré jusqu'à ne plus avoir de larmes. Crier jusqu'à ce que ta gorge soit trop douloureuse. Il n'avait pas réagis. Il t'avait laissé dans ce placard jusqu'à ce que tu sois calme. Jusqu'à ce que tu n'émettes plus aucun bruit pendant des heures et des heures. Tu étais ressortie de là avant la sensation d'y avoir passé des jours alors qu'une nuit à peine s'était écoulée. A six ans les ténèbres n'étaient plus une menace pour toi mais il n'avait eu aucun geste à ton égard. Rien pour te féliciter, rien pour te réconforter. C'était normal de surpasser sa peur. Pas de quoi en être fière. Il te l'avait dit bien plus tard. Il te le disait même trop souvent. Tu ne devais jamais être fière de tes accomplissements. Rien n'était assez. Tu le ressens encore. Même si tu es en train de combattre l'angoisse qui te ronge de l'intérieur et qu'importe que tu ais déjà fait les trois quarts du chemin, ce n'est pas suffisant. Tu restes atteinte. Et atteinte tu n'aurais jamais dû l'être. « Tu aurais tellement honte de savoir qu'ils m'ont laissés en vie. » Le murmure s'échappe. Tu te laisses tomber sur un muret, les mains se croisant sur tes genoux. Tu es incapable d'aller plus loin. Ce serait pure folie de toute façon. Tu ne peux pas t'exposer de la sorte. Ton père ne saura jamais ce qu'il s'est passé et heureusement. Il ne te laissera jamais nuire à la réputation de la famille. Tu es morte pour lui et à défaut de l'être physiquement tu dois faire profil bas vis à vis des Dragons. Ils ne pourraient plus te reconnaître de toute façon. Trop de temps se sont écoulés.

Fear must be erased
année 41 - saison intermédiaire (zénith 77)

« Si on te voit glander ici, ça va gueuler aux portes. » La surprise te fait bondir loin de ton appui. Trop prise par tes pensées, tu en as oublié les règles de sécurité élémentaires. On t'a approché facilement et tu te sens démunie. Même ton instinct ne parvient pas à se faire entendre. Ta lame reste dans son fourreau et tu n'en deviens pas une cible moins facile. Pourtant tu es désormais consciente d'une présence étrangère. Une présence très dragonne au vu de ses paroles. Dans ton malheur tu as tiré la pire carte possible. Le seul point positif est qu'elle te prends pour une alliée. C'est sûrement pour ça que tu n'as pas encore le couteau sous la gorge ou planté dans le coeur. « Trop flemmarde pour continuer ton chemin ? » Le plus sage serait de prétendre être cette dragonne qu'elle pense que tu es. C'est un demi-mensonge. Le sang des Dragons coulera toujours dans tes veines. Mais l'idée te déplaît. Tu as la fierté stupide et tu es bien trop dégoûtée pour jouer le jeu. « On va dire ça. C'est un peu loin. » Tu ne te jettes pas non complètement dans la gueule du loup. Un fond d'envie de survivre sûrement. C'est tout ce qui te retient depuis l'attaque. Tu jauges le plus discrètement possible ton adversaire sans trop savoir quoi en penser. Ce n'est pas un colosse mais ça ne veut rien dire. Tu n'es même pas en état de te battre après la saison que tu as imposé à ton corps. Un vrai gâchis. Et puis un détail te frappe. Le ton moqueur. Le faciès qui n'a pas beaucoup changé. La dragonne n'a rien d'une étrangère et tu te maudis soudain de ne pas avoir filé plus vite. Tu n'as pas besoin qu'un fantôme vienne te hanter. « Ta mère a fini par avoir raison de tes cheveux. » C'est un détail qui t'a frappé. Enfant, ce détail était revenu souvent. De trop longs cheveux pour une fille qui se devait d'être plus garçonne pour satisfaire sa génitrice.

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année 41 - saison intermédiaire (zénith 77)

Loukas n'est plus la même. Ce n'est pas qu'une histoire de physique, sur ce plan là elle n'a que peu évoluée. Son comportement n'a par contre rien de commun avec celui de cette voisine un peu bizarre qui s'était trop souvent moqué de toi. Elle semble peu soucieuse de l'image qu'elle dégage, plus libre. Ce qui par le passé était une fière dragonne en devenir ne semble plus être qu'un clown. Mais tu sais qu'il n'est pas bon de juger si vite. Son éducation comme la tienne a laissé des traces et il serait peu judicieux de l'oublier. « La pleurnicharde ? » Bien sûr c'est tout ce qu'elle a retenu de toi. Par une fois elle t'avait vu pleurer et ce détail n'avait jamais été oublié. A croire que toute ta vie se résumait pour elle à cette erreur. « Ben merde. J'avais entendu dire que t'étais morte. » Tu n'as jamais cherché à savoir ce qu'il en était vraiment. Ce qu'ils avaient dit. Maintenant que tu le sais, tu n'es pas étonnée. Une fille morte est plus honorable. « Je suppose que ce n'est pas vraiment un mensonge. » Tu aimerais dire qu'ils sont aussi morts pour toi mais ce n'est pas encore tout à fait vrai. « Attends, ce que ça veut dire, c'est que tu t'es tirée ? Tes parents ont préférés dire que tu étais morte plutôt que d'avouer qu'ils avaient enfanté une traîtresse. Quel drama ! » Bravo Sherlock ! Que tu sois en vie à cette raison évidente mais elle le fait sonner avec beaucoup trop d'étonnement. Des trucs comme ça, ça doit être commun chez les Dragons qui plus est. « Ma vie était finie avant d'avoir vraiment commencé chez les Dragons. Entre en être une par principe et trouver un endroit où j'aurais ma place, le choix a été vite fait. Mais je me doute que ça ne doit pas être acceptable pour quelqu'un comme toi. »

Fear must be erased
année 41 - saison intermédiaire (zénith 77)

« Quelqu'un comme moi ? Monte pas sur ton éléphant, les gens changent, évoluent. J'ai fait pareil. » Tu as ce réflexe. Juger les Dragons. Il y a tellement de mauvais sentiments que tu leur voues, tu ne peux pas t'en empêcher. C'est hypocrite de ta part mais c'est humain. Les éléments de ton passé sont comme immuables dans ton esprit. Tout comme tu ne peux pas imaginer Loukas changer, Silas reste cette personne robotique qui hante ton cœur d'enfant. Cette déception qui t'a brisée un peu plus que tu ne l'étais déjà. Dans le cas de Loukas le changement semble pourtant évident. Il se dégage littéralement d'elle. Sans doute s'était-elle enfin rebellée. Libérée de cette influence maternelle. « Je ne pensais pas ça possible. Entre les murs. » Au cœur même des Dragons, s'émanciper devait tout avoir d'un parcours du combattant. Une force dont elle n'avait jamais manqué. Peut-être était-ce le plus grand problème de Loukas. Elle avait toujours eu sous le capot de quoi satisfaire les exigences de sa mère. A l'époque tu avais désiré qu'il soit possible d'échanger vos places. Une pensée idiote. Tu ne pouvais pas comprendre son enfer tout comme elle ne pouvait saisir le tien. « Qu'est-ce que tu fiches ici, sinon ? Me dis pas que t'es Espionne ou tu serais encore plus cramée que moi à l'époque. » C'est beaucoup d'informations d'un coup. Tu ne l'imagines pas du tout Espionne. Ce qui n'est visiblement plus le cas. « Tu n'es plus Spécialiste ? » Quel le soit devenu est une certitude. Mais l'histoire semble s'être mal terminée. Tu ne comprends quand même pas sa décontraction à ce sujet. Tu te souviens pourtant. Baisser dans la hiérarchie est pire que la mort elle-même. « Et puis si j'étais Espionne ce ne serait pas très malin de te le dire. » Tu ne peux t'empêcher d'esquisser un sourire avant de t'assombrir à nouveau. « Je suis Messagère. Mais ce n'est pas pour ça que je suis ici. J'avais juste besoin de voir les murailles. » Tu en es un peu honteuse, de cette faiblesse. Ton visage part même un peu sur le côté, tes yeux suivant la ligne d'horizon. « Je sais. C'est bizarre. »

La vie était bizarre quand même. Lorsque je voyais Korra comme ça, j'avais du mal à imaginer que ce n'était pas elle qui était resté coincée chez les Dragons. On s'imaginait mal d'où je provenais les rares fois où j'avais une occasion d'aller me balader ailleurs, mais elle gardait la trace du Nord. Les Vipères étaient loin d'être des tendres, mais elles n'étaient pas si rigides. Même si j'aurais eu des choses à dire sur le sujet, j'avais décidé de la boucler. Parfois, cela valait mieux. En plus, il ne fallait pas être un génie pour voir qu'elle n'avait pas l'air dans son assiette. Je trouvais ça d'autant plus con qu'elle soit venue dans le coin. C'était dangereux de flirter avec le passé lorsqu'on n'avait pas le moral pour supporter les réminiscences.

Parler avec elle restait étrange. J'avais le sensation d'être à la frontière entre deux mondes. D'un côté, elle avait été élevée comme une Dragonne et connaissait donc tous nos codes sociaux, mais, de l'autre, elle ne vivait plus sur le territoire et n'était donc pas au courant de tous les potins. J'avais choisi de simplement hausser les épaules, pas sûre de comment j'aurais pu résumer toute l'histoire en quelques mots. Je n'étais même pas sûre que ça l'intéressait vraiment.

« Avec tous les coups sur la tête que tu t'es pris, j'aurais pas été étonnée que tu ne sois pas la plus fine de la bande. »

La moquerie n'était pas vraiment méchante. Tout au plus c'était de l'humour de Dragon qui n'avait pas eu les meilleures parents du monde. Elle comprendrait sans doute.

« Je peux difficilement comprendre. Ma vie a toujours été au Nord. Mais je suppose que ça doit faire bizarre. Même si c'était pas joyeux, ça a été chez toi à un moment. Aussi chiant soient-ils, je pourrais pas me voir ailleurs. T'as passé la moitié de ta vie là-bas, y a sûrement des trucs que tu regrettes, en plus. Je me trompe ? »

La décision de faire d'elle une Messagère était logique, mais ça ne devait pas être facile tous les jours de venir en visite. Ça devait faire un rappel régulier qu'elle n'y était plus à sa place. Elle ne serait pas ici alors qu'elle avait l'air si mal en point si les lieux ne lui évoquaient pas une familiarité qui la réconfortait un peu.

Fear must be erased
année 41 - saison intermédiaire (zénith 77)

Pas de détails pour toi donc. Une légère moue orne tes traits avant que tu ne te reprennes. Malgré ton intérêt pour l'histoire cela n'en vaut pas la peine. Elle n'est qu'une étrangère. Pas étonnant qu'elle ne veuille pas communiquer sur un tel échec. Il valait mieux passer à autre chose. « Avec tous les coups sur la tête que tu t'es pris, j'aurais pas été étonnée que tu ne sois pas la plus fine de la bande. » Et là tu te prends à rire. Même si c'est à tes dépends. Un tel sens de l'humour t'a presque manqué. Tu n'en reviens pas de penser un tel truc mais c'est la vérité. Chez les Vipères tu avais peu parlé de ton enfance. Ils avaient tous ce regard. Cette pitié qui se reflétait dans les yeux. Les parents n'étaient pas tous parfaits à l'Ouest mais on traitait rarement les enfants comme au Nord. Lou comprends sans mal. Elle a été coincée dans le cercle vicieux de l'excellence. Dans celui de ne jamais être assez aussi. « Je peux difficilement comprendre. Ma vie a toujours été au Nord. Mais je suppose que ça doit faire bizarre. Même si c'était pas joyeux, ça a été chez toi à un moment. Aussi chiant soient-ils, je pourrais pas me voir ailleurs. T'as passé la moitié de ta vie là-bas, y a sûrement des trucs que tu regrettes, en plus. Je me trompe ? » C'est bizarre. La découvrir si sensible et réfléchie. Tu n'aurais jamais pu la voir évoluer comme ça. Même cette aura plus relaxée qu'elle dégage est déroutante. Elle est presque douce dans ses intentions malgré les mots plus maladroits. Alors tu te prends à réfléchir. Réfléchir vraiment. « J'pense que la gosse en moi regrette plus ce qui aurait pu se produire. Mais c'est qu'un rêve. Ma famille n'est pas du genre à changer. Si j'étais restée j'aurais sans doute déjà eu un môme avec un Golden. Je me sens chez moi chez les Vipères. J'y ai des gens qui m'aiment vraiment. Mais parfois c'est vrai que j'aurais aimé que la maison ce soit le Nord. Je sais pas si c'est un truc que tu peux comprendre si t'es pas transfuge. » D'autres avaient eu des réflexions similaires. Certains passaient complètement à autre chose mais il n'était pas si facile d'effacer son passé. Le tout était de ne pas se noyer dedans.

Bizarre que de la voir rire. Ce n'était pas un truc qui se produisait souvent lorsque nous étions petites. Je ne l'avais sans doute jamais vu extérioriser une émotion positive. A l'exception de cette crise de larmes et de cette combativité qu'elle dégageait parfois, je l'avais surtout vu vide, un peu comme son frère les quelques fois où je le croisais lorsque les Spécialistes étaient rassemblés. Lorsqu'on voyait comment il avait évolué dans le noyau familial, il y avait de quoi se dire qu'elle avait effectivement fait le bon choix en partant. L'idée me paraissait toujours inenvisageable pour moi, mais la rencontre avait au moins le mérite de créer une réflexion. En tout cas pour moi qui n'était pas complètement fermée à l'idée de remettre ma vision du monde en cause. Les excès de ma mère et les rencontres que j'avais pu faire grâce à ma position parmi les Espions avaient peut-être eu du bon, même si j'aurais pu faire sans la maltraitance.

« J'suppose que non. »

En effet, je ne pouvais pas imaginer réellement, juste absorber ce mélange d'émotions qui émanait d'elle. L'amertume de la nostalgie. Cette partie, je pouvais la saisir plus clairement car je la connaissais bien. Je regrettais des gens coincés dans le passé et ce que le présent aurait pu nous offrir.

« T'as trouvé ta place, c'est le principal. »

Elle n'avait pas l'air si heureuse que ça en ce moment, mais je ne pouvais pas témoigner pour sa vie en général. Peut-être que ce n'était qu'une passade qui l'avait conduite dans les environs. Tout le monde vivait ça et ça ne voulait pas forcément dire que son existence toute entière était à jeter.

« Bon, faut que je me tire, j'ai déjà assez traîné dans les parages. »

Pour sûr, on allait me demander ce que j'avais foutu à parler à une étrangère pendant tout ce temps lorsque je passerais les portes, mais, l'avantage d'être Spécialiste, c'était que je n'avais pas à répondre à la curiosité maladive de sentinelles qui s'emmerdaient un peu trop pendant leur garde.