Ashlan

année 41 ; saison intermédiaire ; journée 85

I'm not here to hurt you

Il avait toujours été dans ses habitudes d'agir avec ses tripes plutôt que d'utiliser sa tête. Cela se voyait encore plus quand la personne hantant ses pensée n'était autre que lui. Ce manque de réflexion expliquait sans aucun doute la situation précaire dans laquelle elle se trouvait. La main plaquée sur son ventre, les mâchoires serrées qu'elle n'ouvrait que pour hurler sans cesse le même prénom. Elle ne savait même pas s'il pouvait l'entendre dans cette tempête mais le nom ne quittait plus ses lèvres. Elle savait que cela n'avait pas de sens, qu'il y a peu, elle lui hurlait de déguerpir et de quitter sa vie à jamais. Pourtant, elle était là, à arpenter les frontières du territoire, prête à s'éloigner plus loin dans l'espoir de le retrouver et de s'assurer que tout irait bien. Rien n'était prévu, tout avait commencé quand elle avait rejoint le quartier des soumis pour aider à l'évacuation et les événements s'étaient enchaînés sans qu'elle n'ait eu le temps de s'y préparer. Elan!, appela-t-elle une nouvelle fois, elle était certaine d'avoir vu une ombre traîner et si ce n'était pas son frère, elle avait tout intérêt à débusquer l’individu. Cas extrêmes ou non, personne ne s'introduisait sur le territoire du sud aussi facilement. Les jaguars devaient déjà se farcir les anciens aigles, il valait mieux éviter d'autres parasites indésirables. Hurler n'était sans doute pas la meilleur tactique mais l'instinct d'Asha la poussait à croire qu'elle n'avait pas tort.

Ashlan

année 41 ; saison intermédiaire ; jour 83

I'm not here to hurt you

Traîner trop près du territoire sud avait été une grande erreur, je l'avais compris dès que le vent s'était soulevé soudainement et que je tenais à peine debout. Si loin du centre et de ses points névralgiques, je risquais très vite d'être en danger et personne ne prendrait le risque de faire entrer des Libres, pas même les Jaguars réputés pour être les moins mauvais en ce moment. Je me rendais compte un peu trop tard que j'avais choisi le mauvais jour pour suivre le conseil avisé de cet infirmier, Klaus. Il n'y avait plus qu'à espérer que nous survivions tous les deux à tout ça et que je retombe sur lui après cette affreuse tempête. Ce n'était pas la première fois que je voyais les éléments se déchaîner mais ça ne me rendait pas naïvement optimiste pour autant, je savais que j'étais peu de chose face à la nature, encore plus depuis que j'étais seul dans la misère, avant j'aurais pu bénéficier de l'aide de la Troupe qui me manquait terriblement cette fois encore.

J'avais voulu approcher du territoire des Jaguars pour discuter mais je m'étais fait remballer joyeusement. Ils avaient d'autres chats à fouetter et je ne pouvais pas les blâmer. Ma tête me faisait atrocement mal mais je devais tenter de rebrousser chemin pour rejoindre, coûte que coûte, l'hôpital. C'était la décision la plus sage, même si je quittais les lieux la boule au ventre, je m'inquiétais naturellement pour elle, celle qui m'avait rejetée comme la peste à deux reprises depuis mon retour à Paris. « Elan! » A force de me faire du mouron pour elle et de ne pas manger grand-chose, j'en devenais complètement fou. Je n'étais pourtant pas un habitué des hallucinations auditives. J'avais soupiré avant de me tourner, persuadé que je perdais la raison et j'hésitai par deux fois avant de m'enfoncer dans le territoire, prêt à m'enfoncer dans la gueule du loup. J'étais partagé entre l'inquiétude primaire, la colère et l'envie de la laisser pour compte. C'était désagréable de réaliser que malgré toute cette haine qu'elle avait déversée la dernière fois, l'ancienne Asha avait toujours ce pouvoir sur moi. A moins que ce ne soit ce foutu Elan, gamin qui avait été abandonné, celui que j'avais voulu enfouir à tout prix loin dans mon esprit mais qui tenait toujours à sa petite sœur. En voyant son haut souillé et sa main posé sur son ventre, j'avais compris qu'elle était encore plus mal en point que moi. Ma tête me tirait mais c'était tout. « Qu'est-ce que tu fous ? Tes amis Jaguars t'ont pas appris à te protéger par un temps pareil ? » Je n'étais pas exactement en colère mais la peur avait le même effet sur moi. « Sois pas idiote et vas te réfugier. Je ne partirai pas d'ici tant que t'as pas été te mettre à l'abri, imbécile ! » C'aurait été beaucoup plus simple de lui dire que je m'inquiétais pour elle mais le dire ouvertement aurait été trop dangereux, je n'étais pas prêt à lui offrir mon cœur en pâture. C'était pour ça que, même si je surveillais les signes avant-coureurs, je gardais une certaine distance. Le gamin avait appris un tout petit peu de ses erreurs.

Ashlan

année 41 ; saison intermédiaire ; journée 85

I'm not here to hurt you

Asha savait qu'elle avait vu juste. C'était bien Elan qu'elle avait entre-aperçu et malgré ses remontrances, elle ne put empêcher une vague de soulagement de la submerger. Il était en vie et il n'avait pas l'air trop mal en point, en dehors de son apparence de libre. C'est toi qui parles ? Qu'est-ce que tu fous ici ?, avait-elle rétorqué parce qu'elle était tout simplement incapable de s'exprimer autrement que par des mots durs, aussi inquiète soit-elle. A vrai dire, elle ne comprenait toujours pas pourquoi elle se donnait tant de mal maintenant alors qu'elle l'avait chassé si longtemps tant dans sa mémoire que depuis qu'il était de retour en chair et en os. Peut-être que l'idée qu'il meurt misérablement et seul, après avoir survécu toutes ces années ne l'enchantait plus. Maintenant qu'il était là, il lui était impossible de l'imaginer à des kilomètres d'ici même si sa façon de l'exprimer ne transmettait pas le sentiment. Après tout, il osait lui faire la morale quand il ferait tout aussi bien de se mettre à l'abri lui-même. Son comportement de grand-frère était inratable et Asha roula des yeux. Plutôt que de l'écouter, la fine lame se rapprocha davantage, oubliant presque la douleur qui lui traversait le ventre. Crétin !, cracha-t-elle toujours aussi véhémente. Elle ne pouvait pas avouer qu'elle était venue le chercher, pas maintenant, pas comme ça. Tu ferais mieux de penser à toi, pour une fois dans ta misérable vie. Viens avec moi, continua-t-elle toujours sans une once de tendresse. Elle ne pouvait pas flancher maintenant et le laisser se mettre en danger aussi stupidement. Stupide, ils l'étaient déjà assez tous les deux à refuser de bouger par un temps pareil.

Ashlan

année 41 ; saison intermédiaire ; jour 83

I'm not here to hurt you

« C'est toi qui parles ? Qu'est-ce que tu fous ici ? » Encore une fois, Asha jouait les culottées. Comment pouvait-elle me reprocher d'être dans les environs du territoire quand elle avait perdu du temps à m'appeler ? Elle aurait dû comprendre que je n'étais pas venu pour elle, j'avais compris que c'était peine perdue si j'espérais qu'on apprendrait à se côtoyer et qu'on se rapprocherait, même si une part de moi le regrettait. Oui, une part de moi m'avait poussé à rester plus longtemps aux frontières parce que j'avais peur pour elle mais j'allais partir quand elle m'avait apostrophé. Quand elle faisait un pas en avant, je préparais mon corps entier à fuir, l'instinct de survie prenant le dessus et ce n'était pas plus mal. Je ne comptais pas me faire littéralement poignarder par ma sœur sous prétexte qu'elle avait le dessus en tant que Membre des Jaguars et qu'elle n'avait pas besoin de se fatiguer pour justifier son acte. Je me préparais mais je ne bougeais pas encore, lui laissant dans un premier temps le bénéfice du doute.

« Crétin ! Tu ferais mieux de penser à toi, pour une fois dans ta misérable vie. Viens avec moi. » Mon cœur prenait ça comme un cadeau inespéré, là où ma tête continuait d'envoyer des signaux d'alarme. Je ne pouvais pas me permettre de me laisser complètement aller aux sentiments, pas après qu'elle m'ait fait clairement comprendre que je n'étais plus rien pour elle. Je ne connaissais pas la fille que j'avais sous les yeux. Elle pouvait tout aussi bien décider de m'aider pour ne pas avoir ma mort sur sa conscience et le lendemain me jeter comme un vieux vêtement troué. Je devais être préparé à ce scénario. J'avais haussé les épaules. « Merci. Merci mais n'importe quelle ruine me suffira, je partirai dès que la tempête sera calmée. Je veux pas d'emmerdes avec ton clan. Par contre, toi, tu ferais mieux d'aller rejoindre les autres pour qu'on te soigne. C'est pas une suggestion. » J'attendais qu'elle m'indique un chemin, même si j'avais peu d'espoir qu'elle m'écoute. Je n'étais rien, rien qu'un misérable Libre, pour elle.

Ashlan

année 41 ; saison intermédiaire ; journée 85

I'm not here to hurt you

Cette fois, Asha ne retint pas un grognement de frustration. Ils avaient beau être si différents l'un de l'autre, il y avait bien une chose qu'ils partageaient tous les deux et ce trait de caractère apparaissait toujours dans les pires moments. Ils étaient aussi bornés l'un que l'autre, il n'y avait donc rien d'étonnant à ce qu'ils se retrouvent coincés dans un dialogue de sourd. T'es pas en position de me donner des ordres. Asha s'en fichait bien de son avis sur la question, elle comptait bien être plus têtue que lui aujourd'hui. T'auras pas d'emmerdes avec mon clan si tu me suis. Bien sûr qu'Elan avait tous les droits d'être méfiant après l'accueil qu'elle lui avait réservé. C'était même l'option la plus intelligente dans ces circonstances. Si elle se trouvait à sa place, elle ne se ferait pas confiance non plus mais plus ils se jetaient la balle, plus dangereuse la situation devenait. On va pas y passer toute la soirée. Je bougerais pas si tu viens pas, affirma-t-elle plus décidée que jamais. Je te demande pas de me suivre jusqu'au QG mais les bâtiments ici sont plus résistants que tes ruines à deux balles. Elle s'avança encore un peu, laissant toujours de la distance, cherchant malgré tout à ne pas trop l'acculer. C'est pas un piège, ok? Je t'enfermerais pas après, j'essayerais pas de t'achever discrètement. Tu pourras partir, si tu veux, quand tout ça sera fini.

Ashlan

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« T'es pas en position de me donner des ordres. » Elle pouvait grogner autant qu'elle le voulait, je n'étais pas le seul fautif dans l'histoire. La guerre, elle l'avait déclarée toute seule, comme une grande, la dernière fois qu'on s'était vus et c'était si douloureux que c'était encore trop clair dans ma tête. C'était pour cette même raison que je m'en voulais presque de me faire du mouron pour elle alors que j'aurais pu me cacher au sein de l'hôpital. J'étais certain que si je n'avais pas traîné, même si j'étais venu pour autre chose que ses beaux yeux, je serais bien caché à ce moment-là.

« T'auras pas d'emmerdes avec mon clan si tu me suis. » Les Jaguars étaient réputés pour être les plus ouverts vis-à-vis des Libres mais je n'étais pas à l'abri d'un Jaguar moins conciliant. Je ne savais pas selon quoi elle prétendait pouvoir me protéger ou quelque chose de ce genre mais si j'espérais un jour les rejoindre, il valait mieux ne pas être abattu avant que ma tentative. Tout ce que je voulais, c'était qu'elle profite de ses avantages, tant qu'à les avoir et qu'elle me laisse me démerder comme je l'avais fait depuis que j'étais revenu à Paris et depuis que j'étais seul.

« On va pas y passer toute la soirée. Je bougerais pas si tu viens pas. Je te demande pas de me suivre jusqu'au QG mais les bâtiments ici sont plus résistants que tes ruines à deux balles. » J'avais bien envie de lui cracher que ces ruines à deux balles étaient mon seul moyen de survie depuis qu'elle m'avait lâchement abandonnée alors que nous n'étions que des gamins mais je me retenais, non sans avoir besoin de me mordre la lèvre jusqu'au sang. Le froid avait abîmé mes lèvres depuis trop longtemps pour qu'elles ne se fissurent pas un minimum. « C'est pas un piège, ok? Je t'enfermerais pas après, j'essayerais pas de t'achever discrètement. Tu pourras partir, si tu veux, quand tout ça sera fini. » Je la devinais aussi bornée que moi, elle n'avait pas changé à ce niveau, alors je n'avais pas d'autre choix que de montrer patte blanche et coopérer si je voulais m'assurer qu'elle se dépêche de rejoindre son quartier général. Coincé avec elle, je risquerais de parler trop vite et de lui dire des choses qui ne regardaient que l'ancienne Asha, ma vraie sœur. Je levai les mains, signe que j'allais la suivre sans plus de souci avant de lancer ceci. « Si ça peut te faire réfléchir et rejoindre ton quartier général où tu seras soignée, ça me va. » Je n'avais pas idée que les portes du quartier général étaient fermées depuis un moment.

Ashlan

année 41 ; saison intermédiaire ; journée 85

I'm not here to hurt you

Asha commençait à perdre peu à peu patience. Si elle avait dit qu'elle ne comptait pas lui faire du mal, elle était tout de même à deux doigts de l’assommer pour le traîner de force vers la sécurité d'un bâtiment moins précaires que ce vers quoi il pouvait se tourner. Ce serait difficile avec ses blessures qu'elle peinait de plus en plus à ignorer mais s'il le fallait, elle passerait au-dessus de tous les obstacles. Elle ne comprenait juste pas pourquoi il tenait absolument à s'assurer qu'elle prenne soin d'elle-même. Ne pouvait-il juste pas pour une seconde penser à lui ? Même lorsqu'il cédait, c'était pour elle. Elle se demandait comment il avait fait pour survivre tout ce temps s'il faisait passer celle qu'il ne considérait même plus comme sa sœur avant lui. Elle n'allait pas le confronter néanmoins, déjà bien contente qu'ils se mettent enfin à bouger tous les deux. Il n'avait pas à savoir que le QG avait probablement déjà fermé ses portes et qu'elle ne comptait pas y retourner.  Suis-moi. Elle ouvrit la voie, s'assurant qu'il n'essayait pas de lui filer entre les doigts. Son rythme était plus lent qu'à son habitude, blessures et conditions météorologiques obligent mais elle savait exactement où elle les menait. Elle s'arrêta devant une bâtisse qu'elle connaissait très bien et pour cause, elle y avait vécu quelques temps, entre son arrivée au Sud et son test pour devenir membre. Les habitants qui y résidaient avaient probablement déjà été évacués, elle ne les avait jamais considéré comme des parents. Parce que des parents, elle en avait eu et de toute façon, elle n'avait jamais eu d'affinités avec ces gens. Pas faute d'avoir essayé de créer un lien de leur côté mais Asha avait toujours été très farouche. Elle n'avait pas un attachement particulier pour cette maison non plus, elle ferait juste l'affaire le temps de passer cette tempête. Ils y seraient plus en sécurité et elle pourrait peut-être même trouver de quoi se rafistoler un minimum...et le rafistoler lui aussi, car elle n'était pas stupide au point de ne pas remarquer qu'il n'était pas en pleine forme non plus, sa vie de libre mise de côté. Entre, on y sera mieux. Pour éviter un nouveau bras de fer, elle l'entraîna directement avec elle, la main fermement serrée autour de son poignet, elle ne le relâcha qu'une fois à l'intérieure, la porte fermée derrière elle. Doit y avoir des bandages en rade quelque part pour ta tête. Ou au pire, elle pourrait toujours se servir de quelques draps, à situations exceptionnelles, solutions exceptionnelles. Elle attendit tout de même, s'assurant de lui bloquer le chemin vers la sortie parce qu'elle doutait fortement qu'il accepte aussi facilement de devoir attendre avec elle.

Ashlan

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Je n'avais pas d'autre solution que de la suivre parce que j'avais commencé à le faire et parce qu'elle ne lâcherait pas l'affaire. Si j'étais têtu, elle l'était encore plus que moi et malheureusement, elle était sur un territoire qu'elle connaissait, là où j'étais un intrus, même si elle m'avait prié pour que je ne parte pas de mon côté. L'avantage c'était que cette tempête nous forçait à avancer sans se soucier de quoi que ce soit, nous n'avions pas l'occasion de parler, nous devions à tout prix nous concentrer. Moi, sûrement plus qu'elle encore puisque la vie de Libre ne permettait pas de se nourrir suffisamment pour lutter contre un tel déchaînement de la nature.

Je ne pouvais que lui faire momentanément confiance, d'une confiance aveugle parce que je ne connaissais pas ce territoire et qu'elle était la seule à pouvoir nous trouver un abri. Si c'était un piège, je ne pourrais de toute façon rien y faire, elle aurait le dessus grâce à l'effet de surprise. « Entre, on y sera mieux. » Quand elle me demanda d'entrer, j'eus un blocage dans un premier temps, blocage qu'elle contra directement, en m'obligeant à entrer, la main autour du poignet, poignet qu'elle tira de toutes ses forces.

« Doit y avoir des bandages en rade quelque part pour ta tête. » J'aurais dû simplement accepter le fait qu'elle s'inquiétait pour moi et ne pas réfléchir plus loin mais je n'étais pas franchement à l'aise en sa présence. D'une certaine façon, ça me renvoyait à notre passé et le fait qu'elle ait le dessus n'aidait pas. Elle proposait son aide, c'était sans doute sincère, mais je ne pouvais pas m'empêcher d'avoir peur. C'était quelque chose d'instinctif. « Je pourrai m'occuper de moi. Par contre, tu devrais vraiment penser à toi. J'ai l'habitude de me gérer seul. » J'aurais peut-être dû faire des efforts mais c'était plus fort que moi, elle ne me rappelait pas de bonnes périodes de la vie. Sans parler de son rejet récent.

Ashlan

année 41 ; saison intermédiaire ; journée 85

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C'était étrange de se retrouver dans cette situation. L'atmosphère n'avait rien de réconfortant, un sentiment de gêne bien trop présent régnait dans la bâtisse. Asha avait l'impression que ses deux vies s'entrechoquaient. Cette maison dans laquelle elle n'avait plus remis les pieds et ce frère qu'elle pensait avoir enterré depuis si longtemps s'étaient croisés comme dans ces rêves étranges qui vous laissaient toujours un peu perdu au réveil. Mais Elan était là, et elle l'avait volontairement ramené jusqu'ici, au sein de son territoire, dans cette nouvelle vie dont elle l'avait banni. La distance entre eux était palpable, elle pourrait tendre la main et la sentir. Elle en était l'entière responsable mais la Asha de six ans n'en croirait pas ses yeux de les voir se tourner autour comme des bêtes sauvages trop farouches que pour s'apprivoiser. La Asha d'aujourd'hui ne leva les yeux au ciel qu'une nouvelle fois car malgré tout, son frère restait son frère, même quand il faisait des efforts, il était encore trop tendre, Elan. Un sourire amère se dessina au coin de ses lèvres. Bien sûr qu'il avait l'habitude de se gérer seul, elle lui avait un peu forcé la main à apprendre la dure réalité de la vie, il y a de ça dix ans. Fais comme chez toi alors.  Le ton s'était voulu désinvolte, le bras désignant le reste de la bâtisse de façon un peu théâtrale tandis qu'elle se tenait toujours le ventre de l'autre. Elle misait sur le bon de sens du libre en le laissant seul dans le salon. Elle n'avait pas oublié le chemin vers sa chambre et elle ne ressentit aucune nostalgie en passant la porte. Elle comptait sur la méfiance de son adolescence pour retrouver un peu d'alcool sous les planches de parquet. Un, deux, trois et un coup de talon pour décoller le bout de bois. Et puis, bingo. Un coup d’œil rapide vers le lit au drap encore faits, comme si ses parents de substitution avaient toujours attendu qu'elle revienne un jour. Leur naïveté lui sauvait la mise, peut-être qu'elle passerait leur faire savoir qu'elle était encore en vie. Probablement pas, bouteille d'alcool et draps blancs sous le bras, elle redescendit les marches, les mâchoires serrées, pénétrant dans le salon en soufflant avant de laisser tomber les bouts de tissu aux pieds du deuxième occupant. Un peu vieux mais ça devrait faire l'affaire.  Ou pas, elle était pas soigneuse mais si Elan prétendait se gérer seul, alors il devait avoir une idée de comment ne pas mourir en se désinfectant à l'alcool. J'ai rien mis dedans si c'est ça qui t'inquiète.  Parce qu'elle n'avait pas oublié qu'il se méfiait d'elle, à raison. Sans l'attendre plus, elle alla se caler dans l'un des fauteuils décrépits de la pièce.

Ashlan

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« Fais comme chez toi alors. » Je n'avais même pas repris tout ce cirque, ça ne servirait à rien et au final, c'était encore le plus rassurant dans cette histoire, quelque chose qui n'avait pas changé depuis mon retour à Paris. Si elle s'était soudainement montrée gentille et bienveillante, je me serais probablement d'autant plus méfié parce qu'elle n'en avait plus que faire de ce fantôme de frère, je ne faisais plus partie de sa vie, elle avait été claire à ce sujet. Le plus con dans l'histoire, c'était que je tenais encore à elle. A l'ancienne elle, une histoire comme ça. Si elle ne m'accueillerait plus jamais, je voulais m'assurer, même de loin, qu'elle allait bien. Je m'étais installée dans un coin de la bâtisse, à même le sol, sans me faire prier et regardai tout autour de moi, curieux de découvrir les lieux, même si les circonstances n'étaient pas idéales. Au moins, il y aurait assez de place pour nous deux, assez de place pour qu'elle ne me reproche pas d'être là, d'être dans ses pattes. J'étais un intrus, pire encore qu'un vulgaire Libre.

« Un peu vieux mais ça devrait faire l'affaire. » J'avais posé mon regard sur les bouts de tissu balancés à mes pieds avant de me concentrer sur elle à nouveau. « J'ai rien mis dedans si c'est ça qui t'inquiète. » J'avais secoué la tête avant de regretter le mouvement. Elle me détestait. Elle n'acceptait pas mon existence. Elle était monstrueuse. Mais elle restait elle, malheureusement, alors je voulais bêtement croire qu'elle ne me ferait pas de tort. C'était certainement naïf et paradoxal puisque j'étais conscient de tout le reste, de cette haine qui nous liait, haine que je ne comprenais toujours pas, mais je l'aurais suivie aveuglément parce qu'elle était elle et parce que j'avais toujours été beaucoup trop attaché à elle. Parce que nous avions été fusionnels.

« C'est de toi qu'il faut s'occuper. J'ai pas besoin de ces bandages. Au pire, je suis qu'un fantôme. » Communiquer était compliqué parce que trop de sentiments se bousculaient dans mon coeur et dans ma tête, parce que je ne connaissais pas les règles du jeu auquel elle nous avait forcés de jouer. L'inquiétude se mélangeait aux reproches le plus spontanément possible parce que j'étais un gamin paumé.

Ashlan

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Elle grogna avant de se passer la main sur le visage. Elle était fatiguée de cette situation. Mais pas stupide ou égocentrique au point de ne pas comprendre qu'elle en était responsable. La décision qu'elle avait prise dans une autre vie avait forcément des conséquences. Et c'était sûrement pire que culotté de sa part de se sentir frustrée à ce point, l'agacement à peine contenu par cette fatigue qui grandissait un peu plus à chaque instant. Elan était dans son droit à tous les niveaux. Il pouvait lancer des piques, refuser son aide, ne pas lui faire confiance. Le répéter ne l'aidait aucunement à avaler cette vérité. Si elle n'était pas en colère alors elle serait submergée par la culpabilité. Ferme-la, elle gronda avec toute la férocité qu'un jaguar lui connaissait. Les mâchoires serrées, elle se pinça les arrêtes du nez. Encore plus énervée d'être incapable de se contenir plus. Asha n'avait jamais été une petite nature mais la douleur ne l'aidait pas à faire preuve de plus de patience. Elle le devait pourtant, soufflant avant de reprendre. Sans se lever de sa place, elle se tourna vers lui. Tu pourrais m'écouter pour une fois? Erreur, elle savait qu'elle s'ouvrait à de nouvelles attaques, douleur et colère n'avaient jamais été les meilleures conseillères.  Juste une fois, d'accord? Elle détourna le regard, fixant obstinément une tâche à quelques centimètres de ses chaussures. Le noeud du problème, c'était qu'elle tenait toujours à lui. Elle avait tout essayé pour tuer ce cœur faible, en vain. Elle continuait de le blesser pourtant même quand elle voulait aider.  Je sais que tu ne me dois rien. Et que je ne suis plus ta sœur. mais tu restes mon frère . Ces mots, elle les garda pour elle. Elle ne regrettait pas de lui avoir dit qu'il resterait toujours son frère. Même si, cette fois-là aussi, elle avait été incapable de ne pas libérer la bête. Elle admettait néanmoins que pour Elan, elle n'était plus personne même si la douleur lui coupait le souffle en y pensant. Elle la méritait. Et je sais que t'es assez grand pour t'occuper de toi-même. Même si, franchement, j'ai du mal à le croire vu comme tu t'obstines à refuser mon aide. Elle continuait à éviter de regarder dans sa direction. Ils étaient des miroirs, ça devrait être aussi désagréable pour lui que pour elle. Est-ce que c'est parce que c'est moi? Ce serait tellement con, Elan. Et tu le sais. Dis-toi que ça vient d'une inconnue si c'est plus facile. Il était le plus intelligent des deux après tout. Asha n'essayait pas de se dédouaner de ses erreurs. Une bonne action n'effaçait pas un crime comme le sien. Ce n'était de toute façon pas son intention. Tout comme ce n'était pas de la pitié ou une technique pour le rendre redevable Elle voulait seulement qu'il arrête de faire son obstiné. Juste cette fois. Tant qu'elle arrivait encore à garder un semblant de calme et que la bête ne demandait pas à goûter le sang. Juste cette fois. Et après, elle s'occuperait de son ventre, elle irait même s'enfermer dans la chambre s'il le souhaitait.  

Ashlan

année 41 ; saison intermédiaire ; jour 85

I'm not here to hurt you

« Ferme-la. » J'acceptais assez difficilement de me prendre ses humeurs en pleine figure, particulièrement parce qu'elles étaient injustes, qu'elle avait perdu plus d'une fois l'occasion que je lui avais tendue, quand je n'avais pas encore compris à quel point elle ne me voulait plus dans sa vie, dans cette nouvelle vie. Je n'avais pas été diplomate mais elle ne l'était pas non plus. J'estimais que c'était normal de là où je me positionnais d'avoir du mal à communiquer avec celle qui m'avait lâchement abandonnée et par deux fois au moins. Pour seule réaction, j'avais serré mon poing autour du tissu qui me servait de pantalon sans un mot. Je n'avais rien d'aimable à lui balancer en retour.

« Tu pourrais m'écouter pour une fois? » J'avais rigolé d'un rire froid et nerveux, ce qui en disait long sur la façon dont j'avais pris sa remarque. Pour une fois ? C'était une blague. Elle m'avait enterré vivant en me laissant en arrière, me refusait quand je débarquais des années après tout ça et c'était à moi d'écouter ce qu'elle avait à dire ? « Juste une fois, d'accord? » J'avais l'impression qu'elle se jouait de moi, qu'elle me traitait avec encore moins de respect que certains Membres face à un Libre qui ne seraient pas Intouchables et qu'ils ne connaissaient pas du tout. Un coup, elle soufflait le chaud, un autre, elle soufflait le froid. Comme si j'étais prié de me plier à ses lubies. Comme si je ne pouvais exister à travers elle que quand elle le décidait et même si je ne le voulais plus. Elle jouait à un jeu beaucoup trop cruel auquel je refusais de participer.

Le temps de trouver une réponse, elle enchaînait, comme si, à nouveau, elle ne me laissait pas la place d'exister et de réagir comme j'en aurais eu besoin sur le moment. « Je sais que tu ne me dois rien. Et que je ne suis plus ta sœur. » Elle avait le chic pour retourner une situation, pour enfoncer le couteau dans la plaie et me faire croire que j'étais celui qui l'enfonçait comme un grand. A l'entendre, j'avais décidé de ça, elle n'avait pas une grande part de responsabilité dans l'affaire. J'étais le seul criminel dans ce bordel.

« Et je sais que t'es assez grand pour t'occuper de toi-même. Même si, franchement, j'ai du mal à le croire vu comme tu t'obstines à refuser mon aide. » Encore une fois, elle était culottée. Elle présentait les événements de manière très simpliste, comme si elle était la seule à pouvoir m'aider dans cette situation, comme si c'était encore naturel de ma part de lui faire confiance, de ne pas avoir une petite voix qui me poussait à la méfiance. Comme si je pouvais encore lui accorder ce rôle de personne bienveillante après qu'elle m'ait laissé de côté, en se persuadant que j'étais mort. Je riais jaune face à tant d'idiotie soudaine.

« Est-ce que c'est parce que c'est moi? Ce serait tellement con, Elan. Et tu le sais. Dis-toi que ça vient d'une inconnue si c'est plus facile. » Plus ça allait et plus je voyais rouge. Et tu le sais. Comme si soudainement, elle pouvait se permettre de prétendre qu'elle me connaissait encore ? Si je ne la reconnaissais plus, elle ne pouvait pas prétendre l'inverse. Je n'étais plus l'enfant aveugle. Je n'étais plus qu'un monstre d'égoïsme et de rancœur à cause d'elle et de personne d'autre.

« Juste cette fois. » A chaque nouveau supplice, je me crispais davantage. J'en avais marre. Marre de l'entendre prétendre se soucier de moi. Marre de m'accrocher à ce peu qu'elle me donnait après tout ce qu'elle avait fait. Marre d'être ce putain de gamin qui n'arrivait pas à lui dire merde en pleine figure. C'était pour ça que je devais continuer de prendre mes distances. Je ne pouvais pas retomber dans ce piège. Je ne survivrais pas une nouvelle fois si elle me piétinait sur place. J'avais espéré trop longtemps la retrouver, malgré ma colère et ma haine, mais elle m'avait abandonné une deuxième fois. Je ne pouvais pas lui laisser trop de place. J'étais mort de trouille.

« Tais-toi. Tais-toi. Tais-toi ! » Je m'étais bouché les oreilles, secouant la tête dans tous les sens et tant pis si j'en crevais de mal. Ce n'était pas la priorité. Les larmes, d'un mélange de colère, de rancoeur et de tristesse brouillait ma vie mais ce n'était pas plus mal. Je n'étais pas en état de la regarder. Pas pour le moment. « Tu me demandes de t'écouter ? Pour une fois ? T'oses dire ça ? Sérieux ? Merde. La ferme. Tais-toi. Je veux plus t'entendre. » J'avais crié ces mots, toujours poussé par mes émotions, il n'y avait plus rien de rationnel entre nous. « Tu crois que j'ai encore la force de me laisser marcher dessus ? Tu crois que j'ai pas la trouille ? Tu crois que c'est facile de passer à autre chose ? Merde. Je suis qu'un gosse. Alors, tes petits mots gentils, tes petites attentions, tu crois pas que ça va encore me vendre quelque chose ? » Puisque j'étais lancé, c'était le moment de lui balancer ce que j'avais sur le cœur. « T'es plus ma sœur ? Alors, soigne-toi correctement, comme cette nouvelle Asha, la Jaguar. On t'a sûrement appris les bases. Moi, je peux me débrouiller comme un grand. Parce que j'ai pas eu d'autre choix. »