Même si elle était certaine d'être allongée, la tête lui tournait. Un peu ailleurs, Thalia fixa le ciel grisâtre. Le moment n'était pas le mieux choisit pour cela. Tout autour d'elle, le vent hurlait. Pour le moment, un mur la protégeait d'être trop agitée par ses bourrasques. Comment s'était-elle retrouvée là ? Si le temps indiquait bien une chose, c'était qu'elle aurait dû être bien à l'abri chez elle.

Cet espèce de vide qu'elle avait dans le crâne et qui laissait trop de place au vertige se remplit bien trop vite. Des flashs, des images. La patrouille avec Kalenji. Elle voulait se rapprocher d'autres patrouilleurs puisque la majorité de ceux dont elle avait fait la connaissance étaient apparemment parti. Quelque chose avait mal tourné pendant qu'ils marchaient. Le vent s'était levé et l'aspirant avait proposé qu'ils trouvent un refuge avant que manœuvrer dans les rues ne deviennent trop dangereux. Et puis, c'était le trou noir. Thalia essaya de se relever mais une douleur vive dans le dos l'arrêta net. Mauvais signe.

— Kalenji ? tenta-t-elle, toujours gelée dans son mouvement.

Bouger sans savoir de quoi elle souffrait n'était pas le meilleur plan, mais Thalia manquait d'options. Elle ne pouvait pas rester là indéfiniment. Se forçant à ignorer la douleur, elle s'assit de façon à pouvoir regarder autour d'elle.

Quelqu'un était avachi au sol, non loin.

— Kalenji ?

Plus fort, cette fois.

We can do it
Année 41 – saison intermédiaire (journée 85)

La demande t'avait pris par surprise. Depuis cet incident que tu ne regrettais pas lors de l'annonce de Samuel, tu n'étais pas vraiment devenu le Membre le plus populaire sur le territoire. On t'évitait pour éviter d'être associé avec ce petit quelque chose que tes paroles avait révélé. Tu pouvais comprendre. Il en fallait déjà bien peu pour se faire crever chez les Dragons. Ta survie restait un miracle en soi. Mais Thalia t'avait approché et avait voulu t'accompagner sur le terrain lors d'une patrouille. Une histoire d'espionnage. Malgré l'impression première que tu avais laissé tu n'étais pas du genre à ne pas te plier à une autorité supérieure. Elle était une Spécialiste, accepter était dans l'ordre des choses. Elle n'en demandait pas non plus énormément. Même le mensonge te dérangeait assez peu. Mais bien sûr rien n'avait tourné comme prévu. Il y avait eu ce vent mauvais. Cette cavalcade dans les rues. Puis la chute. Tu avais dévalé une pente mais pas sur tes deux pieds. Bien que sonné tu n'avais pas perdu connaissance. Et quelque part tu aurais préféré. Ta jambe te faisait atrocement mal. Deux zones de douleur semblaient se répondre à chacun de tes mouvements. Au sol, les yeux plissés par le vent, tu n'avais pu que te concentrer sur ta respiration pendant un moment pour tenter de calmer les émotions qui montaient et d'oublier le mal lancinant dans le bas de ton corps. « Kalenji ? » Tu avais à peine perçu l'appel. Comme si il était lointain et étouffé. Tu avais mieux à penser pour l'instant. D'une main maladroite tu avais tenté d'explorer ta cuisse. Tes doigts étaient revenus collants d'un sang chaud qui n'annonçait rien de bon. « Kalenji ? » Cette fois tu l'entends nettement. Thalia t'appelle. Tu te redresses comme tu le peux pour la chercher du regard. La trouves au sol aussi. Non loin. A première vue elle ne saigne pas mais ça ne signifie rien. « T'es blessée ? » Parce que même si tu ne la connais pas vraiment, tu te soucies quand même d'elle. L'âme d'un patrouilleur. En plus ta survie dépends d'elle. Tu n'es pas prêt de galoper dans les décombres en solo dans cet état.

En le voyant finalement remuer, Thalia se permit d'espérer. Cela n'assurait en rien qu'il allait bien mais elle n'aurait au moins pas à le traîner inconscient sur des kilomètres. Elle n'était pas toujours gentille et pouvait manquer cruellement d'empathie mais même elle n'aurait jamais abandonné un gars comme Kalenji dans la tempête. Personne en réalité. Il était plus facile de prétendre le contraire car elle n'avait jamais pu louper le fait qu'il se souciait profondément des autres. Aussi idiot que ce soit, les efforts méritaient d'être récompensés. Il était plus facile d'être égoïste que de faire quelque chose pour une autre personne. Elle le savait de source sûre.

— J'ai l'impression qu'on m'a déchiré le dos. souffla-t-elle avec peine alors qu'elle se relevait.

Une main posée contre le mur qui avait arrêté sa chute, elle marcha jusque lui. Une grimace bien visible au visage lorsqu'elle constata la blessure sur la cuisse de Kalenji.

— Bordel. Ça ne va pas nous faciliter la tâche.

Accroupie à ses côtés, elle dénoua son écharpe et alla la serrer très fort au-dessus de la blessure. Un geste qu'elle avait souvent vu Lincoln faire. Thalia se félicitait d'avoir prêté un minimum d'attention à ses faits et gestes lorsqu'elle traînait avec lui à l'infirmerie.

— Faut qu'on t'emmène à l'hôpital. Je vais t'aider à te relever.

Tentant de trouver des appuis solides, Thalia plaça les mains sous ses aisselles de façon à pouvoir le soulever. Elle comptait ensuite se glisser sous son bras en espérant que sa blessure dans le dos ne serait pas trop difficile à supporter.

— A trois. Un. Deux. Trois.

We can do it
Année 41 – saison intermédiaire (journée 85)

« J'ai l'impression qu'on m'a déchiré le dos. » Tu grimaces. Réflexe. L'image n'est pas plaisante à imaginer et tu ne peux pas t'empêcher d'avoir de l'empathie pour elle. Même dans ton état. Tu ne peux que l'observer de là où tu es. Ses difficultés à se déplacer. Pour constater avec étonnement qu'elle semble se soucier réellement de toi elle aussi. Pourtant vous ne vous connaissez pas. Vous avez des connexions mais c'est toujours un peu le cas au sein d'un clan. Avant votre départ du territoire tu ne te souviens même pas d'un moment où vous auriez pu avoir une conversation. Elle est une étrangère au visage familier. Sans plus. « Bordel. Ça ne va pas nous faciliter la tâche. » Rien de rassurant. Elle s'active vite et efficacement. Faisant preuve d'un sang-froid qui vous aide dans la situation. Et de connaissances. Mais tu n'as pas beaucoup de temps pour y penser. La douleur se fait foudroyante et tu ne peux retenir un cri. Tu n'es que plus conscient de ta blessure. Et c'est horrible. Mais c'est aussi un mal nécessaire. « Faut qu'on t'emmène à l'hôpital. Je vais t'aider à te relever. » L'hosto. La seule chose qui te rassure est qu'il ne devait plus être très loin. En temps normal tu aurais pu faire le voyage en peu de temps. Ici tu redoutes l'idée de te mettre debout. Il va falloir rajouter du poids sur cette jambe. Tu as juste la force de hocher la tête. « A trois. Un. Deux. Trois. » Le moment est pire encore que tu ne l'avais prévu. Le mal vient non seulement de ta cuisse mais tu peines à garder le pied posé au sol. Tu es forcé de te laisser peser lourdement sur elle. « Je crois que j'ai quelque chose à la cheville aussi. » Tu souffles péniblement. Une jambe bousillée de haut en bas. Il ne te manquait plus que ça.

Même si elle ne voulait pas qu'il souffre inutilement, Thalia ne pouvait pas se permettre de s'attarder trop longtemps sur sa douleur. Ils devaient se sortir de là. La situation n'irait pas en s'améliorant. La tempête pouvait s'intensifier et l'état de Kalenji allait forcément se détériorer. Tant qu'il parvenait au moins un peu à marcher, elle essayerait donc d'imposer une cadence.

L'idée ne tint pas la route longtemps. Ils étaient plus mal embarqués encore que prévu. Thalia soutint le poids de l'homme comme elle le pouvait. Elle s'était heureusement préparé à ce que cela arrive ce qui leur évita de terminer à nouveau au sol. Kalenji n'était pas léger, même si il n'était pas si grand.

— On est en veine dit donc. dit-elle avec sarcasme, une réaction habituelle venant d'elle. Tu penses pouvoir t'appuyer au moins un peu dessus ?

Thalia était une membre capable. Elle s'était entraînée toute sa vie pour ça. Elle ne se voyait pourtant pas tirer Kalenji comme un poids mort.

La situation lui rappelait la rébellion d'une façon désagréable. Le trajet avait été long et difficile aussi lorsqu'il avait fallu ramener la dépouille de Chad jusqu'au territoire. Elle s'ôta vite cette idée de la tête. Penser à tout ça ne servait à rien. De plus, Kalenji était encore bien vivant.

Thalia réajusta sa position jusqu'à trouver un entre-deux moins inconfortable. Ses mouvements n'étaient pas sans douleur mais il faudrait faire avec.

We can do it
Année 41 – saison intermédiaire (journée 85)

« On est en veine dit donc. » L'attitude te rappelle quelqu'un. Être avec Thalia n'est pas si dépaysant. Tu réagis d'un sourire crispé. « Tu penses pouvoir t'appuyer au moins un peu dessus ? » Tu n'en es pas certain. Un simple mouvement décuple déjà la douleur sans même que tu n'y ajoutes du poids. Ce n'est pas une question de choix pourtant. Tu dois le faire pour vous permettre de progresser. Tu représentes déjà un sacré boulet à son pied. Tu ne veux pas l'être encore plus en jouant les hommes trop fragiles. « Ouais ça ira. » Tu le grommelles entre tes dents en faisant un premier pas. C'est un mensonge mais qu'importe. Elle n'a pas la réputation d'être tendre mais tu ne veux pas prendre le risque qu'elle te prenne en pitié. Qu'elle t'aide est déjà suffisant. Certes c'est normal entre Membres mais parfois pas si naturel que ça chez les Dragons. L'entraide n'est pas une discipline si encouragée.