Romane & Klaus

année 41, seconde saison tempérée, soirée 94

 à deux doigts de craquer

La vie devenait de plus en plus compliquée. Ce n'était pas la complication habituelle due à la fatigue et aux débiles qu'on pouvait croiser chez les Dragons, comme partout ailleurs, non, c'était beaucoup plus dramatique que ça. Ce qu'il restait pour le moment, c'était les apparences, tout ce qui comptait pour un trop grand nombre de Dragons, c'était déplorable. J'avais bien senti que quelque chose clochait chez Elain qui n'était pas franchement motivée à retourner dans le Golden, quand elle le faisait, elle traînait des pieds. Toutes les excuses étaient bonnes pour rester chez moi. Je ne pouvais pas exactement lui en vouloir, j'avais plus que jamais besoin de mes proches et de ne pas me sentir seule. Sans être réellement discrète, parce qu'avec moi ça ne marchait pas, je la connaissais comme si je l'avais faite, elle me donnait quelques conseils çà et là parce qu'elle sentait le vent tourner. Ce dont avait parlé Samuel quelques jours avant. Je n'aurais tout simplement pas imaginé que ça irait si vite. Je recevais une dose drôlement raisonnable de médicaments en comparaison à d'autres Soumis parce que j'étais importante. Certains Anciens avaient même tenté vaguement leur coup avec moi, ils devaient se sentir bien dépourvus pour en arriver à tenter de communiquer avec une Soumise. A moins que ce ne soit une tentative d'amadouer Klaus. Plus rien ne m'étonnerait de leur part. Je n'hésitais pas à les dégager d'un revers de la main quand j'étais occupée avec un patient ou à leur demander de me laisser de l'air quand je soufflais entre deux patients. Ces crevards n'avaient aucune limite quand j'étais occupée à l'Infirmerie.

A la fin de ma journée, j'avais tenté une nouvelle fois ma chance. La veille, je n'avais pas trouvé Klaus chez lui au moment où je m'y étais présentée. Parce que j'avais besoin d'évacuer et besoin de me sentir en confiance et d'avoir le point de vue de quelqu'un qui gérait plus que n'importe qui d'autre, j'avais directement pensé à lui. J'avais conscience que j'allais lui voler un de ses rares moments de repos mais je sentais bien qu'en moi commençait à grimper une voix qui ne pouvait pas exactement sortir face aux Anciens bouffés par leur ego et qui ne comprendraient sûrement pas que je puisse avoir un point de vue en ce qui concerne les décisions pourries qu'ils prenaient. J'avais frappé à la porte, avais indiqué qu'il s'agissait de moi, vérifiai une dernière fois qu'un abruti n'avait pas décidé de me coller aux fesses avant d'entrer. J'avais des tendances à la paranoïa mais le contexte ne m'aidait pas à me calmer. « J'espère que je ne casse pas des projets. J'avais besoin de parler. » J'avais pris une grande inspiration, cherchant tant que possible à retrouver un état interne un peu moins chaotique. Ce n'était pas gagné. Sûrement trop habituée et pour ne pas l'ennuyer avec ces détails, je m'étais débarrassée de couches superflues et m'étais installée dans un fauteuil près du feu où il était installé.

Klaus & Romane
A41 ST2 J94 (soirée)

à deux doigts de craquer

Il regardait les braises depuis ce qui lui paraissait être des heures, mais il devait sans doute être loin de la vérité, il n'avait jamais autant de temps que ça à perdre dans une activité aussi passive. Même si les journées étaient particulièrement longues ou difficiles, le temps qu'il s'accordait pour récupérer était trop précieux pour qu'il se coince trop longtemps dans un fauteuil alors qu'il aurait pu être en train de dormir. Aujourd'hui n'avait pas été différent des jours précédents, tout s'empirait lentement, mais sûrement, et aucune réelle solution ne semblait envisageable. Si une seule personne avait été le problème, il aurait suffi de l'éliminer, mais ils étaient trop nombreux et avait tout d'une hydre. En coupant une tête, deux autres repousseraient sans doute pour se prendre le bec et se disputer le pouvoir pendant que le reste de leur petit monde suffoquait à leurs pieds. Malgré les années passées à servir les Dragons, il ne s'était jamais senti perdre espoir et sa patience s'échappait avec chaque nouvel événement. Le peu de calme qu'il lui restait, il le devait aux gens envers qui il avait une responsabilité, mais il n'était pas certain que cela suffirait à cette allure et que sa lame ne quitterait pas son fourreau à un moment inopportun. Les coups frappés à la porte lui arrachèrent un long soupir et il bascula la tête en arrière, fermant un instant les yeux. Il n'était pas certain d'être préparé à rassurer une personne de plus en prétendant qu'il n'était pas aussi loin que les autres. Heureusement, il ne s'agissait que de Romane et elle avait au moins le mérite de ne pas être qu'une gamine paumée.

- Hm.

Il n'avait pas eu l'énergie d'en dire plus, il s'était contenté d'un son et d'un léger hochement de la tête alors qu'il se replaçait dans le fauteuil pour être un peu plus droit. Elle n'aurait sans doute pas dû être ici, la nuit était tombée et ses horaires étaient trop lourds pour qu'elle perdre des occasions de se reposer, mais il pouvait comprendre le besoin de parler.

Romane & Klaus

année 41, seconde saison tempérée, soirée 94

 à deux doigts de craquer

Je n'étais pas exactement étonnée de retrouver Klaus dans cet état et qu'il me réponde par un hm n'avait rien non plus de choquant. Les Anciens nous poussaient encore et encore, ils tiraient sur un fil qui ne pourrait que se briser et je voyais venir le carnage. On ne critiquait pas le jugement suprême, on ne se mobilisait pas contre ceux qui avaient le pouvoir sacré. Je n'avais pas énormément d'estime pour mon clan, seulement pour quelques personnes, mais avant ça, je m'étais persuadée que Martin n'était pas complètement fou et complètement irresponsable. Je m'étais leurrée, comme beaucoup d'autres Dragons et probablement et principalement beaucoup de Soumis.

J'avais tourné ma tête vers mon compagnon de fortune, celui même que j'avais bloqué pour un petit moment. Je n'arrivais pas à me décider. Les idées étaient claires dans ma tête, je savais de quoi je voulais parler mais je ne savais pas par quel bout commencer. C'était le plus compliqué dans l'affaire. « Je vois pas d'issue à ce bordel. Ou en tout cas, pas d'issue potable ? Je suis pas la plus à plaindre, hé, je pourrais leur être utile si je restais en vie, apparemment. Enfin, moi, les soigneurs, hein. Mais là- » Je pointai mon ventre et puis mon cœur. Des endroits particulièrement tendus en ce moment. « Je sens que ça monte. C'est pas à toi que je dois expliquer ça. Ils me dégoûtent et ça va finir par sortir. » Comme je l'avais prévu, j'étais directe. Peut-être un peu trop pessimiste. Ou fatiguée. Ou tout ça en même temps. J'étais écœurée par leur culte des Anciens. Dégoûtée par cette réalité dégueulasse. Purement injuste. Plus que jamais.

Klaus & Romane
A41 ST2 J94 (soirée)

à deux doigts de craquer

Elle était comme les autres, peut-être juste un peu plus directe parce qu'elle avait l'occasion de lui parler dans un contexte plus intimiste où elle n'avait pas à craindre que quelqu'un se tienne dans un coin pour les écouter et tout rapporter aux têtes pensantes, mais le trop plein restait le même. Elle saturait et cette occasion qu'elle avait de le manifester ne ferait pas effet longtemps. Ils étaient tous sous pression depuis beaucoup trop longtemps et, à sauter d'une crise à l'autre, ils n'avaient jamais eu vraiment l'occasion de respirer. Il lui était difficile de trouver quoi dire car il n'y avait aucune bonne réponse, rien qui aurait pu réellement la soulager. Être sincère avec ce qu'il ressentait était sans doute tout ce qu'il pouvait encore faire. Il avait toujours apprécié Romane, elle avait été une protégée imprévue à laquelle il s'était attaché, et sa seule option était de lui demander égoïstement de se protéger.

- Tu es jeune, t'as encore trop de choses à vivre. Je sais que c'est facile à dire, mais je veux que tu penses à ta survie. Toute cette situation n'est plus qu'une vaste poudrière qui ne demande qu'à exploser et elle le fera, d'une manière ou d'une autre. Je sais pas exactement à qui ça servira, sans doute à eux, vu l'organisation de leurs forces, mais peut-être que ça nous donnera une chance.

Il soupira en bougeant un peu dans le fauteuil jusqu'à pouvoir croiser son regard. Il aurait préféré pouvoir lui offrir un peu d'optimisme, être ce phare dans la nuit qu'un Lieutenant était censé être, mais il ne lui aurait pas rendu un service en prétendant quoi que ce soit.

- Des gens auront besoin de toi. Tu vas pouvoir faire une différence en étant là, mais, pour ça, il faudra que tu sois loin lorsque ça explosera. Alors je vais te demander quelque chose que je ne t'ai jamais demandé. Tu peux me croire, j'aurais préféré ne jamais avoir à le faire, mais je veux que tu te la fermes comme ils attendent qu'une Soumise le fasse et que tu sois à l'hôpital dès que le vent commencera à tourner. Même si ce n'est pas l'ordre que tu as reçu, tu dégages d'ici. Ils sont assez fous pour essayer, mais les Jaguars et les Vipères les arrêteront si ils tentent quoi que ce soit en centre neutre. De là, tu pourras aider les gens qui arriveront à se tirer de ce bordel. Je sais ce que tu vaux, ne doutes jamais du respect que j'ai pour toi, mais, dans ce cas-ci, être une soigneuse ne suffira pas si tu restes sur le territoire. Aussi précieuse que tu sois, te protéger coûtera à tes proches.

Romane & Klaus

année 41, seconde saison tempérée, soirée 94

 à deux doigts de craquer

« Tu es jeune, t'as encore trop de choses à vivre. Je sais que c'est facile à dire, mais je veux que tu penses à ta survie. Toute cette situation n'est plus qu'une vaste poudrière qui ne demande qu'à exploser et elle le fera, d'une manière ou d'une autre. Je sais pas exactement à qui ça servira, sans doute à eux, vu l'organisation de leurs forces, mais peut-être que ça nous donnera une chance. » Son fatalisme était légitime, j'étais la première à coincer quand il s'agissait d'y voir une issue positive. Le problème dans cette histoire, c'était que je ne m'imaginais pas me plier à leurs idées encore plus meurtrières que celles qui ont toujours été les bases du clan. C'était trop dangereux. Quant aux Vipères, elles n'allaient pas en rester là. L'occasion était trop belle pour se retenir. L'entendre parler de ma jeunesse, de la vie que j'avais encore à vivre, j'étais encore plus remontée. Comme si je ne pensais pas à ma survie dans ce bordel. Le seul problème, c'était qu'il n'y avait pas que moi. Il y avait tous ces gens importants, dont il faisait lui-même partie. A l'entendre, il avait vécu sa vie, ce qui me rendait d'autant plus amère. Je n'étais pas idiote, je savais ce qui le poussait à me prier de penser à rester en vie, je lui avais ouvertement dit que j'étais prête à gueuler mon désaccord, ce qui me conduirait à une mort certaine.

« Des gens auront besoin de toi. Tu vas pouvoir faire une différence en étant là, mais, pour ça, il faudra que tu sois loin lorsque ça explosera. Alors je vais te demander quelque chose que je ne t'ai jamais demandé. Tu peux me croire, j'aurais préféré ne jamais avoir à le faire, mais je veux que tu te la fermes comme ils attendent qu'une Soumise le fasse et que tu sois à l'hôpital dès que le vent commencera à tourner. Même si ce n'est pas l'ordre que tu as reçu, tu dégages d'ici. Ils sont assez fous pour essayer, mais les Jaguars et les Vipères les arrêteront si ils tentent quoi que ce soit en centre neutre. De là, tu pourras aider les gens qui arriveront à se tirer de ce bordel. Je sais ce que tu vaux, ne doutes jamais du respect que j'ai pour toi, mais, dans ce cas-ci, être une soigneuse ne suffira pas si tu restes sur le territoire. Aussi précieuse que tu sois, te protéger coûtera à tes proches. » Je n'étais pas tant choquée par le fait qu'il me demande de me taire que par le fait qu'il me demande de rester loin du territoire. J'aurais plutôt parié qu'il me demande de rester discrète sur le territoire, de rester loin des emmerdes, de fermer les yeux quand ça devenait compliqué pour mieux soigner. C'était une option à laquelle je n'aurais sûrement jamais pensé. Parce que me réfugier à l'hôpital me semblait une solution de facilité. J'avais voulu répondre mais rien n'était sorti quand j'avais ouvert la bouche. Les mots me manquaient. Je me sentais bête. Prise au dépourvu.

« Tu me demandes de battre en retraite ? Et Elain là-dedans ? Toi ? Kaiden ? Samuel ? Tous les autres ? Putain, je sais que je suis qu'une Soumise et que vous êtes au moins des Membres mais je suis censée faire quoi ? Tenir pendant que je bosse et espérer vous retrouver quand je rentre ? » C'était difficile à avaler. Pour une fois, je regrettais presque le choix de ne jamais avoir passé mon Test. Plus que jamais j'aurais rêvé d'être utile mais pas en-dehors du territoire. Je cherchais une réponse dans son regard, les mains accrochés au fauteuil.