La journée avait été longue et pleine de tension. Oskar avait enchaîné deux gardes à cause d'un ordre mais il aurait pu le faire par choix. Travailler beaucoup ne le dérangeait pas. Il trouvait normal d'en faire plus pour que ses camarades aient l'occasion de prendre du repos. Tous n'avaient pas été aussi chanceux que lui. Vu cette situation dans laquelle le clan semblait s'enfoncer, Oskar doutait sincèrement que ses efforts soient utilisés à bon escient. Il n'était pas naïf. Pendant qu'il travaillait hors des frontières, les blessés avaient dû être mis à contribution sur les murailles. Même pour les dragons, les méthodes étaient cruelles. Progressivement, c'était toute la chaîne alimentaire du clan qui se faisait ronger par les prédateurs situés tout au-dessus. Un dérèglement qui allait sans doute les pousser vers des violences qu'aucune personne censée ne devait vouloir.

Oskar marchait vite dans les rues. Le corps fatigué et les pieds engourdis d'avoir fait les cent pas depuis le lever du soleil. Il était pressé de rentrer. Le repas serait frugal mais il le calerait suffisamment avant qu'il ne rejoigne son lit. Le sommeil n'aurait aucun mal à le happer, il le sentait jusque dans ses os. Un tel programme était plaisant par ces temps. Il faisait encore trop froid pour qu'il traîne dans les rues avec ses potes sans prendre le risque d'attraper un rhume de toute façon.

Dehors, il y avait des gens à qui il ne voulait pas se frotter de toute façon. Oskar avait beau rester hors des problèmes, les problèmes venaient facilement à vous en cette période.

Oskar s'en voulu d'avoir provoqué le sort en pensant à eux. Peut-être deux minutes plus tard, un petit groupe d'anciens tourna le coin de la rue qu'il empruntait. Par réflexe, il tourna dans une ruelle et manqua d'écraser quelqu'un qui était assis là. Il se plaqua une main sur la bouche pour étouffer un juron sous la surprise.

— Désolé. souffla-t-il, suffisamment bas que pour ne pas être remarqué mais sans en faire trop pour éviter de paraître suspect.

Il regarda à nouveau vers la rue où les anciens se trouvaient toujours, puis laissa tomber le regard sur l'autre dragonne. Une équipière, même si il n'était pas certain de connaître son nom. L'équipe était grande et il y avait toujours un certain mouvement dans les rangs. Suivre était parfois difficile. Ils avaient déjà dû interagir à une ou deux reprises lors d'entraînements mais Oskar ne pensait pas à plus.

— T'as pas froid ici ? Il glissa un coup d'œil vers la rue. A moins que tu cherches à éviter les embrouilles ?

L'autre aspirante ne paraissait pas plus inquiétée que ça par la situation. Peut-être le devait-elle à quelques années supplémentaires de maturité. Elle était déjà là lorsqu'il avait intégré l'équipe et il ne faisait aucun doute qu'elle était plus âgée. Oskar se trouva un peu envieux, sans doute à tort. Ses parents avaient fait ce qu'ils pouvaient pour lui apprendre à creuser plus loin. Ils avaient voulu qu'il se rende compte que les choses étaient rarement ce qu'elles semblaient être. Une leçon qu'il avait retenu mais qui lui glissait hors de la tête parfois en ces temps confus. Les ordures qui festoyaient dans la misère des autres étaient exactement ce qu'ils semblaient être. Il était devenu vital de se fier à sa première impression. Il lui semblait du moins.

Oskar se laissa hésiter un instant avant d'aller s'accroupir en face d'elle. Il s'était appuyé un peu contre le mur dans une position presque confortable. Une attitude nonchalante attirerait moins l'attention. A deux, ils faisaient aussi des cibles moins amusantes.

— Saison de merde, tu veux dire. ajouta-t-il avec un demi-sourire.

Le pire était que la saison venait à peine de commencer officiellement. Si le début était révélateur de la suite, ils n'étaient pas sorti de l'auberge.

Il aurait pu se contenter de partir. Il aurait pu être dans la rue suivante rapidement et donc loin des embrouilles. Ce n'était néanmoins pas comme ça qu'on les invitait à fonctionner dans l'équipe. Se serrer les coudes était d'autant plus important lorsque le risque était réel. Si il devait choisir un moment pour suivre les conseils d'Andrea, c'était bien celui-ci.

— J'en connais pas beaucoup qui choisiraient cette option.

Oskar eut un petit haussement des épaules. Ses parents avaient beau avoir été plus que corrects, il avait fréquenté assez de dragons pour savoir comment cela fonctionnait. Leur mode de vie et la façon qu'on avait de les encourager à gérer leurs émotions n'étaient pas sains. Si on pouvait appeler ça gérer. L'existence dragonne n'était favorable qu'aux éclats destructeurs.