Maxine & Martin
A41 SI J91 (après-midi)

AND I CAN GO ANYWHERE I WANT JUST NOT HOME

Elle avait pensé que rentrer à la maison lui apporterait au moins un peu de réconfort. Ici, au moins, elle pourrait goûter à une solitude qu'elle était loin d'apprécier en temps normal. Elle pourrait s'écarter des questions et des yeux qui lui semblaient toujours plein de pitié. En passant la porte, elle n'avait pourtant pas retrouvé l'impression familière qu'elle attendait. Il faisait froid et triste entre les murs. Tous les signes de la vie que son père avait passé seul ici étaient là, mais elle aurait presque pu se dire qu'il y était à peine resté. C'était sans doute le cas, si cette petite réunion lui avait appris une chose, c'était bien qu'il avait été occupé en son absence. Elle lâcha son packetage en arrivant dans la pièce à vivre et alla se laisser tomber au bord de la fosse pleine de cendres, peu motivée à l'idée de s'activer pour faire un feu. Au pire, elle garderait sa veste.

Plusieurs heures durent passer sans qu'elle n'ait la force de bouger. Elle n'aurait pas su où aller ou que faire. Elle n'arrivait pas à se débarrasser de cette impression qu'elle n'était pas réellement rentrée. L'idée d'aller dans sa chambre la bloquait aussi. Là-bas, il y aurait toutes les affaires de Sawyer et il y avait des fantômes qu'elle n'était pas encore prête à affronter. Lorsque la porte s'ouvrit, elle leva précipitamment le nez, presque surprise de voir la silhouette paternelle dans l'encadrement. Il s'avança de sa démarche un peu lourde et vint s'installer en face d'elle, les mains déjà occupées avec les pierres à feu. Le petit tas de bois s'était mis à flamber lorsqu'il lui adressa enfin un véritable regard. Elle le sentit peser sur elle pendant un instant, cherchant quelque chose, avant qu'il ne se lance.

- Je ne m'attendais pas à ce que tu rentres sans elle.

Le sujet était très mal choisi. Légitime, quelque part, être séparée de Sawyer avait toujours été douloureux, mais elle aurait préféré qu'il ne se soucie pas de ça. Sa vie ne se limitait pas à elle, il aurait eu toutes les raisons de s'intéresser à d'autres choses. En même temps, elle se savait dans un sale état. Ce n'était pas physique, mais cela se répercutait dans l'air qu'elle affichait. Pointer ce détail prouvait qu'il la connaissait, mais elle était incapable de le reconnaître comme tel.

- Tu la verras plus.

L'aveu était dur à sortir. Il lui avait gratté la gorge jusqu'à enfin s'échapper et déjà elle sentit les larmes monter. Comme si elle n'avait pas déjà assez pleuré. Il ne devait rien avoir à dire sur le sujet car seul un silence lui répondit. Ce n'était pas si étonnant, il ne s'était jamais beaucoup mêlé de leur relation. Il avait tout accepté sans broncher parce qu'elle s'était battue et qu'elle lui avait bien fait comprendre que ce n'était pas une lubie, qu'il devait considérer que Sawyer serait toujours à ses côtés. A choisir, elle aurait pourtant préféré qu'il parle. Dans cette absence de tout, elle lisait quelque chose de trop douloureux. Elle se sentait au cœur d'une mauvaise farce, comme si tout le monde avait toujours su que cela se terminerait comme ça et qu'elle avait été la seule à se leurrer. Même avec les flammes qui dévoraient lentement le bois, elle se sentait frigorifiée. Les bras resserrés autour d'elle, elle baissa les yeux vers la fosse et s'efforça de chasser les larmes insistantes agglutinées dans ses cils.  

- C'est bien que tu sois là.

Les paroles n'étaient pas aussi rassurantes qu'elles auraient dû l'être. Elle ne se sentit pas particulièrement réconfortée en les entendant. Elle l'avait regardé se lever pour aller s'afférer dans la cuisine sans comprendre ce qui clochait. Il n'avait jamais été tendre, mais il avait ses façons de témoigner son amour. Ici, ce n'en était pas.

- P'pa, qu'est-ce qu'il se passe ?

Elle n'avait pas pu s'empêcher de le suivre, son cœur battant étrangement vite dans sa poitrine. Elle avait un mauvais pressentiment. C'était déjà le cas lorsqu'ils étaient arrivés sur le territoire et, ici, tout était pire. Il n'y avait pas que le clan qui était bizarre, son père aussi.

- La situation s'est un peu accélérée. Les Dragons avaient besoin d'être repris en main. Avec cette tempête et ces maudites Vipères qui en profitent...
- J'y comprends rien...
- ...les jeunes ont trouvés leurs limites. Le clan ne pouvait pas continuer à s'enfoncer.

Samuel n'était pas parfait, mais il restait leur Chef. Depuis quand le conseil des héros se permettait-il de prendre tant de place ? Si un gradé était médiocre, il devait être remplacé par un autre, c'était l'ordre des choses. Cela n'avait rien à voir avec ce qu'il se passait ici, ce qu'elle en comprenait tout du moins.

- Je vais avoir besoin de toi. Tu as un bon contact avec les autres, tu sauras leur faire comprendre que nous faisons ça pour le bien du clan.

Quels autres ? Pour le bien du clan ? Si c'était si bien que ça, pourquoi ces fameux autres n'étaient pas capables de s'en rendre compte par eux-mêmes ? Ils étaient bien conscients que leur Chef n'était pas efficace, ils se taisaient simplement pour survivre.

- Peut-être que tu parviendras même à rallier les non-natifs à notre cause. Tu as toujours su comment te comporter avec eux.

Est-ce qu'il ne l'avait pas écoutée ? Ce n'était plus une question de délicatesse, mais d'empathie la plus basique. Après ce qu'elle avait sous-entendu vis à vis de Sawyer, il aurait pu s'abstenir de dire ça.

- Votre cause ? Je pensais que vous faisiez ça pour le clan. Ça n'a aucun sens. Qu'est-ce qu'il se passe, bon sang ?!
- Je te l'ai dit. Nous reprenons le contrôle.

C'était trop, d'un seul coup. Elle encaissait depuis trop longtemps que pour supporter tout ça. Celui qui se trouvait devant elle avait tous les airs d'un étranger. Il ne l'avait pas éduqué à penser de cette façon. Elle ne voyait pas d'honneur, ni de dignité dans ses actions. Ce n'était même pas Dragon d'abuser de sa gloire passée juste parce que la situation actuelle ne collait pas à l'idée qu'il se faisait de ce qui aurait dû se passer.

- Faut que je prenne l'air. Je peux juste pas... Pas maintenant.

Fuir n'était pas son genre, mais elle n'y comprenait rien et elle se sentait à nouveau glisser. Trop de choses se battaient encore furieusement en elle. A croire qu'elle ne pourrait jamais souffler. Sans écouter ce qu'il aurait pu avoir à dire, elle s'empressa de sortir, bien heureuse de ne pas avoir pris la peine d'ôter sa veste ou ses bottes.