Ellie & Phoebe
A41 SI J89 (après-midi)

the great escape

Elle allait devenir folle. Depuis des jours, on la forçait à rester au lit, les sous-infirmiers s'occupant de son cas devenant de plus en plus sévères au même rythme que ses tentatives de rébellion. Fondamentalement, ils avaient raison. Sa jambe la tuait. Mais ce n'était pas le seul truc qui avait ce pouvoir. Si elle devait passer une heure de plus coincée dans cette chambre, à écouter le type dans le lit voisin gémir, elle allait faire un massacre. Purement et simplement. Elle allait peut-être même s'achever dans la manœuvre, histoire d'avoir la paix. Il fallait qu'elle voit autre chose, qu'elle puisse respirer ailleurs. Elle ne voulait même pas aller faire des folies ou se glisser parmi les travailleurs pour donner un coup de main, non, juste profiter d'un moment hors de cet endroit étouffant qu'était devenu la chambre où on l'avait collée de force. Elle savait pertinemment qu'elle ne pourrait pas aller loin, de toute façon. Puisqu'elle n'était pas censée bouger, on ne lui avait pas donné de béquille, elle progressait donc en sautillant sur sa jambe valide comme la pauvre éclopée qu'elle était. Chaque rebond lui arrachant une grimace contre laquelle elle luttait avec toute sa mauvaise humeur. Qu'elle ait réussi à descendre la volée de marches sans se casser la gueule tenait déjà du miracle. Il restait tout le hall à traverser sans se faire alpaguer par quelqu'un et elle serait libre pour quelques minutes. Elle se raccrochait à cette idée comme une bouée au milieu d'un océan déchaîné. Une cinquantaine de pas, peut-être un peu plus vu qu'elle commençait à fatiguer, et elle y serait.

- Non !

En voyant Phoebe passer les portes, elle lâcha un chapelet d'injures sous son souffle, mais continua son effort. Et tant pis si cela la rapprochait de son amie.

- J'y retournerais pas !

Phoebe & Ellie

année 41, deuxième saison tempérée, journée 89

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C'était compliqué de se promener dans les couloirs du quartier général sans trop savoir quoi faire de ses deux mains, tout ça parce qu'un seul doigt déconnait, l'index gauche. En apparence, je ne souffrais de rien, j'étais en pleine forme mais ce n'était bien que des apparences. Les premiers jours qui suivirent la catastrophe, je me sentis inutile, incapable de faire quoi que ce soit quand les autres bougeaient. La seule chose que je pouvais faire avec ce doigt cassé, c'était de faire le tour du territoire pour rassembler les requêtes des groupes éparpillés un peu partout et palier leurs soucis.

Avec les jours qui passaient, je pouvais reprendre les patrouilles. Avec le manque d'effectifs, je devais patrouiller en journée et je n'allais pas râler, il faisait bien meilleur en journée qu'en pleine nuit. C'était encore la seule chose que je pouvais pleinement faire et c'était toujours mieux que de tourner en rond parmi les travailleurs. Paris était presque trop calme si on omettait les travailleurs qui allaient et venaient et les Libres, mais même ceux-ci étaient en piteux état, donc ils se faisaient encore moins entendre et moins voir que d'habitude. Cela ne m'empêcha pas de me trouver un peu plus utile, le simple fait d'être en-dehors du territoire et de retrouver un semblant de journée normale aidait.

« Non ! » Je mettais un premier pas à l'intérieur du quartier général quand j'entendis Ellie crier de désespoir. Comme toujours, quand elle était sur le point de se rebeller contre le destin, celui-ci le lui rendait. Depuis toujours, je tombais au bon moment, ou au mauvais, selon le point de vue. Elle avait attiré mon regard, perdant au jeu. Même si elle m'avait vue, elle persistait et forçait le chemin en direction de la sortie du bâtiment. J'étais soulagée de l'avoir croisée comme trop souvent quand elle pétait un câble. Elle ne m'écouterait pas totalement mais j'aurais sûrement plus de poids que n'importe quel inconnu.

« J'y retournerais pas ! » Une vraie tête de mule. Même si, en soi, je pouvais comprendre qu'elle s'énerve. J'avais haussé les épaules avant de la rejoindre. « Si tu veux fuguer, fais-le au moins intelligemment. » Je savais que j'aurais dû être plus sévère parce que ce n'était pas une bonne idée mais elle voulait sortir alors elle sortirait. Je l'invitai à s'appuyer sur moi. Elle se fatiguerait un peu moins. Je pouvais bien faire ça plutôt que de la laisser se faire bêtement mal en sautillant comme elle le faisait sûrement depuis un moment.

Ellie & Phoebe
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Non seulement elle se faisait attraper, mais, en plus, elle avait droit à un commentaire qu'elle ne pu pas s'empêcher de mal prendre vu la situation. C'était du propre, est-ce qu'on s'acharnait de la sorte sur une blessée ? Elle commença à grommeler entre ses dents, les mots heureusement inintelligibles. Dans les faits, elle n'était vraiment pas la personne sur laquelle elle voulait passer sa mauvaise humeur, elle avait juste le mérite d'être là et de s'intéresser à son cas contrairement à tous les autres gens qu'elle avait croisé dans les couloirs qui n'avaient pas bougé le petit doigt en la voyant passer.

- Tu crois que c'est si facile de se tirer de cette prison ? J'ai vu une occasion, je l'ai saisie. Tu m'excuseras de pas avoir pensé à la suite.

La mauvaise foi était crasse, mais ça ne l'empêcha pas de s'appuyer sur l'épaule proposée, bougonnant un peu plus car elle était plus petite et que la position n'était pas particulièrement confortable. Elle lâcha quelques insultes de plus avant de se dégonfler, peu fière d'elle-même. Elle se fichait bien de manquer de sympathie pour les autres, mais elle détestait l'idée de faire du mal à Phoebe.

- C'est pas contre toi, j'en ai juste marre. J'suis désolée, okay ?

Phoebe & Ellie

année 41, deuxième saison tempérée, journée 89

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« Tu crois que c'est si facile de se tirer de cette prison ? J'ai vu une occasion, je l'ai saisie. Tu m'excuseras de pas avoir pensé à la suite. » Je l'avais entendue grommeler des mots inintelligibles mais je n'avais pas réagi parce que ça ne servait à rien et parce que c'était elle. Je pouvais tout lui excuser, presque aveuglément, je n'aurais pas pu mettre le doigt sur ce qui la rendait si spéciale, c'était une sensation, une impression qui venait des tripes, ça avait été soudain et ça n'avait plus jamais changé. Nous formions un duo un peu bizarre mais je me moquais bien de ce qu'on pouvait raconter, je ne changerais pour rien au monde, encore moins cette relation.

« C'est pas contre toi, j'en ai juste marre. J'suis désolée, okay ? » Encore des insultes. Elle était probablement la plus grossière de nous deux. Quant à moi, j'étais la naïve. En tout cas, c'était ce qu'on disait à mon sujet. Même si j'étais gentille, je ne me sacrifierais certainement que pour elle. A ce point. Je ne laisserais personne crever sous mes yeux, je ne laisserais pas une injustice sans réagir si je le pouvais mais pour elle, c'était encore une autre histoire. J'avais tourné la tête vers elle, avec ce même sourire, celui qui en disait long. « Je le sais bien. Comme si je pouvais t'en vouloir. »

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La blonde avait toujours eu l'art de venir la toucher d'une façon qui lui faisait d'autant plus regretter les erreurs de sa maladresse chronique. Parce qu'elle était trop permissive, Ellie voulait vraiment s'améliorer, mais elle avait la sensation de le faire à une allure digne de sa progression dans le hall avec sa jambe esquintée. Au moins, les excuses venaient plus rapidement et, avec elles, une remise en question. Cela ne faisait pas tout, mais nier ses progrès n'auraient eu aucun sens. Même si, parfois, elle aurait vraiment voulu pouvoir devenir quelqu'un de meilleur en un claquement de doigts.

- Tu devrais quand je suis comme ça.

Un grommellement qui ne servait vraiment pas sa cause, mais avait au moins le mérite d'être sincère. Elle pressa un instant la tête contre celle de Phoebe, seul geste d'affection qu'elle avait réussi à esquisser durant leur marche vers la liberté. Marche qui leur permit enfin de passer les portes du QG ce qu'elle fit avec une énergie nouvellement retrouvée.

- Enfin ! De l'air !

Elle inspira à pleins poumons, simplement heureuse de retrouver un brin de normalité. Même lorsque la saison était au plus froid et que chaque inspiration se faisait douloureuse, il leur était permis de sortir pour quelques minutes. Il ne lui semblait pas que son désir était si exagéré que ça, ce n'était pas que le fait d'être enfermée, l'ambiance était trop pesante au premier étage et le temps semblait se traîner.

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année 41, deuxième saison tempérée, journée 89

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« Tu devrais quand je suis comme ça. » Je ne pus m'empêcher de rigoler. Je ne me moquais pas d'elle mais c'était une réponse digne de la part d'Ellie, preuve, s'il en fallait, qu'elle n'était pas mauvaise dans le fond mais simplement bornée et maladroite. Si on me le demandait, c'était ce qui la rendait attachante, à sa manière. Je n'aurais pas voulu qu'elle change et je n'étais pas aveugle, ni insensible face aux petits changements. En plus, je réalisais bien qu'elle essayait chaque jour un peu plus mais tout particulièrement parce qu'il s'agissait de moi. J'avais préféré ne pas relever ça, pas maintenant, pas quand nous étions encore à proximité du quartier général, ça ne regardait que nous et des curieux, il y en avait encore plus à l'intérieur du bâtiment.

« Enfin ! De l'air ! » J'avais souri, tournant mon regard vers elle pendant quelques secondes, pas plus longtemps. Il n'était pas question de la mettre mal à l'aise. J'avais pris, moi aussi, une bonne bouffée d'air. J'en avais besoin mais parce que je m'étais inquiétée pour elle, pas pour mon état personnel. J'allais bien.

« Tu sais que tu peux t'appuyer sur moi, aussi bien littéralement que plus émotionnellement, n'est-ce pas, Ellie ? » C'était sans doute con, un peu trop sentimental aussi mais j'avais ressenti le besoin d'appuyer là-dessus. Lutter contre une telle tempête n'aurait servi à rien, si ce n'était intensifier ses envies suicidaires.

Ellie & Phoebe
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A l'intérieur du QG, le passage du temps se constatait grâce aux gens. Sa chambre n'étant pas dotée de fenêtre, elle devait deviner en écoutant les gens rentrer de leur garde ou même en étant réveillée par le passage d'un sous-infirmier bien intentionné. Autant dire qu'elle ne réservait pas toujours le meilleur des accueils à ses visiteurs dans ces moments là, ce qui se passait souvent puisqu'elle avait ressenti le besoin de dormir bien plus qu'habitude. A vrai dire, le repos avait occupé la majorité de son temps jusqu'à ce qu'elle prenne cette décision un peu idiote de tenter une sortie. Le processus était tout naturel d'après ce qu'on lui avait dit, pendant ce temps la douleur se faisait aussi oublier, mais il n'empêchait qu'il n'était pas dans ses habitudes de fréquenter autant son lit. En constatant que l'après-midi était déjà bien là, ce qui les rapprochait toujours plus de la tombée du jour, elle fut un peu déçue. Elle aurait volontiers préféré avoir l'impression de vivre un début de journée plutôt qu'une fin. Cela ne l'empêcha pas de profiter de ce qu'elle avait, trop contente de sentir le vent froid lui piquer les joues. Elle venait de fermer les yeux, un  léger sourire aux lèvres, lorsqu'une question décidément chargée la poussa à les rouvrir

- De quoi tu parles, Phoebe ?

Un peu confuse, elle tourna le regard vers son amie. Elle détestait les conséquences que cette tempête lui avait laissé en guise de cadeau empoisonné et, franchement, elle vivait mal d'être considérée comme une petite chose fragile depuis, mais il ne lui semblait pas que son cas demandait une telle attention.

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« De quoi tu parles, Phoebe ? » Ellie était prise au dépourvu et par la même occasion, un peu désarçonnée face à ma déclaration. Je mettais ça sur le compte de la fatigue et de l'enfermement dans sa chambre parce qu'elle ne tombait pas des nues en temps normal pour si peu, même si ce n'était la plus communicative, ni la plus sensible de nous deux. Elle m'avait cette fois-ci encore arraché un rire, la fatigue jouait probablement dans mon cas aussi mais je la trouvais vraiment mignonne, même s'il valait mieux garder cette impression pour moi. Je n'avais pas peur des répercussions sur moi mais sur elle, si elle s'emportait dans l'affaire.

« Je trouve que t'es un peu trop sévère envers toi-même. Je devrais pas être si conciliante, je devrais pas t'excuser... Tout ça, c'est trop. T'es pas parfaite mais je t'aime quand t'es. Je voulais rappeler ça. » Là, c'était le rappel de la tempête, de l'inquiétude qui m'avait traversée quand j'avais eu peur, une fois de plus, de la perdre à cause des événements imprévisibles.

Ellie & Phoebe
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Elle n'y comprenait décidément pas grand chose. Phoebe s'était mise à rire et elle ne pouvait désormais que la regarder en se demandant si elle ne manquait pas un peu trop de sommeil. Patrouiller devait être fatiguant après ces jours compliqués. Néanmoins, après une explication plus poussée vraiment nécessaire, il s'avéra qu'elle était simplement à côté de la plaque. Une plaque qu'elle n'avait même pas remarquée à vrai dire et dont elle ne savait pas trop quoi faire désormais. Elle baissa les yeux, un peu trop touchée par cette affection sortie de nulle part. Naviguer au milieu de trop d'émotions n'avait jamais été son fort et, aussi plaisant que cela soit de l'entendre, elle aurait volontiers voulu se faire avaler par le sol. Elle tira machinalement sur une mèche de cheveux pour la faire tomber devant son visage comme si elle avait cherché à se camoufler.

- C'est bon, j'ai compris.

Que ses efforts soient remarqués était une chose, mais elle ne s'était pas attendue à ce que la blonde y réagisse de la sorte, à ce qu'elle identifie ce qui se cachait derrière. Pourtant, ce n'était pas si étonnant, Phoebe avait toujours été plus douée pour ces choses là et elle-même manquait de subtilité. Dans le fond, la raison pour laquelle elle voulait s'améliorer ce n'était pas que parce que son amie méritait mieux, il y avait quelque chose de plus viscéral qui guidait ses actions et avait été accru suite à la tempête. En l'état, elle ne valait plus un clou et elle ne savait pas quoi faire de son inutilité. Tout ça, elle détestait y penser, elle n'aimait clairement pas plus les sentiments laissés dans le sillage de ces pensées. Mais il y avait cette petite voix qui restait parfois difficile à ignorer et lui soufflait que ce ne serait peut-être pas toujours suffisant, qu'elle n'aurait peut-être pas toujours assez à offrir.

Phoebe & Ellie

année 41, deuxième saison tempérée, journée 89

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Je l'avais observée, un sourire aux lèvres et regard tendre. Je savais bien que nous étions proches d'une manière particulière et que ce lien indéfectible me permettait certaines libertés, libertés que je ne prenais que lors de certaines occasions et toujours en gardant à l'esprit de la respecter pour ce qu'elle était, sans jamais vouloir la changer pour mon propre plaisir. A quoi bon la changer quand elle m'avait touchée comme elle était, là, cette personne franche et brutale. Celle qui m'avait sauvée de péripéties dont les autres n'avaient même pas idée. « C'est bon, j'ai compris. » Tout le monde ne pouvait pas se rendre compte de ce que ces mots représentaient. Ils représentaient pourtant tellement d'efforts pour Ellie. Elle venait de loin.

J'avais glissé un merci très discret. Je ne comptais pas la bousculer davantage. Une chose à la fois. Un moment touchant à la fois. J'avais pris une bonne inspiration avant de soupirer, le sourire toujours aux lèvres.