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Le téléphone est posé sur la paume de ta main. Suffisamment éloigné de ton oreille pour que tu ne puisses percevoir que le brouhaha des paroles maternelles sans en saisir réellement le sens. Tu n'as pas besoin de ça. Elle se répète et tu es fatiguée par tout ça. La scène est familière, d'autant plus agaçante qu'il ne s'agit là que de l'étape une d'une course bien plus longue. Tes yeux sont concentrés sur l'écran de ton ordinateur. Sur le chat partagé avec Ofélia plus précisément. Tu y tapes quelques mots, résistes à l'envie de pouffer de rire lorsqu'elle t'annonce qu'elle a failli se faire prendre par son patron en pleine réunion. Que pour une fois c'est toi qui lui attire des ennuis. S'y perds aussi quelques vannes concernant ta mère. Le désamour entre ces deux là est mutuel. « Tu n'as pas précisé si tu venais avec quelqu'un ? Il faut que je sache pour prendre les dispositions nécessaires. » Comme si la maisonnée ne disposait pas d'assez de personnel ou même de chambres pour que cela soit un problème. Tu soupires. Trop consciente du jugement. A trente ans il est intolérable pour ta mère que tu n'ais pas déjà la bague au doigt. Si possible avec suffisamment de carats pour avoir été offerte par une personne fortunée. Qu'elle ait accepté ta bisexualité tient déjà du miracle tu en as conscience mais elle n'en est que plus agaçante. Parce que dans son esprit étriqué cela signifie que tu devrais avoir plus de partenaires potentiels. Tu lèves les yeux au ciel. La question a déjà été posée à Ofélia, ton habituelle plus one pour ce genre d'évènements mais elle n'est pas disponible ce weekend là. L'idée d'affronter cette épreuve sans quelqu'un avec qui médire dans un coin n'est pas enthousiasmante. Un nouveau message arrive. Et si tu demandais à Nana ? L'idée paraît délirante. Nana n'est pas une addition récente à votre petite groupe mais ce n'est pas celle dont tu es la plus proche. Félia vous a un jour présenté Zeke, qui est lui-même venu avec Nana lors d'une soirée. Aujourd'hui Ofélia et Zeke ne sont plus ensemble mais l'entente est toujours bonne et le nombre de connaissances présentes lors de barbecue l'été ou à Nouvel An a encore augmenté. La conversation est facile avec eux mais reste assez superficielle. Tu préfères souvent partager un verre avec Ivy et Soran qui sont tes amis depuis plus longtemps. Le problème avec eux c'est qu'ils sont trop bien incrustés dans ta vie. Ta mère et les parents d'Ivy se connaissent depuis toujours et personne n'ignore que Soran est marié. Pour feindre une relation Ofélia avait donc été idéale. Jusqu'à ce qu'elle te lâche. Tu pèses le pour et le contre. Un weekend avec ta famille te jugeant sur ton célibat et beaucoup d'autres choses ou la honte d'avoir à faire une telle demande à Nana ? Félia fait tomber le couperet d'un : oublie pas, ce crétin d'Evan sera là. C'est ce qui te décide parce que tu ne peux vraiment pas supporter ses tentatives de drague lourde encouragées par ta mère. « Je serais accompagnée oui. » Tu t'avances beaucoup trop. Mais il est satisfaisant de pouvoir lui dire ça d'une voix suffisante. « J'espère que ce n'est pas encore cette désagréable jeune femme. » Elle grommelle et feint de ne pas connaître son nom. Depuis leur premier clash elle adopte cette attitude digne d'une enfant. « Non. Quelqu'un d'autre. » L'envie de lui asséner une pique est là. Tu détestes lorsqu'elle se comporte de la sorte avec Ofélia mais tu dois choisir tes batailles. Ce n'est que lorsque tu t'es enfin arrachée à cette conversation que tu es confrontée à la pression de devoir sauter le pas. C'est bien beau de prétendre mais il faut encore que la blonde accepte. Tu te lances deux jours plus tard dans un café où Ofélia t'a traîné et où vous rencontrez Nana. Comme par hasard. « Hm. » Tu commences de façon très éloquente après que ton amie se soit esquivée aux toilettes. Seule à seule avec Nana, ta tasse à moitié vide, le moment semble idéal. « J'aurais une faveur un peu gênante à te demander. »

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Depuis la mort de mon père, je passais mes journées à courir entre mon lieu de travail, mon appartement et la maison familiale où je donnais des coups de pouce à ma mère pour qu'elle fasse un véritable tri. Ca crevait les yeux qu'elle n'arriverait jamais à tourner la page tant qu'elle s'accrochait à certains vieilles breloques que même mon père n'utilisait plus de son vivant mais qui étaient présentes, pleines de poussière parce que ça pourrait toujours servir. C'était ce qu'il répétait mot pour mot à chaque fois qu'on le poussait à se débarrasser de ce qui n'était plus utile. Les seuls moments où je pensais davantage à moi, c'était quand Noâ était dans les parages et qu'elle me bousculait avec toute sa délicatesse pour me rappeler que j'allais finir par me tuer à la tâche. Lors de soirées passées avec elle, je lui racontais les quelques rendez-vous foireux. Je m'obstinais en acceptant des invitations de personnes que je considérais plus comme amies qu'autre chose parce que je n'arrivais pas à dire non et parce que je me disais que ce serait moins douloureux de le comprendre pendant le fameux rendez-vous qu'il n'y avait rien de particulier entre elles ou eux et moi.

Je me trouvais là, plantée dans un café où j'avais l'habitude de retrouver Ofélia le lendemain de son appel. Elle devait me parler d'une affaire extrêmement urgente qui serait l'excuse toute trouvée pour m'échapper un peu de mon quotidien monotone en ce vendredi, jour de congé. Les arguments étaient suffisants pour que je bouscule un peu tout ce train-train. Il me fallut du temps pour l'apercevoir et remarquer la présence de Rey. Je n'allais pas bouder sa présence, elle m'avait fait bonne impression, même plus, quand je l'avais rencontrée pour la première fois et après tout, seule Ofélia pouvait savoir si elle était de trop en l'occurrence, puisqu'elle était la seule à savoir de quoi nous devions à tout prix parler.

« Hm. » Je m'étais concentrée à nouveau sur Rey, un peu surprise que Félia soit partie si rapidement mais pas dérangée de devoir parler seule à seule avec son amie le temps qu'elle revienne. J'avais un certain don pour parler avec un peu tout le monde, même quand les personnes avaient une certaine prestance. « J'aurais une faveur un peu gênante à te demander. » A croire que tout le monde voulait me parler soudainement. Je supposais que certaines périodes étaient plus propices aux services.

J'avais hoché la tête sur la gauche. « Le hasard fait bien les choses. Je t'écoute. Par contre, fais-le vite avant qu'Ofélia ne revienne et ne te crame. » Puisque c'était supposé être gênant, il valait effectivement mieux que l'autre ne nous entende pas. Elle avait l'art de donner son avis plutôt franchement, sans irrespect mais si Rey pouvait s'éviter ça, c'était probablement mieux. Elle n'avait pas l'air dans son assiette.

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Le doute est encore bien présent dans ta tête. Fais-tu bien d'écouter Ofélia ? Ses idées sont généralement bonnes mais c'est peut-être aller trop loin. Vendre la chose te paraît aussi compliqué. « Le hasard fait bien les choses. Je t'écoute. Par contre, fais-le vite avant qu'Ofélia ne revienne et ne te crame. » Tes mains quittent ta tasse, se tordent un instant sous la table. Un rire nerveux s'échappe même. « Ah. Ca ne sera pas vraiment un problème. Elle sait déjà. A vrai dire c'est son idée. » Tu n'avanceras pas en restant si vague. Tu croises son regard mais pendant un court instant seulement. « Je sais qu'on se connait pas beaucoup. Ca va faire sorti de nulle part. Je comprendrais que tu refuses ou que tu me prennes pour une folle. » Tu te sens idiote à te perdre dans les explications. Tu ne lui as encore donné aucune information concrète. La demande n'a même pas été faite. Mais tu ne peux t'empêcher de faire traîner la chose. « Ok. Je sais que c'est ridicule. Je suis adulte après tout mais les parents te poussent parfois à déconner même si tardivement. Hm. J'ai plus ou moins affirmé à ma mère que je viendrais accompagnée au mariage de ma sœur. Félia m'accompagne à ce genre d'évènements d'habitude mais elle ne peut pas s'absenter ce weekend là. Il faut croire que c'est plus humiliant d'y aller seule que de prendre le risque de te demander si peut-être tu pourrais prendre sa place. Je sais c'est bizarre mais tu es la seule du groupe que ma famille ne connait pas et qui est célibataire. » Peut-être que tu t'es trompée. Peut-être qu'il aurait été mieux d'affronter ta famille et ce weekend en solo plutôt que de t'exposer de la sorte. Tu dois renvoyer une sacrée image avec tout ce stress et l'aveu si évident que ta relation avec tes parents n'a rien d'idyllique.

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Ca se confirmait, Rey n'était pas bien, son rire nerveux en témoignait. La curiosité continuait naturellement de grandir dans ma tête, on ne se mettait pas souvent dans un état pareil devant une connaissance qui n'était effectivement que connaissance à ce stade. « Ah. Ca ne sera pas vraiment un problème. Elle sait déjà. A vrai dire c'est son idée. » Plus elle parlait, que ce soit par ce genre d'énigmes ou le langage non verbal, plus je me perdais dans ma tête à la recherche d'une réponse qui ne venait toujours pas. Je ne savais pas qu'elle était de ces personnes qui faisaient beaucoup de mystère au lieu d'y aller franco. Qu'Ofélia ait mis son grain de sel dans l'affaire n'était cependant pas particulièrement surprenant mais je ne comprenais pas pourquoi elle avait proposé à son amie de se tourner vers moi. Si j'avais été plus nerveuse, je serais probablement déjà en train de me bouffer mais même si je voulais connaître le fin mot de l'histoire, je n'étais pas crispée, j'attendais presque patiemment. Un peu plus comme une enfant trop curieuse.

Elle n'évitait pas exactement mon regard mais elle ne me regardait pas franchement non plus. Elle était vraiment embarrassée mais je ne la connaissais pas suffisamment pour faire un tri. « Je sais qu'on se connait pas beaucoup. Ca va faire sorti de nulle part. Je comprendrais que tu refuses ou que tu me prennes pour une folle. » J'avais hoché la tête sur la gauche, un sourire aux lèvres, me montrant aussi accessible que possible mais dans le flou, c'était difficile d'en faire davantage.

« Ok. Je sais que c'est ridicule. Je suis adulte après tout mais les parents te poussent parfois à déconner même si tardivement. Hm. J'ai plus ou moins affirmé à ma mère que je viendrais accompagnée au mariage de ma sœur. Félia m'accompagne à ce genre d'évènements d'habitude mais elle ne peut pas s'absenter ce weekend là. Il faut croire que c'est plus humiliant d'y aller seule que de prendre le risque de te demander si peut-être tu pourrais prendre sa place. Je sais c'est bizarre mais tu es la seule du groupe que ma famille ne connait pas et qui est célibataire. » Je n'avais pas pu empêcher le rire qui avait suivi, plus amusée qu'agacée, pas particulièrement gênée non plus. Je comprenais un peu qu'elle ait eu du mal à avouer ça mais c'était mignon de l'imaginer mentir à ses parents comme l'aurait fait une adolescente. Félia avait été intelligente comme souvent. J'étais effectivement la solution la plus simple face à des parents sûrement chiants.

« J'avais l'impression que tu me cachais quelque chose de compromettant à force de suspens. Maintenant, je suppose que tu as menti à tes parents pour une bonne raison. » J'avais haussé les épaules par réflexe, comme pour lui signaler que tout ça n'était pas problématique.

« Je connais pas tes parents mais je te vois pas embarquer une connaissance là-dedans par pur caprice. Et même si c'était le cas, ça me dérange pas de dépanner mais il faudra me préparer à tout ça. Je voudrais pas mettre les pieds dans le plat. J'espère qu'elle t'a dit que je pouvais être maladroite, que tu puisses te rétracter à temps. » J'avais sorti un sourire franc, ne souffrant pas d'un ego démesuré. L'auto-dérision, ça me connaissait.

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