ft. Cam

année 41, saison intermédiaire, jour 75 (nuit)

all night long

La nuit était tombée depuis longtemps maintenant. Pourtant, Jackson ne parvenait pas à trouver le sommeil. Elle était pourtant fatiguée par la journée. L'équipe des tireurs, dont elle faisait à présent partie, avait été chargée de la sécurité du convoi visant à vider la part dragonne des entrepôts. Il n'y avait pas eu de remous mais l'état de vigilance constant nécessité par la tâche l'avait fatiguée. D'autant plus avec la pression qu'elle se mettait toute seule. Elle n'était pas idiote. Elle était numéro dix, la moindre petite erreur pouvait la faire tomber de haut. Surtout avec un lieutenant pareil, un lieutenant qu'elle n'avait pas impressionné le moins du monde, bien au contraire. Elle n'avait jamais connu Hunter autrement que comme la figure du membre parfait, un bon successeur à son père mais elle avait la certitude que Levi et Hunter n'étaient pas faits de la même étoffe. L'un n'avait pas la patience de l'autre. Et si elle se loupait, ce n'était pas que sur elle qu'elle jetterait le déshonneur. Se retrouver au niveau de chair à pâté pas même natif serait déjà assez humiliant, à choisir elle préférerait la mort mais devoir en plus lire la déception et la honte sur le visage de son père, ça, elle ne pourrait pas le supporter. Les idées noires se succédaient déjà bien trop dans sa tête. Elle venait à peine de rejoindre l'équipe. Était-elle si faible ? Comment est-ce qu'un rien pouvait la déstabiliser si facilement quand toute sa vie, elle avait été si sûre d'elle ? Et elle n'osait même pas en parler à son père, préférant ne pas imaginer sa réaction face à si peu de force mentale. Mais elle ne se voyait pas non plus garder tout ça pour elle. Alors sans réfléchir, comme si elle était en mode automatique, elle s'était préparée, enfilant des vêtements chauds. Le temps était plus clément mais en pleine nuit, elle risquait toujours de perdre ses doigts...et que valait un tireur sans outils ?

Une fois dehors, l'idée de marcher simplement lui sembla insupportable, peut-être qu'elle avait besoin de plus se fatiguer pour trouver le sommeil ? Ce n'était peut-être pas raisonnable mais elle n'avait pas non plus envie d'être très raisonnable cette nuit. Elle se mit donc à escalader les murs, sautant d'une prise à l'autre comme elle avait toujours eu l'habitude de le faire en dépit de l'animosité de son paternel pour cette pratique. Très vite, elle se trouva suspendue à la fenêtre d'une chambre qu'elle connaissait très bien. Les prises glissantes ne mentaient pas et elle toqua trois fois à la vitre de Cam, priant pour qu'il lui ouvre vite avant qu'elle ne tombe. Pourquoi fallait-il que les briques soient plus praticables à la fenêtre de ce petit crétin de Magnus ? Une autre raison pour le détester. Elle était arrivée discrètement, elle espérait ne pas réveiller sa mère, c'était bien pour ça aussi qu'elle ne s'était pas simplement contenter de l'entrée principale. Pas à cette heure. Maintenant qu'elle sentait sa prise lui échapper, elle regretta un peu sa décision. Peut-être qu'elle allait le réveiller d'un sommeil profond ? Elle avait toujours eu trop tendance à penser à elle quand il s'agissait de son confort. Cam, t'es réveillé ? Ouvre, je glisse et j'ai froid, chuchota-t-elle dans un effort vain d'être à la fois assez discrète pour ne réveiller personne d'autre et assez sonore pour que le principale intéressé l'entende. S'il ne répondait pas, elle ferait demi-tour, peut-être que ça valait mieux. 

Cam & Jackson

année 41, saison intermédiaire, jour 75 (nuit)

all night long

Que notre lieutenant n'ait pas changé m'avait laissé croire qu'il n'y aurait aucun changement chez les aspirants et ce n'était pas un mal. Je ne souhaitais pas aux autres de rester aspirants, loin de là, mais ça aurait un point rassurant, alors que des tensions très vives prenaient le dessus sur Paris, par notre faute. Le clan en avait décidé autrement. C'était logique, même légitime après les pertes dont nous avions souffert suite à l'attaque surprise que nous avions lancée. Parmi mon petit groupe, il y avait le départ de Shiloh - que je ne cernais toujours pas totalement après autant d'années - mais aussi et surtout celui de Jackson. Ça m'avait fait quelque chose. J'étais heureux et même fier d'elle. Plus que tout, j'espérais qu'elle atteigne ce but qu'elle s'était fixé. Je ne voulais que ça, que Max et Jackson - plus que n'importe qui d'autre - puissent s'épanouir à leur manière. Si l'une devenait spécialiste et n'allait plus partager nos entraînements, l'autre était restée patrouilleuse. Je n'étais pas désolé pour elle parce qu'elle ne l'était pas elle-même et parce que je savais qu'elle brillait à sa place. Il n'y avait donc aucune raison d'avoir pitié. La vie continuait son cours et nous n'étions pas mis de côté, à moins de le vouloir. Après tout, nous avions survécu à nos premières retrouvailles avec les autres patrouilleurs. Il fallait encore plus de courage pour se confronter aux autres clans, quand bien même ces représentants ont toujours été ouverts. Les spécialistes ne se mouillaient pas, ou beaucoup moins que Max, et son cœur d'artichaut, ou moi.

Une nouvelle patrouille durant la matinée et je me sentais à nouveau tendu. Plus que paniqué, je me sentais coupable, en quelque sorte. Je savais pertinemment que je n'avais pas eu d'autres choix et que c'était certainement la même chose pour notre chef, je ne me sentais pas en accord avec une telle attaque et encore moins avec les répercussions que ça avait sur nos vies. Samuel aurait certainement son lot de moments gênants, mais il n'avait pas franchement l'air d'en souffrir actuellement. Son discours, bien que réaliste, n'avait pas amélioré sa cote de popularité. J'étais certainement biaisé mais il n'avait, à mon sens, pas l'étoffe de Martin ou de notre mère. Peut-être allait-il faire un pas en avant pour le bien de son clan, après tout ce bordel. Ces pensées m'avaient occupé tout au long de l'après-midi, alors que je m'entraînais, cette fois, à l'intérieur, bien au chaud. Je n'avais pas Magnus dans les pattes, seulement les conseils avisés de ma mère.

La nuit était tombée mais malgré ça, je ne dormais pas profondément. J'avais les yeux fermés, je sentais que j'étais épuisé mais ce n'était que superficiel. Je n'étais malgré tout pas entièrement là, puisque j'avais entendu des coups à la fenêtre mais je n'avais pas réagi immédiatement. C'est en entendant sa voix que j'eus l'énergie nécessaire pour me lever de mon lit, lui ouvrir la fenêtre, lui tendre la main et lui laisser ce qu'il fallait d'espace avant de refermer la fenêtre derrière elle. « Installe-toi sur mon lit et débarrasse-toi de tes affaires. Si tu as toujours froid, n'hésite pas à prendre une couverture, je n'en ai pas besoin. » Ma mère m'avait toujours appris à bien accueillir nos invités et c'était d'autant plus naturel avec Jackson que je me sentais à l'aise avec elle. Elle faisait partie intégrante de la famille, au sens large. « Qu'est-ce qui ne va pas ? » J'attendais qu'elle s'installe pour me mettre à côté d'elle. Il fallait suivre son rythme, plus encore que d'habitude. J'étais rassuré qu'elle soit avec moi plutôt que toute seule, dans cet état. Plus que l'idée qu'elle me fasse confiance, j'étais plus serein qu'elle ne garde pas des choses pour elle.

ft. Cam

année 41, saison intermédiaire, jour 75 (nuit)

all night long

Parfois, dans les rares moments où le monde ne tournait pas autour de son nombril, Jackson avait des sursauts de reconnaissance. Dans ces moments, elle remerciait le ciel d'avoir mis une personne aussi altruiste que Cam sur son chemin. L'aspirant faisait partie de sa vie depuis si longtemps qu'elle en venait très - trop - souvent à oublier à quel point il était important dans sa vie. D'une manière totalement différente que celle de son père, Cam était un pilier auquel elle pouvait se raccrocher les yeux fermés. Elle n'y avait même pas pensé avant de le revoir, là, juste devant elle mais sa montée chez les spécialistes signifiait aussi qu'elle le verrait moins souvent et qu'elle n'aurait plus son soutien infaillible pour affronter les remontrances de Levi. Cette prise de conscience vint s'ajouter à la liste de ses idées noires et elle s'effondra sur le lit trop gentiment offert par son ami. Elle accueillit la chaleur de la couche d'un soupir soulagé et se drapa de la couverture sans se faire prier. Il était peut-être là le problème. Elle était peut-être trop couvée, elle aurait du être livrée à elle-même plus souvent. Peut-être que sans le soutien inconditionnel que lui avaient toujours offert ses proches, elle n'en serait pas là, elle serait une véritable dure. Le trouble ne l'empêcha pas de laisser lourdement tomber sa tête sur l'épaule de Cam ni d'enserrer son bras à la recherche de plus de chaleur, de plus de confort. Elle ferma les yeux sans rien dire, savourant l'instant de calme, essayant tout du moins. Elle aurait tout donné pour ne pas avoir à partir et à affronter une nouvelle journée d'entraînement chez les spécialistes. Pas après le fiasco du premier jour. A présent qu'elle était là, elle n'était même plus si sûre de vouloir en parler. La honte et la colère lui tenaillaient le ventre. Mais il s'agissait de Cam. Elle pouvait compter sur lui, il pouvait tout entendre, il ne se moquerait pas d'elle comme l'aurait sans doute fait son père. Non, non. Son père l'aurait gratifiée de pire qu'une simple moquerie. Mais la honte restait bien là. Cam ou pas Cam. Elle hésita à prendre la parole, contradictoire comme elle l'était. Tout ce chemin pour garder obstinément le silence et déranger son ami par la même occasion. Jackson soupira, hésita encore avant de l'ouvrir, elle qui était pourtant un véritable moulin à paroles une fois lancée. Rien de spécial. Des trucs de spécialistes, tu vois le genre. A contrecœur, elle avait forcé les mots hors de sa bouche, sans parvenir à se débarrasser du goût amer des non-dits. Mais tu me feras une place si mon père me chasse de chez nous, hein ? Derrière l'humour se cachait une véritable crainte. Si elle se révélait ne pas être à la hauteur, son père aurait peut-être trop honte d'elle pour l'accepter chez lui. Elle était prête à se faire petite pour ne pas prendre trop de place, prête à s'occuper du cas Magnus aussi s'il fallait en venir là. Je suis vraiment trop nulle, Cam. Ce n'était qu'un murmure mais elle commençait sincèrement à le penser. Pour douter après une journée, il fallait être vraiment faible. Peut-être qu'elle n'avait rien à faire là. Ni dans l'équipe, ni ici, chez son ami, à le déranger en pleine nuit.

Cam & Jackson

année 41, saison intermédiaire, jour 75 (nuit)

all night long

Je l'avais accueillie tout naturellement quand elle s'était accrochée à mon bras. Je la tenais fermement et doucement à la fois, qu'elle sache que je la soutenais même physiquement. Je ne comptais pas la laisser tomber. J'avais approché mon bras libre pour frotter toujours doucement son bras. Tout geste était important pour souligner que j'étais présent et que je le serai toujours pour elle. Elle représentait tant de choses pour moi. Ça me déchirait de la savoir dans un tel état. Elle n'avait rien de sa superbe habituelle, non, elle avait l'air fragile et petite. Pendant de longues minutes, elle n'avait pas prononcé un mot. Il arrivait souvent, d'ordinaire, que je ne puisse pas en placer une parce qu'elle était trop absorbée par son histoire, elle ne le faisait jamais exprès. Là, j'aurais eu tout le temps de raconter ma journée et la routine d'Aspirant patrouilleur mais c'était un silence qu'on ne cassait pas. Je sentais que je devais lui laisser le temps de mettre les choses dans l'ordre dans sa tête avant de ne prendre le risque de l'interrompre. En plus, aussi dérangeante soit la situation, je la respectais trop pour la forcer.

« Rien de spécial. Des trucs de spécialistes, tu vois le genre. » Il s'en passait des choses chez les Spécialistes, je le savais bien. Ce n'était pas compliqué de savoir qu'à part éventuellement dans l'équipe des Infirmiers et celles des Espions, ce n'était pas la joie de vivre. Trop de compétitions, trop de pression. J'avais pourtant toujours cru Jackson suffisamment forte pour ça. Je ne me mentais pas, nous avions tous nos points faibles et nos moments de doute mais entre elle et moi, c'était celle qui devait avoir le moins de difficultés. J'étais timide, là où elle était plus rentre-dedans et plus extravertie. C'était une preuve supplémentaire qu'on enviait toujours ce que l'autre avait. Une discussion calme entre frères ne nous ferait pas de mal, quand j'y pensais. Magnus me mettait certainement sur un piédestal, comme je le faisais avec Jack à l'instant. « Mais tu me feras une place si mon père me chasse de chez nous, hein ? » Cette question était touchante et inutile. Enfin, pas exactement. Elle avait peut-être ce besoin pressant d'être rassurée, d'avoir quelque chose de solide dans un moment aussi déstabilisant. « Je t'aiderai toujours, qu'importe ce que tu me demandes. C'est une promesse. » J'avais cherché son regard pour qu'elle n'en doute pas mais ce n'était pas forcément évident. Elle avait l'air ailleurs.

« Je suis vraiment trop nulle, Cam. » Je ne l'avais jamais entendu dire ça. C'était nouveau et même si ça ressemblait à une remise en question soudaine, je ne pouvais pas la laisser dire des bêtises. Cette fois, je m'étais tourné de sorte à attraper sa tête et à ce que nos regards se croisent pour de bon. « Tu es Jackson et Jackson n'est pas nulle. Ce sont deux mots différents. Ça ne rime même pas. » J'avais souris avant de poser un baiser sur son front. « Si tu en doutes, je dois te rappeler grâce à qui je parle à d'autres personnes ? Qui remet mon frère à sa place quand je n'y arrive pas ? Qui m'aide à dépasser ma timidité ? » Je lui offris un sourire doux, discret mais réchauffant. Je devais faire mon possible pour qu'elle sourit et rigole à nouveau.

ft. Cam

année 41, saison intermédiaire, jour 75 (nuit)

all night long

Elle n'en avait jamais douté mais en avoir la confirmation de la bouche de Cam leva tout de même un poids de ses épaules, un léger sourire étirant le coin de ses lèvres. Merci, murmura-t-elle. Cam ne faisait jamais de promesse à la légère, il était droit, loyal et juste, plus que ce qu'elle ne méritait sans doute mais elle était aussi bien trop égoïste que pour le laisser partir. Les gens pouvaient penser ce qu'ils voulaient, Cam était la colle extra-forte du trio qu'ils avaient formé avec Maxine. Il n'avait rien à voir avec elles, lui qui était si timide, elle se doutait qu'aux regards des autres, ils devaient offrir un spectacle intriguant. C'est qu'entre l'intrépide et la grande gueule de service, le simple fait d'exister devait être difficile mais Cam l'avait fait parce qu'il avait toujours été bien plus que la simple image trop facilement posée du garçon timide. Jackson avait toujours été prompte à s'approprier les succès des autres. Petits ou grands, si elle y avait joué une part, elle ne manquait pas de le rappeler à qui voulait l'entendre. Parfois, il lui arrivait de grossir le trait, il en fallait toujours plus pour entrer dans les critères de son père, après tout. C'était sans doute l'une de ses plus mauvaises habitudes, tout le contraire de Cam qui, lui, avait bien trop souvent l'art de minimiser ses propres efforts, toujours trop prêt à s'effacer pour laisser les autres briller. Tous les deux avaient encore du chemin à faire. Mais pour ce qui était de lui changer les idées et lui remonter le moral, Cam savait exactement comment s'y prendre. Quand il la força doucement à croiser son regard, elle n'essaya pas de le fuir, c'était inutile, quand il le voulait Cam pouvait se montrer convaincant. Et déjà, il parvenait à atténuer le souvenir du mépris apparent de son lieutenant. Elle dut même se retenir de pouffer face à son argument imbattable. La tâche de ne pas sourire ne devenait que plus difficile face aux mots dont il savait user. Soudainement prise d'un excès d'affection, elle enserra la taille de son ami, enfouissant son visage contre son torse. Que deviendrait-elle sans lui ? Elle préférait ne pas le savoir. Et cette fois, elle ne comptait pas accepter tout le crédit des efforts de son ami sans rien dire. Merci de penser ça mais tout le mérite te revient. Ce sont tes efforts qui payent ! Disons que tu avais juste besoin d'un coup de pouce. Cam ne ressemblait pas à Maxine. Du trio, c'était bien le plus introverti, il avait toujours été comme ça mais pour le connaître depuis toujours, elle savait le travail qu'il faisait sur lui pour s'ouvrir plus aux autres et elle ne pouvait en être que fière. Le chemin était encore très long et il ne serait probablement jamais un extraverti fini, grande gueule à n'en plus finir mais petit à petit, les choses changeraient, elle en était certaine. Quand elle se rendit compte qu'elle bafouillait et qu'il ne comprenait sans doute pas grand chose de ce qu'elle racontait, elle releva le visage et le fixa sérieusement à son tour. Et tu sais que je serai toujours là pour botter les fesses de Magnus. Toujours. Ça, je suis sûre d'en être capable ! Ce n'était pas comme faire face à Levi par exemple, on ne pouvait pas faire plus différent....à part peut-être les deux frères eux-mêmes. Il t'en fait pas trop baver ces derniers temps ? Magnus était une tête brûlée mais Jackson savait que Cam tenait à lui. Après tout, elle-même ne le détestait pas à proprement parlé, il pouvait simplement se montrer exécrable et Jackson avait toujours eu l'impression qu'il se montrait plus dur et plus injuste avec son frère aîné. Et personne n'avait le droit de traiter Cam de cette façon, pas tant qu'elle serait là. Se rendant compte que parler d'autre chose que de ses problèmes l'aidait à les oublier un peu, elle continua sur sa lancée. Comme quoi, elle y gagnait à se montrer moins égocentrique. Et ça va, toi ? Les patrouilles, je veux dire. Ça doit être gênant après l'attaque.

Cam & Jackson

année 41, saison intermédiaire, jour 75 (nuit)

all night long

« Merci. » Même si le mot avait été murmuré, j'avais pu remarquer le sourire et celui-ci fut communicatif. C'était une mince victoire mais une victoire malgré tout puisqu'elle n'était pas le genre de personnes à mentir pour faire plaisir. Ça ne faisait pas d'elle quelqu'un de capricieux ou d'égoïste, elle était juste entière et honnête quoi qu'il en coûte, tout en gardant à l'esprit de ne pas blesser ceux qui comptaient pour elle. Selon moi, c'était tout à son honneur que d'être sincère. Qu'elle me mente et me dise que tout se passait bien me rendrait beaucoup plus angoissé. Si elle n'avait pas été comme elle l'était, nous n'aurions pas pu traîner ensemble plus longtemps. Il me fallait quelqu'un de spontané et de rentre-dedans comme elle pour avancer dans la vie. J'en étais convaincu. Alors, oui, j'étais soulagé qu'il ne faille pas lui retirer les vers du nez pour qu'elle crache le morceau ou qu'elle se retape un peu, tout en ne suspectant pas à chaque fois une retenue quelconque et un brin stupide.

Elle n'avait pas fui mon regard. Une deuxième victoire. Quand je la sentis tout contre mon torse, j'eus un élan d'affection. Qu'elle empiète mon espace vital n'avait rien de dérangeant et ce depuis longtemps. C'était naturel. Elle faisait partie de ma famille, quoi que le sang puisse en dire. Elle était devenue un élément stable dans mon environnement alors que nous n'étions encore que des gamins. Tout aussi naturellement, je l'avais entourée de mes bras, comme si je voulais la protéger dans cette petite bulle qui était, l'espace d'un instant, la nôtre et la nôtre uniquement. « Merci de penser ça mais tout le mérite te revient. Ce sont tes efforts qui payent ! Disons que tu avais juste besoin d'un coup de pouce. » Je ne comprenais pas tous les mots qu'elle disait, il fallait que je fasse l'effort de tendre l'oreille pour comprendre mais l'idée était là. J'avais compris suffisamment de mots importants pour faire le lien avec son attitude générale. Elle devait globalement me rappeler que je devais me féliciter ou quelque chose dans le genre. L'avantage, c'est que je pouvais faire mine de ne pas avoir tout compris pour me défiler. J'avais beaucoup de mal quand on me complimentait, que ce soit justifié ou non. Ce n'était pas exactement un rejet mais j'avais simplement du mal à accepter des compliments.

« Et tu sais que je serai toujours là pour botter les fesses de Magnus. Toujours. Ça, je suis sûre d'en être capable ! » Il suffisait de croiser son regard pour comprendre que ce n'était pas une plaisanterie, pas tout à fait. Elle était toujours sérieuse quand il s'agissait de botter les fesses de Magnus mais, au fond, je savais qu'elle ne le détestait pas réellement. Elle réagissait par réflexe et dans le but de me protéger d'un frère trop turbulent et trop révolté contre le monde entier. « Ne le dis pas à Max mais je pense que tu n'as pas d'égal quand il s'agit de botter les fesses de Magnus. » L'essentiel était de la détendre au maximum alors s'il fallait jouer son jeu, je le ferais sans la moindre difficulté. « Il t'en fait pas trop baver ces derniers temps ? » Depuis que la saison polaire avait décidé de nous laisser un peu tranquille, Magnus avait plus d'occasions de sortir et donc plus d'occasions de voir d'autres têtes que les nôtres. C'était une délivrance pour lui, je le savais bien. Pour moi aussi, quelque part, même si je regrettais que notre lien s'effrite progressivement trop vite à mon goût. « Non mais il ne parle pas beaucoup non plus. » J'étais souvent nuancé quand il s'agissait de lui parce que, malgré tout ce qu'on pouvait lui reprocher, il restait mon cadet et j'étais attachée à ma famille.

« Et ça va, toi ? Les patrouilles, je veux dire. Ça doit être gênant après l'attaque. » Je haussai les épaules et dans un soupir, les fis retomber. C'était malheureusement très délicat et la première patrouille avait presque été un fiasco. Nous étions les ennemis à abattre, même pour les Vipères. Je ne comprenais pas d'où leur venait cette soudaine haine mais elle était viscérale de la part de Yulia. « C'est compliqué. Plus que d'habitude. Je n'ai jamais été très bavard mais ils avaient appris à m'apprivoiser. Là, certaines personnes, des Vipères précisément, ne se gênaient pas pour rappeler que nous étions de belles cibles et des monstres, au passage. A croire qu'elle nous en veut d'avoir suivi les ordres. » Alors que tout le monde le faisait. Cette fin de phrase était restée coincée dans ma gorge. Je n'étais pas ce genre de personnes. Je gardais pour moi plutôt que de prendre le risque de blesser quelqu'un, même si cette personne était absente.