La tension semblait exsuder du territoire lui-même. Un Conseil des Chefs n'avait rien de rassurant, même pour moi qui me tenait souvent loin des histoires de politique. C'était plus compliqué depuis que Jayden était devenu Second même si je n'étais pas exactement dans la confidence, merci à lui. Qu'il s'y soit rendu lui-même, à cette foutue rencontre, ne m'avait pas plus rassurée. Certes, il était rentré sain et sauf, mais je n'avais pas eu l'occasion d'en apprendre plus. Comme les autres, j'étais contrainte de retenir mon souffle, attendant que les nouvelles tombent. J'avais beaucoup de mal à imaginer qu'après tout ce que nous avions fait la réunion ait pu se passer d'une façon plus ou moins positive. Tôt ou tard, notre comportement nous attirerait des embrouilles. Et le froid qui se retirait peu à peu faisait pencher la balance vers plutôt tôt que tard. Au milieu de ce climat des plus stressants, j'avais encore ma propre vie à gérer. Je digérais encore mon transfert chez les Fines Lames, une équipe dont j'avais un peu de mal à décrypter les codes. Je n'étais pas idiote, je ne me fiais pas aux rumeurs, mais je ne m'étais pas vraiment attendue à ça. Les profils étaient variés et l'équilibre très particulier. Ensuite, il y avait Violette. Le fait d'avoir déjà eu l'occasion de la côtoyer ne rendait mon adaptation que plus compliquée. Comme si j'avais du mal à placer une barrière. Bon, je n'avais pas toujours été douée pour le faire avec Commander, mais notre relation était toute différente. Si je me tenais loin des racontars, ce n'était pas le cas de tout le monde non plus, d'où l'importance de me faire mon trou dans l'équipe rapidement. J'avais déjà repéré une tête qui se serait fait un plaisir de me mettre en pièces par principe et, sur un malentendu, il aurait pu réussir. Avec toute cette pression que j'avais sur les épaules, rien d'étonnant donc à ce que je ressente le besoin d'aller me dépenser. Une session d'entraînement serait aussi de bon ton auprès de ma nouvelle Lieutenant, un peu trop obsédée à mon goût par l'exercice. Mais toujours sans trop forcer. La bonne blague. Violette n'en était pas arrivée là où elle était sans se tuer à la tâche. Si elle avait au moins le mérite de ne pas attendre de nous des choses qu'elle n'accomplissait pas, il y avait quand même un fond de faites ce que je dis, pas ce que je fais dans son discours. Ou peut-être que je me trompais et qu'elle cherchait tout simplement à ce que nous ne fassions pas les mêmes erreurs qu'elle. C'était conceptuel d'avoir tant de leçons à recevoir d'une fille plus jeune que moi. Heureusement que je n'avais pas cet ego mal placé qui avait dû en faire tomber plus d'un.

« Oh, tiens, Icare. »

Deux secondes avant, il y avait eu un petit accrochage gênant avec une fille qui avait voulu passer la porte en même temps que moi, mais je l'avais vite oubliée en repérant mon nouvel équipier. A sa dégaine, je devinais qu'il était sur la fin de sa session. Dommage, l'occasion aurait été bonne. Déposant mes vêtements sur un banc, à l'écart, je le rejoignis en m'étirant légèrement les épaules avant de faire quelques moulinets.

« Toi aussi tu es venu te remettre en forme pour éviter les réprimandes du cap'tain ? »

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A41 SI J78

Icare & Loukas

année 41, saison intermédiaire, fin d'après-midi 78

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Murphy s'éclipsait et, à sa place, quelqu'un d'autre entrait, quelqu'un que je connaissais bien, de mieux en mieux, tout du moins. « Oh, tiens, Icare. » Loukas. Notre première et nouvelle transfuge au sein du clan et au sein de l'équipe plus précisément. Si je ne doutais pas de ses capacités, j'espérais qu'elle ne se ferait pas bouffer par la compétition et la pression qu'elle engendrait. Elle n'était pas réputée pour être la plus motivée, tout le contraire, elle avait la réputation d'une Membre quasiment tout le temps absente ou en retard. Un peu à l'image de ce qu'on disait de Michael. L'attente vis-à-vis d'un Spécialiste, aussi bas soit-il, et celle vis-à-vis d'un Lieutenant n'était pas si différente que ça. Violette allait certainement la tester si la réputation de l'amie de notre nouveau Second était venue jusqu'à son oreille. De mon côté, cette rumeur ne m'intéressait guère. J'allais pouvoir me faire mon avis, tout seul. Qu'elle ait toujours détesté ma sœur n'allait pas entrer en ligne de compte, non plus. Elles n'étaient pas amies, mais est-ce que ça faisait pour autant de nous des amis ou même des alliés ?

Je l'observai s'installer à son aise, toute prête à s'entraîner alors que j'avais fini ma session. Quelques étirements m'attendaient mais je n'allais plus faire long feu, à moins qu'elle ne veuille échanger un peu. Je n'étais jamais contre une petite discussion, surtout entre équipiers. Ma réputation était d'être un membre de l'équipe Fines Lames sans ambition, une bonne pâte, peut-être trop pour ne plus être numéro 10. J'avais évolué, peut-être parce que j'étais constant, contrairement à d'autres mais je ne donnais pas tort à ceux qui me jugeaient de cette manière, je n'avais pas ma place là. Il ne me restait heureusement plus beaucoup de temps dans ce train de vie qui n'était que mascarade. « Toi aussi tu es venu te remettre en forme pour éviter les réprimandes du cap'tain ? » Cap'tain ? Violette ? La façon qu'elle avait de la surnommer était drôle mais risquée. Violette n'aimait pas les sobriquets. Cela resterait entre nous. « Je suis un peu puni par le cap'tain, comme tu dis. Elle m'est tombée trop souvent dessus ici, à son goût. Donc, si on te le demande, mes poings vont bien. Je peux compter sur toi ? » Un sourire, discret et peu assuré, faisait son chemin. Un effort incroyable. A croire qu'en tombant sur les bonnes personnes, on pouvait passer le cap. Cependant, je ne vendais pas la peau de l'ours avant de l'avoir tué, je n'allais pas être en pleine forme si rapidement. Il y aurait des rechutes.

Icare avait tout pour être un bon camarade, j'en avais la certitude. Sa simple présence me changerait de la fourberie à laquelle j'étais habituée chez les Espions. Ils n'étaient pas tous mauvais, j'avais même eu la chance d'avoir Kiara, mais j'avais eu de mauvaises expériences dans leurs rangs que je n'étais pas prête d'oublier. Sûrement qu'il en serait de même dans cette nouvelle équipe même si je me sentais plus forte aujourd'hui. J'avais un bagage derrière moi et beaucoup plus de confiance. Je savais aussi pouvoir compter sur Violette, même si elle avait tout d'une lame à double-tranchant. Elle me causerait bien des ennuis, c'était sûr, mais elle était droite et semblait vouloir une certaine discipline au sein de ses troupes.

« Si on m'avait dit un jour qu'elle jouerait les mères-poules avec son équipe... »

Je ne l'aurais assurément pas cru. Je ne pouvais pourtant pas ignorer cette réunion à laquelle j'avais assisté et durant laquelle elle avait tant insisté sur l'importance de se tenir en bonne santé et de se ménager. Venant de celle qui semblait toujours en vouloir plus, c'était fort. Mais compréhensible et mature.

« Je ne vendrais pas la mèche, t'inquiète. Si tu évites de lui dire si tu me trouves un jour en train de roupiller. Faut se serrer les coudes entre équipiers, non ? »

Ma grimace vint aussitôt contredire cette idée. Vraiment, l'équipe ne correspondait pas à ce principe. Ici, on se tirait dans les pattes plutôt que de s'entraider. Un truc que j'étais capable de faire aussi, je n'étais pas un bisounours perdu au milieu de bois hostiles.

« Entre bons équipiers, disons. Je n'irais pas dire ça à n'importe qui. D'ailleurs, je dois me méfier de qui ? Vu depuis combien de temps tu survis dans l'arène, tu dois être le mieux placé pour savoir. »

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« Si on m'avait dit un jour qu'elle jouerait les mères-poules avec son équipe... » Elle n'avait pas tout à fait tort. Violette n'était certainement pas la fille la plus axée sentiments et rapports avec d'autres personnes. Je ne connaissais pas bien les raisons qui l'avaient poussée à devenir ce qu'elle était mais elle n'était pas la plus apte à réconforter quelqu'un. Jusqu'à cette discussion que nous avions eue, un peu privée, en ces mêmes lieux, nous n'avions jamais échangé que des banalités - ou non - au sujet de l'équipe et du comportement de certaines personnes au sein de celle-ci, comme nous l'avions fait avec l'arrivée de Valérian. Aussi maladroite fusse-t-elle, elle avait fait un pas énorme en parlant de ce qui était de l'ordre du privé. Je continuais d'imaginer que c'était pour le bien de l'équipe mais ça restait un geste incroyable de sa part. « J'ai bien remarqué qu'elle avait changé depuis un moment et je suppose que son rôle de Lieutenant lui tient à cœur, après l'échec presque cuisant de Michael. » Même si j'aurais préféré continuer comme ça jusqu'à l'âge de fin de service. Qu'on m'oublie dans mon coin. C'était plus simple. Malgré tout, j'avais un sourire, heureux que Violette se soit enfin ouverte - à sa manière - et qu'elle ait atteint son objectif.

« Je ne vendrais pas la mèche, t'inquiète. Si tu évites de lui dire si tu me trouves un jour en train de roupiller. Faut se serrer les coudes entre équipiers, non ? » J'étais rassuré à l'idée qu'elle ne soit pas contraire. Je pouvais relativiser en sachant qu'il y en avait au moins une, dans l'équipe, qui ne voudrait pas me mettre à terre et me balancer à tort et à travers à notre nouvelle Lieutenant. Si j'avais apprécié la discussion avec cette dernière, j'appréciais moins les remarques devant l'équipe entière, comme lors de notre première réunion depuis un moment. « Ne t'en fais pas, je n'ai aucune raison de te dénoncer. C'est déjà un miracle que je ne sois pas sorti de cette équipe et on a déjà dû te dire que j'étais l'exception à la règle de cette équipe, celui qui n'est pas vraiment à sa place. Je ne vais ni te juger, ni t'empêcher d'avancer à ton rythme. Ce serait culotté, vu ma situation. » Avec elle, je savais que je pouvais être sincère. Elle ne m'avait jamais cherché des noises, même si c'était, pour partie, parce qu'elle ne supportait pas le comportement de Thalia. En plus, elle ne dégageait pas l'aura d'une emmerdeuse finie, quand on fouillait un peu en elle. Sans parler du fait qu'elle était elle-même sincère. Tous les éléments étaient réunis pour que je sois plus qu'un coéquipier qui ne lui fasse pas la misère. Elle semblait moins convaincue par l'esprit d'entraide, sa grimace le prouvait et je ne pouvais pas la blâmer. Notre équipe n'avait pas bonne réputation à ce niveau.

« Entre bons équipiers, disons. Je n'irais pas dire ça à n'importe qui. D'ailleurs, je dois me méfier de qui ? Vu depuis combien de temps tu survis dans l'arène, tu dois être le mieux placé pour savoir. » Elle me fit d'autant plus sourire, ce qui relevait de l'exploit, depuis l'attaque. A croire que c'était vrai, ce que m'avait répété Louise : il suffisait de s'entourer des bonnes personnes. J'étais presque optimiste à l'idée d'avoir de l'air frais avec Loukas au sein de l'équipe. « Fitzroy, si tu ne l'emmerdes pas ou que tu ne le déranges pas au sein de l'équipe, ça devrait aller. Valérian est un petit nouveau particulier mais il n'a pas encore prouvé qu'il était une menace potentielle. Les autres sont des charognes mais ce ne sera jamais personnel. C'est juste l'esprit de challenge de l'équipe. » Ce que je disais n'avait rien de personnel non plus. Je n'avais jamais été un danger pour Fitzroy, alors je n'avais jamais subi sa fourberie mais je n'étais pas dupe. Certaines choses étaient trop bien arrivé.

Michael, c'était bien un type que j'étais contente de ne pas avoir eu à côtoyer. Le peu de fois où je m'étais retrouvée dans la même pièce que lui, je n'avais pas pu chasser ce picotement désagréable qui m'avait parcouru la peau, il dégageait quelque chose de bien trop malsain. En tout cas, Icare ne semblait pas avoir de difficultés à revenir sur le comportement de son ancien Lieutenant. Tout cramé qu'il était, les gens évitaient généralement de cracher sur ses restes en public, il fallait croire que je faisais désormais suffisamment partie de la sphère privée. Peut-être que se faire sa place au sein d'une équipe comme les Fines Lames était plus simple que je ne le pensais. Ah moins que ce ne soit que lui ? Difficile à dire. Je ne lui avais pas non plus donné de raisons de me faire particulièrement confiance, mais, à côté, je n'avais jamais essayé de lui faire un sale coup non plus. Des choses sur lui, j'en avais entendues, mais ce n'était que des racontars en passant. Parfois, un truc craché par Thalia même si elle ne semblait pas participer aux commentaires sur son frère. Sûrement avec une réflexion tordue en tête. Elle aurait été bien du genre à ne pas accepter que qui que ce soit s'en prenne à lui pour se garder le luxe de le faire souffrir.

« J'ai eu l'occasion de lui parler à ce Valérian. Vraiment bizarre le type. M'enfin, je ne peux pas trop critiquer. En plus, c'est le seul qui a pris la peine de venir m'adresser la parole. J'suppose qu'il s'est dit que comme j'étais la petite dernière, ça se négociait. »

Et peut-être que ça aurait pu être le cas si je n'avais pas eu tout mon bagage de l'équipe des Espions. De nous deux, il était le bleu qui avait à se faire à la vie de Spécialiste. Je ne m'étais pas vraiment attendue à ce que Icare me brosse l'équipe de cette façon, il aurait été facile de balayer la question, mais il fallait croire que j'allais aller de surprise en surprise avec lui.

« T'es un peu le grand frère de l'équipe, en fait. Celui qui regarde de loin et qui empêche les plus petits de se faire bouffer trop violemment lorsqu'ils en valent un peu la peine. C'est pas fatiguant à force ? Ce ballet. »

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Icare & Loukas

année 41, saison intermédiaire, fin d'après-midi 78

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« J'ai eu l'occasion de lui parler à ce Valérian. Vraiment bizarre le type. M'enfin, je ne peux pas trop critiquer. En plus, c'est le seul qui a pris la peine de venir m'adresser la parole. J'suppose qu'il s'est dit que comme j'étais la petite dernière, ça se négociait. » C'était drôle de la découvrir un peu mieux encore que le peu que nous connaissions l'un de l'autre. Cette fille était si simple, si décontractée et pourtant réellement soucieuse de bien faire. Que ça lui vienne naturellement parce qu'elle se trouvait dans son élément ou qu'il s'agisse d'un parent tout aussi rigide que l'était mon père, je n'aurais pu le dire. Je ne connaissais Loukas que d'occasions banales, à échanger rapidement dans le quartier général parce qu'elle était dans la même équipe que Thalia et qu'à cette époque, j'étais plus réactif que je ne l'étais depuis trop longtemps. Je ne prétendrais pas répondre à des questions existentielles à sa place. Le fait était que tous les racontars qui circulaient à son sujet tombaient à l'eau les uns après les autres quand on l'écoutait vraiment. C'était peut-être un genre qu'elle s'était donné volontairement ou non, mais les autres n'avaient pas été capables de voir plus loin que le bout de leur nez. Ça ne me surprenait pas exactement de la part des Dragons. Pour beaucoup de choses, nous vivions d'apparences. « Tu ne peux pas trop critiquer ? Pourquoi ? Parce que t'es pas une Dragonne ou une Spécialiste classique, dans le genre purement bourrin ou mesquin ? » Je n'aurais pu dire ce qui m'avait soudainement poussé à réagir là-dessus mais c'était sorti spontanément. C'était peut-être parce que je n'étais pas un cas classique non plus. Je faisais partie de ces rares hommes qui avaient décidé de ne pas se battre mais la vie s'était moqué de moi. En plus, le doute m'avait assailli à peine le commentaire lâché. Je n'étais qu'u nouveau coéquipier, elle n'avait peut-être pas envie de m'entendre lui dire qu'elle était bien comme elle était, même si ça partait d'une bonne intention. Nous n'étions pas proches à ce point.

« T'es un peu le grand frère de l'équipe, en fait. Celui qui regarde de loin et qui empêche les plus petits de se faire bouffer trop violemment lorsqu'ils en valent un peu la peine. C'est pas fatiguant à force ? Ce ballet. » Elle m'arracha un sourire, à la fois touché et amusé par l'image qu'elle me collait. C'était sympa et le tout sur un ton léger. Elle était tellement différente des énergumènes qui passaient et trépassaient dans l'équipe. Une fille qui disait ce qui lui passait par la tête ne pouvait que déranger Thalia et inversement. Malgré tout l'amour que je lui portais, je reconnaissais ce défaut. Thalia était une parfaite Espionne, fausse quand il le fallait, en plus de ne pas avoir sa langue dans sa poche. Je n'aurais jamais cru, plus jeune, qu'elle deviendrait aussi violente avec moi mais ce n'était pas nouveau au sujet des autres. J'avais le sentiment que c'était un masque et une attitude qui visait à éloigner les autres pour ne pas être dévoilée, parce qu'elle doutait d'elle, dans le fond, mais elle ne l'admettrait jamais, que j'aie vu clair dans son jeu ou non. « A défaut de l'être pour Thalia. » J'avais haussé les épaules avant de reprendre. « Si. C'est difficile de devoir jongler constamment avec des phénomènes qui finissent par tomber à cause de leur ego. C'est aussi difficile d'accepter cette ambiance propre à l'équipe, cette compétition constante mais il y a heureusement des éléments comme Violette ou encore Fitzroy avec qui ça marche parce que je ne cherche pas à leur voler la vedette. » C'était un peu stupide de parler de Violette puisqu'elle était devenue Lieutenant mais c'était une habitude de la savoir aux commandes, qu'importe qu'elle soit numéro un ou leader du groupe.

Je ne m'étais absolument pas attendu à ce qu'il soit aussi réactif. L'idée n'était pas de me plaindre, je savais à quel point je pouvais sembler excentrique et ça ne m'avait jamais dérangé. J'avais même cultivé durant de longues années cette excentricité dans le seul but de faire enrager ma génitrice. Mais, même sans ça, on ne pouvait pas me décrire comme ayant un profil lambda chez les Dragons. Probablement dans aucun autre clan. Au vu de nos conditions de vie et des risques qui planaient sur nous, je n'avais pas l'attitude la plus adaptée à une survie simple et efficace. J'avais l'art de me mettre des bâtons dans les roues, mais j'avais fini par découvrir que c'était la meilleure façon de rouler à mon sens. Dans un souci de confort, je préférais de loin cette méthode.

« Je ne pensais pas exactement à ça, mais oui, pour toutes ces raisons aussi. »

Même si je pouvais parfois me montrer tout aussi bourrin et mesquine que mes équipiers. J'avais juste choisi de ne pas l'être en permanence, de m'autoriser à avoir des couches comme un oignon. J'avais néanmoins souri, pas vraiment dérangée par ce qu'il avait dit, et soucieuse de le détendre un peu. Son soudain doute n'avait rien eu de subtil et, au vu de son profil, il devait y être confronté beaucoup trop souvent. Icare dégageait bien trop le regret et la culpabilité en général pour que ce ne soit pas le cas. Et la plus grande cause de tout ça n'était autre que la sœur aigrie. Thalia, toujours Thalia. J'aurais eu bien des choses à dire à son sujet, mais cela ne l'aurait pas avancé. Leurs histoires ne me regardaient pas, venir avec mes grandes bottes n'aurait été qu'une action cruelle pour lui qui luttait déjà bien assez pour se reconstruire dans une situation mythiquement bordélique.

« Donc t'as un talent pour apaiser les puissants. Dingue, t'es comme un Oméga. Tu connais les loups ? J'ai lu des trucs tops sur eux. Ils ont un système hiérarchique vachement développé. Une meute, c'est comme un clan, limite. Ben avec l'Oméga, les Alpha se sentent pas menacés, en confiance, donc ça leur permet de relâcher leur stress. Avec les autres, ils sont toujours sur les dents, prêts à mordre pour faire comprendre qu'ils sont les boss. »

Si j'avais omis de révéler certaines informations, c'était un détail. Il n'avait pas besoin de tout savoir sur ce rôle et ses aspects plus négatifs.

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« Je ne pensais pas exactement à ça, mais oui, pour toutes ces raisons aussi. » C'était typique des Dragons de juger les autres selon leurs propres principes parfois trop ancrés dans le passé. Depuis la création du clan, nul doute que ça avait bougé, que ce soit en bien ou non. Il suffisait de voir la différence entre Michael et Violette. Pourquoi était-ce bien vu que Violette soit aussi cash et ambitieuse là où le cas de Loukas était discutable ? Pourquoi fallait-il qu'une fille soit mordante et persévérante là où les garçons pouvaient faire le strict minimum et être mieux vu jusqu'à ce que la fille ne brille plus à force d'efforts ? C'était ça qui me dérangeait plus que le fait qu'elle n'ait accepté cette différence ou non. Ce n'était pas normal, à mon sens, de devoir presque se justifier quand on avait un caractère un peu différent. Quant à Valérian, il était déroutant parce qu'il avait une attitude complètement hors-norme, quelque chose qu'on ne voyait pas à tous les coins de rue. Ce n'était pas une question d'ambition ou une question de ne pas vouloir faire d'efforts inutiles. Je jugeais peut-être autant que les autres, j'en étais conscient, mais cette façon qu'avaient les Dragons de vous faire sentir en marge de la masse, c'était détestable. C'était à cause de ça qu'il y avait eu un tel souci avec Thalia aussi. Mon père avait trouvé légitime de s'occuper de son fils qui ne voulait rien et de délaisser sa fille par la même occasion. Raisonnement aberrant. Ajouter quelque chose à tout ça n'aurait pas eu de sens, je n'aurais réussi qu'à la mettre mal à l'aise puisque j'y ajoutais ma part de problèmes.

« Donc t'as un talent pour apaiser les puissants. Dingue, t'es comme un Oméga. Tu connais les loups ? J'ai lu des trucs tops sur eux. Ils ont un système hiérarchique vachement développé. Une meute, c'est comme un clan, limite. Ben avec l'Oméga, les Alpha se sentent pas menacés, en confiance, donc ça leur permet de relâcher leur stress. Avec les autres, ils sont toujours sur les dents, prêts à mordre pour faire comprendre qu'ils sont les boss. » Je ne connaissais pas toutes ces histoires d'Omega, Alpha et toute ce qui touchait à ces meutes de loups. Les loups, on en croisait pas des masses à Paris mais j'en avais déjà entendu parler, vaguement. Ses connaissances dépassaient de loin les miennes sur le sujet mais ce n'était pas comme si les occasions avaient été nombreuses. Sans parler du fait que ce ne serait pas bien vu si je m'intéressais à ce genre d'histoires plutôt qu'aux entraînements. « Je ne connais pas tout ça mais je te fais confiance. Par contre, je n'irais pas jusqu'à dire que j'apaise les autres. Je dirais plutôt que je ne les inquiète pas, il y a une petite nuance importante. » Me donner le crédit de quoi que ce soit était impensable depuis que j'avais déçu ou trahi, selon le point de vue, ma propre sœur. Comme si je me sentais forcé de me punir, même quand j'étais au mieux de ma forme. Tant d'éloge me rendait un peu mal à l'aise et je me grattais nerveusement les épaules.

« J'sais pas. T'es un peu nerveux, comme gars, mais t'as pas la présence désagréable. Venant de moi, c'est un compliment. »

Je ne devais pas faire beaucoup de sens, mais, dans ma tête, tout était clair. Sans ce côté apaisant, il aurait été le genre de personnalité que j'aurais plutôt cherché à fuir à cause des soucis qui le rongeaient. Pourtant, j'étais bien là. Et j'en perdais de vue la raison de ma présence. On causait, on causait, mais, avec tout ça, je n'avais toujours pas commencé à m'entraîner. Pourtant, je ne m'étais pas déplacée ici avec pour but de flemmarder. Ça aurait été particulièrement contre-productif. Haussant les épaules, j'allais chercher l'une des paires de gants fixées à un crochet au mur et les enfilais. Le matos ici était un peu crado, mais je ne voulais pas prendre le risque de me péter les jointures. Avec ce temps, la peau était beaucoup trop sèche et je voulais à tout prix éviter les commentaires sur mon absence d'intérêt pour mon corps. Ça aurait été le comble. Je devais être la Spécialiste la plus attentive à ses phases de repos entre chaque entraînement.

« Tu peux me les serrer ? »

J'étais revenue vers Icare, les deux mains tendues vers lui. Autant utiliser sa présence plutôt que de m'amuser à tirer sur les lacets avec les dents. Avec ses délires sur l'hygiène, Jay avait fini par me contaminer et je ne pouvais plus m'empêcher de voir certains trucs sans une espèce de couche grouillante.

« T'en penses quoi de ce conseil ? Bon ou mauvais signe ? »

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« J'sais pas. T'es un peu nerveux, comme gars, mais t'as pas la présence désagréable. Venant de moi, c'est un compliment. » Elle n'avait pas besoin de le préciser pour que je le prenne comme tel. Je n'étais pas capable de parler aussi gentiment de moi qu'elle ne le faisait et mon père ne me félicitait pas pour ce genre d'habilités. Il se moquait bien que j'en possède d'un point de vue social, sauf quand il s'agissait de l'obéissance à l'autorité. Que je sois gentil, serviable, aimable ou même relativement agréable, voire apaisant, ça le dépassait complètement; Tout n'était qu'une question de performances d'un point de vue stratégique et physique, tout ce qui avait trait à la vie de Membre et plus précisément de Spécialiste. La chance dans mon malheur était qu'il ne cherche pas désespérément à ce que je bute Violette pour devenir Lieutenant à sa place durant le peu de temps qu'il me restait avant ma retraite. Tant que je restais dans l'équipe et que je n'étais pas sur la pente raide, ça lui allait. « Merci. » Ce n'était pas qu'une question de politesse ou d'usage, c'était simplement normal et naturel de la remercier quand elle me dépeignait de la sorte. En faire des tonnes n'aurait rien arranger non plus. Je ne pouvais pas deviner sa réaction puisqu'elle me tournait le dos pour se concentrer sur le matériel d'entraînement mais ça n'allait pas me rendre maladivement nerveux. Je savais que j'étais juste dans mon attitude.

« Tu peux me les serrer ? » Elle était revenue avec des gants, beaucoup plus intelligente et soucieuse que moi. Je n'étais pas dupe, j'avais encore des choses à apprendre, même de personnes plus jeunes. La prétention, ce n'était pas trop mon truc. Ce que j'avais à apprendre, c'était à ne pas déconner sous prétexte que la passe était mauvaise. Je hochai la tête, lui serrant les gants sans plus tarder. « T'en penses quoi de ce conseil ? Bon ou mauvais signe ? » Le Conseil. J'y avais déjà réfléchi depuis ce matin mais je n'arrivais pas à me faire une idée claire. « Je ne connais pas autant Jayden que tu ne le connais, pas d'un point de vue compétences sociales. Du coup, j'espère juste qu'il pourra calmer le jeu et présenter les choses sans trop en faire ni dans un sens, ni dans l'autre. C'est l'exagération qui nous a toujours perdus et qui nous perdra encore une fois. » J'avais haussé les épaules, un peu fataliste. « On sait très bien, toi et moi, que les Vipères et les Jaguars nous attendent au tournant, même si la perte des Aigles ne doit pas exactement chagriner les Vipères. » C'était une première pour moi, depuis un bon moment. J'arrivais à parler de la situation des Aigles sans ressentir un poids énorme sur mes épaules ou une boule énorme au niveau du ventre.

Vraiment un bon gars, ce Icare. Il n'avait pas bronché face à cette demande qui aurait pu faire tiquer plus d'un Spécialiste. Après tout, j'étais moins bien classée que lui, c'était pour certains une raison suffisante pour s'offusquer. Un numéro plus impressionnant pouvait réclamer de l'aide, pas le contraire. Techniquement, je n'avais rien réclamé du tout, mais les détails comptaient souvent peu. Lorsqu'il eut fini, je testais la résistance autour de mes poignets avant de le remercier d'un sourire. Désormais face à un sac de frappe, je l'écoutais tout en envoyant quelques coups légers pour terminer mon échauffement.

Jayden pouvait se comporter comme un petit con, mais il savait comment survivre, qui il ne valait mieux pas se mettre à dos. Je doutais vraiment du fait qu'il aille déconner auprès des Secondes des deux autres clans. En plus, contrairement à d'autres Dragons, il savait se tenir en présence de femmes. Il prendrait d'autant moins de risques avec des nanas au fort caractère.

« Clairement. Je connais assez peu de Vipères, mais leur énergie n'a pas l'air si différente de celle des meufs de notre clan. Elles auraient sans doute eu toutes les raisons de célébrer cette épine qu'on leur a ôté du pied s'il n'y avait pas eu... Tu sais. »

Je préférais me montrer trop prudente que pas assez au vu des humeurs changeantes de notre Lieutenant. Si je venais à ébruiter le secret, elle n'hésiterait sans doute pas à me découper la langue en petits cubes avant de la filer aux chiens sauvages.

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« Clairement. Je connais assez peu de Vipères, mais leur énergie n'a pas l'air si différente de celle des meufs de notre clan. Elles auraient sans doute eu toutes les raisons de célébrer cette épine qu'on leur a ôté du pied s'il n'y avait pas eu... Tu sais. » Du temps était passé et avec celui-ci, j'avais profité pour prendre un peu de recul par rapport à ce que nous avions commis. Je m'étais fait une raison, c'était les ordres et Violette l'avait bien souligné, elle m'aurait tué, elle aussi, si elle avait été à la place de Michael et si je n'avais pas obtempéré. Ça ne m'empêcha pas d'avoir un pincement au cœur quand Loukas y fit référence. Je ne l'accepterai sans doute jamais complètement, parce que ce n'était pas dans mon caractère. En même temps, je luttais contre ma nature depuis trop longtemps. Même avant d'avoir rejoint les Fines Lames. Ça ne m'avait pas empêché d'y trouver ma place, pas après pas, et d'y trouver de véritables amis, des personnes qui comptaient vraiment pour moi.

Il me fallut plusieurs dizaines de secondes pour me rendre compte du silence. Je n'étais toujours pas particulièrement doué quand il s'agissait de cacher ce qui me hantait, sauf peut-être quand l'instinct de survie me criait de prendre sur moi. Là, en l'occurrence, je n'imaginais pas - et peut-être à tord - Loukas en profiter, comme d'autres éléments plus crapuleux. « Désolé. J'étais... ailleurs. » Je m'étais gratté la joue droite, lui offrant un sourire pincé. J'étais bouffé par l'embarras.