Lena & Oksana

année 41 ; saison intermédiaire ; jour 74 (après-midi)

  first encounter with the other family

J'avais bien besoin de cette pause. Depuis quelques jours, c'était le bordel intégral dans ma tête. Mon père en était la cause. Son discours était bien beau et plein de bonne volonté mais si l'acte ne suivait pas la parole, à quoi ça pouvait bien servir, si ce n'est me relancer encore et encore à ce sujet ? Pourquoi surtout après tant d'années, alors que j'avais accepté son accord ? Evidemment que je voulais qu'ils connaissent mon existence, que ce soit réciproque mais c'était bien pour ça que toute cette mascarade était trop cruelle. Heureusement que des visites comme celle de Thiago, lors de la saison polaire, n'étaient pas monnaie courante. Heureusement également que Yulia n'était pas une Jaguar. Je n'aurais pas eu la force de lui faire face en l'état. J'étais trop énervée qu'on joue ainsi avec mes nerfs. Ne s'en voulait-il pas un peu de se moquer de moi de la sorte ? C'était ce que je comptais lui demander, précisément. Je pouvais comprendre qu'il voulait tâter le terrain avant de se lancer dans l'inconnu mais plus le temps passait, plus j'avais le sentiment qu'il avait surtout peur pour lui. Il avait peut-être peur que celle qui avait sa préférence ne le boude et tant pis si je souffrais encore quelques jours de plus. C'était parfaitement injuste. J'étais conciliante. Je l'étais depuis trop longtemps. Seulement, même moi, j'avais mes limites. Je ne voulais pas qu'elle souffre mais qu'il se rappelle que j'étais là, moi aussi, et que j'étais humaine n'aurait pas été de refus.

Comme à chaque fois que j'étais dans cet état de tension, je ne regardais pas forcément où j'allais. Mon objectif empiétait sur mon champ de vision. Un coup d'épaule me fit reculer de quelques centimètres et je relevai la tête. « - Outch. Pardon, je ne faisais pas attention à cause de ce grand dadais. » Oksana. Elle avait déjà fait quelques tours du côté de l'infirmerie, alors je connaissais son nom mais ça s'arrêtait à ça. En relevant la tête, je reconnus Thiago et ma main se serra. Encore une fois, le destin se foutait de ma gueule. Merci, karma. « Thiago. » J'aurais dû me dominer mais je n'y arrivais pas. Il me fallut prendre le temps d'une inspiration ou deux avant de reprendre. Calme-toi, c'est pas le moment de te louper. « Ne t'en fais pas. Thiago a le don de perturber certaines personnes. » Par chance, elle ne comprendrait pas le sous-entendu. De mon côté, leur discussion que j'écoutais d'une oreille distrait me revint quand leur ressemblance me frappa. « Mais tu dois le savoir puisque vous semblez si proches. Laissez-moi deviner, les meilleurs amis du monde ? » Je faisais semblant de les taquiner mais l'enjeu était plus important que ça. Tant qu'à râler chez mon père, autant lui faire comprendre que j'en découvrais de nouveaux.

Lena & Oksana

année 41 ; saison intermédiaire ; jour 74 (après-midi)

  first encounter with the other family

Voilà qu'elle montait sur ses grands chevaux pour défendre celui que je pensais n'être que son ami. Ça ne pouvait pas faire de tort à celui que j'avais retapé lors de la saison polaire. Je n'étais pas non plus inhumaine. Malgré son comportement lâche, il n'avait tué personne. C'était peut-être la sous-infirmière qui parlait. S'il ne s'agissait que de la personne, j'aurais fermé les yeux sur ce qui pouvait lui arriver. Je savais bien que c'était injuste et qu'il ne méritait pas cette colère que j'aurais dû tourner contre mon père, l'unique fautif. En plus, il m'avait remerciée de coopérer. A l'entendre, il se rappelait même de moi. Seulement, cette haine était ma meilleure amie depuis trop longtemps. Je n'avais qu'elle quand je pleurais dans ma chambre, plus petite. Personne à qui en parler, parce que de toute façon, on ne me croirait pas. « Ce que j'en... » Même quand je tentais de me justifier, on ne me laissait pas en placer une.

Thiago, encore une fois. Pourquoi prenait-il la peine de me défendre, moi, la pestiférée ? Je n'étais rien, pour lui. Je n'étais rien pour le moment. Si mon couard de père se décidait un jour à parler, la donne changerait. De mon point de vue, mon cousin était beaucoup plus courageux que mon propre géniteur. Tout ça, aussi positif que ce soit, me faisait perdre mes moyens. Je ne connaissais pas le mode d'emploi prescrit dans ce genre de situations. On m'avait déjà aidé, parfois dans des cas de figure encore plus déstabilisants, mais tôt ou tard, je mettais une distance entre la personne qui me tendait la main. Ce n'était plus leurs apartés qui me coupaient, c'était ce coup de pied donné dans un mécanisme trop bien rôdé. Je les écoutais sans réagir, de manière superficielle. Je n'étais pas présente jusqu'à ce qu'il ne me révèle ça. Encore un mensonge. Merci, papa. « De vrais cousins ? » Pour la première fois, j'avais laissé tombé un minuscule morceau du masque que je portais constamment. Ils avaient dû entendre la subtilité dans ma voix, cet étonnement qui n'aurait pas eu lieu dans une conversation classique. J'étais trop concernée pour une simple étrangère.

Dans un réflexe stupide, je m'étais griffé le bras. Si je ne pouvais pas diriger ma colère sur eux, là, immédiatement, ni sur mon père, je n'avais que cette solution. Je n'arrivais plus à me focaliser sur la discussion. Je l'avais bien entendue se présenter. Son nom, je le connaissais, mais la politesse aurait voulu que je réponde. On aurait dit que j'avais vu un fantôme. M'avait-il caché encore d'autres personnes ? Et si oui, combien encore ? Saleté de journée. Comment voulait-on que je fasse confiance ? Comment ?

Lena & Oksana

année 41 ; saison intermédiaire ; jour 74 (après-midi)

  first encounter with the other family

« - Je ne suis pas sûre de bien comprendre. » Sa réaction était légitime, elle ne me connaissait pas et, tout au plus, je représentais juste la sous-infirmière pour elle. Pour moi, c'était une autre paire de manches. Je devais comprendre de quoi il retournait exactement. Le flou, je ne connaissais ça que trop bien. J'étais l'ombre au tableau, celle qu'on ne connaissait mais qui savait des choses. Là, j'avais l'impression qu'on me retirait jusque ça. Ce n'était pas glorieux d'être une ombre mais au moins, je gardais une certaine maîtrise de tout ce foutoir qu'était ma vie. C'était bien pour ça que la question était importante pour moi. Malgré cette nécessité, je restai muette suite à ce qui ressemblait à une question implicite. Qu'est-ce que je pouvais lui dire ? Salut, je pose cette question parce que je fais partie de la vie de Thiago mais il ne le sait pas, comme Yulia. Je n'aurais pas eu l'air stupide.

Ni l'un, ni l'autre ne comprenait l'allusion. Ils avaient l'air surpris mais pas vexés. Juste surpris. « - C'est si rare que ça les cousins ? » J'aurais souhaité lui dire que ce ne l'était pas, puisque j'étais moi-même sa cousine mais ça aurait fait tâche et le plan de mon cher père serait tombé à l'eau. En plus, je n'étais pas exactement prête à le dire, surtout pas en plein milieu des couloirs. Le côté privé manquait cruellement. « - Mon père est le frère de la femme du frère du père de Thiago. » Le frère du père de Thiago, soit mon père. La colère monta en moi, je m'étais enfoncé les ongles dans le bras, comme pour la contrôler mais en vain. Qu'importe qu'ils me prennent pour une folle parce que j'étais folle de rage. Il m'avait encore menti, que ce soit volontairement ou par omission. Je ne pouvais décidément pas lui faire confiance. Il m'avait blessée, une nouvelle fois. Il ne méritait pas mes larmes, eux non plus.

« - Cousins, c'est plus simple, comme tu peux l'entendre. On a été élevés ensemble, le reste, on s'en fiche un peu. » J'étais comme absente. Je les entendais mais ne les écoutais plus réellement. Je ne me sentais pas bien du tout. Et pour ne rien arranger, j'avais donné un coup de poing dans le mur à mes côtés. Ce sentiment de trahison était indescriptible. Je mourrais d'envie d'aller le retrouver pour l'insulter. Non, je ne voulais même pas le voir. J'avais honte de lui et de ses mensonges. Est-ce que je valais seulement quelque chose à ses yeux ? J'en doutais. « Merde ! » J'avais hurlé ce mot, dépassée par les événements.

Lena & Oksana

année 41 ; saison intermédiaire ; jour 74 (après-midi)

  first encounter with the other family

« - Hé, est-ce que..?
- Ne lui demande pas si ça va, de toute évidence ce n'est pas le cas. » Je les entendais mais mon attention était ailleurs. Ce qu'ils disaient n'était qu'un bruit de fond face à tout ce venin que je crachais momentanément dans ma tête à l'égard de mon père. Quelque part, je les insultais aussi, intérieurement, mais ce n'était pas aussi viscéral parce qu'ils n'y pouvaient rien, c'était une évidence. Je regrettais d'avoir croisé leur route là, dans le quartier général, alors que mon père n'avait encore parlé à personne. Thiago n'était pas au courant mais ce n'était pas surprenant puisque la chouchoute n'était pas elle-même prévenue. Thiago était son neveu, pas sa fille.

Des bruits de pas qui s'approchaient. J'espérais honnêtement qu'il n'allait pas avoir le malheur de me prendre en pitié et de s'inquiéter pour moi. C'était la dernière chose dont j'avais besoin. C'était elle, Oksana. Les bons vieux réflexes avaient pris le dessus dans un souci de protection et j'avais reculé d'un pas alors qu'elle me tendait la main. Leur compensation, j'en avais pas besoin. Je savais me débrouiller seule. Je n'avais aucune famille. Je n'en avais pas. Personne ne s'était jamais soucié de moi, ils n'étaient, de ce fait, que des étrangers, même si c'était de sa faute. Ils avaient eu l'amour de leurs proches, je n'avais eu droit qu'aux restes de Yulia. Elle pouvait ne pas me vouloir de mal, c'était même une certitude, il n'en restait pas moins que les gestes d'affection, je n'en avais pas l'habitude. Et elle était de cette famille.

« - Je ne suis pas la pro ici, mais ta main ? Je suis désolée si j'ai dit un truc bizarre qu'il n'était pas bon que tu entendes. » Ma main n'était qu'un dégât collatéral. Ce qui me faisait mal, tous les jours, c'était mon cœur. Je ne pouvais pas lui dire tout ça, elle n'y comprendrait rien et me prendrait pour une folle. En plus, il était hors de question de lui laisser l'opportunité de me piétiner. Les gens mentaient à longueur de temps. « C'est rien, rien qui ne puisse être soigné. » J'avais soigneusement caché ladite main pour cacher mon mensonge. A croire que je tenais ça de mon cher père. « Je ne m'inquiéterais pas de ce que tu dis mais de ce qu'on ne vous dit pas. » Pour une énigme, c'était joli. J'allais la perdre mais peut-être allait-elle me fuir plus rapidement.