les murailles familiales (Evie)

DRAGONS DU NORD

Kagan & Evie

année 41, seconde saison tempérée, soirée 94

les murailles familiales

S'il y avait bien une chose dont j'étais sûr, c'était que je n'allais pas découvrir au bras d'Evie un brassard comme plein d'autres en portaient fièrement depuis qu'il était clair qu'il valait mieux se montrer du bon côté de la muraille invisible, celle qui séparait les nouveaux bons Dragons, les suiveurs des Anciens, des Dragons forcément mauvais. Elle valait mieux que ça. Elle ne se rabaisserait jamais à leur niveau, même si ça signifiait que la vie promettait d'être de plus en plus difficile pour ceux qui ne coopéraient pas ouvertement. Sur le chemin du retour de deux gardes de patrouille interminables, j'avais trouvé refuge à la maison, seul endroit encore relativement reposant de tout Paris. En-dehors des murailles, nous étions vaguement tolérés, même parmi les patrouilleurs parce que tous n'étaient pas tendres, contrairement à la réputation qu'on nous collait. A l'intérieure de celles-ci, nous étions de potentielles recrues ou, dans le cas où notre opinion était claire, des Membres qu'on finirait par épuiser. J'avais pu échanger avec quelques Jaguars et certains osaient dire que leur clan n'avait pas valu beaucoup mieux quelques années auparavant.

J'avais posé mon manteau et mon sac à l'entrée, avec très peu de délicatesse, épuisé par la journée qui, en plus, avait été beaucoup trop calme en centre neutre. Tout le monde ne pouvait pas prétendre avoir un peu de temps libre pendant sa tâche, pas en pouvant se permettre de communiquer avec un partenaire de boulot. Pas de cette manière, pas sans se faire choper par un patron un peu trop casse-pieds. « J'ai entendu parler du nouveau cirque des Anciens. T'as pas eu d'emmerdes, aujourd'hui ? » Ce n'était pas exactement de la surprotection mais une inquiétude saine parce que je n'aurais pas voulu qu'on profite de sa faiblesse physique. Des abrutis, il y en avait à tous les coins de rue. Et ça n'allait pas en s'arrangeant. Pour peu qu'elle ait faibli pendant sa tâche ou en pleine rue, ils auraient pu abuser de leur pouvoir et être protégés. Je l'aurais remarqué si ça avait été trop loin mais les bousculades psychologiques, ça ne laissait pas forcément beaucoup de marques.

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Année 41 - saison tempérée 2 (soirée 94)

Il y a du mouvement à l'entrée. La porte qui s'ouvre et se referme. Des affaires abandonnées. Des pas peut-être un peu plus lourds. Ces sons sont familiers et t'offrent une partie des informations que tu recherches. Il est fatigué c'est sûr. Il y a de quoi. Il faut le choisir pour enchaîner de la sorte les patrouilles ou être comme vous soumis à un règne trop autoritaire. Tu ne bouges pas de ta place au niveau de la source de chaleur. Continuant de décrasser les semelles de tes bottines avec la pointe de ton couteau. « J'ai entendu parler du nouveau cirque des Anciens. T'as pas eu d'emmerdes, aujourd'hui ? » Tu secoues légèrement la tête. Un geste un peu inutile puisque tu n'es pas sûre qu'il t'ait dans son champ de vision. D'une main tu replaces une mèche blonde derrière ton oreille en tournant enfin la tête pour le localiser. « J'étais de garde dehors. » Et bon dieu ce que ça t'a fait du bien. Il n'y a pas grand chose à faire du côté des nouveaux entrepôts mais il y règne une lourdeur insupportable. Tu as pu respirer en centre neutre au moins. Comme lui tu as entendu la nouvelle en revenant. Pour cette nuit tu es tranquille mais demain matin c'est surveillance sur le chantier. Autant dire que tu n'es pas enthousiaste. Ce n'est déjà pas la joie mais si plus d'Anciens s'en mêlent la pression sera plus forte encore. « Ton programme pour demain donne quoi ? » Vous n'êtes pas les plus mal logés. Être Aspirant aide. Vous devez travailler plus mais vos phases de repos restent supportables. Rien à voir avec les chairs à pâté. Pour autant tu te doutes que vous allez avoir du mal à vous croiser durant un bout de temps. Vous avez vos vies ce n'est pas le problème mais c'est différent dans ce cas-ci. Le choix n'est pas vôtre. « Je suis encore affectée à l'hosto dans l'après-midi. Donc si tu passes dans le coin. » Tu glisses avec un sourire.

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Kagan & Evie

année 41, seconde saison tempérée, soirée 94

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« J'étais de garde dehors. » J'avançai un peu plus pour la découvrir occupée avec ses chaussures. Je préférais qu'elle soit occupée avec ça plutôt qu'avec un véritable entraînement. En l'état, ça aurait été de trop. Elle n'a en effet pas l'air d'avoir été bousculée mais elle aurait pu le cacher. Seulement, nous n'en étions plus là, plus depuis que nous étions l'un et l'autre le seul membre de la famille encore en vie de l'autre. Nous veillons l'un sur l'autre et pour ça, il ne fallait pas garder le moindre problème pour soi, nous le savions. Les non-dits nous avaient blessés.

Je m'étais posé dans un fauteuil à mon tour, mon corps soulagé de pouvoir enfin se reposer dignement. Tant que j'étais occupé de marcher pendant mes gardes, la fatigue n'était pas trop flagrante mais c'était une autre histoire une fois sur le territoire. Premier signal. « Ton programme pour demain donne quoi ? » Un long soupir. Telle fut ma première réponse. Avant de hausser les épaules. Les journées se ressemblaient trop à mon goût.

« La routine. Je commence au zénith. Je prie simplement pour faire mes gardes avec Alina. Le courant passe bien. On ne s'ennuie pas avec elle. » Ce n'était pas la première fois que je lui parlais d'Alina. Une autre patrouilleuse avec qui les rondes étaient moins éprouvantes. J'avais peur, malheureusement, que les abrutis décident de nous refourguer des patrouilleurs pro-Anciens rapidement dans les pattes pour nous recruter tôt ou tard. L'idée n'était pas stupide de leur part.

« Je suis encore affectée à l'hosto dans l'après-midi. Donc si tu passes dans le coin. » Ça, par contre, c'était une bonne chose. A moins de tomber sur d'autres gardiens complètement chiants, ça nous permettrait de profiter de la pause pour se voir et discuter loin des yeux et des oreilles des Dragons. Mon visage s'illumina. Ses mots n'étaient pas tombés dans l'oreille d'un sourd.

« Prions pour qu'on ne se coltine pas des abrutis trop obéissants. » C'était mon seul souhait. Malheureusement, nous ne maîtrisions pas ces éléments, nous devions subir. Je priais d'autant plus intérieurement pour voir le petit bout de femme que j'avais citée débarquer et partager la patrouille.

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Année 41 - saison tempérée 2 (soirée 94)

Il y a de quoi soupirer. Les journées sont longues. Les horaires sans queue, ni tête. « La routine. Je commence au zénith. Je prie simplement pour faire mes gardes avec Alina. Le courant passe bien. On ne s'ennuie pas avec elle. » Au moins il pourrait récupérer un peu. D'une certaine façon qu'il soit envoyé si souvent en patrouille avait ses bénéfices. Il est plus en sécurité dehors. On souffle aussi plus aisément dans ces conditions. A condition bien sûr de ne pas avoir de collègues pro-Anciens dans les parages. Tu serais effectivement plus rassurée qu'il soit toujours en équipe avec elle. La présence de cette fille fait indéniablement du bien à Kagan. Tu souris naturellement. Heureuse que l'enthousiasme soit partagé vis à vis de l'opportunité de vous voir. « Prions pour qu'on ne se coltine pas des abrutis trop obéissants. » Tu abandonnes tes bottines proches du feu dès leur entretien terminé. Tu bouges ensuite juste le temps de t'étirer et d'aller t'affaler dans le second fauteuil. « Le choix intelligent serait de ne pas les laisser trop sortir pour éviter d'attirer plus encore les foudres des autres clans mais je suppose qu'on en serait pas là si leur cerveau commun tournait à la bonne vitesse. » La pique est facile. Pourtant tu espères avoir tort. Vous n'avez pas besoin de tensions supplémentaires. Et puis tu aimes les petits bouts de tranquillité d'esprit que tu ne peux trouver qu'ailleurs. « Alina va bien, donc ? » Tu questionnes naturellement. La période est propice à se soucier des autres. De ceux auxquels on pouvait faire plus confiance qu'aux autres du moins. Il a un bon instinct et vu comme il en parle tu doutes un peu qu'elle soit en train de rouler Kagan dans la farine.

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Kagan & Evie

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« Le choix intelligent serait de ne pas les laisser trop sortir pour éviter d'attirer plus encore les foudres des autres clans mais je suppose qu'on en serait pas là si leur cerveau commun tournait à la bonne vitesse. » J'avais ri de bon coeur parce que c'était à peu de choses près la seule liberté qu'il nous restait depuis un petit moment, celui de choisir entre rire ou pleurer face à une situation aussi bordélique et suicidaire. Entre ces murs, je pouvais encore me moquer des Anciens qui ne pensaient qu'à eux, certainement pas au clan, contrairement à ce qu'ils présentaient. Pouvoir être libre de ses pensées et de son attitude, le tout accompagné par ses proches suffisait à me rebooster.

« Alina va bien, donc ? » Il y a de nombreuses années, je n'aurais jamais cru pouvoir profiter de ma grande sœur de cette façon, je n'aurais jamais espéré pouvoir échanger au sujet de mon quotidien. Non seulement ça me donnait envie de sourire mais en plus, c'était une bonne chose pour Alina, ça signifierait qu'au besoin, Evie pourrait l'aider parce qu'elle était importante à mes yeux. Tout était bon à prendre quand il s'agissait de protéger les siens au sens large.

« Elle a eu droit à un Ancien qui a trouvé une faille et a cherché à la faire culpabiliser mais, ce détail mis à part, elle va plutôt bien mais je garde un oeil sur elle. » Du jour au lendemain, on pouvait perdre ses certitudes, d'autant plus quand un con tentait de nous faire douter. C'était sûrement le seul plaisir qu'il restait à cet Ancien.

« Je suis pas en train de dire qu'elle ne survivrait pas sans moi mais je sais pas, je voudrais pas apprendre des trucs quand c'est trop tard. Pas quand il s'agit d'elle. » J'imaginais bien que je pouvais ressembler à l'un de ses anciens Aigles pourris qui pensaient que les mâles devaient protéger les femmes incapables de se défendre. Alina n'était pas faible.

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Année 41 - saison tempérée 2 (soirée 94)

T'aimes le voir rire, le voir sourire en général. Toutes les bonnes émotions se dessinant sur son visage que tu as trop souvent raté. Que parfois t'avais pas aidé à se former. Il est mignon comme ça. Tu revois le petit garçon qu'il a été quand tu pouvais encore le voir lui sans la voir elle. « Elle a eu droit à un Ancien qui a trouvé une faille et a cherché à la faire culpabiliser mais, ce détail mis à part, elle va plutôt bien mais je garde un œil sur elle. » Tu grimaces légèrement. Pauvre gosse. Ca arrivera encore vu le climat qui règne. T'es bien placée pour comprendre. T'en vois des trucs quand on te fait garder les entrepôts internes. Pour ça tu préfères de loin tes shifts du côté de l'hôpital. Il y souffle un vent de normalité bienvenu. Si on omet le ballet de blessés un peu plus régulier. « Je suis pas en train de dire qu'elle ne survivrait pas sans moi mais je sais pas, je voudrais pas apprendre des trucs quand c'est trop tard. Pas quand il s'agit d'elle. » Tu souris cette fois. Il est touchant dans son inquiétude. Tu ne peux t'empêcher d'y lire un peu plus que ce qu'il n'en dit. « Tu l'aimes vraiment, hein ? » Tu glisses, complice. Le sourire peut-être un peu malicieux à cause de cette petite théorie que tu as. C'est que tu ne l'entends pas parler de tous ses amis comme ça. Alina est spéciale.

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« Tu l'aimes vraiment, hein ? » Je ne l'avais pas vu venir, un peu surpris. J'étais resté là, planté, la bouche ouverte pendant quelques instants, sans trop savoir quoi lui répondre. Penser à Alina était naturel, vouloir la protéger sans l'infantiliser aussi mais c'était dans l'ordre des choses quand on était attaché à quelqu'un. Si je ne parlais pas d'Oskar de cette façon, ce n'était qu'une coïncidence et uniquement parce qu'il n'était pas patrouilleur comme elle et moi. Nous partagions beaucoup de moments importants durant nos patrouilles, nous avions des amis en commun parmi les autres clans. A vrai dire, en entendant Evie parler comme ça, je me rappelais certains commentaires et certains sous-entendus d'amis. Je m'étais pincé les lèvres, le regard fixé sur une chaise plutôt que sur la silhouette de ma sœur, les joues chauffant au passage. Simple hasard.

« Les patrouilles seraient différentes sans elle. » J'avais toussé, perdant tout charisme dont je pouvais faire preuve dans d'autres circonstances. « Tu comprendrais si tu travaillais en binôme. » Je cherchais à me donner de la consistance mais ça retombait aussi vite. Si je creusais un petit peu, Alina serait la personne que je chercherais en premier lieu après ma soeur mais une part de moi se persuadait que ce n'était effectivement que parce qu'elle était ma binôme de patrouille.

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Année 41 - saison tempérée 2 (soirée 94)

Si prévisible. Tu secoues légèrement la tête, satisfaite de sa réaction. Le titiller encore un peu plus reste tentant mais tu lui trouves des allures trop mignonnes. Le monde extérieur n'existe soudainement plus. Il n'y a que l'intérieur vaguement chaleureux de la maison et une conversation qui aurait pu se produire en un tout autre temps. « Les patrouilles seraient différentes sans elle. » Tu ris. « J'en doute pas. » Lèves les yeux au ciel. Il n'offre rien qui te pousse à partir vers d'autres suppositions. « Tu comprendrais si tu travaillais en binôme. » Le sacrosaint pouvoir du duo. Pour avoir passé des journées entières sur le qui-vive avec des collègues, tu penses être capable de comprendre certaines choses. Les patrouilleurs ne sont pas les seuls susceptibles de passer toute leur carrière avec les mêmes personnes en dehors des frontières du clan. Ils n'étaient d'ailleurs pas tous à l'image de ces compagnons inséparables qu'il essaye de vendre. Certains avaient la chance de faire une rencontre déterminante, d'autres se contentaient de faire leur boulot. « Mais oui, mais oui. » Tu pouffes en te redressant. « Oublie pas de te reposer, grand dadais. » Tu lui tapotes le torse en passant à ses côtés pour rejoindre ta chambre. L'idée de rejoindre ce lit glacial ne te plaît pas plus que ça mais tu as besoin de récupérer durant toutes les occasions qui se présentent.

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année 41, seconde saison tempérée, soirée 94

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« J'en doute pas. » Je n'étais pas vexé, pas du tout, il m'en fallait plus pour prendre la mouche mais j'étais un peu gêné malgré tout parce que c'était elle qui en parlait, ma sœur aînée. Heureusement, c'était facile de tout lui pardonner parce que nous avions perdu trop d'années par le passé. C'était tentant de regarder les murs autour de nous plutôt que de risquer de croiser son regard et devenir encore plus rouge que je ne l'étais jusque-là.

« Mais oui, mais oui. » Je n'étais pas totalement idiot, je comprenais chacun de ses sous-entendus et c'était chouette qu'elle s'intéresse à ma vie mais encore une fois, ce n'était pas forcément facile à assumer, surtout pas quand il ne se passait rien entre Alina et moi. Je ressemblais à un adolescent incapable de gérer ses émotions et incapable d'avouer qu'il était intéressé par une fille.

« Oublie pas de te reposer, grand dadais. » Le surnom était de trop. Je n'étais toujours pas vexé mais je n'étais pas mécontent qu'on soit là, à la maison et non au beau milieu d'une rue quand elle l'avait prononcé. J'avais marmonné entre mes dents quand elle était passé à côté de moi et m'avait frappé le torse avant de me bouger à mon tour. C'était encore le plus sage.

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