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ANNÉE 41, SAISON INTERMÉDIAIRE, -

I have drunk the night

Elle se sentait vraiment stupide d’attendre là, seule, à la frontière entre le Nord et l’Ouest. Les tensions entre les clans ne prêtaient pas à ce genre d’escapade, elle prenait des risques idiots…surtout pour ce qu’elle venait faire. Elle avait passé plusieurs soirées au bar, sans succès, elle ne voyait plus que cette solution. Elle lui ferait payer d’une manière ou d’une autre. Elle ne l’avait plus vu depuis la tempête et ce n’était pas comme si elle avait le pouvoir d’envoyer une messagère juste pour prendre des nouvelles d’un abruti fini. Parce qu’elle n’était pas inquiète, pas du tout. Il n’était qu’un bon plan cul, elle pourrait en retrouver un autre. Et il était dragon de surcroît. S’il lui était arrivé quelque chose, cela ne ferait que ses affaires, l’affaire de son clan, un dragon de moins. Et puis, il était de bonne famille, il avait même le culot de s’en plaindre, s’il était resté chez lui, rien de grave n’aurait pu lui arriver. Il était un petit con, rien de grave n’arrivait aux petits cons. De toute façon, elle n’était pas ici pour lui. Est-ce qu’elle s’était déplacée jusqu’à leur point de rendez-vous habituel? Oui, mais il n’était pas question de l’attendre pour l’accompagner jusqu’au bar. Non.  Elle était ici parce qu’elle avait besoin d’un peu de temps ailleurs, loin de sa famille, loin de sa mère. De prendre l’air. S’il arrivait entre temps, ce ne serait qu’une coïncidence.

Faire les cent pas la détendait, la réchauffait dans la nuit tombante. Elle se maudissait de ne pas avoir pris une veste quand même se frictionner les bras ne lui apportait aucun réconfort. S’asseoir était une mauvaise idée, elle en était bien consciente mais elle s’adossa tout de même à ce mur, se laissant glisser et ramenant ses genoux contre sa poitrine. Elle aurait peut-être dû proposer une sortie à Sybil plutôt que d’être gelée et stupide. Le temps passait et elle commençait à ne plus sentir ses pieds à force de ne pas bouger. Il était sans doute temps de rentrer, quitte à se trouver quelqu’un chez qui passer la nuit pour éviter le retour chez elle. Elle pourrait toujours se vider l’esprit, la nuit était encore longue. Machinalement, ses pas l’avaient amenée près du bar à drogue. Près de l’entrée, elle devinait une silhouette familière et apparemment hésitante à entrer. Une hésitation qu’elle comprenait venant de ce crétin fini. Elle profita qu’il ne l’ait pas vue pour reprendre ses esprits. Parce qu’elle était en colère, évidemment et pas du tout soulagée de voir qu’il était en un seul morceau. T’attends quelqu’un?

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Je n'aurais sûrement pas dû aller jusque là-bas en pleine nuit, j'aurais dû dormir ou au moins essayé. Ces moments de répit étaient beaucoup trop précieux mais elle me hantait, me rendait complètement fou alors qu'elle n'était même pas dans les parages. Précisément parce qu'elle n'était pas là. Je n'avais pas besoin d'elle en soi, j'avais juste besoin d'évacuer la tension avec elle. C'était une grande nuance. Elle avait réussi à gagner une petite place mais ça ne signifiait pas grand-chose, je n'avais jamais été quelqu'un de sentimental. Elle était intéressante, pas ennuyante, même pour un plan cul. Je prenais de tels risques par pur égoïsme, parce que c'était simple avec elle et parce qu'elle ne disait pas non. J'en profiterais pour prendre de ses nouvelles depuis la tempête. Au passage. On ne s'inquiétait pas pour une Vipère. Je ne m'inquiétais pas pour une Vipère. Je ne ressentais pas le besoin de me rassurer. De toute façon, elle devait être soignée par ces mecs, Vipères et autres qui rappliqueraient au moindre appel. Je n'attendais rien de personne, sûrement pas d'elle. Elle était belle et différente mais je ne m'attachais pas. Jamais.

« T’attends quelqu’un? » Cette garce avait réussi à me saisir. J'avais grogné par réflexe, peut-être un peu trop avant de souffler plus ou moins rapidement et de me tourner pour de bon vers elle. Il fallait qu'elle arrive quand j'étais encore là, perdu devant l'entrée du bar à drogue comme déboussolé. J'avais haussé les épaules pour prétendre la nonchalance. Comme si elle allait gober ce mensonge. Il le valait mieux pour l'un et l'autre. Surtout pour moi. J'avais parcouru son corps du regard et au fur et à mesure, mes muscles abdominaux se détendaient. Elle ne souffrait pas d'une blessure dramatique à première vue. Elle avait l'air fatigué mais ne semblait pas souffrir de sa position, ni du temps qui s'était refroidi.

« T'as l'air d'aller bien. Au moins, j'en connais qui ont dû être soulagés. Si t'avais été amochée, ça aurait fait des malheureux. » J'avais dit cela dans un nouveau grognement. Parce que ça aurait été trop simple de simplement lui balancer la première constatation. Il n'aurait pas fallu qu'elle s'imagine des choses me concernant. Je m'étais inquiété mais parce que nos moments m'aidaient un peu. Trouver un autre plan cul aussi intéressant aurait été chiant. En plus, elle était une excuse idéale quand Martin n'avait pas besoin de mes services. Ma famille me saoulait encore plus ces derniers temps.

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C’était tout naturellement qu’un petit sourire satisfait avait pris place au coin de ses lèvres quand il n’avait pu cacher son sursaut. Il y avait certaines choses qui ne changeaient jamais, la bougonnerie de cet idiot en faisait partie. Elle avait encore du mal à l’admettre mais elle se sentait réconfortée par sa seule présence. Elle s’était trop attaché à cette simplicité entre eux. Even ne changeait pas, il était cette stabilité qu’elle peinait à trouver ailleurs et ce n’était pas faute de l’avoir cherchée. Il lui était difficile de mettre des mots sur cette chaleur naissante qui se répendait en elle quand elle l’entendrait souffler, toujours grincheux. Impossible de ne pas trouver quelque chose d’attachant dans ses gaminieries. Alors son sourire avait disparu avant qu’il ne puisse le voir, remplacé par un regard railleur.

Je constate que t’as été épargné par la tempête. Et moi qui espérais qu’une petite chute de débris te remettrait les idées en place. Ah mais quel dommage, une prochaine fois, peut-être. Le ton était enjoué et le sourire rayonnant. Comme toujours quand il revenait avec ses bêtises sur son nombre de conquêtes. C’était bien un point sur lequel elle ne bougerait pas, elle ne laisserait personne, et surtout pas un dragon!, lui faire ressentir de la honte pour des parties de jambes en l’air. Elle n’était pas naïve. Elle avait beau être son plan cul régulier, elle ne l’imaginait pas s’abstenir de passer ses nuits avec d’autres personnes. Elle ne comprenait donc pas son besoin de ramener ses autres coups d’un soir dans l’histoire. D’autant plus qu’il était peut-être là pour ça, justement, se trouver quelqu’un avec qui passer la nuit. Quelqu’un d’autre qu’elle, qui sait, comme il ne répondait toujours pas à sa question. Désolée si je dérange ta partie de chasse. J’vais pas te saouler plus longtemps. Si tu me cherches, tu sais où me trouver! , dit-elle en pointant le bar, s’éloignant à reculons. La petite marche avait aidé mais le froid s’était fait sentir. Une petite place au chaud, avec un bon verre la réchaufferaient plus que poireauter dans le froid avec lui. Elle espérait toujours qu’il la rejoigne, car en dépit de sa boutade, elle était frustrée de ne pas savoir s’il allait aussi bien qu’il en avait l’air. Il avait la fâcheuse habitude de très bien cacher ses blessures. Combien de fois avait-elle arrêté une partie de jambes en l’air à peine débutée pour jouer les infirmières. Extérieurement, rien ne clochait, ce n’était que lors que les vêtements tombaient qu’elle découvrait l’étendue des dégâts.

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Son attitude était à la fois tout ce qui me plaisait chez elle et tout ce que je détestais. C'était toujours désagréable d'être le sujet de railleries mais en même temps, si elle avait été trop facile, trop gentille, je ne l'aurais pas remarqué ou je l'aurais rapidement remplacée pour une autre. Je n'allais pas prétendre que certains jours, son attitude était plus supportable parce que c'était totalement faux. Elle m'énervait d'autant plus que je m'accrochais comme un pauvre misérable Libre s'accrocherait à des miettes trouvées dans un endroit sinistre. C'était complètement con mais je n'arrivais pas à me défaire d'elle.

« Je constate que t’as été épargné par la tempête. Et moi qui espérais qu’une petite chute de débris te remettrait les idées en place. Ah mais quel dommage, une prochaine fois, peut-être. » J'avais levé les yeux au ciel, me contenant du mieux que je le pouvais de serrer bêtement le poing. Les réflexes avaient la vie dure et je n'avais pas envie qu'elle me prenne en pitié à cause de conneries. Elle avait raison, j'avais été épargné parce que j'étais de la mauvaise graine et c'était tout ce qu'elle méritait de connaître à ce bordel.

« Désolée si je dérange ta partie de chasse. J’vais pas te saouler plus longtemps. Si tu me cherches, tu sais où me trouver! » J'avais parlé dans la barbe que je n'avais pas avant de serrer les mâchoires. Il lui en fallait si peu pour me mettre hors de moi, c'était limite vexant. Je ne laissais pourtant personne marcher dessus, m'écraser même de cette façon, c'était inimaginable mais elle, elle dansait. Cette limite, ça aurait dû être ma limite mais au lieu de ça, je la suivais du regard jusqu'à ce qu'elle ait rejoint la bâtisse.

Une fois tout seul dehors, j'avais pris quelques inspirations pour réfléchir. C'était complètement con parce que je n'arriverais pas à jouer les fiers longtemps quand elle était à l'intérieur, si proche de moi. J'étais entré à mon tour, m'étais posé à côté d'elle, à sa droite, sans un mot de plus. Jouer les mecs débiles et chiants, c'était plus facile que d'ouvrir sa bouche pour lui dire que je m'étais fait du souci pour elle. Moins dangereux aussi. Alors je pouvais bien resté là, planté, ça ne changerait rien. Avec un peu de chance, ça refroidirait certains abrutis.

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Nikola ne put retenir le ouf de soulagement de quitter ses lèvres quand elle avait passé les portes du bar. La chaleur de l’intérieur était bien plus agréable que l’air encore trop glacial qu’elle avait dû supporter dehors. Avec l’expertise d’une habituée, elle s’installa à sa place habituelle, ravie de découvrir qu’elle était encore libre. De là, elle avait une vue imprenable sur l’entrée, si cet idiot avait fait le choix de la suivre, elle en serait la première au courant. Elle pouvait se vanter de le connaître mais il restait un dragon et cela faisait bien longtemps que les dragons avaient démontré à cette ville qu’ils étaient plein de surprises. Il y aurait toujours les décombres de l’Est pour le leur rappeler. Mais Even, il n’en était pas encore là. Elle l’espérait.

Elle ne comptait pas les minutes, elle n’allait pas attendre pathétiquement qu’il vienne la rejoindre. Elle s’en fichait bien qu’il était mal vu de traîner à l’Ouest, ces temps-ci, quand on était un dragon. Mais il ne tarda pas à la rejoindre, sans un mot, terré dans sa mauvaise humeur et elle ne tarda pas à commander deux verres parce qu’elle était quand même bien moins chiante qu’il ne le répétait. Tu comptes tirer la gueule longtemps? À ce prix-là, j’fais la conversation au mur, ça me reviendra moins cher. Elle attendit que la serveuse du jour dépose les verres à leurs tables avant de reprendre. Ah, pardon, ça fait un petit moment que je t’ai plus vu dans le coin, j’avais oublié que tirer la gueule, c’était ta normale. Elle poussa l’un de verres vers lui avant de savourer une gorgée du second. Ca tombe bien que tu sois là. J’mourrais d’envie de savoir comment allait ton frère, toujours aussi parfait? Elle le fixait, coude sur la table, le visage dans la paume de sa main, battant des cils d’une fausse innocence. Ramener son frère dans la conversation avait toujours été le moyen le plus rapide pour le provoquer. Puisqu’il avait décidé de se murer dans le silence, elle n’avait pas d’autres moyens.

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J'étais resté passif le temps qu'elle commande les deux verres parce que rien ne m'avait poussé à réagir. Parler pour ne rien dire n'était pas une qualité chez les Dragons. Frapper n'était pas non plus une solution, selon celles et ceux qui étaient de bons éléments. Comme lui. « Tu comptes tirer la gueule longtemps? À ce prix-là, j’fais la conversation au mur, ça me reviendra moins cher. » Elle devait toujours visé dans le mille. Au fond, qu'elle ait du répondant c'était une qualité que je lui reconnaissais sans difficulté mais c'était toujours chiant quand elle retournait ça contre moi. J'étais un petit merdeux, je l'avais bien compris, ça ne servait à rien qu'elle me le rabâche à son tour. Ma cage thoracique s'était soulevée dans un soupir d'agacement, les mâchoires toujours serrées sous le coup de la colère.

« Ah, pardon, ça fait un petit moment que je t’ai plus vu dans le coin, j’avais oublié que tirer la gueule, c’était ta normale. » J'essayais en vain de feindre la nonchalance, balayant les environs du regard pendant quelques secondes pour ne pas lui renvoyer le mauvais signal. Le vrai signal en soi mais parfois mentir relevait de la survie. Surtout avec une Vipère dans son genre. Elle était trop rusée, trop intelligente, trop observatrice et surtout trop tentatrice. En somme, tout ce qu'elle me laissait comme impression était un ensemble de trop-plein mais je m'y accrochais comme ces idiots qui léchaient les bottes de mon frère. J'étais con. Accro et con. J'osais à peine la regarder de temps à autre avant de me relancer dans ces observations vraiment précieuses. Comme si je ne connaissais pas encore suffisamment les lieux.

« Ca tombe bien que tu sois là. J’mourrais d’envie de savoir comment allait ton frère, toujours aussi parfait? » En réaction, j'avais mordu ma lèvre inférieure, le poing droit serré sur ma cuisse droite et je fronçais les sourcils. J'entendais déjà les personnes si bienveillantes autour de moi me répéter dans ma tête que je devais apprendre à dominer mes émotions, à ne pas les laisser transparaître et à ne pas laisser une Vipère prendre le dessus aussi facilement et la tension grimpait alors dans la nuque et dans tout mon dos. Conneries.

J'avais pris une gorgée avant de me laisser retomber mon verre dans un fracas contre la table. « C'est bon ? T'as fini tes conneries ? C'est à prendre ou à laisser, j'changerai pas pour une Vipère. » C'était tellement plus facile de lui cracher ce qui n'était même pas un semblant de haine parce que c'était dénué de force et de violence, c'était une réponse basique, une réponse ordinaire quand on me poussait un tout petit peu. Je regardais par-dessus son épaule pour garder un semblant de contact mais je refusais de lui donner complètement raison et de faciliter ces retrouvailles.

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Chacune de ses répliques avaient l’air de faire mouche. Plus elle ouvrait la bouche, plus Even se tendait. Il n’y avait rien d’inhabituel dans tout ça. Leur histoire commune avait commencé de la même façon. L’un tapait sur les nerfs de l’autre jusqu’à l’explosion. L’exploit, c’était qu’il n’ait pas déjà craqué. Peut-être qu’être en public le poussait à plus de retenue. Ou que la tempête lui avait réellement appris à prendre sur lui. Nikola voyait bien qu’il essayait par tous les moyens de garder son calme et d’éviter son regard. Un petit jeu qui commençait à l’inquiéter autant qu’à l’énerver. Que pouvait-elle faire pour l’aider s’il persistait à tout garder pour lui. Son frère était un sujet sensible, elle le savait, c’était bien pour cette raison qu’elle l’avait provoqué. Elle baissa les yeux sur son poing qui s’était serré puis vers sa lèvre qu’il mordillait. Nikola s’attendait à une réaction de sa part, elle l’avait connu plus loquace. Et moins stupide aussi. Il avait craqué finalement, à deux doigts de se donner en spectacle. Le fracas causé par la chute de son verre attirant les regards vers eux. Elle espérait que le brouhaha ambiant était suffisant pour noyer ses paroles. Qu’aucune vipère n’ait pu l’entendre. Même si elle avait l’habitude de ses petites piques, qu’elle avait entendu bien pire venant de lui, elle savait qu’avec les tensions actuelles, un rien suffisait pour mettre le feu au poudre. Et comble de l’audace, il continuait d’éviter son regard.

Cette fois, elle était décidée à ne plus lui laisser le choix. Elle se redressa, faux sourire aux lèvres, histoire de laisser penser qu’il ne s’agissait que d’une querelle d’amoureux et pas le stéréotype du dragon qui se pensait supérieur. Les murs avaient des oreilles. Si elle se fichait bien de passer pour la traînée qui couchait avec des dragons, Nikola savait aussi qu’elle ne pourrait rien pour lui si une vipère au sang chaud jetait son dévolu sur lui. Elle lui attrapa le visage presque tendrement…en apparence, il cherchait à l’éviter, elle comptait bien le forcer à parler. Et si elle souriait toujours aussi faussement, son regard, lui, lui hurlait d’arrêter ses conneries. Je sais pas, Eva, à toi de me le dire. Fini de te comporter comme un gamin ? Le ton était faussement mielleux, presque murmuré et elle avait conclu par un rapide baiser au coin de ses lèvres avant de relâcher son visage. Rapidement, elle s’assura que les regards alentours n’étaient plus posés sur eux. Quand elle en eut l’impression, elle reprit une gorgée de son verre. Qu’est-ce qui te prend, bordel? Quelque chose s’est passé entre aujourd’hui et la dernière fois qu’on s’est vu ? La question était légitime. Even était loin d’être le plus bavard de ses plans culs, elle devait parfois pousser pour lui tirer les vers du nez mais il finissait toujours par céder…en théorie. Elle l’avait récupéré dans de pires états que ça mais jusqu’ici, elle avait toujours eu une idée du pourquoi. La tempête avait frappé. Peut-être que sa famille avait été touchée, qu’il se sentait mal pour cette raison…car même s’il s’en plaignait, elle savait qu’au fond, il les aimait beaucoup trop et que les voir souffrir lui ferait du mal. Je suis pas médium, Eva. Je ne peux pas encore lire dans tes pensées. Alors parle-moi. Utilise tes mots. À part si  je t’ai vraiment court-circuité dans ta partie de chasse, auquel cas, je m’effacerai. Mais si tu ne me dis rien, je ne peux pas le deviner. Pour le coup, elle était on-ne-peut-plus sincère.

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Même si je ne la regardais pas à ce moment précis, ça crevait les yeux ou en tout cas, je sentais dans tout mon corps que j'avais merdé et qu'elle était tendue à cause de mes mots. Depuis un moment, je jouais dangereusement avec les limites, les poussant encore et encore, par plein d'aspects de ma vie et pourtant, c'était complètement con. Je n'étais pas aussi serein et confiant que je cherchais à le faire croire par cette attitude d'évitement, le regard toujours bien ancré au-dessus de son épaule droite. Elle avait le droit d'être en colère mais être cohérent avec ce qui me passait par la tête, c'était compliqué, surtout quand des personnes du clan me poussait vers ces fameuses frontières relationnelles parce qu'ils se moquaient bien de mon sort.

Elle avait décidé de prendre mon visage, je l'avais bien vue s'approcher et je fronçais davantage les sourcils mais je ne reculais pas pour autant. J'étais comme figé. Ce n'était pas que j'avais quelque chose contre le fait qu'elle se montre entreprenante mais j'aimais avoir le sentiment de maîtriser mon environnement. Je ne détestais pas mais ce n'était pas moi qui choisissais. Complètement con. Encore une fois. « Je sais pas, Eva, à toi de me le dire. Fini de te comporter comme un gamin ? » Le problème venait de là aussi. C'était faux. Sauf que Nikola n'agissait pas pour m'embarrasser ou m'emmerder mais pour me sauver les miches. Mon poing s'était desserré, une première partie de la muraille se cassait un peu et mes sourcils n'étaient plus durement froncés. J'avais même dégluti, me sentant drôlement ridicule et pathétique. Le baiser n'avait pas été déplaisant, même si c'était une mise en scène.

« Qu’est-ce qui te prend, bordel? Quelque chose s’est passé entre aujourd’hui et la dernière fois qu’on s’est vu ? » J'avais claqué de la langue contre le palais, emmerdé par la tournure que prenaient les événements. J'avais bien conscience qu'elle venait de me sauver la mise et qu'elle aurait pu me laisser me justifier auprès des Vipères insultées ou me jeter en pâture mais j'étais incapable de mettre de l'ordre dans mes idées. Etre aidé par une fille, je m'en moquais bien. C'était être aidé, soutenu qui posait problème. Ou un truc du genre.

« Je suis pas médium, Eva. Je ne peux pas encore lire dans tes pensées. Alors parle-moi. Utilise tes mots. À part si  je t’ai vraiment court-circuité dans ta partie de chasse, auquel cas, je m’effacerai. Mais si tu ne me dis rien, je ne peux pas le deviner. » Au fond, une part de moi se disait qu'elle n'était que ce plan cul, que ça ne changerait rien qu'elle en apprenne un peu plus sur ce bordel parce qu'elle n'était pas grand-chose pour moi et que je n'étais pas grand-chose pour elle non plus. Elle avait ses ambitions dans la vie. Moi, les miennes. Alors pourquoi j'avais un nœud dans la gorge et du mal à parler plus que d'habitude ?

« C'est le bordel. » J'avais serré mes doigts tout autour du verre pour sentir quelque chose de froid et recentrer mon attention sur un point concret. « C'est le bordel chez les Dragons. Dans ma tête. Je vais pas dire qu'on m'a forcé à prendre des décisions mais j'ai l'impression que dans tous les cas, ça ne me convient pas. Que je suis pas plus libre. Qu'on m'utilise encore. Que je suis encore plus con que prévu. J'ai envie de taper quelqu'un ou quelque chose. J'ai envie de me sentir maître de cette putain de situation. J'ai envie de savoir que ça ne va pas avoir de sales conséquences sur eux... » J'avais à peine osé un regard dans sa direction, cherchant une marque, un signe de moquerie. Quelque chose en elle. Les mâchoires serrées plus que jamais. Je grinçais même des dents. « Je suis pas à l'aise, ok ? »

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Elle s’était toujours permis de se moquer de lui quand il venait se plaindre. Pas du genre à mâcher ses mots, elle n’avait jamais hésité à le traiter de con quand la situation le demandait, quand clairement, il avait besoin qu’on lui ouvre les yeux un bon coup sur ses privilèges de petits dragons des beaux quartiers. Elle se le permettait parce qu’il lui était trop facile d’échanger les rôles, elle se moquait parce qu’elle le comprenait. Voilà pourquoi elle avait tout de suite saisi que, cette fois, c’était différent. Ce n’était pas juste des complaintes de gamin. C’était sérieux et grave au point de vraiment le chambouler. Nikola essaya de l’écouter sans l’interrompre, évitant de risquer qu’il se braque et se renferme à nouveau mais craignant qu’il ne lui avoue avoir franchi la ligne et s’être mis les mauvaises personnes à dos. Encore une fois, elle comprenait sans comprendre. Elle ne connaissait pas vraiment la politique dragonne, ni ne s’y intéressait assez pour saisir les subtilités de ce qu’il lui disait. Un manque d’intérêt qu’elle venait à regretter… Mais le sentiment d’être utilisée, elle l’avait connu, le ressentait encore même si les circonstances étaient différentes. Tout le reste était flou, trop confus. Il parlait de ne pas avoir été forcé mais la façon dont il s’exprimait laissait penser le contraire. De quelles décisions parlait-il ? Qui l’utilisait ? Et pourquoi ? Il était frustré, accablé par tout ce qui se tramait de l’autre côté de la frontière. Elle ne pouvait pas le voir dans un tel état. Hey, t’y es pas pour le moment, respire. T’es en sécurité ici. Ou presque. Il restait un dragon sur le territoire de l’Ouest et il ne pourrait pas y rester éternellement. Elle lui avait attrapé la main, entrelaçant leurs doigts. Il était en sécurité, oui, mais il avait émis la crainte que ses actions ne retombent sur eux, sa famille. Il était inquiet et contre ça, Nikola ne pouvait rien faire si ce n’est essayer de comprendre. Qui essaye de t’utiliser ? Et pourquoi ? Et de quel droit ? Elle était la seule à pouvoir s’octroyer ce privilège. Je sais que je te le dis trop souvent, que t’as sûrement fini par le croire mais t’es pas un con, Eva.  Il se comportait parfois comme un con, nuance, mais il était loin d’être un crétin fini. Alors évite de taper dans quoique ce soit, ça résoudra rien et ça t’aidera pas non plus, ajouta-t-elle en le tirant pour l’amener plus près d’elle. Elle ne pouvait pas non plus l’insulter en essayant de lui faire croire que ses actions n’auraient pas de conséquences car c’était bien une réalité. Il y avait toujours des retombées aux décisions que l’on prenait, qu’elles soient positives ou négatives. T’as essayé de leur en parler ? Elle savait qu’elle prenait un risque en lui posant la question. Il pouvait mal le prendre, penser qu’elle l’infantilisait, elle aussi. À sa façon, elle essayait seulement de l’aider, de le sortir de cette cage qui lui donnait l’impression d’être seul et de ne pouvoir compter que sur lui-même.

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« Hey, t’y es pas pour le moment, respire. T’es en sécurité ici. » Le silence n'avait été que de courte durée et si je ne supportais pas qu'on me donne l'impression de me rassurer ou d'avoir toujours réponse à toute situation, bordélique à cause de moi ou à cause d'un tas d'éléments, cette fois c'était différent. Nikola ne s'en rendait peut-être pas compte mais elle était une valeur sûre, une constante dans ma vie chaotique et parce que je savais qu'elle ne mâchait pas ses mots, qu'elle n'hésitait pas à me rentrer dedans, cette vérité était réconfortante. J'avais bien voulu essayer de lui répondre quelque chose mais, la bouche ouverte, aucun mot ne sortait. Je me sentais encore plus con. Je m'étais rabattu sur les gestes en resserrant mes doigts et elle devait probablement sentir ma nervosité à travers la force que je mettais dans cet acte banal.

« Qui essaye de t’utiliser ? Et pourquoi ? » Mon regard bougeait sans cesse, passant de gauche à droite, un peu dépassé par les événements. J'avais bien conscience d'avoir amorcé la discussion, d'avoir mis les pieds dans le plat et de m'être foutu dans ce merdier tout seul, comme trop souvent, mais c'était délicat. Délicat pour moi. Délicat pour Nikola aussi. L'ego dragon parlait sûrement en partie mais nous avions prouvé que nous n'étions pas à un détail près quand il s'agissait d'emmerder ouvertement les autres clans. Sinon pourquoi il y aurait ces foutus brassards ?

« Je sais que je te le dis trop souvent, que t’as sûrement fini par le croire mais t’es pas un con, Eva. » J'avais haussé les épaules pour toute réponse à une révélation beaucoup trop gentille à mon goût. Je n'étais pas un si bon élément sinon on parlerait de moi comme on parlait de mon frère. Avec des éloges. On ne me reprendrait pas à chaque fois que j'effectuais un tout petit truc, même du quotidien. Je ne cherchais pas des noises au premier qui prétendait me connaître, sous prétexte que ce blaireau connaissait ma famille. J'étais con parce que ça me permettait de vivre selon d'autres principes que les siens et c'était très bien comme ça.

« Alors évite de taper dans quoique ce soit, ça résoudra rien et ça t’aidera pas non plus. » Ce qu'elle me demandait semblait facile en apparence mais pour un mec qui cherchait les conflits à tort et à travers, ça n'avait pas beaucoup de sens. Je manquais de jugeote. On me l'avait souvent répété. J'étais trop impulsif. Trop sanguin. Trop. Je voyais bien, en croisant son regard, qu'elle était sincère et qu'elle désirait vraiment que je pense aux conséquences de mes actes mais je ne comprenais pas d'où ça venait. Elle pouvait lire la surprise dans mes yeux. L'incompréhension aussi. Ca n'avait pas de sens qu'elle s'investisse à ce point pour un crétin qui lui reprochait d'avoir des plans culs quand il en avait aussi. J'avais mis un petit temps pour réaliser que la distance entre nous avait diminué et me tendre un peu sous l'effet. Nous avions été beaucoup plus proches dans d'autres circonstances et là, je sentais que mon corps s'affolait. C'était un ensemble de causes mais c'était surtout ridicule.

« T’as essayé de leur en parler ? » La question n'avait pas énormément de sens. On ne parlait pas chez les Dragons. On acceptait la hiérarchie, on tentait de grimper pour vivre au lieu de survivre. On obéissait à la famille ou au clan ou aux deux quand ça s'accordait mais on ne nous demandait pas vraiment de penser par nous-mêmes. On écoutait celui ou celle qui criait le plus fort et qui dissuadait le plus. Celui qui avait le pouvoir. J'avais à nouveau haussé les épaules pour balancer cette idée très loin.

« Tu peux pas leur parler. Tu risques gros. » C'était toujours bizarre de devoir expliquer ça parce qu'on nous apprenait ces règles depuis qu'on était des gamins. C'était naturel chez nous. Parler à d'autres aspirants s'avérait dangereux aussi, en fonction du type d'aspirant qu'on avait en face de soi. « Tu dois obéir. Juste obéir. » Tout ce que je reprochais si facilement à des tas d'autres Dragons et que je reproduisais à la moindre contrariété pour aller contre les idées de ma fratrie. Surtout les siennes.

« Mais tu devrais même pas t'en soucier. T'as tes embrouilles et je suis de ces cons mais j'ai pas de pouvoir, alors tu pourrais t'en prendre plein la gueule à fouiller. » M'inquiéter pour quelqu'un de cette façon, c'était nouveau et ça n'avait toujours aucun sens à mes yeux. Je tenais à elle, je ne pouvais pas le nier mais je ne m'attardais jamais réellement, je ne voyais que mes problèmes existentiels. C'était compliqué de s'attacher chez les Dragons, ça n'avait pas beaucoup de sens de s'en faire pour quelqu'un au-delà de la muraille.

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I have drunk the night

Par ses expressions, il était facile de deviner que Even ne comprenait pas l’attitude de la vipère. Après tout, elle avait tissé sa réputation avec soin, de part un comportement distant. Physiquement disponible mais émotionnellement cadenassée. De cette façon, elle ne laissait aucun doute à ses partenaires sur la finalité de leurs affaires. On parlait de passer de bons moments, pas de se lier autrement que charnellement. C’était sa façon de s’épargner les amoureux transis mais aussi de se protéger elle-même. Elle s’était trop souvent brûlé les ailes et elle ne se laisserait plus surprendre par la profondeur de ses sentiments. Cela ne l’empêchait pas de s’attacher à certains d’entre eux, de s’attacher à lui, de s’inquiéter pour lui, tant qu’il ne le savait pas, elle ne risquait rien.

Ce qu’il continuait de lui décrire lui faisait penser au règne d’Annabella. A cette période où il était mal vu de critiquer la moindre des décisions de la chef si l’on ne souhaitait pas y passer sous la lame d’Ysaline. Il fallait obéir et accepter, même quand la mise en binômes de certaines n’avait aucune logique, même si les retombées seraient mauvaises pour le clan. Une période noire qu’elle avait craint de subir longtemps, ne pouvant parier sur la longueur de vie de l’ancienne chef. Mais aujourd’hui, avec le recul, elle voyait la différence avec les dragons. Maintenant que les langues s’étaient déliées, elle voyait bien qu’une majorité de vipères auraient fini par tourner le dos à cette cruche. Elles avaient subi Annabella car chacune s’était cru isolée, seule à penser que les vipères méritaient mieux. Peut-être qu’au fond, il y avait encore un petit espoir pour les dragons…Te mets pas en colère, d’accord? Mais qu’est-ce qu’ils en pensent, ta famille ? Ton frère ? Il se plaignait de la façon dont il était traité, souvent il lui avait dit qu’il détestait que l’on le compare à son frère bien trop parfait…mais si ce dernier était si parfait, il pouvait conseiller son frère. Il fallait simplement qu’Even soit ouvert à ce qu’il lui dirait.

Et comme elle le connaissait, elle ne s’était pas préparée à ce qu’il s’inquiète aussi ouvertement pour elle. Il était plus du genre à tout garder pour lui, elle ne se souvenait pas qu’il se soit jamais inquiété de la sorte. Elle savait comment réagir quand il lui lançait des piques, cette fois, c’était différent. Mais il n’avait rien à craindre pour elle. Elle doutait fortement qu’ils jugent son existence assez importante pour courir le risque de passer la frontière et de toute façon, elle savait se défendre. Pas d’embrouilles à l’horizon. Elle s’était pris la tête, s’était donné en spectacle toute seule face à Charlotte, elle en gardait encore l’amertume sur le bout de la langue mais au-delà de ça, il n’y avait que les ennuis du quotidien, rien d’aussi lourd que le poids qui courbait les épaules du dragon. Et c’est pas un dragon qui m’fait peur, tu me connais. Concentre-toi sur toi. Et parle à ton frère, mais ça, elle le garda pour elle.

even & nikola

ANNÉE 41, SAISON INTERMÉDIAIRE, -

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« Te mets pas en colère, d’accord? Mais qu’est-ce qu’ils en pensent, ta famille ? Ton frère ? » Je l'avais vu venir à des kilomètres à la ronde, sa question qui en soi n'était pas dénuée de sens. Nikola mettait volontairement les pieds dans le plat, en connaissance de cause. Je ne connaissais pas tout de sa vie mais elle n'entretenait pas une meilleure relation familiale que moi avec ce qui me servait d'aînés. Une part de moi savait que si elle mettait le doigt dessus ce n'était pas juste pour m'emmerder mais c'était compliqué depuis que je m'en souvenais. En grande partie à cause de moi et de mon foutu caractère, je ne me leurrais pas mais c'était encore plus difficile de débarquer la queue entre les jambes pour justifier l'ultime bordel dans lequel je m'étais fourré comme un grand garçon. J'avais soupiré, un peu perdu. Même quand une décision était sage et venait d'une fille qui ne s'épanchait jamais, je parvenais à jouer les indécis.

« Pas d’embrouilles à l’horizon. » J'avais ri nerveusement parce que la phrase était comme un défi balancé à la ville toute entière ou à son existence, un truc de ce genre. On ne balançait jamais ça légèrement à Paris, il y avait toujours un tas d'embrouilles à l'horizon, contrairement à ce qu'elle prétendait. Je supposais que c'était sa façon de détendre l'atmosphère ou de jouer les dures. Oh, je ne doutais pas de ses capacités juste parce que c'était une fille, on recevait des branlées de tout le monde mais jouer avec le feu, ça ressemblait plus aux Dragons. « Et c’est pas un dragon qui m’fait peur, tu me connais. Concentre-toi sur toi. » Un nouveau rire. Un peu plus amusé cette fois. J'affichais même un sourire malicieux. C'était plaisant de l'imaginer foutre une dérouillée à l'un des miens, je n'étais pas celui qu'elle visait, je pouvais bien m'amuser un peu du mauvais sort de celui qui viendrait lui chercher des noises.

« Je les vois venir si je me ramène avec tout ça. On me fera comprendre que j'ai merdé et on me sauvera héroïquement du bordel dans lequel je me suis fourré. » Rien que le dire me rendait amer. Etre l'enfant imparfait d'une famille si parfaite, passer après lui, ça n'avait rien de plaisant. Quoi que je fasse, ce n'était jamais à sa hauteur. Je ne brillais pas, je creusais toujours plus le fossé qui nous séparait, tout au plus.

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Elle comprenait bien à son rire qu’il ne la croyait pas vraiment. Mais elle était sérieuse. Bien sûr qu’elle ne pouvait pas prévoir le futur mais la tempête lui avait déjà causé assez de problèmes et elle lui dévoila le restant de sa blessure comme pour lui montrer qu’elle avait déjà subi sa part de problèmes. Indestructible. Rien ne garantissait qu’autre chose ne lui tomberait pas sur la tête mais cela faisait bien longtemps que Nikola avait arrêté de se prendre la tête pour des événements sur lesquels elle n’avait de toute façon aucun contrôle. Aucun doute qu’Even bénéficierait de cette légère part de je-m’en-foutisme. Heureusement, il ne resta pas sur cet état d’esprit défaitiste ou presque. Il partait encore du principe que sa famille lui ferait comprendre qu’il n’était qu’un gamin. A la différence que, cette fois, il ne s’était pas énervé. Cela prouvait bien le sérieux de la situation. D’ordinaire, elle aurait volontiers rajouté une couche à ses complaintes. Elle avait l’habitude de l’entendre geindre ici et là que sa famille ne le voyait que comme le petit dernier, incapable de prendre son envol. Et elle lui rappelait souvent que son comportement ne l’aidait pas à projeter une autre image…avec des mots plus crus. Parce qu’elle, elle voyait son potentiel, elle se permettait de lui balancer des vacheries pour qu’il arrête de se regarder le nombril. Elle comprenait sa frustration, évidemment, n’être considérée que pour ses défauts, pour sa place au sein de la famille. Même s’ils le faisaient de façon bien plus bienveillante que la sienne, c’était normal de vouloir se défaire de l’image dont il étaient affublés bien malgré eux. Une nouvelle fois, elle n’allait pas le ménager. Car elle savait qu’il tenait à eux, qu’il les aimait malgré tout et qu’il s’en voudrait toute sa vie si quelque chose leur arrivait parce qu’il avait pris les mauvaises décisions. Tu peux vraiment te comporter comme un vrai débile parfois. Elle ne lâchait pas sa main pour qu’il comprenne qu’elle restait de son côté même si, à l’instant, elle n’en avait pas l’air. Je sais que tu les aimes, ta famille poule. Même si tu t’en plains tous les jours. Ça se voit comme le nez au milieu de la figure. On ne perdait pas son temps à vouloir impressionner quelqu’un que l’on n’aimait pas. C’était bien ça qui était douloureux. Elle aussi, elle avait longtemps essayé de mériter l’amour de sa mère en se montrant à la hauteur…et elle voyait le résultat. Pour Even, c’était différent. Après tout ce qu’il lui avait raconté sur eux, elle était certaine que son frère, sa soeur, ses parents, tenaient à lui. Ils ne le montraient pas de la meilleure des façons mais Even était plus qu’un pion à aiguiser pour eux. Qu’est-ce que tu préfères ? Qu’ils t’aident à sortir de cette merde ou qu’ils restent dans l’inconnu jusqu’au moment où ça dérape? Qu’il leur arrive un truc ou pire, qu’il t’arrive un truc à toi! Finalement, peut-être qu’elle se renseignerait auprès d’une espionne, histoire d’y voir un peu plus clair de comprendre comment il avait pu merder comme il cessait de le répéter. Et puis, je sais pas, t’es pas à l’abri d’une bonne surprise, Eva. Imagine qu’ils voient que, pour une fois, t’as fait le choix d’être mature et de partager tes problèmes ?

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C'était irritant quand elle agissait comme ça : minimiser les dégâts de la tempête et par la même occasion, minimiser l'avertissement, c'était juste complètement con comme comportement. Les Dragons n'étaient pas humains, ils se moquaient bien des autres, moi le premier. « Indestructible. » Je voyais bien qu'elle avait survécu à la tempête et que nous n'étions pas tous aussi chanceux face aux soulèvements de la nature mais elle jouait avec le feu, prenait tout à la légère et soutenir un Dragon, pourri jusqu'à la moelle, incapable de gérer ses émotions, ça ne pouvait que la tirer vers le bas. Finalement, ça aurait été beaucoup plus simple de se croiser au pieu, d'en profiter un coup et de me tirer avec mes emmerdes dans la tête, pour moi et moi uniquement. J'avais grommelé dans ma barbe inexistante, haussant les épaules au passage. En temps normal, je me souciais pas de la naïveté des autres. En temps normal sauf que là, j'étais beaucoup trop sentimental. Complètement con. Nous n'étions rien d'autre que des plans culs.

« Tu peux vraiment te comporter comme un vrai débile parfois. » Rien de nouveau. Elle n'était pas la première à me le balancer à la figure et elle n'avait sûrement pas tort mais ça ne rendait pas les propos plus sympathiques. Je devenais moins sensible à force de ramasser des coups, c'était la seule différence. Répondre à ça ne nous avancerait pas. En plus, elle donnait l'impression de ne pas vouloir me laisser en placer une.

« Je sais que tu les aimes, ta famille poule. Même si tu t’en plains tous les jours. Ça se voit comme le nez au milieu de la figure. » Par réflexe, j'avais tourné la tête sur le côté. La regarder après avoir entendu ces mots sortir de sa bouche, surtout parce qu'elle avait tiré dans le mille, n'était même pas une option. Si je sentais mes joues brûler, ce n'était que le contraste avec le froid ambiant. Rien de plus. Je n'étais pas sensible, je n'étais pas touché par quoi que ce soit, j'étais un homme. J'étais trop fort pour ça.

« Qu’est-ce que tu préfères ? Qu’ils t’aident à sortir de cette merde ou qu’ils restent dans l’inconnu jusqu’au moment où ça dérape? Qu’il leur arrive un truc ou pire, qu’il t’arrive un truc à toi! » Elle continuait de m'enfoncer en appuyant toujours plus sur la plaie. J'avais le sentiment que mes jambes allaient lâcher d'un instant à l'autre. Au fond, je cherchais depuis que j'étais gamin à être compris, à être vu pour ce que j'étais au plus profond de moi mais ce n'était pas aussi simple que je ne l'avais imaginé. Parce que c'était elle. Parce qu'elle arrivait des années plus tard et brisait sans difficultés les masques que je m'étais appliqué à façonner. Je ne détestais pas la situation mais ce n'était pas confortable, pas rassurant. J'avais lâché un soupir d'exaspération par réflexe, pour mettre un peu de distance entre nous, sans aucune conviction.

« Et puis, je sais pas, t’es pas à l’abri d’une bonne surprise, Eva. Imagine qu’ils voient que, pour une fois, t’as fait le choix d’être mature et de partager tes problèmes ? » Je n'osais pas la regarder. C'était encore trop dangereux. Mes bottes étaient moins impressionnantes, moins oppressantes aussi. Essentiellement parce qu'elles n'étaient pas bienveillantes dénuées de toutes bonnes intentions. Je m'étais habitué à mettre de la distance entre mes proches et moi, elle, elle cassait toute la logique. Pour m'aider ?

« Tu crois que je suis aussi simple que ça ? Tu te fais des idées. On pourrait presque croire que t'as trop traîné avec eux pour me trouver ces qualités. Je suis une bombe à retardement. Je suis un con qui se bagarre pour un rien. Je te le dis, tu perds ton temps et ce serait con que tu t'en prennes une. » Ca sortait trop vite mais sans aucune violence dans la voix, ce qui ne collait pas au fond.

« Tu fais ce que tu veux, t'es une grande fille mais ce serait sûrement la pire décision que tu pourrais prendre. Crois-en ma grande expertise. » J'avais cherché à simuler de la nonchalance, persuadé qu'elle comprendrait mieux la leçon de cette manière, alors qu'une part de moi était convaincue qu'elle était beaucoup trop bornée pour ça.