ashlan

année 41, saison intermédiaire, soirée 77

I hear you calling in the dead of night

Cours ! Dégage de là ! Va-t-en ! Les ordres claquaient dans son esprit sans que son corps ne daigne y obéir. Il lui semblait que ses poumons brûlaient déjà d'une distance qu'elle ne se souvenait pas avoir parcourue et que ses jambes luttaient pour ne pas céder à l'attraction du sol. Elle sentait son cœur battre bien trop vite, résistant férocement aux ordres hurlés froidement par son cerveau. Ou peut-être était-ce simplement la peur, les signes qu'elle risquait de finir morte ici et maintenant. Elle avait beau cligner des yeux, l'apparition ne voulait pas s'effacer. Là, juste devant elle, à quelques mètres. Il était de dos mais elle aurait pu le reconnaître parmi mille copies. Une illusion, son esprit lui hurlait. Son cœur, lui, était certain de la réalité de la situation. Et le prénom s'échappa de sa bouche sans qu'elle n'ait aucun contrôle sur ses propres lèvres. Elan ? Une question dont elle connaissait la réponse, là, au fond d'elle et qu'elle avait enfouie si longtemps. Les faits étaient pourtant clairs et sa présence n'avait rien d’invraisemblable. Elle l'avait vu après tout, il était avec les Intouchables la dernière fois. Il était vivant et elle n'en avait jamais douté. Elle s'était juste persuadé du contraire parce que c'était bien plus facile pour elle de tout enfouir, de nier ce qu'elle lui avait fait. Il allait se retourner et elle aurait la confirmation et elle...qu'est-ce qu'elle allait faire ? Elle venait de perdre sa dernière chance de fuir sans qu'il ne la remarque. Et les mots ne voulaient plus s'aligner correctement. Que pouvait-elle faire ? Mentir ? Feindre l'ignorance, jouer la comédie, lui demander qui il était et la raison de sa présence ici ? Lui mettre encore un énième couteau dans le dos ? Elle regrettait sa décision d'avoir quitté le territoire, d'avoir évité la soirée, elle aurait du rester à la salle d'entraînement. N'était-elle pas la nouvelle fine lame ? Mais non, elle avait voulu être seule...seule pour prendre l'air. Et maintenant, il était là et elle ne s'échapperait pas aussi facilement que la dernière fois. Comme toujours, quand elle ne savait pas comment réagir, l'émotion qui prenait le dessus vint tambouriner aux portes de son subconscient. Elle était en colère. Encore. Contre lui, parce qu'il était là. Contre elle parce que des deux, elle était la pire. Qu'est-ce que tu fous là ? Dégage, t'as rien à faire ici ! Les mots étaient mordants, brutaux et ses poings se serraient déjà, ses ongles entamant la peau de sa paume. Et son esprit tentait encore de la convaincre qu'il n'était qu'une illusion alors même qu'elle ne dormait pas et qu'elle n'avait pas bu une goutte d'alcool depuis des jours. Il n'était pas réel. Il n'était pas là. Il n'était qu'un fantôme de son passé, rien de plus. Il ne répondrait pas et elle aurait juste l'air idiote devant les rats pour y avoir cru. Il n'était pas là, se répétait-elle en boucle alors qu'elle sentait déjà  l'étau de sa lâcheté se resserrer sur elle. Sors de ma tête !, hurla-t-elle, pleine de venin, ses mains de plus en proches de ses lames.

ashlan

année 41, saison intermédiaire, soirée 77

I hear you calling in the dead of night

Le destin avait l'art de se foutre de ma gueule depuis que j'avais rencontre Rian. Même quand je parvenais à m'échapper, à être seul un moment, karma frappait. Qu'est-ce que j'avais fait pour mériter cet acharnement ? Evidemment que j'avais menti autour de moi, à de nombreuses occasions, mais qui ne le faisait pas dans de telles conditions ? Tout le monde était un danger potentiel, même si ce n'était pas volontaire. Pourquoi avait-elle la belle vie alors que c'était elle, la lâche, dans toute cette histoire ? Depuis qu'elle m'avait abandonné à mon sort quand notre père avait été massacré, elle avait la belle vie et je survivais comme je le pouvais. Si je fouillais au fond de mon cœur, j'étais heureux qu'elle soit saine et sauve. Seulement, il n'y avait pas que ça. J'avais été trahi, laissé pour mort et piétiné par la suite, sur son stupide territoire, sa nouvelle maison. On prenait soin d'elle. On lui offrait une vie décente. Qu'est-ce que j'étais, dans tout ça, moi ? Le vilain petit canard ? Je ne savais pas exactement à quoi pouvait ressembler ce fameux vilain petit canard mais j'avais bien compris ce que ça sous-entendait. Ces histoires vieilles et étranges mais que l'on contait encore autour d'un feu, aux plus jeunes.

Depuis la dernière fois, je refusais d'aller la voir. La première fois avait été suffisamment humiliante. Je pouvais concevoir une rencontre en territoire neutre mais je ne voulais pas me donner en spectacle. Malheureusement, on ne m'écoutait pas beaucoup. Il m'aurait fallu plus de temps pour digérer, pour me calmer et pour être présentable. Il n'était pas question qu'elle ait l'impression d'être mieux. Qu'elle ait pitié, ce serait trop lui demander, alors qu'elle n'ait pas l'impression de gagner une nouvelle bataille. « Elan ? » Mon cœur s'était serré. Je pouvais cracher toute la haine que je voulais, je ne pourrais tromper personne. Je rêvais qu'elle m'appelle. J'espérais presque autant qu'on se retrouve que de lui arracher une partie de son cœur, pour que nous soyons à égalité. Une dualité bien cruelle. J'avais tout juste eu le temps de me retourner qu'elle m'assénait un nouveau coup de poignard. Elle ne connaissait plus que ça. Quel dommage. « Qu'est-ce que tu fous là ? Dégage, t'as rien à faire ici ! » Encore une fois, elle se montrait totalement injuste. Seulement, cette fois, il était hors de question de me laisser marcher sur les pieds. Il fallait que j'agisse. Pour une fois, au moins une fois, j'aurais aimé que mes besoins soient entendus. Elle ne pouvait pas partir sans m'expliquer son comportement, celui de ce jour-là. Qu'elle soit devenue dingue ou non, moi aussi, j'avais droit à la parole.

« Mon visage te dérange ? Les remords remontent et tu ne veux pas les entendre ? » J'étais mordant. J'étais triste. J'étais paumé. Je redevenais soudainement ce gamin qui tendait la main à une sœur qui ne le regardait même pas, fixant sans aucun doute son objectif. « Pourquoi ? Merde, pourquoi ? » Les mots sortaient avec une violence inouïe. Tout ce que je demandais, c'était de comprendre. L'absence de réponse me tuait. Même son comportement parfaitement injuste me faisait moins mal. Et pourtant, ça me bouffait de l'intérieur, qu'elle me nie aussi éhontément. « Regarde-moi au moins une fois ! Regarde la réalité en face. » J'allais la force à me regarder. Elle n'allait pas pouvoir s'échapper, pas cette fois. « J'ai le droit de savoir. J'ai le droit d'avoir des explications. Pourquoi et comment as-tu pu m'abandonner ? Je n'étais rien de plus qu'un baroudeur parmi les autres, pour toi ? Merde, je pensais qu'on était plus que ça. T'es ma sœur... Ou peut-être devrais-je dire que tu l'étais ? » Le gamin que j'étais à l'époque ne s'en était toujours pas remis. Le traumatisme revenait à la surface. J'en tremblais de colère, de peur, de chagrin. C'était le bordel dans ma tête et dans mon cœur. Le chaos. Rien à voir avec la pauvre misère de Paris.

ashlan

année 41, saison intermédiaire, soirée 77

I hear you calling in the dead of night

Elle savait, au fond, qu'il ne servait à rien de se pincer jusqu'au sang pour confirmer sa présence. Non, c'était bel et bien son frère, son jumeau, sa moitié qui se tenait là, devant elle. Elan, Elan, Elan. Ce prénom qu'elle avait effacé de sa mémoire, des souvenirs qu'elle s'était tout simplement interdits de revisiter par pur égoïsme, parce qu'elle devait se préserver, étouffer la culpabilité et les remords. Mais il se tenait là et elle ne rêvait pas. Elle aurait voulu dire qu'il n'avait plus rien du petit garçon qu'elle avait laissé derrière elle mais c'était faux. Il n'était pas mort. C'était normal qu'il ait changé, lui aussi. Il avait grandi loin d'elle, avait vécu des aventures de son côté, sans elle. Mais ils restaient liés, le temps et la distance n'avaient en rien estompé leurs ressemblances. Et tout ça lui laissait un goût de cendre dans la bouche. Elle le méritait bien ; cette absence, elle se l'était imposé toute seule. Depuis ce fameux jour où elle lui avait tourné le dos. Elle n'était pas prête pour tout ça. Elle préférait avoir à affronter une horde de libres si ça lui évitait d'avoir à se confronter à la vérité, à ce qu'elle lui avait fait. Elle voulait fuir, lui tourner le dos et se retrancher derrière les frontières de sa nouvelle maison. C'était la seule solution pour qu'elle sorte indemne de cet échange. Qu'importe qu'elle passe pour une lâche à ses yeux. Elle était sans doute déjà un monstre pour lui. Et elle le comprenait, à sa place, il le serait devenu aussi. Même innocent, il était son monstre à elle, après tout. Et l'entendre lui reprocher ses actes était une torture. Elle voulait qu'il s'arrête, qu'il se taise, qu'il la laisse tranquille. Seulement, il continuait à la mettre devant les faits, à lui balancer sa lâcheté au visage. Comme si elle n'y pensait pas déjà assez. Bien sûr qu'elle évitait de se croiser dans une glace. Elle avait toujours tout fait pour s'épargner le moindre rappel de son existence. Ferme-la ! Ferme-la ! Je te dis de la fermer ! Cette fois, elle allait lui en coller une, elle était prête à se jeter sur lui mais la détresse qu'elle put reconnaître dans sa voix l'arrêta sur le coup. Et à nouveau, elle n'avait plus qu'une envie, mettre le plus de distance entre elle et lui. A quoi bon ? Pourquoi tenait-il tant à lui parler quand elle ne lui infligeait que plus de blessures à chaque rencontre ? Elle n'avait jamais voulu le blesser, jamais comme ça mais elle l'avait fait et continuerait à le faire parce qu'elle n'était sans doute plus capable d'autre chose. Finalement, elle répondit à sa demande, le fixant droit dans les yeux sans détourner le regard. Ce qu'elle vit lui coupa le souffle mais elle se força à tenir bon, elle avait décidé sur le moment qu'elle lui devait au moins ça. Sans se radoucir complètement, son expression changea, elle n'était plus vraiment en colère, juste déjà fatiguée. Elle n'avait pas vraiment de réponses à ses questions, elle n'y avait jamais vraiment pensé, comme pour tout, elle avait préféré l'enfouir très loin dans sa mémoire. Si elle comprenait son besoin de savoir, elle n'avait aucune réponse à lui offrir. Qu'est-ce que ça t'apporterait de savoir ? Tu tiens tant que ça à te faire du mal ? La question se voulait sincère. Il désirait des réponses mais elle doutait que les mots sortis de sa bouche lui apporte un quelconque réconfort. T'es mon frère, Elan. Tu seras toujours mon frère. Elle se rendait bien compte que c'était culotté de sa part de lui dire une chose pareille, cela ne l'empêchait pas de le penser vraiment. Elle n'était pas parvenue à l'oublier en sept années d'existence loin de lui, elle doutait d'y parvenir un jour. Il serait toujours son jumeau. Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? Je ne comprends pas pourquoi tu es revenu. Tu me détestes, non ? Si tu cherches à te venger, lance-toi qu'on en finisse. Mais je te préviens, je ne me laisserai pas faire.

ashlan

année 41, saison intermédiaire, soirée 77

I hear you calling in the dead of night

En bonne lâche, elle avait mis une éternité pour réagir à toutes mes vociférations. Pendant ce temps-là, je me rendais malade. J'avais un goût de bile qui montait déjà dans la gorge à cause de la nervosité et de toute la colère qui avaient sommeillé, attendant ce moment pour ressortir. Elle l'avait cherché, me laissant pour mort derrière elle, sans hésiter une seconde avant de s'échapper. Notre rencontre sur le territoire des Jaguars n'avait rien arrangé, tout au contraire. Les poings serrés, j'en espérais trop, de cette rencontre impromptue. Mes espoirs étaient hors de portée, je le savais, et j'allais revenir bredouille chez Madame, mais c'était plus fort que moi. « Ferme-la ! Ferme-la ! Je te dis de la fermer ! » Quelle réaction digne d'une fille forte et convaincue de sa légitimité ! Je retrouvais cette Asha indigne de ce nom, indigne de notre famille, qui m'avait tourné le dos alors qu'elle se trouvait avec Noâ. Je ne la reconnaissais plus. Elle n'avait plus rien de ma jumelle, celle qui avait voyagé pendant plusieurs années à mes côtés et aux côtés de notre défunt père. Elle ne valait pas mieux qu'un pauvre petit Libre de pacotille, avec les armes en plus. Elle se mentait en prétendant avoir du mordant alors qu'elle fléchissait. Ça ne se voyait pas mais je n'étais pas dupe. Nous étions connectés. Personne ne pouvait mieux traduire son comportement que son frère jumeau, quelqu'un du même sang. Plutôt que de lui donner ce qu'elle désirait, je ris jaune, amère. A chaque fois que je pensais à elle, c'était la même réaction et elle n'arrangeait pas son cas.

Elle me regardait enfin et je lisais de la colère mais rapidement la fatigue prit la relève. Elle était drôlement culottée. Elle n'avait aucun droit d'être fatiguée, encore moins d'être en colère. C'était elle, la fautive dans tout ce bordel. C'était elle la coupable et pourtant, je m'accrochais encore éperdument à elle. J'étais le con, le blaireau dans ce chaos. Elle était le chaos de mon cœur. « Qu'est-ce que ça t'apporterait de savoir ? Tu tiens tant que ça à te faire du mal ? » C'était l'hôpital qui se moquait de la charité. Elle n'était même pas fichue de comprendre que j'avais besoin de le savoir, ne serait-ce que pour tourner la page. Elle n'avait plus du tout de cœur, là où je pensais être le plus à plaindre à ce niveau. « J'y peux rien si t'as réussi à tourner la page facilement. Je m'en fous aussi de te forcer à revenir là-dessus. Je le mérite. J'en ai besoin pour faire le deuil de ma sœur qui n'est pour bien faire plus là. » Moi aussi, je pouvais donner des coups. Un cœur blessé ne sait plus faire que ça. Il fallait bien que je me protège d'une manière ou d'une autre.

« T'es mon frère, Elan. Tu seras toujours mon frère. » Hypocrisie cruelle. Même quand elle pensait bien faire, si c'était le cas, elle se montrait blessante. Un nouveau rire jaune. « Tu n'es plus ma sœur. Tu as son apparence mais ça s'arrête là. Ma sœur baroudait avec moi sans me blesser et elle avait un autre regard et une autre âme. » Qu'importe que la réalité lui fasse mal. Non, pourvu que ça lui fasse mal. Je voulais qu'elle m'aime, je voulais qu'elle soit heureuse, mais ma soif de vengeance luttait ardemment contre cette envie sincère. « Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? Je ne comprends pas pourquoi tu es revenu. Tu me détestes, non ? Si tu cherches à te venger, lance-toi qu'on en finisse. Mais je te préviens, je ne me laisserai pas faire. » C'était si facile pour elle d'en finir comme ça et de ne pas répondre franchement à ma question. La colère ressortait par tous mes pores. « Parce que tu sais mieux que moi ce que je veux. Je veux des réponses, tu comprends ça ? Des réponses ! Je ne te lâcherai pas tant que tu n'auras pas répondu. Je ne te laisserai pas fuir. Je me moque bien que ce soit difficile, tu me dois ça. » C'était indiscutable. « Réponds ! » J'avais hurlé ce dernier ordre, histoire qu'il n'y ait pas de doute.

ashlan

année 41, saison intermédiaire, soirée 77

I hear you calling in the dead of night

Asha encaissait les coups les uns après les autres. Elle était convaincue qu'Elan avait tous les droits d'être si violent. C'était un juste retour des choses quelque part. Mais la part d'Asha qui n'avait jamais aimé jouer les punching-balls commençait dangereusement à reprendre le dessus, réparant les murs autour de son cœur briques par briques. Il était injuste. Elle, elle n'avait jamais voulu le blesser volontairement. Ses poings se serrèrent davantage, l'intérieur de sa paume tatouée de croissants de lune ensanglantés. Elle mordait l'intérieur de sa joue pour ne pas répliquer sèchement, pour ne pas aggraver les choses, tentant désespérément d'encaisser, d'admettre qu'il avait le droit mais elle était à ses limites. Aucun des deux ne sortiraient vainqueurs de cette joute, ça, c'était une certitude. Elle aussi, elle était injuste, elle avait même bien plus d'expérience dans ce domaine. Aussi, elle ricana sèchement à l'une de ses répliques sans pour autant ouvrir la bouche. Il le méritait ? Qu'est-ce qu'il avait fait pour le mériter ? Il avait survécu ? Il oubliait qu'ils étaient deux dans ce cas. Elle l'avait laissé seul, oui....mais elle était partie seule aussi. Qu'est-ce qu'il avait fait de plus qu'elle pour mériter quoique ce soit ? Heureusement pour elle, les mots étaient morts au bord de ses lèvres...jusqu'à ce que finalement, il réussisse à briser le barrage qu'elle avait monté fébrilement. Plus sa sœur ? C'était comme s'il lui avait mis un coup droit dans le cœur, elle dut se faire violence pour ne pas reculer sous la force de l'impacte. Plus sa sœur ? N'était-ce pas logique, au final ? Il lui crachait à la figure qu'elle avait tourné la page facilement sans ne rien savoir...C'était pourtant bien lui qui venait d'ouvrir les vannes. Asha ne pouvait pas rester bien longtemps à encaisser sans rendre les coups. Elle était amère et blessée et jusqu'à présent, elle n'avait jamais su comment gérer cette tempête d'émotions. La mâchoire serrée à en avoir mal, elle cherchait encore stupidement à dissimuler la douleur qui lui retournait l'estomac. Plutôt que de se laisser aller, elle alla puiser dans une émotion qu'elle ne connaissait que trop bien. Son habituel réflexe pour ne pas avoir à regarder les choses en face avait toujours été de puiser dans sa colère. De mordre, de frapper fort, de faire du mal pour rendre les autres aussi misérables qu'elle l'était. Comme si elle n'avait pas déjà assez détruit la vie de son jumeau, elle continuait à remuer le couteau dans la plaie. Je te dois rien du tout ! Parce que tu sais quoi ? T'as raison, Elan. Ta sœur est morte. T'as qu'à trouver tes réponses ailleurs. Il n'était plus question de culpabilité et de réconciliation ou de bons sentiments. Tout était noyé sous une vague de pure colère, de pur ressentiment. Elle faisait dix pas en arrière sans en avoir fait un en avant, les forteresses autour de son cœur. remontées à bloc. Grandis un peu, on a pas toujours ce qu'on veut dans la vie. Cette fois-ci, elle ne retint pas de dégainer l'un de ses katanas, un sourire goguenard  étirait ses lèvres. Il voulait voir le monstre qui avait remplacé sa sœur ? Elle allait le lui donner. Toi, t'as pas changé, Elan. Toujours à attendre que tout te soit servi tout cuit dans la bouche. Mais Papa... Elle grimaça avant de répondre, aveuglée par la colère, leur père avait toujours été plus tendre avec Elan de toute façon. Ton père est mort, y a plus personne pour répondre à tes caprices de fils modèle. Alors soit tu bouges ton cul pour arriver à tes fins, soit tu dégages, cracha-t-elle de plus en plus venimeuse. C'est pas une inconnue qui va t'aider à tourner la page.

ashlan

année 41, saison intermédiaire, soirée 77

I hear you calling in the dead of night

Je n'étais pas aveugle, j'avais remarqué qu'elle se faisait du mal. Il n'était pas difficile de deviner pourquoi elle le faisait avec tant d'acharnement, elle cherchait à fuir la réalité. Elle était courageuse sur le terrain et dans la réalité plus militaire de la vie mais en ce qui concernait les sentiments, elle n'avait jamais été la plus habile. Malheureusement avec le temps, ça s'était dégradé, ce qui me faisait penser qu'elle n'avait pas dû avoir facile tous les jours depuis qu'elle m'avait lâchement abandonné. Elle n'était peut-être pas si inhumaine. Dans le cas contraire, elle m'aurait simplement achevé à ce moment et serait repartie tout aussi vite. Néanmoins, je n'avais pas le sentiment que ce n'était pas à moi de faire un effort supplémentaire, surtout pas depuis qu'elle m'avait poignardé en plein cœur sur le territoire des Jaguars. Qu'elle se fasse mal si ça lui permettait de vivre avec la conscience tranquille, je n'allais pas la plaindre. Je préférerais encore passer une journée entière avec Rian que de lui offrir une once de rédemption quand elle ne m'offrait que du mépris et de la haine, ce qui n'était pas juste. Les injustices, c'était courant à Paris mais ça ne signifiait pas qu'il fallait rester passif. Je la regardais sans sourciller, même si une infime partie de mon cœur me criait de l'en empêcher.

« Je te dois rien du tout ! Parce que tu sais quoi ? T'as raison, Elan. Ta sœur est morte. T'as qu'à trouver tes réponses ailleurs. » Cela ne m'étonnait même plus. Elle n'était capable que ça : injurier, blesser et mordre. Le monde à l'envers. « Grandis un peu, on a pas toujours ce qu'on veut dans la vie. » Le culot incarné. Elle, elle avait ce qu'elle avait voulu ; une vie en sécurité dans un clan, entourée de personnes qui sont certainement devenue sa famille, de quoi manger tous les jours et tout ça sans avoir à se rappeler qu'elle avait laissé un membre de sa famille pour mort. Je ne l'imaginais pas avoir avoué à qui que ce soit ce qu'elle avait fait. Elle devait passer pour la fille un peu caractérielle mais pas bien méchante. Elle alla jusqu'à dégainer son arme, fière d'avoir le dessus. En tout cas, c'était ce qu'elle laissait présager. Je devais définitivement bousculer sa petite vie tranquille. La pauvre petite.

« Toi, t'as pas changé, Elan. Toujours à attendre que tout te soit servi tout cuit dans la bouche. Mais Papa... » Le plus fort dans cette histoire, c'était qu'elle jouait encore les victimes. Elle avait le luxe de pouvoir être jalouse et pouvoir encore se pavaner fièrement avec une arme mais c'était encore elle qu'il faudrait plaindre dans l'histoire. Une autre révélation me frappa ; elle vivait dans le passé, plus que je ne le faisais. Elle avait changé physiquement mais restait dans la rancœur. Elle était peut-être effectivement la plus malheureuse dans l'histoire. Elle était incapable de pardonner, incapable de passer outre, juste capable de se mentir. Parler ainsi des morts était si facile quand on avait fui lâchement. « Ton père est mort, y a plus personne pour répondre à tes caprices de fils modèle. Alors soit tu bouges ton cul pour arriver à tes fins, soit tu dégages. » Elle m'avait au moins permis de faire un pas dans ce bordel. J'avais compris grâce à sa haine qu'elle n'était plus et que, de ce fait, il ne valait plus la peine de se battre. Elle ne dirait jamais rien, elle garderait tout pour elle, égoïste une fois de plus. « C'est pas une inconnue qui va t'aider à tourner la page. » Elle avait raison. Sans plus attendre, je m'étais offert à elle, les bras levés en signe de reddition. « Puisque tu t'es fatiguée à dégainer ton arme, autant que ça serve à quelque chose, comme faire taire ta conscience. Si tu ne me vois plus, tu n'auras plus à te faire du mal et moi non plus. J'ai tout perdu, ma famille et la Troupe. » Ça ne me ressemblait pas de me laisser abattre par les événements mais j'étais fatigué à cause de la saison et son venin n'avait rien arrangé.