Les dragons, toujours les dragons. A croire que ce maudit clan allait la poursuivre jusqu'au restant de ses jours. Que Yulia soit aussi consciente de leurs faits et gestes était nouveau. Par le passé, elle ne s'était pas trop arrêté sur les idées reçues circulant à leur sujet. De vrais dragons, elle avait eu plus d'une occasion d'en croiser durant ses patrouilles. Il y avait aussi ses collègues du nord avec qui elle s'était toujours si bien entendue. Ce n'était plus si simple désormais. L'attaque chez les aigles avait fait trop de dégâts et, dans sa tête, ils avaient tous des allures d'ennemis potentiels. Sa vie privée n'avait pas rendue son point de vue plus sain. Et puis, il y avait son nouveau grade qui lui demandait d'être particulièrement soucieuse de son clan et de ses possessions. Ce que la présence des dragons menaçait aux entrepôts.

Yulia ne voyait aucun sens derrière leurs actions. Ils semblaient se retirer de la zone industrielle, emportant leurs marchandises avec eux. Qu'ils veuillent les protéger étaient une chose, mais elle ne comprenait pas ce qu'ils feraient ensuite. Ils auraient l'air bien idiot à user leurs réserves derrière leurs murailles sans avoir la possibilité de les renouveler. Si elle y pensait, ce n'était pas non plus son problème. Les dragons avaient prouvés être capables de prendre des décisions particulièrement idiotes par fierté.

En entendant une approche, Yulia se tendit. Elle porta la main à sa dague, son arc encore dans son dos. Dans cette situation, il ne lui était pas des plus utile. Il lui faudrait prendre de la distance pour l'utiliser correctement. Elle pivota légèrement pour prendre connaissance de celui qui la suivait, pas réellement inquiète. Il y avait trop de familiarité dans cette foulée. Après tant d'années passées côte à côte, même s'il avait changé, elle pouvait encore se douter de la présence de son cousin. Ce n'était pas une certitude, juste une petite impression qu'elle venait maintenant de vérifier. Plus ou moins rassurée, elle le laissa la rejoindre. L'envie de traîner avec lui n'était pas vraiment présente, mais elle avait toujours été trop nostalgique pour le repousser réellement. La fuite était aussi hors de question. Elle était seulement soulagée par la certitude que Thiago ne ferait pas preuve de pitié. Il était de loin le dernier de qui elle s'attendait à recevoir une approche sentimentale vis à vis de son frère.

Pour autant, il devait bien être là pour quelque chose.

— Qu'est-ce que tu veux ? se résolut-elle à dire. Je ne te pensais pas gardien.

Son cousin ne serait bien sûr pas le premier à s'exprimer, sûrement trop perdu dans sa tête. Elle détestait le connaître encore si bien, même aujourd'hui.

Une question pour répondre à une autre question. Yulia avait fait un effort conséquent pour faire un pas vers lui et elle le regrettait déjà. Thiago n'avait pas beaucoup changé depuis qu'ils s'étaient vu sur le territoire des jaguars. C'était à se demander s'il en serait un jour capable. Arriverait-il à grandir, finalement ? Le pire était que Yulia le lui souhaitait. Elle était persuadée qu'il serait plus heureux le jour où il cesserait d'agir comme il le faisait en ce moment même. Il était le roi dès qu'il s'agissait de se tirer une balle dans le pied avant de se plaindre d'avoir mal. Si par le passé, Yulia avait fait des efforts avec lui, elle n'en avait aujourd'hui plus l'énergie. Elle en avait assez d'avoir à assumer pour deux.

— Si c'était pour faire le con, t'étais pas obligé de venir me parler. souffla-t-elle avec agacement.

Yulia ne lui avait rien demandé. Thiago avait été celui qui l'avait approché sans exprimer quoi que ce soit. S'il voulait parler, qu'il le fasse. Mais si son seul but était de la tourmenter, il pouvait aller voir ailleurs. Elle n'avait pas de temps à perdre avec ses bêtises visant à la faire culpabiliser. Ils avaient bien assez à faire avec le présent sans ressortir encore et encore des querelles du passé.

Avec elle, Thiago n'avait jamais été silencieux. Pourtant, Yulia se trouva surprise par son besoin de parler pour ne rien dire et de provoquer. A croire qu'il tentait maladroitement de prolonger le moment malgré son envie claire d'en finir. Yulia ne voulait pas perdre son temps avec lui. Thiago, par ailleurs, pouvait avoir une autre idée en tête. Il était après tout devenu un spécialiste dans la tâche facile de la contrarier.

Sa langue claqua d'agacement et Yulia lui coula un regard mauvais. Elle se fichait bien de son opinion, au fond. Elle tentait de s'en convaincre.

— Ce que t'es chiant, aujourd'hui.

Pas qu'aujourd'hui, pensa-t-elle. Yulia ne pouvait pourtant pas nier qu'il s'en donnait à cœur joie.

— Je ne suis plus patrouilleuse. lâcha-t-elle finalement.

A satisfaire sa curiosité, elle s'en débarrasserait peut-être.

— Je suis devenue la nouvelle tireuse d'élite du clan. Si je suis là, c'est pour empêcher ces foutus dragons de déconner.

Voix crispée, visage dur. Son ressenti devenait évident.

— T'es content ?

Yulia ne s'attendait à rien de sa part, encore moins à ce qu'il la félicite pour sa promotion. Ce n'était pas le genre de Thiago d'avoir un mot gentil à son égard. Sa surprise n'en restait pas moins un peu vexante. Était-ce donc si étonnant que cela qu'elle puisse avoir obtenu un grade ? Elle avait toujours été fidèle à son clan, soucieuse de la hiérarchie, et elle n'avait jamais ménagé ses efforts. Dans la vie, rien n'était jamais gagné, mais elle ne s'était pas acharnée à se diminuer comme il le faisait si bien. Il n'était donc pas improbable qu'elle finisse par s'élever au sein de la société vipère. Pour le savoir, il aurait fallu que Thiago s'intéresse à son quotidien.

Elle n'avait pas cherché à l'attendre lorsqu'il s'était arrêté. Yulia avait même espéré qu'il abandonne enfin l'idée de la suivre à la trace. Naturellement, toujours contrariant, il l'avait rattrapé. Et il n'avait dans la bouche que des mots désagréables et blessants. Pour autant, Yulia n'avait pas cru qu'il pourrait tomber plus bas. Elle s'était crispée à la pensée d'Anton, ses yeux se fermant durant une seconde alors qu'elle cherchait son calme. Pourquoi fallait-il toujours qu'il vienne lui pourrir la vie ?

— Qu'est-ce que tu me veux à la fin ? avait-elle claqué en se tournant vers lui. Je vais être claire. Quoi que tu ais à me dire, je m'en tape. Je ne veux pas avoir à faire avec toi. Donc tire-toi !

D'une poussée, elle tenta de l'éloigner, mais Yulia n'avait jamais été la plus puissante. Même si elle s'y était faite, elle regrettait encore parfois de ne pas disposer d'une force brute plus impressionnante.