Sybil & Nikola

ANNÉE 41, SAISON INTERMÉDIAIRE, - 94

never let the light shine down

Trouver la maison qu’habitait Sybil avait été assez facile. Il lui avait suffi de faire un stop au bar à drogue, de demander quelques renseignements pour qu’on lui offre la bonne information, la sous-infirmière étant une habituée plutôt appréciée dans le coin. Bien sûr, on lui avait aussi fait comprendre que si c’était pour lui chercher des noises, elle aurait des problèmes…voilà qu’elle débarquait devant la bâtisse, avec des munitions. Le réconfort n’attendait pas, même si ce n’était pas son fort, elle pouvait toujours essayer de lui changer les idées. Hey! J’dérange pas? Je suis passée voir comment tu allais. Elle espérait vraiment ne pas être mal tombée; Sybil lui avait dit que sa maison n’était jamais vraiment vide, famille nombreuse oblige, mais Nikola avait essayé de choisir un moment où elles pourraient être seules et vraiment décompresser. Le dis à personne mais j’ai de quoi nous mettre bien. Elle tapota sa sacoche pleine de petites douceurs du bar. Elle était bientôt remise, s’amuser un peu ne pouvait pas gâcher tous ses efforts surtout pas si cela permettait à Sybil de simplement être Sybil et pas la sous-infirmière, la fille dévouée ou la grande soeur.

Sybil & Nikola

année 41, seconde saison tempérée, journée 94

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Je n'arrêtais pas de me répéter que j'aurais voulu être présente pour Nina, que j'aurais pu l'aider d'une manière ou d'une autre mais je ne pouvais plus rien y changer. Charlotte m'avait dit que ça n'aurait rien changé, qu'elle avait envoyé d'autres sous-infirmières et que tout le monde avait été impuissant face à cette maladie, que c'était le risque de tout voyage en-dehors des frontières mais je ne l'entendais pas. Même ma mère qui était dévastée me l'avait affirmée, nous étions tous et toutes impuissantes face à la vie et je devais l'accepter. Elle me disait aussi que c'était normal de ressentir ça pour le moment, que ça finirait par me passer, que je retrouverais le sourire sauf que tout le monde tournait en rond. Arthur s'occupait l'esprit en bossant et en traînant avec ses potes. Daphné buvait un peu trop et découchait plus que jamais. Quant à Iris, elle dormait beaucoup, sans doute beaucoup trop mais personne ne voulait la déranger.

« Hey! J’dérange pas? Je suis passée voir comment tu allais. » Si je m'étais rapprochée de Nikola, je ne m'étais pas attendue à ce qu'elle vienne me voir. Elle devait avoir appris les nouvelles par Charlotte et je ne savais pas exactement si c'était une bonne chose qu'elle vienne jusqu'ici, j'avais un peu peur de la contaminer. Je n'avais plus été dans cet état depuis de nombreuses saisons, plus depuis que l'Infirmière m'avait, d'une certaine manière, défendue et avait fait comprendre à mes bourreaux qu'elle les surveillait de très près. J'avais réellement apprécié le geste mais je me demandais toujours un peu pourquoi elle avait pris ma défense. J'étais assise dans un fauteuil devant le feu quand la jeune femme était apparue et je l'avais invitée à s'approcher.

« Le dis à personne mais j’ai de quoi nous mettre bien. » J'avais souri. Au moins, je devais bien lui reconnaître ça, elle avait le don de ramener la bonne humeur, même si c'était à sa façon. Par principe, j'avais jeté un œil à son état général et elle ne m'avait pas l'air trop mal. Pas assez pour que je la jette hors de la maison en tout cas. Avec Iris qui dormait à poings fermés et tous les autres dispatchés un peu partout sur le territoire, nous avions quartiers libres.

« Il se fait qu'on est seules. Iris dort et, dans tous les cas, elle est trop jeune pour toucher à tout ça. » L'avantage aussi c'était qu'elle dormait toujours profondément. « Je te rendrai la pareille au bar à drogue. » J'avais hoché la tête vers la gauche, encore et toujours le même sourire aux lèvres. J'étais toujours bouffée par l'angoisse, essentiellement la nuit, mais je ne voulais pas qu'elle prenne la fuite parce que je n'arrêtais pas de pleurer. Je devais être forte. Pour elle, surtout quand elle prenait du temps pour moi.

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Ce qui était un peu différent dans cette situation, c’était que Nikola n’était pas assez proche de Sybil pour se permettre d’agir comme elle le ferait avec une amie de longue date. Elle n’avait pas de patience pour les hypocrisies, avait la langue plutôt bien pendue et elle pouvait se comporter de façon bien garce mais elle avait aussi tendance à se montrer affectueuse avec ses proches. Uhuh, pas besoin de me rembourser. C’est ce que font les amies, elles se serrent les coudes dans les moments difficiles. Comme elle ne pouvait chasser son naturel aussi facilement, elle s’était permis un demi-câlin un peu maladroit avant de suivre la direction que Sybil lui avait indiquée. Même si la pièce possédait plusieurs options confortables pour s’installer, Nikola se laissa tomber sur les genoux sur le sol, plus convivial selon elle, fouillant déjà dans sa sacoche pour retirer les précieuses denrées du bar. La tête baissée, concentrée dans sa tâche, elle continuait de s’adresser à la sous-infirmière avec entrain. Alors écoute-moi bien! Voilà comment on va procéder! Quand tous les produits étaient hors du sac, elle releva enfin la tête, posant son regard sur Sybil. Premièrement, on va bien vider notre sac. Sortir tout ce qui ne va pas, même les trucs les plus idiots, ok? Je te proposerais bien de hurler ou de casser des trucs, ça permet de se sentir mieux mais ta soeur dort alors on va éviter. En parlant, elle continuait à disposer les différentes provisions qu’elle avait apportées avec elle. Son ton était léger, et elle s’avançait un peu de croire que Sybil serait d’accord de partager ses états d’âme avec une fille qu’elle ne connaissait pas depuis longtemps mais l’important était l’effort. Deuxièmement, on se détend. Je connaissais pas tes préférences alors j’ai pris un peu de tout pour être sûre. Les jambes croisées, elle s’installa plus confortablement, légèrement penchée en arrière. Et si tu te sens pas trop de parler, j’comprendrais, on peut juste se détendre en silence, ou partager les derniers ragots. Parait qu’une sentinelle s’rait à deux doigts de gâcher son service avec une grossesse.

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« Uhuh, pas besoin de me rembourser. C’est ce que font les amies, elles se serrent les coudes dans les moments difficiles. » Ce n'était pas nouveau en soi, je n'avais pas de difficultés en tant que telles pour me faire des amies, j'avais un caractère plutôt facile mais je n'avais pas pu m'empêcher de sourire comme une enfant, touchée par ce qu'elle venait de dire. Les amies. Ce n'était pas anodin, Nikola n'avait pas l'air d'avoir sa langue dans sa poche et elle ne jouait pas les hypocrites, surtout pas quand elle n'avait rien à y gagner. Je n'étais pas Charlotte, je n'étais qu'une sous-infirmière parmi tant d'autres, aucun grade en ma possession. J'avais glissé un merci franc mais plein d'émotions aussi.

Je n'aurais refusé pour rien au monde ce câlin maladroit mais sincère, j'avais besoin de gestes et de réconfort de ce type en ce moment plus que jamais. Quand je l'avais vue se mettre à genoux sur le sol, je préférai suivre le mouvement plutôt que d'avoir cette distance renforcée par la différence de hauteur. Ce serait beaucoup plus sympa comme ça. « Alors écoute-moi bien! Voilà comment on va procéder! » J'étais happée par le mouvement qu'elle instaurait par sa façon d'agir et de me parler et ce n'était pas de refus. D'une certaine manière, j'avais l'impression que c'était plus facile d'accepter la main tendue par quelqu'un d'extérieur, quelqu'un comme Nikola parce que je n'avais pas besoin de prendre soin d'elle à cause des événements.

« Premièrement, on va bien vider notre sac. Sortir tout ce qui ne va pas, même les trucs les plus idiots, ok? Je te proposerais bien de hurler ou de casser des trucs, ça permet de se sentir mieux mais ta soeur dort alors on va éviter. » Elle avait réussi un bel exploit, me faire rire, ce qui n'avait plus été possible depuis que j'avais appris pour la mort de Nina. Etre enfermée, regarder toujours les mêmes murs et les mêmes visages tristes n'aidait pas, j'en étais consciente mais c'était plus difficile encore de montrer mon propre visage en-dehors de cette maison alors que j'étais rongée par la tristesse. C'était con mais j'avais parfois l'impression qu'on allait soit me juger, soit chercher à tout prix à me dire que je pouvais pleurer parce que j'étais une fille et que les filles, ça pleurait et les garçons les protégeaient.

Je la regardais se dépatouiller assise un peu plus loin pour ne pas la déranger et à vrai dire, ça ne me dérangeait pas d'être spectatrice de ma vie quelques instants seulement si c'était pour me changer les idées. J'avais le sentiment que Nikola et moi nous connaissions depuis mon arrivée sur le territoire tellement nous étions à l'aise. « Deuxièmement, on se détend. Je connaissais pas tes préférences alors j’ai pris un peu de tout pour être sûre. » Je ne savais pas si elle était comme ça naturellement ou si j'avais beaucoup de chance mais je n'allais pas cracher dessus.

« Et si tu te sens pas trop de parler, j’comprendrais, on peut juste se détendre en silence, ou partager les derniers ragots. Parait qu’une sentinelle s’rait à deux doigts de gâcher son service avec une grossesse. » Les ragots. J'avais utilisés cette astuce pour qu'elle se détende quand je l'avais trouvée récemment à l'infirmerie, sur le qui-vive, prête à décamper. Je n'allais pas mentir, j'aimais bien parler des dernières informations croustillantes, c'était probablement mon plus gros défaut. Tout le monde en avait dans le fond. Même ces anciens parfaits aigles.

« Je veux tout savoir, dans ce cas. » J'avais dit ça un grand sourire illuminant mon visage. « Sinon, je sais pas ce que tu sais exactement, tu sais comme moi que tout se sait très vite, surtout quand c'est gros comme ça. Mais j'ai perdu une de mes sœurs, elle est morte pendant le voyage à cause de cette maladie. Nina. Charlotte m'a accordé des jours de repos mais je tourne en rond, comme tout le monde dans cette maison. » Je sentais encore que ma voix tremblait, que ma gorge se serrait et cette boule dans la poitrine mais j'arrivais à en parler, c'était l'essentiel. Nous n'étions pas les seuls touchés par cette tragédie mais ça ne rendait pas l'événement moins tragique. Nerveusement, je chipotais à mon genou droit à travers mon pantalon.

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Nikola se sentit soulagée d’avoir pu la faire rire. Elle s’était dit que lui faire décrocher un sourire sincère sur la soirée serait une victoire mais elle avait même fait mieux. Elle avait l’agréable sensation d’être utile et de ne pas juste être un inconvénient de plus à gérer pour la sous-infirmière. Elle n’en souriait que d’autant plus, prenant ses aises et ravie de voir que Sybil l’avait rejointe en s’installant plus confortablement sur le sol. Elle savait bien qu’on lui collait trop facilement l’étiquette de la fille superficielle, immature au point de perdre son temps à cancaner, incapable de prendre les choses au sérieux. Mais Sybil était bien la preuve que l’on pouvait être efficace et apprécier le divertissement là où on le trouvait. C’était assez réconfortant de s’oublier derrière les petits malheurs ou bonheurs des autres. J’crois que son nom, c’est Sally. Elle se tapait  ? Ou elle se tape toujours un mignon. Plutôt laid pour un mignon, si on me demandait mon avis. Mais ça l’a pas arrêtée, la nana. Peut-être qu’il est plus performant ailleurs. Enfin bref, ils ont pas dû faire très attention parce que voilà qu’elle se retrouve à vomir tous les matins et à manger pour deux. T’imagines? Avoir un gosse si jeune?! J’pourrais pas. On parlait de couper court à son service de membre. Même si elle était plus âgée, elle avait fort à perdre. Ou peut-être que cela avait fait partie de ses plans depuis le début. Ou peut-être qu’elle ne le garderait pas. C’était Marvin, je crois. Je sais pas si tu le remets. L’histoire était un peu grossière, très légère, à mille lieux des tracas de Sybil. Nikola faisait de son mieux mais une histoire de fesses n’effacerait jamais la tristesse subie par la perte d’un proche. Quand Sybil se mit à parler, la voix tremblante, Nikola ne pût résister plus longtemps, se traînant de son côté pour l’étreindre une nouvelle fois, un peu plus longtemps à avant de se reculer sans néanmoins reprendre sa place. Elle restait juste à côté d’elle, si jamais Sybil avait besoin de plus.

Nikola ne pouvait prétendre qu’elle comprenait la peine de la sous-infirmière. Sa relation avec sa famille n’était pas la même. D’autant plus que la situation de la vipère était différente. Elle était l’aînée avec le devoir de s’occuper de ses frères et soeurs, elle était formée pour faire face aux tumultes émotionnels des décès mais que faire quand la tragédie touchait sa famille? Pour elle qui n’avait consolé que des peines de coeur, voir la souffrance de celle qu’elle considérait comme une amie était douloureux. La veille, la discussion avec Charlotte avait mal fini. Pour le moment, elle préférait éviter d’y penser. Pourtant, elle ne doutait pas que les jours de repos octroyés à Sybil partaient d’une bonne intention mais avoir les mains occupées aidait aussi. D’une main, elle attrapa une gourde dont elle prit une bonne gorgée. L’alcool lui brûla la gorge mais elle la tendit vers Sybil. A Nina. Le breuvage n’était pas du niveau de l’alcool jaguar mais il suffirait peut-être à ce que Sybil puisse se laisser aller. Ca te dirait un petit tour par chez les jaguars un de ces jours? Pour relâcher la pression?

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« J’crois que son nom, c’est Sally. Elle se tapait  ? Ou elle se tape toujours un mignon. Plutôt laid pour un mignon, si on me demandait mon avis. Mais ça l’a pas arrêtée, la nana. Peut-être qu’il est plus performant ailleurs. Enfin bref, ils ont pas dû faire très attention parce que voilà qu’elle se retrouve à vomir tous les matins et à manger pour deux. T’imagines? Avoir un gosse si jeune?! J’pourrais pas. » Etre distraite par des commérages de ce genre n'était pas superflu en ce moment et l'avantage d'échanger avec Nikola, c'était qu'elle n'y allait pas par quatre chemins et ne se souciait pas d'aller trop loin. De toute manière, ça resterait entre nous, elle l'avait sûrement compris. On pouvait prétendre que j'étais superficielle mais certainement pas m'insulter en osant imaginer que j'étais fausse ou que je trompais celles et ceux qui se confiaient en allant rapporter ce qu'on me racontait. J'avais souri dans un premier temps mais la réflexion vint rapidement. Je ne pouvais pas m'empêcher de me demander quelle aurait été ma réaction si j'étais tombée enceinte là ou, en tout cas, avant la fin de mes années de service. Est-ce que j'aurais été même un tout petit peu heureuse ? Est-ce que Charlotte aurait été désolée de me voir quitter l'infirmerie et l'hôpital ? Une part de moi s'en voudrait forcément parce que je ne voulais pas être juste une jeune maman, pas après avoir quitté les Aigles.

« C’était Marvin, je crois. Je sais pas si tu le remets. » Ce nom ne m'évoquait rien de particulier. Je l'avais peut-être rencontré quelquefois à l'infirmerie mais effectivement, il ne m'avait pas marquée mais désormais, je ferais plus attention parce que ma curiosité était piquée et que j'aurais été déçue de louper un autre épisode de cette aventure. Ce n'était peut-être pas franchement mature mais j'avais le droit, moi aussi, à m'amuser et à ne pas me limiter à la grande sœur sérieuse et tentant d'être un bon exemple pour le reste de la fratrie.

« Honnêtement, il me dit pas grand-chose mais j'ouvrirai l'œil maintenant. Si j'en apprends plus, tu sais bien, je cours te retrouver. » C'était une promesse et elle devait deviner que je la tiendrais parce que c'était un peu ma marque de fabrique. Encore une fois, les ragots étaient essentiels dans ma vie, une façon de rendre la vie plus croustillante et de faire un gros doigt d'honneur à cette vie qui aurait dû être la mienne si j'étais restée chez les Aigles. Enfin, si j'étais restée chez eux et si les Dragons ne les avaient pas attaqués avec un peu de chance. C'était dingue de se dire que je serais probablement déjà mère, là.

Qu'elle m'ait fait un nouveau câlin me fit sourire et je pris une grande inspiration, emportant par la même occasion un peu de courage. Je profitais en silence de cette proximité et cette chaleur qu'elle m'offrait sur un plateau d'argent. Par respect. Je ne me voyais pas casser le moment non plus. Je pris ensuite la gourde qu'elle me tendait pour boire une bonne gorgée à mon tour et même si ça m'arracha la gorge, le geste et l'alcool combinés me donnèrent l'impression d'être un peu plus légère. « A Nina. » J'avais souri et avais répété les mêmes mots. Honorer Nina de cette façon était encore la meilleure. Pleurer ne la ferait pas revenir. En tout cas, pleurer pendant des jours et des jours n'améliorerait pas la situation. J'en étais certaine.

« Ca te dirait un petit tour par chez les jaguars un de ces jours? Pour relâcher la pression? » Ce que j'aimais chez elle, c'était qu'elle savait comment faire bouger les choses. Si elle avait passé son temps à me prendre en pitié ou à rester à l'intérieur avec moi, ça aurait été du gâchis, purement et simplement. Je pouvais comprendre l'idée derrière la décision de Charlotte mais là, rien n'avançait. Ca stagnait.

« Si tu m'prends par les sentiments. Comment dire non ? » Chez les Jaguars, il se passait toujours tellement de choses, ça bougeait, c'était plein de vie et on pouvait se saouler et se déchaîner. Que demander de plus ? J'avais souri à pleines dents, l'enthousiasme se lisait sur mes traits.

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L’ouvre pas trop non plus!, s’était-elle empressée d’ajouter. Il était question de sa propre sécurité. Tu risquerais d’en perdre la vue. Parce qu’évidemment, elle n’exagérait jamais, il y avait un réel risque de tomber sur une scène qu’on préférerait oublier. Mais une fois que le mal était fait, il était impossible de retourner en arrière et le sourire au coin de ses lèvres n’était qu’une indication de plus de son sérieux. L’alcool était encore loin d’avoir une quelconque emprise sur elle mais cela ne l’empêcha pas de soupirer de contentement. Parce qu’elle avait rencontré une personne avec qui elle s’entendait bien, que même si elle ne la connaissait pas depuis longtemps, elle pouvait déjà sentir qu’elle ne le regretterait pas.  Il était assez rare pour le noter, elle ne ressentait pas la petite gêne qui accompagnait généralement les nouvelles rencontres, le soucis de paraître ou de choisir les bons mots. Rien de l’irritation immédiate la première fois qu’elle avait croisé Eva, rien de la fausse impression que lui avait laissée sa soeur. Il était peut-être trop tôt pour le dire dans le dernier cas mais Sybil n’avait pas l’air d’avoir grand chose en commun avec elle. Et si son premier but était d’essayer de la réconforter, elle n’était pas contre l’idée de passer du bon temps en bonne compagnie. D’autant plus que la sous-infirmière n’avait rien des membres coincées de sa famille. Nikola était sûre qu’elle avait des aventures à partager. Raconte-moi le truc le plus fou qui te soit arrivé chez les jaguars. Elle était sérieuse dans son offre de visiter le quartier des jeux. Quand elle faisait une proposition pareille, ce n’était pas des paroles en l’air. Les anecdotes de Sybil seraient un bon indicatif de ce qui l’attendait quand elles iraient profiter de cette alliance avec les félins.

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« L’ouvre pas trop non plus! » J'attendais la suite qui était sur le bord de ses lèvres, c'était aussi visible que le nez au milieu de la figure. « Tu risquerais d’en perdre la vue. » J'avais explosé de rire car comme prévu, ça venait du fond du coeur et j'avais rapidement compris que Nikola avait une attitude qui ne plaisait pas, des phrases assassines mais c'était franchement drôle quand on le prenait du bon côté. Ou quand se tenait du fameux bon côté. Si on me demandait mon avis, il n'y avait pas de fumée sans feu, elle n'était pas aussi franche par hasard et même si ça ne me regardait pas, j'en étais persuadée au plus profond de mon être. Après tout, j'étais la preuve qu'on changeait radicalement en fonction du contexte. Je vivais ma plus belle vie depuis que je ne devais plus ressembler aux standards débiles des Aigles. Certaines Vipères me trouvaient futile mais elles ne comprendraient probablement jamais les raisons de ce comportement.

Nikola avait l'air plus à l'aise encore que lors de nos rencontres précédentes et c'était logique puisque nous n'étions plus entourées, plus en pleine lumière à l'infirmerie. « Raconte-moi le truc le plus fou qui te soit arrivé chez les jaguars. » Je fis mine de réfléchir, le poing sous le menton. Des anecdotes, j'en avais un bon nombre mais j'avais bien compris qu'elle en attendait une exceptionnelle et je n'avais aucun souci à vendre une histoire qui me mettrait dans une mauvaise posture aux yeux de certaines Membres ou Soumises trop précieuses, celles qui n'arrivaient pas à s'amuser. Sans parler de ces anciens Aigles.

« Après un combat où je me suis fait rétamer, un mec m'a proposé d'évacuer mon trop-plein d'énergie d'une façon différente. Jusque-là, rien de particulier, hein. Sauf que quand je me suis réveillée le lendemain, sa meuf, qui n'avait pas compris qu'il préférait les relations libres, nous a trouvés et m'a jetée à bout de botte. J'ai eu une trace pendant bien une semaine au-dessus de l'oeil. Charlotte se pose toujours des questions. » Même des saisons plus tard, je partais du principe que je n'avais aucun tort dans l'histoire. C'était leur communication qui était foireuse. Il ne me restait plus qu'à observer sa réaction, avec pas mal d'impatience.

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Voir Sybil éclater de rire fit naître un énorme sourire sur le visage de Nikola. Pas de doute, le courant passait bien et naturellement entre elles. L’ambiance était plus détendue et la vipère se sentait bien à sa place chez la sous-infirmière. En dépit des circonstances tragiques, les braises de la bonne humeur continuaient de brûler. C’était plutôt réconfortant. Encore une fois, Sybil lui prouvait que le lieu de naissance d’une personne ne la définissait pas. Elle connaissait des vipères bien plus coincées. Des vipères qui ne se gênaient jamais pour lui coller des étiquettes réductrices juste parce qu’elle osait être elle-même. C’est avec une attention redoublée qu’elle écouta l’anecdote de Sybil. Outch. D’abord une légère grimace amusée, parce que ce n’était jamais très agréable de perdre un combat. C’était déjà courageux pour elle d’avoir oser participer, même si elle avait les bases, sa formation était différente des membres spécialisées dans le combat. La suite de l’histoire la fit, à son tour, éclater de rire. Elle imaginait très bien la scène, ayant elle-même été victime de la jalousie mal placée de la part d’inconnues. Parfois, on lui prenait la tête pour une nuit au mieux passable. On venait lui ajouter un mal de crâne en plus de la déception. J’espère au moins que ça en valait la peine. Cette anecdote résonnait avec Nikola. Assez pour que la mention de Charlotte lui passe complètement par-dessus la tête. Encore une fois, elle se trouvait des points communs avec Sybil. Elle savait qu’avec elle, elle pouvait se plaindre à ce sujet sans qu’on lui fasse la morale. Faudrait vraiment apprendre à certaines à bien identifier le responsable. Pour Nikola, la solidarité féminine était importante. C’était sans doute dû à son éducation. Sa famille, même si elle tentait de s’en éloigner, mettait les femmes au centre de tout.   C’est pas comme si ce gars t’avait dit qu’il avait une autre meuf. Mais c’est plus facile de s’en prendre un inconnue qu’au vrai coupable! Même si elle se plaignait, Nikola gardait le sourire. Ce n’était pas cette petite histoire qui allait les décourager, elle en était sûre. On s’en trouvera des meilleurs, ajouta-t-elle, prenant une nouvelle gorgée d'alcool.

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« Outch. » Vu qu'elle réagissait rapidement, je supposais qu'elle disait ça à cause de la défaite mais honnêtement, ça ne me dérangeait pas. J'étais de ceux qui voyaient du positif dans les défaites, on en apprenait beaucoup plus de victoires trop faciles. Après tout, nous tombions tous quand nous étions des gamins et des gamines, ça reprenait cette logique quand nous nous entraînions les premières fois et c'était mieux comme ça. Ça nous apprenait que la vie n'était pas tendre et que nous devions nous relever pour survivre. Raison pour laquelle j'avais haussé les épaules, comme seule réaction.

« J’espère au moins que ça en valait la peine. » J'avais grimacé, les lèvres pincées, signe que ça n'en avait malheureusement pas valu la peine. Il n'était pas moche, il était plutôt bien battu même mais il n'était pas terrible au pieu et il était sacrément con aussi. Un bel abruti de première, un peu trop fier. J'espérais sincèrement qu'il se prendrait quelques claques dans la gueule, histoire de gagner en maturité. Son bordel avec cette fille ne me regardait pas mais mon dieu qu'il devrait évoluer humainement parlant.

« Faudrait vraiment apprendre à certaines à bien identifier le responsable. » J'avais acquiescé d'un mouvement de la tête. Nikola avait raison et c'était d'autant plus important pour une Vipère, cette solidarité féminine m'avait beaucoup parlé et ce n'était pas gagné d'avance, j'aurais pu ne jamais penser comme ça puisque j'étais née chez les Aigles. L'éducation des aigles ne m'avait jamais plu, je m'étais sentie brimée, cadenassée par cette philosophie. C'était pourtant une véritable révélation une fois accueillie par les Vipères. Par les seules qui valaient la peine. On se soutenait.

« C’est pas comme si ce gars t’avait dit qu’il avait une autre meuf. Mais c’est plus facile de s’en prendre un inconnue qu’au vrai coupable! » Il n'y avait pas photo, nous étions sur la même longueur d'onde. Je ne comprenais pas ce qu'on reprochait à Niko, c'était une fille pétillante, intelligente, lucide et épanouie. Elle ne cherchait pas à foutre des bâtons dans les roues des autres, ne s'arrêtait pas aux racontars mais ne jouait pas non plus les hypocrites. Un vrai bon élément.

« On s’en trouvera des meilleurs. » La meilleure. C'était bien ce que je disais. Elle voyait le verre à moitié rempli, préférait se dire que ça s'améliorerait. Me redonnait le sourire par la même occasion. Elle était magique. Incroyable.

« En attendant, on s'amuse. On expérimente. Pendant qu'elles s'énervent comme des coincées. » J'étais mauvaise langue mais de temps en temps, c'était libérateur. En plus, j'étais certaine qu'elle ne pourrait qu'être d'accord avec moi. Sans parler du fait que je ne jugeais pas toutes les filles de Paris.