Icare & Oksana

année 41 ; saison intermédiaire ; journée 81

family problems

La journée commençait tout doucement à s'approcher de sa fin mais nous ne voyions à ce stade aucune trace d'un campement promis, ce qui signifiait que nous allions devoir marcher encore un petit moment. Je ne regrettais pas réellement d'être parmi ceux qui marchaient parce que je me serais vite senti à l'étroit dans une voiture avec des coéquipiers Fines Lames. Les entraînements étaient loin derrière nous et avec ça, j'avais perdu l'habitude, comme lors de chaque saison meurtrière, de leur humour parfois, ou plutôt souvent, glauque. Si je savais le regard de Violette à chaque instant braqué sur nous, à peu de choses près, j'étais soulagé d'avoir cet espace pour moi. Je trouvais une promesse de nouvelle liberté et de nouvelles rencontres potentiellement bénéfiques. Contrairement à notre Lieutenant et beaucoup de Dragons, je ne voyais pas les autres clans comme inférieurs ou moins bien. J'étais seulement conscient que nous étions de belles cibles et que la prudence était de mise mais les Vipères ne pouvaient être certaines de mon appartenance.

Prendre du temps pour moi, surtout après cette discussion lourde de sens avec Fitzroy, avait son importance. Seulement, il n'était pas question de rester braqué sur le chemin et de faire mon trou. Plus que d'ordinaire, je voulais réellement profiter de cette occasion pour reprendre du poil de la bête et rien ne me réussissait mieux que d'observer les autres et me rapprocher d'éléments parfois plus discrets mais moins nuisibles que mon équipe. Loukas était une belle et grande exception. Fitzroy, c'était juste très compliqué, même s'il ne s'était jamais montré vraiment hostile vis-à-vis de moi.

Il y avait bien une fille avançant presque naturellement dans l'ombre de ce que je supposais être sa famille. Si ça avait été des amis, ils auraient eu une toute autre réaction. Les amis, ça se choisissait, pas la famille. J'étais bien placé pour le savoir. Elle avait osé quelques tentatives en direction de celle que j'imaginais être son aînée et de temps en temps, il y avait un garçon beaucoup plus grand qui apparaissait quand il n'était pas charrié. Ce que je m'apprêtais à faire était certainement culotté mais c'était le moment idéal pour tenter une approche. « La famille, c'est parfois compliqué. Ils feront peut-être plus attention à toi si t'es accompagnée. Ma sœur a cette fâcheuse tendance, en tout cas. Crois-moi, elle ne fait que rarement attention à moi quand tout semble bien aller. » J'espérais que l'entrée en matière ne l'effrayerait pas. Sait-on jamais qu'elle trouve cela insultant.

Icare & Oksana

année 41 ; saison intermédiaire ; journée 81

family problems

A certains moments, je me demandais si je n'aurais pas fait un meilleur Espion et Thalia une meilleure Fine Lame. Peut-être que dans ce cas de figure, nos potentiels respectifs auraient optimisés. C'était difficile pour moi désormais de m'imaginer dans une autre équipe que celle-là parce que je m'étais attachée à Violette et je ne détestais pas Fitzroy qui avait fini par m'accepter sans trop de difficultés pour quelqu'un dans son genre, trop différent de moi, seulement l'idée n'était pas si mauvaise. Je passais inaperçu à tel point que je venais de la faire sursauter, cette fille qui sortait du lot. « Uh. Je suis pas sûre que je devrais te le dire, mais t'es conscient que sortir à ta cible que tu l'as observée, c'est pas très malin ? » C'était de bonne guerre. Je ne prétendais pas être malin non plus. Je faisais de bons choix, des choix de survie, mais je n'étais pas aussi intelligent que d'autres ou pas assez pour un Dragon, peut-être parce que la forme d'intelligence était très particulière pour un Membre du Nord. « Désolé, je ne voulais pas t'effrayer. » Je me grattais la nuque, désespéré par ma propre bêtise. Il faut dire qu'on ne m'avait pas exactement appris à communiquer ni au sein de ma famille, ni au sein de mon équipe. On ne parlait pas ou peu. On connaissait les règles, les limites à ne pas franchir mais s'ouvrir aux autres, c'était une chose que j'avais apprise par moi-même. Encore heureux, j'étais le plus doué de la fratrie.

« J'ai l'habitude. Parfois, c'est même mieux de ne pas se faire remarquer. Ma grande sœur est une vraie plaie lorsqu'elle se met à me materner. » Ta sœur tient à toi. Les mots de Violette me revenaient à l'esprit à l'instant même où cette fille avait parlé d'une sœur maternant l'autre. Quelque part, Thalia avait été drôlement inquiète et maternelle depuis l'attaque sur le territoire Est et pas une seule fois. Elle m'avait même ouvert son cœur à sa façon mais c'était un geste que je ne pouvais pas nier, pas après tant de batailles perdues. « Une amie m'a confié qu'elles sont souvent maladroites mais que c'est leur façon de montrer qu'elles nous aiment. Un peu comme j'ai moi-même été maladroit en venant te parler comme ça, sans prévenir. J'suppose qu'on l'est tous à notre façon. » Ça n'arrangeait certainement pas l'image qu'elle devait se faire de moi mais dans le fond, après ce voyage, ce n'était pas dit que nous nous recroisions et j'avais besoin de ce contact humain à nouveau, pour devenir celui que j'étais avant tout ce bordel. « On m'a dit d'être prudent mais mon nom ne te dira quand même rien, donc je prends le risque. Icare. Te sens pas obligée de faire pareil, la méfiance est de rigueur après les conneries des Dragons. » Dont je faisais malheureusement partie.

Icare & Oksana

année 41 ; saison intermédiaire ; journée 81

family problems

« Te fais pas de bile, on me saute tout le temps dessus sans prévenir. » Qu'elle soit aussi conciliante s'expliquait peut-être justement de ce détail et je m'en voulais encore plus d'avoir agi aussi inconsciemment. Je me sentais bien con de ne pas avoir pris en compte le fait qu'elle puisse être saoulée ou effrayée ou qu'elle puisse tout simplement ne pas apprécier qu'un inconnu communique avec elle sans avoir pris le temps de vérifier par les détails du langage non-verbal si c'était le bon moment. « Je suis désolé d'avoir répété ce que font déjà les autres. Ça n'a pas vraiment l'air de te faire plaisir et je peux tout à fait comprendre, même si je n'ai jamais connu ça. » Rares étaient les Dragons qui fonctionnaient de cette façon. On nous demandait de la discrétion et du sérieux. Sauter au cou de quelqu'un ou happer le bras du premier inconnu n'était pas digne du Nord.

« Je ne veux pas paraître ingrate, mais, dans certains cas, j'aimerais qu'elle le montre un peu moins. » L'entendre grommeler après avoir avoué quelque chose d'aussi spontané et venant de ses tripes me fit rigoler, tout aussi spontanément. Elle avait cette petite touche de soleil et de fille franche, sans chercher réellement à blesser qui que ce soit qui vous faisait craquer. C'était surprenant qu'on ne la remarque pas. Sa sœur semblait pourtant la bouffer. Je n'osais pas imaginer l'espace qu'elle devait prendre quand elle était dans les parages. « Elle a l'air de te bouffer toute ton énergie. En tout cas, ça expliquerait que tu dises ça avec toutes ces mimiques. » Ces mêmes mimiques qui la rendait drôlement mignonne. Une bonne vivante qui devait en avoir marre d'être étouffée. Ce que je ne vivais pas exactement avec Thalia.

« Oksana. » Un nom que je n'avais jamais entendu jusque-là. Un prénom certainement difficile à écrire mais joli d'un point de vue sonore. Plus que ça, j'étais honoré et flatté qu'elle ait osé me donner une information aussi importante que son prénom. « Merci, tu sais, pour la confiance. » Je lui offris un sourire sincère mais discret. « J'en déduis que tu es impliqué dans un drama familial ? Peut-être que je pourrais offrir un autre éclairage sur la situation. On ne le dirait pas comme ça, mais je suis une sorte d'experte sur le sujet. » Je me mis à rire à nouveau. Elle avait cette façon de dépeindre les choses très personnelle et très attachante. A croire qu'elle attendait que quelqu'un vienne la sortir de cette ombre pour s'exprimer. Sa famille devait trop souvent l'oublier. « J'aime mon clan mais il a de mauvaises habitudes et à cause de ses mauvaises habitudes, mon père s'est concentré sur moi et ma sœur m'en a voulu, je crois. Elle ne me parle jamais, me crache son venin mais j'ai compris qu'elle s'inquiétait réellement, lorsqu'elle est venue vers moi au sujet du voyage. » Je regardais l'horizon, trop gêné que pour la regarder à ce moment précis et, de toute façon, il fallait bien que nous avancions.