oksana & esfir
A41 SI J87 (vers le zénith)

but we hold on

La matinée n'a pas été de tout repos, mais, lorsqu'on y réfléchissait bien, on était sans doute passé à côté de la catastrophe. Une option que je n'avais jamais vraiment envisagé. J'avais beau ne pas avoir vu beaucoup Yulia ces derniers temps, il y avait eu les témoignages des filles et même celui de Iago. Je ne me fiais pas beaucoup à celui-là, mais, dans ce cas-ci, il avait sans doute dit la vérité sans trop l'aggraver. Quoi qu'il en soit, elle m'avait surprise. Pendant un instant, j'avais eu l'impression de retrouver ma cousine. Pas cette fille qu'elle était depuis quelques années, mais bien celle que j'avais admiré lorsque nous étions enfants, avant que quelque chose ne parte en vrille et qu'elle devienne plus Vipère que Jaguar. Ce n'était pas une insulte en soi, elle était simplement différente. Il était devenu bien plus visible que sa vie était à l'Ouest à ce moment là. Aujourd'hui, elle s'était montrée digne de notre clan et, surtout, de notre famille. A sa façon aussi, j'en avais l'impression du moins, Lena avait fait des efforts. La suite n'était en rien gagnée, mais je ne pouvais qu'espérer qu'elles continueraient comme ça. Après tout ce que leur père avait fait, elles gagneraient au change en se rapprochant.

Bien plus tard, j'avais atterri au côté d'Esfir. Au cours des heures d'angoisse, j'étais venue la voir plusieurs fois, mais sans jamais avoir l'occasion de lui parler. Ou plutôt sans qu'elle ne puisse me répondre. Le reste du temps, Anya était restée à ses côtés comme la sentinelle qu'elle pouvait parfois être.

« - Tu te sens comment ? »

Elle n'était pas la plus tactile de la fratrie, mais j'avais tout de même enroulé les bras autour d'elle pour la nicher contre moi, le menton allant reposer contre son épaule. J'avais la sensation qu'elle me devait bien ça après la trouille qu'elle nous avait fait. Je n'étais toujours pas certaine de savoir d'où jamais trouver la force de gérer tout ça pendant aussi longtemps malgré la peur qui m'avait maintenu les tripes dans un étau. Peut-être que je tenais quelque chose de ma mère finalement.

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Elle avait l'impression qu'une voiture lui était passée dessus. Encore si fatiguée de cette maladie qui lui avait mis la tête sous l'eau si rapidement. Elle ne sentait pas bien physiquement et même intérieurement, elle était confuse, peinait à mettre des mots sur ce qu'elle ressentait. Ce dont elle était certaine, c'est qu'elle n'allait pas bien. Pourquoi se sentait-elle plus angoissée maintenant qu'elle commençait à aller mieux ? Elle ne savait pas, elle se sentait mal, mal à l'aise, elle voulait rentrer, et s'enfouir dans son lit. Zorah lui manquait aussi trop fort. Au moins, perdue entre les clients du bar à drogues, elle n'avait pas à faire des efforts pour accepter tout ce qui s'était passé ici. Elle n'avait jamais été du genre à avoir sa langue dans sa poche, Esfir. Pourtant, elle n'avait rien dit, peut-être trop épuisée, elle ne savait pas. Elle n'était même pas restée jusqu'au bout. Elle en avait assez entendu. Elle n'en avait pas moins pensé. Quelque part, elle s'était senti trahie. S'ils étaient tous prêts à accepter cette Lena, grand bien leur fasse, elle, elle s'en garderait. La première image de cette fille ne lui avait pas plu du tout et si elle avait été Yulia, il a longtemps qu'elle aurait mis fin à la discussion. Les victimes, c'était pas son truc. A vrai dire, avec tout ça, elle avait voulu s'écarter un peu de sa famille. Pour ça aussi, elle s'était senti coupable. Après ce qu'ils venaient de traverser, elle aurait du être reconnaissante qu'ils s'en soient tous sortis ; elle aurait du vouloir en profiter, elle aurait voulu en profiter mais plus maintenant. Elle voulait juste oublier, se changer les idées. Elle avait voulu trouver Louane pour se plaindre un peu et l'entendre se plaindre en retour. Sa binôme avait toujours eu tant de choses à dire. Et avec toute cette maladie, son côté trop propre sur elle n'aurait pu que la dérider. Elle n'avait pas pu la chercher longtemps avant qu'Anya ne la retrouve. Et vraiment, Esfir n'avait même plus la force de répondre. Elle était donc revenue s'asseoir dans son coin, les bras enroulés autour de ses jambes, la tête posée sur ses genoux. Elle n'avait pas vu le temps passer, bien trop occupée à ruminer des pensées qui n'arrangeaient pas son humeur. Sentir la présence d'Oksana à ce moment déclencha un mouvement de recul chez la vipère. Elle se laissa faire néanmoins, peu désireuse de partager son état d'âme, encore moins depuis qu'elle savait l'avis d'Oksana sur la situation. Je sais pas trop. Fatiguée. Je veux rentrer à la maison. Sa maison, chez les vipères (et elle en était la première choquée), auprès de Zorah, avec sa troisième mère. Et toi ?

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Il y avait quelque chose ici que je n'avais pas envie de ressentir. Quelque chose qui gardait l'étau bien en place, comme si ce que nous avions vécus n'avait été que la première partie d'une histoire bien plus longue et qu'il n'était pas prudent de se relâcher. La distance que je sentais grandir entre nous n'aidait pas vraiment, mais c'était sans doute juste moi. C'était toujours moi qui m'imaginais des trucs pendant que les autres lâchaient des vérités crues, plus directs dans leurs manœuvres. Je ne m'étais pas vraiment attendue à devoir répondre à mon tour, presque surprise devant une question que personne ne s'était assuré de poser jusqu'ici, et un haussement des épaules vint en premier lieu. Pas que je me l'étais posée moi-même dans les faits. Je savais comment j'étais censée aller, pas comment je me sentais vraiment.

« - Je... Je suis soulagée que ça se soit bien fini. »

C'était la réponse facile et logique. N'importe qui aurait pu la sortir parce que personne ne voulait perdre un proche après une telle crise. Les filles étaient en vie, elles finiraient par se rétablir et c'était tout ce qui aurait dû compter.

« - J'en sais trop rien. La maison me manque aussi. »

J'avais fini par m'aligner parce que c'était le plus simple et le plus logique, je n'avais aucune raison de répondre que ça n'allait pas bien. Et puis, ce n'était pas faux. Je voulais quitter cet endroit maudit qui puait la mort et j'aurais donné beaucoup pour retrouver l'étreinte réconfortante de notre père. Lui aurait pu remettre de l'ordre dans ce maelstrom d'émotions, j'en étais sûre. Seulement, je ne pouvais qu'espérer qu'une bonne nuit de sommeil le ferait aussi. On faisait des caisses de tout lorsqu'on ne dormait pas assez et les occasions n'avaient pas été nombreuses ces derniers jours.

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Cette sensation étrange ne semblait pas vouloir la quitter. Elle devait se faire une raison, frôler la mort devait forcément laisser une trace. Plutôt que juste elle, c'était tout le monde qui était affecté. Malgré sa façade de calme, Oksana n'était pas une exception, juste parce qu'elle le cachait mieux que les autres ne voulait pas dire qu'elle n'était pas toute retournée. La fatigue de prétendre le contraire devait même s'ajouter au reste. Et elle n'était même pas l'aînée. Autant profité de cette lucidité qu'elle espérait temporaire, ce qu'elle détestait se sentir comme ça. Tu sais pas parce que tu penses toujours aux autres avant de penser à toi. Elle l'avait dit calmement sans comprendre cet arrière goût de reproche qui suintait d'elle. Je sais pas comment tu fais pour pas être fatiguée mais tu devrais faire une pause. Tout le monde mérite une pause et personne t'oubliera si tu penses à toi pour une fois. Ce sera bon pour tes chakras comme Maman dirait Il suffisait de voir qu'ils étaient prêts à accepter cette nouvelle cousine à bras ouverts. Esfir comprenait vraiment pas. Oksana qui était toujours au chevet de tout le monde mais qui passait inaperçue plus souvent que les autres. Alors qu'elle, elle sentait son cerveau fondre à chaque fois qu'elle devait prêter attention à plus d'une personne. Parce que la maison te manque mais... Elle s'arrêta, pas sûre de vouloir continuer, sans aucune envie de mettre le sujet Lena sur le tapis. Pour ça aussi, elle était fatiguée. Ça risque de pas rester calme bien longtemps. Puis Zorah aura besoin de quelqu'un de posé pour tout lui expliquer.