Noâ & Ingrid
A41 SI J91 (soirée)

that sweet escape

Pour la première fois depuis très longtemps, elle se trouvait à cheval sur cette fine ligne qui séparait l'euphorie de l'ivresse. Elle n'avait pourtant pas bu tant que ça, un verre ou l'autre avec un groupe de Membres, un shot avalé en vitesse sous l'influence d'un Ancien, plus celui qu'elle sirotait depuis un moment déjà et qui devait sans doute la rapprocher de celui de trop. Elle ne pouvait pas blâmer le fait de ne plus avoir consommé depuis longtemps, elle avait passé du temps au bar à drogue avec Théa à peine quelques jours plus tôt. Peut-être était-ce la fatigue ou ce trop plein d'émotions qui la poursuivait depuis le retour de quelques voyageurs. Vivre avec les conséquences était toujours plus difficile qu'élaborer, puis appliquer un plan, elle le savait pertinemment, mais le coup restait dur à avaler et, comme souvent, elle manquait de temps pour le faire correctement. Elle n'en avait parlé qu'à la Chef des Vipères dans l'après-midi, restant soigneusement silencieuse et évitant de paraître trop affectée le reste du temps. Encore un secret qu'elle aurait à emporter jusqu'au bûcher. La réouverture du Quartier des Jeux était tombé à pic pour se changer les idées, même si ce n'était pas tout à fait pareil que d'habitude avec les blessés et qu'il manquait beaucoup de monde. Cela restait plaisant de consacrer une soirée à la détente et de voir son clan revivre un peu après tant d'épreuves traversées. En plus, cette camaraderie qui se liait doucement entre les Jaguars et les Vipères était un bonus non-négligeable et une vision particulièrement rassurante. Pour le moment, cette alliance ne cessait de montrer des bénéfices et elle espérait sincèrement que cela durerait.

- Oups.

Cette petite errance qu'elle s'était accordé en solitaire pour reprendre ses esprits l'avait presque conduite à faire un accident, la tête soudain trop prise. Elle avait réussi à éviter de foncer dans quelqu'un de justesse, une bonne chose vu les signes de blessures, mais son verre s'était répandu au sol dans la manœuvre.

- C'est peut-être pas une mauvaise chose.

Le gloussement qui lui avait échappé n'avait pas beaucoup de prestance, mais elle avait dépassé le stade où elle s'en souciait. Un peu de ridicule n'avait jamais tué personne, même si elle aurait préféré ne pas donner une trop mauvaise image aux Vipères. Elle n'en était pas là, naturellement, et c'était d'autant mieux que son accès trop facile à l'alcool ait été coupé.

- Désolée, Ingrid. Je m'en serais voulue de t'amocher encore plus. Et je me serais sans doute faite incendier par ta sœur.

Une grimace légère avait étiré ses traits, malgré le fond de véracité dans la déclaration. Astrid n'était pas la sous-infirmière la plus douce du clan et elle était connue pour être extrêmement protectrice de sa cadette. Quelque chose lui disait que, Chef ou non, elle en aurait pris pour son matricule d'une façon plus ou moins subtile si elle avait provoqué un accident parce qu'elle était pompette.

Ingrid & Noâ

année 41 ; saison intermédiaire ; soirée 91

  that sweet escape

Pour une fois, je n'avais pas peur de tomber sur Astrid parce que je savais parfaitement que je ne fautais pas, que, blessée ou pas, j'étais en droit de me retrouver au quartier des jeux. Je n'étais pas complètement stupide, j'étais assez maligne que pour assurer mes arrières et ne pas me péter un peu plus le bras. Tourner en rond sur le territoire à veiller au bon déroulement du quotidien devenait lassant, surtout pour moi et être accompagné ne faisait pas de miracle non plus. Parler n'était pas toujours une option et même comme ça, on faisait souvent le tour de la question. C'était compliqué et j'avais besoin de prendre l'air, de me changer les idées. Quand j'avais été attrapé un pull dans ma chambre, j'avais entendu sa voix forte me rappeler les règles : pas de combat, pas trop d'alcool parce que ça amenait naturellement des accidents et rentrer dès que ça tirait parce que ce serait du gâchis. A croire que je n'arrivais pas à être complètement sereine, même quand je savais que j'étais dans mes droits, que je n'avais rien à me reprocher. Elle était trop envahissante.

« Oups. » Je ne l'avais même pas vue venir. Noâ. Elle avait l'air de s'être amusée, une bonne chose. Je les entendais déjà, les anciens Aigles, choqués qu'une chef puisse être dans cet état, au beau milieu des Membres et des Jaguars en général. Certains étaient beaucoup trop coincés à mon goût. Je n'étais pourtant la première à juger les autres mais quand ils se permettaient des commentaires à la limite du respect, sous prétexte qu'ils avaient toujours fonctionné autrement, ça me mettait hors de moi. Ils étaient désespérants. J'aurais probablement étouffé chez ces pseudos Membres à la vie saine. On voyait ce que ça avait donné. Ca ne signifiait pas non plus que j'étais fermée, s'ils étaient étonnés mais restaient ouverts, je ne leur en voulais même pas. C'était une question de position.

Quand je vis le contenu de son gobelet tâché le sol, je me mis à rire. Elle n'en était clairement pas à son premier verre. Rigoler m'arracha une grimace parce que ça tirait au niveau de l'épaule mais mon dieu que ça faisait un bien fou au moral, aussi paradoxal que ça puisse paraître. « C'est peut-être pas une mauvaise chose. » J'avais encore rigolé. Comme une enfant. Heureuse du spectacle. Heureuse de pouvoir vraiment passer à autre chose grâce aux gaffes de la jeune femme à peine plus âgée que moi. J'aurais voulu réagir mais le gloussement de Noâ prenait le dessus et je n'avais pas la foi de la couper. Elle avait été un peu moins visible ces derniers jours, le départ de Roxanne n'avait pas aidé, alors je n'avais aucune envie de la casser quand on la retrouvait en pleine forme.

« Désolée, Ingrid. Je m'en serais voulue de t'amocher encore plus. Et je me serais sans doute faite incendier par ta sœur. » Que même notre chef parler de cette façon d'Astrid me fit sourire, un sourire mauvais et un rire encore plus diabolique à l'intérieur. Tiens, bitch. J'étais soulagée de ne pas être complètement torchée. Un peu saoule, certes, mais je tenais bien. Dans le cas contraire, j'aurais eu peur de cette absence de filtre. Cette tortionnaire avait des oreilles partout sur le territoire. J'étais certaine qu'elle en payait certains pour surveiller ceux qu'elle considérait comme indiscipliné. Tch.

« Je me serais interposée, tel ton garde du corps, ton bouclier, pour qu'elle ne te tue pas. Je connais ses points faibles. » J'avais imité un rire machiavélique alors que nous savions bien, elle comme moi, que je n'étais pas si téméraire, que mon aînée ne ferait qu'une bouchée de moi. Mon seul avantage, ma taille, tombait à l'eau alors que je n'avais plus qu'un bras valide. Jouer les pseudos héroïnes ferait son effet parce que je pouvais avoir l'air ridicule avec elle. Parce que j'étais un bon élément, dans la moyenne, qui n'avait jamais fait de vague. Parce qu'elle était humaine. Parce qu'elle ne nous voyait pas comme de simples soldats à sa solde.