Sidonie & Nadya

caring started it I can't stop it

Vu d'en haut, les hangars devaient tout avoir d'une fourmilière toujours en action où les travailleurs dansaient avec la force d'une habitude drillée en eux depuis les premiers jours de leur service militaire. De celles que l'on maintenait entre quatre murs de verre de façon à pouvoir observer et qui restaient soigneusement contenues, peut-être bercées par une impression de liberté d'action toute relative. Elle avait parfois songé à demander à Nadya ce qu'elle en pensait, si c'était ce qu'elle voyait alors que ses propulseurs la rapprochaient du sol, mais elle n'était jamais parvenue à s'y résoudre, comme si le sujet était toujours trop intime pour les moments qu'elles partageaient. Ou peut-être avait-elle conscience qu'elle n'était pas tout à fait prête à entendre sa réponse. L'avancement du conflit lui avait donné trop d'occasions de se questionner sur ses propres choix et les raisons qui l'avaient poussé à s'engager. Contrairement à ce que certains pilotes semblaient penser, elle avait la sensation d'en avoir déjà trop vu depuis son hangar et il lui semblait sentir une part d'elle se détacher lentement sans qu'elle ne parvienne à s'en saisir avant qu'il ne soit trop tard. Chaque combat rongeait la fragile accroche qui la maintenait en place et il ne faudrait sans doute plus grand chose pour que les dégâts soient irréparables. Elle n'avait aucune idée de ce qui viendrait après, à part sans doute une effrayante normalité. Une nouvelle journée appelait à toujours plus de réparations pour permettre à ces machines de continuer ce pour quoi elles avaient été créées. Elle avait beau ne pas presser la gâchette, le sang de l'ennemi était aussi sur ses mains et cette réalisation était le cœur de son trouble bien qu'elle n'en saisisse pas encore toutes les nuances. Voilà pourquoi cette image de fourmilière la hantait tant, parce que l'armée avait fait d'elle ce qu'elle était, l'avait façonnée pour ce poste qu'elle occupait, et elle n'avait guère d'autre option que d'être exactement ce pourquoi on l'avait habillée de ce bleu de travail aux couleurs d'une nation qui ne valait pas forcément mieux qu'une autre.

Le goulot d'une poche de nutriments liquides coincée entre les lèvres, elle redressa la tête et observa la silhouette titanesque du mecha contre la jambe duquel elle était appuyée. Malgré le chaos qu'il laissait dans son sillage, elle ne pouvait s'empêcher de ressentir une forme de fascination pour cette machine. Cela n'avait rien de nouveau, ni de réellement étonnant puisqu'elle avait bercé dans ce milieu depuis sa naissance, avait très vite désiré voir ce qui se cachait derrière les plaques de métal d'apparence si robustes, mais le sentiment n'avait jamais été si intense. L'attachement était par contre beaucoup plus récent et était dirigé vers ce Mobile Suit en particulier depuis qu'elle avait constaté à quel point il pouvait refléter celle qui s'installait dans son cockpit. Les traces laissées étaient une expression si pure des émotions de la pilote qu'elle se sentait parfois intrusive quand elle les remarquait. Certaines choses étaient soigneusement enfermées dans une boîte à l'intérieur d'elle, d'autres utilisées pour le bien de ce trio dans lequel elles s'étaient retrouvées avec le MS par la force des choses. Elle trouvait du confort quand elle se tenait contre lui, le métal froid dans son dos lui offrant une impression de solidité. Comme si elle s'était fait là une poche de calme où l'agitation des hangars l'atteignait moins et où elle pouvait se cacher à la vue de tous. L'impression était illusoire bien sûr, il n'était pas rare qu'elle se fasse rappeler à l'ordre par l'un de ses supérieurs, mais elle pouvait au moins y grapiller quelques minutes de cette paix troublée. Même au sein d'une colonie fourmilière il devait être possible de trouver un peu d'obscurité où se camoufler.

Un soupir passa soudain ses lèvres, délogeant au passage le snack dont elle s'était désintéressé. La nouvelle venue dans son espace était difficilement ratable quand elle avait tous les droits d'y être.

- T'as encore laissé ton flanc droit exposé.

L'exaspération dans sa voix l'affectait à peine en réalité, le commentaire avait presque tout d'une salutation, un échange familier qui s'était installé elle ne savait plus trop quand. Le nez toujours levé, elle plissa les yeux et scruta le début d'une entaille dans le métal qui attendait d'être ressoudée, preuve de cette vérité qui demeurait.

- A croire que tu prends plaisir à me donner du travail supplémentaire.