Tout allait bien dans le meilleur des mondes jusqu'ici. Enfin, si elle omettait la scène qu'avait faite Anya, la veille. Esfir aurait bien aimé être l'aînée pour l'afficher aussi devant les autres. Seulement pour ça, elle aurait du céder ses privilèges de petites dernières (Zorah restant bien évidemment le bébé de la famille) et elle n'était clairement pas prête à assumer autant de responsabilités. Le jeu n'en valait vraiment pas la chandelle. Et puis, elle vivait une aventure, l'air libre la rendant naturellement plus joyeuse, Zorah n'étant pas là, elle n'avait même pas à être attentive pour deux. La seule véritable ombre au tableau était la potentielle présence quelque part de cette pseudo nouvelle cousine. Encore qu'une nouvelle fois, il n'y avait pas eu d'avancement à ce niveau. Pourtant, elle avait scruté chaque visage un peu trop attentivement et résultat des courses ? Elle se sentait tout de suite moins bien. Parce qu'en essayant de démasquer le remplacement d'Anton, elle avait croisé le regard d'une personne qu'elle aurait souhaité ne plus jamais recroiser. La honte l'avait forcée à détourner le regard et à s'éloigner de l'endroit où il se trouvait. Elle n'était pas sûre qu'il l'ait reconnue ou même qu'il l'ait réellement vue mais elle, elle ne l'avait pas oublié et c'était assez suffisant. Plutôt que de perdre en énergie, c'était comme si tout était plus concentré, la rendant agitée mais moins expressive. Elle avait besoin d'en parler...mais si elle se tournait vers sa famille, elle savait qu'elle entendrait parler de cette histoire même après sa retraite. Et elle préférait éviter le jugement moral d'Anya. Parce qu'elle avait beau avoir un caractère de cochon, elle savait quand elle était en tort...mais privilèges de petites dernières, elle avait rarement eu à s'excuser. Elle faisait partie de ces personnes qui se contentaient d'enterrer l'histoire sans en reparler et de reprendre là où ils en étaient en faisant comme si aucune bêtise n'avait existé. Cette fois, pourtant, elle se rendait bien compte que ce ne serait pas possible. Et même si elle ne comptait plus jamais le revoir, elle préférait éviter de vivre avec ce fardeau sur les épaules. Elle avait à lui reparler, ne serait-ce que pour s'excuser et en finir une bonne fois pour toute. Ha, il l'énervait à nouveau à la faire culpabiliser comme ça. Si sa famille était hors limite, il ne lui restait qu'une personne vers qui se tourner. Plus précisément, il lui restait une personne saine vers qui se tourner. Rose. Pas que Rose ait besoin de s'excuser souvent. Esfir imaginait difficilement que son amie puisse blesser le premier venu sans raison...mais connaissant la personne, Rose s'excusait probablement bien trop souvent même lorsqu'elle ne le devrait pas. Et elle saurait se montrer compréhensive avec elle. Là où Louane lui aurait probablement parlé de ses expériences...sauf qu'Esfir ne voulait pas une histoire, elle voulait des conseils...et Rose semblait déjà avoir compris que quelque chose n'allait pas. Bien évidemment, la honte de la veille était remise sur le tapis mais Esfir l'ignora presque, se contentant de lancer un regard courroucé à son amie. Son air de petite teigne s'effaça pourtant bien rapidement à présent qu'elle devait avouer ses méfaits. Hm. Si elle commençait déjà à ne pas trouver les mots, elles n'étaient pas sorties de l'auberge même avec tous les talents de déductrice de Rose. Je voulais savoir. Euh...comment dire... Elle s'approcha rapidement de la rousse, la tirant par le bras pour la forcer à se baisser un peu et être plus à sa hauteur. Comment on fait pour s'excuser ?, murmura-t-elle rapidement, la honte lui rougissant déjà les joues.

Ce qu'Esfir adorait chez Rose, c'était sa patience à toute épreuve. La vipère aurait pu la presser, se plaindre du temps qu'elle mettait pour révéler un secret qui, pour la plupart, n'aurait rien eu d’extraordinaire mais elle gardait son calme, se contentant simplement d'attendre qu'Esfir parvienne à s'exprimer. Et quand elle y était finalement parvenu, Rose ne l'avait pas jugé. Tout du moins, pas publiquement. Tout comme elle ne s'était pas moqué et pour ça, Esfir lui en était reconnaissante même si elle ne le faisait pas savoir. Elle aurait eu de quoi. A son âge ? Ne pas savoir comment s'excuser, il y avait de quoi se poser des questions. Mais Rose ne l'avait pas fait. Ou plutôt, elle l'avait fait mais dans le cadre du problème qu'Esfir lui avait exposé. Prudente comme elle l'était, Rose ne s'aventurerait pas à la conseiller sans connaître le fin fond de l'histoire. Situation et personne. Elle ne pouvait pas dire grand chose sur la personne, seulement que lui aussi, il avait du être patient avec elle avant de finalement mettre fin à ses bêtises. Il avait aussi une bonne maîtrise de lui et il ne collait pas à l'image qui circulait des dragons. La situation quant à elle...Que Rose lui promette de ne pas répéter son histoire ou non, Esfir le lui aurait quand même tout raconté. Le silence de Rose était pour elle, un acquis. Elle savait qu'elle pouvait lui faire confiance. Alors que si elle avait été se tourner vers un membre de sa famille, elle était sûre que Zorah serait au courant sur le territoire sans aucune explications possibles. Il y a quelques temps, j'ai croisé quelqu'un en ville. Disons que je lui ai un peu pourri sa journée, elle commença, parlant toujours doucement...ou ce qui pouvait considéré comme doucement pour Esfir. Mais ça partait d'une bonne intention, se pressa-t-elle d'ajouter. T'aurais du le voir, on aurait pu le confondre avec un libre. Du coup, je lui ai proposé à manger. Et il a refusé. Rien que d'y repenser, Esfir grimaçait. Tout ça, c'était de la faute de Gloria. C'était un dragon, ajouta-t-elle comme s'il ne s'agissait que d'un détail. Alors je lui ai dit qu'il avait rien à craindre parce que les sales coups, ça venait d'eux et pas de nous. Il l'a mal pris. Il y a peu, elle l'aurait traité d'âme sensible, de garçon susceptible mais avec le recul, elle se rendait compte qu'elle avait été injuste et blessante. Voilà, dans les grandes lignes. Elle était curieuse de découvrir l'avis de Rose sur la situation, espérant ne pas se faire gronder parce que des raisons pour se faire remonter les bretelles, il y en avait...à commencer par le fait de partager ses rations avec des inconnus.