En cas de pépin, va voir Lincoln. Il aurait dû s'agir d'un conseil universel que Thalia gardait pourtant jalousement pour elle. Mais son ami n'avait pas besoin d'elle pour être reconnu. Il avait cette aura apaisante qui ne trompait pas et une gentillesse mauvaise pour son propre bien. Combien de fois n'avait-elle pas voulu lui mettre un coup derrière la tête pour le rappeler à l'ordre alors qu'il se décarcassait pour quelqu'un ? Elle n'aurait su les compter sur les doigts de ses deux mains. Même dix orteils en supplément n'auraient pas suffit. Rien n'aurait pu lui ôter sa cape, à cet indécrottable bon gars. C'était l'une des certitudes de Thalia.

La journée n'avait pas été différente des autres mais elle avait ressenti l'absence dans sa chair. Celle de Icare. Même s'ils ne se croisaient pas tous les jours en temps normal, Thalia le savait présent. Vivant. Dans ce cas-ci, rien n'était si sûr. Il était tout bonnement inatteignable et il n'existait pas de compte à rebours jusqu'à leur prochaine rencontre. L'avenir était incertain. Le fait était que Thalia ne s'était pas vue devenir si affectée par les départs. Cela n'aurait pas dû compter mais elle avait vu le nombre de ses "proches" fondre comme neige au soleil. Jamais elle n'aurait cru le penser si clairement mais même veiller sur cette emmerdeuse de Violette allait lui manquer. Cela restait une occupation sûre.

La veille, elle s'était trouvé avec presque trop de temps dans sa journée. La soirée, surtout, avait été pénible. Thalia n'étant pas décidée à devenir une pleurnicheuse, elle s'était vite reprise en main. Voilà pourquoi elle s'était présentée à l'infirmerie en fin de journée pour voir Link, consciente qu'il aurait bientôt terminé son travail. Comme toujours, elle s'était faite discrète. Elle n'avait pas annoncée sa présence pour ne pas le déranger pendant qu'il était avec un patient, s'installant plutôt sur un lit vide l'infirmerie. Sans gêne particulière au vu de sa position relaxée. Klaus n'était pas là aujourd'hui, disait-on. Elle en profitait donc pour ne pas jouer les membres modèles.

— T'es populaire, dis donc. souffla-t-elle avec un sourire moqueur.

Cette fille qui venait de quitter la pièce paraissait beaucoup trop joyeuse pour quelqu'un avec un si gros bandage. Lincoln avait sans aucun doute dû user d'un peu de sa magie sans s'en rendre compte.

it's not like you're my only friend
Année 41 - saison intermédiaire (fin de journée 81)

La visite du Chef a été le moment le plus mouvementé de ta journée. L'infirmerie n'avait pas encore beaucoup souffert du départ d'une partie de l'équipe et du reste du staff. Quelques blessures mineures avaient bien été soignées mais il s'agissait là de la routine. Les lieux reflétaient le calme de la ville. Ta patiente actuelle était là pour faire vérifier un bras un peu gonflé après un mauvais coup reçu à l'entraînement. Du classique. Un examen rapide, un peu de glace, un bandage, une pommade à appliquer durant quelques jours et voilà qu'elle était à nouveau bonne pour le service. Tu l'avais laissée repartir avec un sourire léger répondant au sien, aimable comme à l'accoutumé. « T'es populaire, dis donc. » Tu aurais dû être habitué à force. Cela ne t'avait pas empêché de sursauter, une main posée sur ton torse alors que ton cœur battait la chamade après cette frousse. Tu t'étais cru seule dans l'infirmerie, apparemment non. Des yeux tu avais cherché la propriétaire de la voix pour la découvrir tranquillement allongée sur un lit à proximité. « Tu dois arrêter de faire ça. » Impossible de savoir depuis quand elle se trouvait là. Au vu de ses aises, un moment sûrement. Tu t'étais approché pour pousser sa jambe de l'index. « Vire tes bottines de là. Spécialiste ou pas, le boss te fera tout récurer s'il te voyait comme ça. » L'idée n'est pas si mauvaise maintenant que tu y songes. Ce serait moins à faire pour toi. « Qu'est-ce que tu fiches dans le coin ? Je te manquais ? » Tu ne peux t'empêcher de le glisser avec un sourire radieux. Il faut savoir lire les signes avec elle car elle ne dit jamais rien. C'est subtil mais le fait qu'elle t'ait attendu veut dire quelque chose. A force c'est comme ça que tu as compris qu'elle t'appréciait vraiment. Les efforts de Thalia n'étaient jamais vains.

Un sourire narquois vint répondre à la surprise provoquée. Thalia n'avait pas été particulièrement discrète en se vautrant sur l'un des lits de l'infirmerie mais cela n'avait pas été suffisant. Lincoln agissait toujours comme un pauvre bougre saisi par une apparition. Après autant d'années d'amitié, c'était presque blessant.

— Pas ma faute si tu as l'attention d'un asticot. lâcha-t-elle mollement.

Thalia savait que la situation était plus compliquée. Il était concentré sur une patiente après tout. Le taquiner à sa manière était simplement plus drôle.

Le petit numéro de maniaque de l'hygiène de Lincoln lui arracha un sourire mais ce fut quand même avec un mauvais gré apparent qu'elle bascula ses jambes hors du lit. Elle n'irait pas prétendre que Klaus ne serait pas capable d'agir comme il le faisait au sein de l'imagination de Link. Ce dernier avait été traumatisé plus d'une fois par son lieutenant. Malgré tout, il avait toujours avec lui une attitude de fan. Une chose qu'elle ne comprendrait jamais. Ce n'était tout simplement pas son genre d'éprouver un tel intérêt pour un aîné.

Elle n'eut même pas l'occasion de se moquer gentiment de lui. Lincoln avait déjà mis la raison de sa présence sur le tapis.

— T'as l'air idiot quand tu souris comme ça. grommela-t-elle avec une mauvaise foi évidente en se mettant debout. Je me suis dit que t'allais t'emmerder sans l'autre crétin. Donc je suis venue.

L'autre crétin dont le nom était Fitzroy. Thalia ne s'était pas foulée pour monter un mensonge plus efficace. Même si Link et le prince traînaient souvent ensemble, ils n'étaient pas non plus inséparables. Lincoln serait sans doute plus affecté par l'absence de la moitié de son équipe.

it's not like you're my only friend
Année 41 - saison intermédiaire (fin de journée 81)

« Pas ma faute si tu as l'attention d'un asticot. » Charmante comme à l'accoutumé. Heureusement que tu l'aimes comme ça. Thalia ne serait pas Thalia sans ses remarques et ce fond d'acidité dans chaque réplique. Tu n'es pas naïf au point de dire que ce n'est qu'une façon de se protéger. Elle est un peu aigrie avant l'heure et vous savez tous les deux qui doit être considéré coupable de ce qu'elle est. Mais avec toi elle a ses moments de gentillesse un peu brutale. Privilège de l'ami d'enfance que tu es. C'est un peu pareil avec Fitz mais tu évites de le leur signaler. Ils ont grandi moins proches et plus prompts à s'envoyer des flèches empoisonnées. Cela te manque. Le trio que vous formiez. Tu aimerais pouvoir les avoir tous les deux sans ces tensions stupides. Une pensée égoïste. Ils ont leurs raisons de ne plus trop bien s'accorder. « T'as l'air idiot quand tu souris comme ça. » Tu n'en souris que plus. Aussi solaire que d'habitude et ravi de l'ennuyer un peu à ta façon. « Je me suis dit que t'allais t'emmerder sans l'autre crétin. Donc je suis venue. » Ben voyons. Voilà que Fitz était déjà mis sur le tapis. Tu n'es pas dupe mais tu laisses couler l'excuse. Tu n'allais pas te plaindre qu'elle veuille passer du temps avec toi. « Qu'est-ce que tu as en tête ? Tu vas devoir sortir le grand jeu pour me faire oublier l'absence de mon meilleur pote. » Tu en profites pour en jouer. Qu'elle comprenne bien que vous êtes sur la même longueur d'onde et que tu acceptais tacitement de rester dans ce faux déni qui l'arrangeait si bien.

Les traits de Thalia se transformèrent en une grimace dégoûtée parfaitement fausse lorsqu'elle l'entendit jouer les malheureux perdus sans son meilleur ami. Même si elle connaissait les raisons et leur passé - elle en faisait même partie -, ils formaient toujours un duo mal assorti. Lincoln n'avait rien en commun avec cette petite fouine. On pouvait même se demander ce qu'il en retirait. La relation allait dans un sens, en apparences. Mais elle ne se fiait pas aux apparences. Aussi désagréable soit-il, Fitzroy restait fidèle aux personnes qu'il aimait. Il suffisait de le voir se décarcasser pour le bien de sa nouvelle lieutenant. Qu'il se soit entiché d'elle n'avait rien d'étonnant mais il aurait pu en faire bien moins et se décourager dès l'instant où Violette avait dressé un mur comme elle le faisait si bien entre les autres et elle.

— Tu cherches à me rendre jalouse ? déclara-t-elle, les bras croisés sur la poitrine. Il faudra plus que le prince pour que je me sente menacée.

Jalouse, Thalia l'était en général. A une époque, elle l'avait même été du numéro un. Aujourd'hui, les choses avaient changées. Il lui avait fallu du temps mais elle avait compris qu'il n'était en rien une menace lorsqu'il s'agissait de Link.

Elle abandonna vite le cinéma, un brin de sourire étirant ses lèvres.

— Je me suis dit qu'on aurait pu profiter de nos privilèges. Grimper sur la muraille pour regarder le soleil se coucher comme au bon vieux temps. Mais sans le risque de s'en prendre une.

it's not like you're my only friend
Année 41 - saison intermédiaire (fin de journée 81)

« Tu cherches à me rendre jalouse ? » Tu lui lances un regard pour évaluer son humeur. Pour voir si le jeu en vaudrait la chandelle. Tu ne penses pas la tâche impossible. Thalia n'est pas d'un caractère facile et elle peut avoir quelques accès de possessivité. Tu te souviens des quelques évènements qui avaient rythmés votre enfance et adolescence. Les commentaires acerbes sur tes nouvelles fréquentations et les heures qu'elle avait passées à nier ta présence. « Il faudra plus que le prince pour que je me sente menacée. » Tu en souris, les souvenirs au creux de la tête. Toutes les crises idiotes et Fitz qui n'arrangeait rien avec ses piques si efficaces. La tentation est trop présente pour que tu ne passes pas le bras autour de ses épaules pour la serrer une seconde contre toi, lâchant un baiser bruyant au sommet de sa tête avant de te faire chasser sans douceur. Ce serait ta réponse à tout ça. Parfois il valait mieux éviter des mots qui pouvaient trop facilement être retournés contre toi. Avec deux amis passés maîtres dans l'art de la manipulation, on apprenait des choses. « Je me suis dit qu'on aurait pu profiter de nos privilèges. Grimper sur la muraille pour regarder le soleil se coucher comme au bon vieux temps. Mais sans le risque de s'en prendre une. » Tu te sens déjà rire. Touché aussi par sa pensée et cette petite touche de nostalgie. Ce n'est pourtant pas son genre d'être bêtement sentimentale. L'absence des autres sans doute. « Quelqu'un profite de l'absence de sa nouvelle Lieutenant. » Tu ne doutes pas que les Espions doivent être prompts à faire les fouines entre eux mais son statut d'habituée de l'équipe doit sans doute lui offrir un certain confort. Un petit merdeux fraîchement nommé n'oserait peut-être pas se confronter à ses humeurs et les plus vieux devaient savoir à qui ils se frottaient. Tu n'as pas grand chose à perdre de ton côté. Même si vous vous faites attraper et que l'affaire revient aux oreilles de Klaus, tu doutes qu'il en aura quelque chose à faire. Il a d'autres chats à fouetter. Tu t'affaires à rassembler tes affaires dans ton sac et multiplies les couches de vêtements avant de venir te poster devant elle. « Allons-y. Le soleil ne nous attendra pas. » Tu ressens bien une pointe de culpabilité en pensant à Sven mais ce n'est pas tous les jours que Thalia réclame ton attention de la sorte. Tu rentrerais de toute façon toujours plus tôt que lors de tes autres gardes.

Lincoln pouvait se montrer idiot parfois mais il restait attachant. Malgré les années, Thalia n'avait jamais cessé de voir en lui l'enfant adorable qu'il avait été. Il était toujours resté à ses côtés, même lorsqu'elle se montrait exécrable. Il ne fallait pas croire, la blonde était consciente de ne pas le mériter. Elle restait néanmoins trop égoïste pour l'accepter. Elle s'était résolue à accepter qu'elle ne lui donnerait jamais tout ce qu'il lui offrait. Elle faisait de son mieux en contrepartie néanmoins.

Lorsqu'il la serra dans une étreinte jouette, elle se laissa faire de mauvais gré durant quelques instants. Ses grommellements manquaient d'agressivité et elle ne mit pas beaucoup de force dans le coup de coude qu'elle lui offrit en guise de réponse à ce baiser posé sur sa tête.

— T'es con. bougonna-t-elle faussement en replaçant une mèche de cheveux derrière son oreille.

Mais ce n'était pas la question. Elle était venue avec une bonne raison derrière la tête et elle ne comptait pas se laisser dérailler plus longtemps. Thalia lui expliqua donc son plan et Link accepta, non sans sa petite touche d'humour.

— Comme si j'avais attendu ça.

Thalia resta adossée à un mur, à proximité de la porte, pendant qu'il repliait ses affaires. Elle avait déjà tout ce qu'il leur fallait dans son sac à dos. Ils se mirent rapidement en route après ça.

Lorsque l'on grandissait sur le territoire, on apprenait vite les endroits à éviter, ainsi que les passages plus faciles. Aussi imprenable soit-elle pour l'extérieur, les murailles étaient différentes vues de l'intérieur. Certaines parties étaient moins surveillées parce qu'elles protégeaient des parties du territoire moins importantes. Ce devait être partout pareil. Ils se glissèrent discrètement jusqu'à une échelle pour rejoindre le chemin de ronde créé en hauteur, bien accrochés au mur.

Comme souvent, le secret de la discrétion était de donner l'impression qu'on avait le droit d'être là. Thalia progressait avec confiance sur la coursive jusqu'à atteindre une plateforme où ils pourraient s'installer. Au loin, des sentinelles en faisaient de même. Il faisait calme à cette heure lorsqu'on était pas posté au niveau de la porte. Elle se posa là, son sac entre les jambes.

— Je me souviens pas de la dernière fois qu'on a fait ça. dit-elle pensivement tout en tirant des victuailles hors de son sac à dos.

it's not like you're my only friend
Année 41 - saison intermédiaire (fin de journée 81)

« T'es con. » Tu feins de souffrir. Une main placée exprès au mauvais endroit et le visage tordu. Comme une potion de rajeunissement que tu prends là. Tu te sens tout gosse parfois avec Thalia. Le pouvoir de la nostalgie sans doute. Tu es loin d'être un vieil homme. La vie de Membre donne simplement la maturité. Avoir Sven avec toi te fait apprendre aussi. Parfois tu es surpris par certains de tes réflexes. Des trucs que tu as vu ton père faire. Ou qu'il a fait avec toi. « Comme si j'avais attendu ça. » Tu n'en doutes pas. Elle agit pour le bien du clan. Reste une bonne Spécialiste. Respecte la majorité des règles. Seulement Thalia n'a pas l'esprit de quelqu'un qui aime se courber devant les autres et obéir bêtement. Elle a aussi le tempérament volatil. Elle aussi a pris en maturité. Elle se contrôle beaucoup mieux. Grognes plutôt que de mordre jusqu'au sang. Tu la vois aussi prendre plus soin des gens qu'elle aime. Vous faites le chemin en papotant. Ou plutôt tu évoques ta journée. Les petits détails loufoques vécus. Le tout en évitant de révéler trop d'informations. Tu as appris à force. Pas que tu envisages le fait de la berner vraiment. Elle pourrait te tirer les vers du nez sans réellement essayer. Tu es un peu moins serein pendant votre ascension. Moins dans ton élément. En haut il te faut même un peu de temps pour te détendre. Pour apprécier la vue. « Je me souviens pas de la dernière fois qu'on a fait ça. » Tu y réfléchis. Pas bien sûr non plus. « Lorsque je suis devenu Spécialiste ? » Tu te souviens d'une fois où Fitz vous avait accompagné en grommelant. L'information n'aide pas vraiment. Il râle souvent en présence de Thalia et vice-versa. Ils ont l'art de venir toucher là où ça fait mal tous les deux. Tu es heureux lorsqu'ils se chamaillent simplement. « Après ça c'est devenu compliqué. Ma gestion du temps n'était pas idéale. »