un fantôme parmi les vivants (Nova)

DRAGONS DU NORD

Delia & Nova

année 41, seconde saison tempérée, fin de journée 93

un fantôme parmi les vivants

Au départ, ce n'était qu'une soirée pour oublier un moment la réalité de plus en plus rude du clan. J'aurais probablement dû rentrer directement chez moi pour tenter de dormir mais mes pas m'avaient menée ailleurs. J'étais consciente du risque que je prenais, les Vipères ne nous appréciaient pas plus que les Jaguars, nous étions les nouveaux pestiférés de Paris, même si certains et certaines laissaient leur rancœur de côté quand il s'agissait de l'équipe de soins en général. Ce n'était pas donné à tout le monde et je n'étais pas certaine de pouvoir pardonner à Eloïse son comportement un jour, sa trahison, alors je ne pouvais pas me mettre à la place de ceux qui avaient perdu des proches à cause de notre attaque. C'était un miracle qu'on puisse encore, par moments, se présenter au bar à drogue. Que certaines Vipères me jettent un regard à mon entrée ne me surprit pas et je préférai me terrer dans mon coin. Le plan était clair : j'allais boire un verre, peut-être deux, certainement trois et puis j'allais rentrer, sans faire de scandale, sans me faire remarquer. Je me faisais aussi petite mais inoffensive qu'une souris. Je ne voulais pas poser de problème mais je n'allais pas montrer ma joue pour me faire battre.

J'allais m'installer quand je découvris une blonde, un vieux fantôme. Le choix de rejoindre les Vipères était probablement le meilleur pour une ancienne Aigle, elle y serait mieux traitée. Parce que, dans mon esprit, on ne pouvait vouloir que s'émanciper après une vie misérable chez les Aigles. Mais je n'y connaissais rien à sa vie. Après avoir reçu ma commande, je m'étais approchée d'elle, dans un coin du bar. Elle ne semblait pas du tout à sa place en ces lieux. Elle n'était pas misérable mais elle détonnait. A moins que ce ne soit que mon imagination. Je ne voyais peut-être qu'elle à cause de cette seule erreur dans ma carrière. Seule erreur de parcours qui, si elle s'apprenait, mettait ma vie en danger. Si Martin ou sa clique le découvraient, je pouvais faire une croix sur une retraite éventuelle, un jour lointain. « T'as l'air d'avoir morflé. » Je pouvais prétendre ce que je voulais, personne ne pourrait imaginer qu'une Dragonne ait sauvé la mise à une ancienne Aigle. Je pouvais tout aussi bien la connaître de l'hôpital. Ou n'importe quoi du genre. Je prétendais jouer les dures mais cette fille m'empêchait d'être foncièrement mauvaise. Je n'arrivais pas à lui en vouloir pour ma connerie. Ca ne signifiait pas que je ne me méfiais pas d'elle. Un petit peu.

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année 41 - saison tempérée 2 (fin de journée 93)

C'est une habitude qui s'installe. Tu ne viens pas tous les jours, ce serait trop et tu n'as pas les rations pour encaisser un tel mode de vie. Mais c'est régulier. Souvent une fois ta tâche remplie. Une sorte de réconfort après un boulot qui n'a rien de plaisant. Encore plus avec la douleur qui te tiraille encore le flanc. Tu ne travailles pas beaucoup non plus. Les Vipères sont loin d'être inhumaines. Mais tu préfères ça. Avoir un effort à faire plutôt qu'être mise de côté parce qu'on t'imagine trop fragile. Tes visites au bar ne sont pas que des moments de divertissement. Elles représentent aussi une forme d'effort. Tu essayes de passer plus de temps entourée de Membres pour essayer de t'habituer à leur présence. Ou te désensibiliser on peut voir ça dans ce sens là aussi. Tu ne sais pas encore si ça portera ses fruits ou si la méthode est stupide mais au moins tu essayes quelque chose. Après tout tu as déjà fait des progrès avec des filles rencontrées de façon plus hasardeuse. Cette technique n'est que plus concentrée. Aujourd'hui tu restes dans ton coin pourtant. L'après-midi a été un peu compliquée et tu préfères ne pas gâcher les efforts des précédents jours parce que tu ne t'es pas assez écoutée. Tu essayes de faire ça désormais. Te comprendre et agir en conséquences. Tu occupes une petite table et ce ne sont que tes pensées, ton verre et toi. Tu n'y as presque pas touché. Il est une excuse pour rester. Lorsqu'une ombre se drape sur la table tu n'y fais pas attention tout de suite. Sauf qu'elle ne bouge pas. La personne ne continue pas d'avancer. Tu relèves les yeux lorsqu'une voix curieusement connue retentit. « T'as l'air d'avoir morflé. » C'est bizarre. Que cette voix soit devenue familière. Tu n'as pourtant rencontré cette fille qu'à une seule reprise. Les conditions font qu'elle t'a particulièrement marquée. Tu l'observes un moment. Les yeux un peu ronds, les lèvres qui s'entrouvrent sous le choc. Tu n'as jamais imaginé la revoir. Sa présence fait remonter des choses. Ce moment terrorisant sur le territoire. La fumée et le sang. Tes poings se crispent sur la table et tu dois te forcer à déglutir. « Toi. » Tu souffles. Sans beaucoup de force. « Je- » Tu te redresses sur la chaise, vas poser les mains sur tes cuisses. « Je pensais pas te revoir. » Tu ne sais pas si c'est une bonne ou une mauvaise nouvelle. Ce qu'elle te veut réellement.

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année 41, seconde saison tempérée, fin de journée 93

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« Toi. » A sa façon de se tenir, de me regarder et de me répondre, il était difficile de louper qu'elle n'était pas ravie de me voir. Rien de surprenant. Dans ce bordel, j'avais tout l'air d'un loup qui se jouait d'une pauvre brebis qui avait survécu à l'horreur. Il ne fallait pas oublier ce que je représentais, l'ennemie de tout Paris, même en tant que Spécialiste de l'équipe des Infirmiers. Klaus nous avait mis en garde, tout le monde ne nous accepterait pas volontiers même si nous étions censés soigner jusque les Libres s'ils se pointaient à l'hôpital. Tout le monde ne serait pas à même de distinguer le Membre Dragon de celui ou celle qui soignait. Elle, c'était encore différent. C'était trop personnel. Au mieux, elle me craignait. Au pire, elle voyait de la faiblesse en moi. Je n'avais pas peur contrairement à elle mais je n'étais pas particulièrement à l'aise avec la situation non plus. Trop d'inconnues dans l'équation. Trop d'éléments sur lesquels je n'avais pas de maîtrise. Elle comprise.

« Je- » Si elle se comportait comme ça en me voyant, il aurait sûrement été plus humain de la laisser tranquille. Ses jambes auraient tout aussi bien pu s'écrouler sous le poids de son corps s'il n'y avait pas eu cette chaise. Ouais, j'étais ce foutu loup à ses yeux. C'était mieux comme ça, ça lui rappellerait qu'il fallait rester vigilant, même après avoir survécu à une telle boucherie. « Je pensais pas te revoir. » Les chances de se croiser étaient infimes mais pas totalement nulles. Parce que ça restait Paris. Parce que je bossais à l'hôpital et qu'elle aurait pu y faire un tour tôt ou tard. Mais c'était vrai que le destin semblait se moquer de nous. La différence entre des retrouvailles au bar à drogue et en plein centre neutre, c'était qu'elle avait le dessus, d'une certaine manière.

Je m'étais finalement assise en face d'elle sans lui demander l'autorisation. C'était l'occasion rêvée de mettre les choses au clair. Je n'allais pas laisser une proie prendre le dessus. Je ne pouvais pas lui laisser croire indirectement qu'elle était libre de dire et faire ce qu'elle voulait. « J'ai pas cherché à te retrouver, si c'est ce que tu penses. » Une première bonne base. Il ne fallait pas qu'elle voie en moi une fille trop faible. Qu'elle ne s'imagine pas que je m'inquiétais pour elle. « J'aime pas les morts faciles. Mon geste n'avait rien de personnel. » Elle ne m'avait pas frappé dans l'oeil. C'était une question de timing et de conditions favorables pour elle. Rien de plus. « Mais j'suis toujours pas là pour t'achever. Le loup que je suis a déjà de quoi se mettre sous la dent en ce moment. Alors calme-toi. On va avoir l'air suspect. » J'étais vachement frontale mais je n'allais pas prendre la peine de la serrer dans mes bras pour la rassurer. Elle n'était qu'une inconnue sauvée au détour d'une rue. Rien de plus.

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année 41 - saison tempérée 2 (fin de journée 93)

Elle s'installe et tu la regardes faire sans un mot. Encore une fois rien ne t'a préparée à partager une table avec une fille qui t'a épargnée alors que tu avais été désignée comme l'ennemie. Le concept est délirant. Juste à cause de son geste. Pas parce qu'elle est une Dragonne. La différence est subtile. « J'ai pas cherché à te retrouver, si c'est ce que tu penses. » Tu as à peine le temps de secouer la tête. Un non. Tu n'as pas vraiment envisagé la possibilité. Simplement parce que tu sais très bien que tu n'es pas assez importante pour ça. Personne ne se donnerait cette peine. « J'aime pas les morts faciles. Mon geste n'avait rien de personnel. » C'est logique. Vous ne vous connaissiez pas à l'époque. Encore aujourd'hui tu ne connais pas même son prénom. Juste son clan. Il t'est arrivé de te demander pourquoi avant d'abandonner. Persuadée que tu n'aurais jamais la réponse. Tu aurais pu t'en douter. Elle t'a épargnée à cause de ta faiblesse. Rien d'étonnant. C'est toujours ce qu'on a vu en toi et tu ne peux pas lui donner tort. Tu n'aurais pas fait le poids. Survie en jeu ou non. « Mais j'suis toujours pas là pour t'achever. Le loup que je suis a déjà de quoi se mettre sous la dent en ce moment. Alors calme-toi. On va avoir l'air suspect. » Elle ne prends aucune pincette. Ce n'est pas pour te déplaire. Une attitude que tu préfères de loin à une fausse gentillesse qu'elle aurait pu afficher pour t'amadouer. « C'était juste surprenant. Je suis comme ça. Personne va broncher. » Tu détestes ça mais les Vipères que tu as rencontré ont pour la plupart gardé une mauvaise image de toi. Ou celle de la pauvre Soumise traumatisée par sa vie chez les Aigles. Elle ne peut pas le savoir néanmoins. Tu tâches de faire l'effort de calmer ton agitation. Un acte trop normal pour toi. « Si tu veux me dire que je dois en parler à personne c'est pas nécessaire. J'ai rien à y gagner. Ce serait même plutôt ingrat. » Cela n'aiderait pas non plus ta réputation. Tu n'es pas sûre de vouloir être la fille qui a survécu parce qu'elle a fais pitié à une grande méchante Dragonne.

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« C'était juste surprenant. Je suis comme ça. Personne va broncher. » C'était une bonne chose. Avec un peu de chance, la tension allait descendre d'un cran, même si je ne serais probablement jamais complètement sereine en sa présence. C'était à se demander pourquoi je n'étais pas partie en la voyant. Pourquoi j'avais eu l'idée folle de m'installer à sa table. Elle n'était rien, personne et pourtant j'étais là, devant elle.

« Si tu veux me dire que je dois en parler à personne c'est pas nécessaire. J'ai rien à y gagner. Ce serait même plutôt ingrat. » J'eus un rire mauvais. Je ne me moquais pas réellement d'elle mais de ce qu'elle venait de dire. Cette ancienne Aigle était drôlement naïve. Ingrat. Comment pouvait-elle penser comme ça en parlant d'une Dragonne ? Je l'avais sauvée mais ça ne signifiait rien. Elle ne semblait pas le comprendre. Ce n'était pas comme si je méritais quoi que ce soit comme de la compassion ou de la gentillesse. Elle ne me connaissait pas, ne savait rien à mon sujet et elle se retenait à cause de ça ?

« Si tu continues de penser comme ça, il faudra te sauver plus d'une fois. » J'avais haussé les épaules avant de soupirer. Elle était drôle. Un peu trop gentille. « Tu ne sais pas qui je suis et tu crois que tu dois te retenir parce que ce serait ingrat ? Tu dis souvent ça à une ennemie ? » Je me permettais de l'observer globalement avant de soutenir son regard. Si elle voulait mourir bêtement après ça, ça la regardait mais je ne pouvais pas m'empêcher de la mettre en garde. C'était complètement con. Je n'y gagnais rien.

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année 41 - saison tempérée 2 (fin de journée 93)

Elle rigole mais pas de cette façon qui est plaisante à entendre. Moqueuse peut-être. Tu n'en sais rien. Tu te doutes un peu pourtant de ce qui a déclenché cette réaction. Elle ne peut pas comprendre. « Si tu continues de penser comme ça, il faudra te sauver plus d'une fois. » Voilà le jugement. Tu aurais dû t'y attendre. C'est naturel. Ce n'est pas non plus un point de vue que tu exprimes. Les Vipères ne comprendraient sans doute pas. Te prendraient plus en pitié encore. C'est pire avec les anciennes Aigles. Dans le fond elle n'a pas tort. Tu devras sans doute encore être sauvée par celles parmi lesquelles tu vis parce que tu n'en es nulle part encore. « Tu ne sais pas qui je suis et tu crois que tu dois te retenir parce que ce serait ingrat ? Tu dis souvent ça à une ennemie ? » « Une ennemie. Ouais... » Tu marmonnes. Un peu de dérision dans le fond de ta voix. Tu t'efforces de soutenir son regard lorsque vos yeux se croisent. Elle est pleine de bravado et campe un peu trop sur son idée. Encore une fois c'est normal. Mais peut-être que tu en as assez qu'on te juge d'un regard. Qu'on te voit gentille quand tes pensées ne le sont pas. « Tu sais ce qu'on dit. Une histoire peut avoir deux versions. Mon ennemi à moi c'était pas les Dragons. C'était ma famille. J'étais coincée chez les Aigles. D'ici une saison ou deux j'aurais été la propriété d'un mec et d'ici un an je me serais retrouvée mère d'un enfant dont je ne voulais pas si les étoiles s'alignaient bien pour lui. Parce que j'ai survécu j'ai une chance de faire mes propres choix. Je m'en fiche de tes raisons mais je te le dois parce que tu m'as épargnée. Donc je maintiens que ce serait ingrat. » Tu parles rarement autant mais c'est satisfaisant. Libérateur.

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« Une ennemie. Ouais... » Je sentais bien dans sa voix que quelque chose sonnait faux. Il fallait être complètement stupide pour ne pas voir en une Dragonne une ennemie. En vrai, c'était probablement plus complexe que ça mais c'était plus confortable de se persuader que j'étais le loup. C'était plus simple que d'être celle qui avait sauvé une inconnue qui lui laissait une drôle d'impression. En tout cas, c'était plus facile à accepter personnellement. Quand j'étais la Spécialiste de l'équipe, quand je soignais, c'était une chose mais sur le terrain, c'en était une autre et je ne comprenais toujours pas mon geste.

Elle faisait un effort. Elle soutenait mon regard et semblait moins abattue, moins apeurée. Comme si elle avait soudainement trouvé une force bien enfouie en elle. « Tu sais ce qu'on dit. Une histoire peut avoir deux versions. Mon ennemi à moi c'était pas les Dragons. C'était ma famille. J'étais coincée chez les Aigles. D'ici une saison ou deux j'aurais été la propriété d'un mec et d'ici un an je me serais retrouvée mère d'un enfant dont je ne voulais pas si les étoiles s'alignaient bien pour lui. Parce que j'ai survécu j'ai une chance de faire mes propres choix. Je m'en fiche de tes raisons mais je te le dois parce que tu m'as épargnée. Donc je maintiens que ce serait ingrat. » J'étais surprise. Prise de court par ce qu'elle avait à raconter. Elle déballait ce qui semblait trop sensible pour n'être qu'un simple mensonge. Même bien trouvé. Elle me donnait l'impression d'avoir attendu plusieurs jours, peut-être semaines pour lâcher cette bombe.

Je ne la prenais pas en pitié. Non, je lui trouvais une certaine force, une envie de prendre les choses en main. Seulement, elle me donnait un beau rôle alors que c'était moi mais que ça aurait pu être n'importe qui d'autre, que c'était le hasard, que je l'avais sauvée mais sans penser à tout ça. Le pire, dans tout ça, c'était que je ne pouvais pas m'empêcher d'être un tout petit peu fière. Fière d'avoir offert un beau doigt à ces stupides Aigles. Sauver une fille qui ne rêvait pas de la vie qu'il voulait pour elle était un plus. Mais à nouveau, ce n'était pas grâce à moi. « C'est le hasard que tu dois remercier. Je t'ai croisée, je voyais bien que t'aurais rien pu faire. » J'étais un peu mal à l'aise. Je ne méritais pas tout ça. Pas du tout. « Par contre, fais-moi plaisir, ne me fais pas regretter ça. Si tu veux leur donner un coup de grâce, même après tout ça, bagarre-toi pour ta vie. » Ce n'était pas personnel non plus. C'était bizarre mais c'était pas pour ses beaux yeux.

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« C'est le hasard que tu dois remercier. Je t'ai croisée, je voyais bien que t'aurais rien pu faire. » Elle insiste encore. Tu comprends mal ce qui la dérange tant dans son acte. Pourquoi elle le minimise toujours un peu plus. Ce n'est pas comme si tu avais été Membre. Elle le dit bien tu n'aurais rien pu faire. Elle a été plus humaine que d'autres. Plus courageuse aussi en ignorant une partie de l'ordre qu'elle a dû recevoir. Tu as du mal à te dire que c'est seulement car les Dragons sont une race à part. « Par contre, fais-moi plaisir, ne me fais pas regretter ça. Si tu veux leur donner un coup de grâce, même après tout ça, bagarre-toi pour ta vie. » Tout ça pour en arriver là. Comme si ça comptait pour elle. Pas toi, tu t'en doutes. Plus le résultat de son acte. « Je m'accroche. » C'est le mieux que tu puisses faire pour le moment. Aux yeux des autres tes efforts doivent être insignifiants mais ils ne le sont pas pour toi. Ils te demandent du travail. « Pourquoi c'est si difficile d'accepter que ton acte mérite de la reconnaissance ? » Tu demandes parce que tu veux vraiment savoir. Comprendre. Que tout enrober semble inutile dans ce cas-ci.

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« Je m'accroche. » Je mourais d'envie de lui dire que s'accrocher c'était un début mais un début seulement, que ça laissait supposer qu'elle survivait plus qu'autre chose mais je n'étais personne pour lui imposer un discours à ce sujet. Elle n'était personne pour moi non plus, à part un danger potentiel, un élément que je devais garder loin de moi pour notre survie. Les Dragons ne rigolaient pas à ce sujet et si ça s'apprenait tant que Martin et sa bande étaient au pouvoir, c'était la fin pour nous deux. Il valait mieux que je garde mes conseils pour moi.

« Pourquoi c'est si difficile d'accepter que ton acte mérite de la reconnaissance ? » Elle avait plus d'un tour dans son sac. La blonde m'avait prise de court et j'avais cherché à répondre spontanément mais rien n'était sorti. Si ce n'était pas une question piège, ça y ressemblait beaucoup. J'avais toujours pu parler à une et une seule personne, mon père et avec les derniers événements, même ça m'avait l'air dangereux. Evoquer quoi que ce soit à une étrangère comme elle était encore plus problématique. C'était prendre le risque de s'exposer un peu plus. Ce qu'elle avait fait.

« Pourquoi ? » J'avais rigolé nerveusement. Je sentais bien que quelque chose me poussait à lui répondre, ce qui était complètement ridicule. « Parce que je comprends pas trop quand c'est devenu autre chose que purement impersonnel. Parce que j'étais partie du principe que j'allais obéir aux ordres par instinct de survie et parce que les Aigles me dépassaient donc il y avait de la distance lors de l'attaque. Et puis, il y a eu toi. Que jusque-là, je m'étais persuadée que tu me verrais comme la majorité des gens à Paris, une Dragonne. L'ennemie à abattre. » C'était complètement décousu. Bordélique. Beaucoup trop compliqué. La situation sur le territoire n'aidait pas. « Comment je suis censée garder cette distance quand ton histoire me touche et me donne envie de frapper des Aigles qui jouent les victimes alors que ce sont des fumiers, encore pire que certains Dragons ? » C'était ça aussi, le problème. Je ne voulais pas l'admettre mais son histoire était touchante et rappelait la vie de certaines Dragonnes. Je sentais bien que je m'étais emportée, après coup. Regarder la table restait alors la meilleure solution.

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« Pourquoi ? » C'est bien ce que tu veux savoir. Ce dont elle ne doit pas avoir envie de parler. Tu t'attends à un refus. A ce qu'elle se lève et disparaisse à nouveau de ta vie. « Parce que je comprends pas trop quand c'est devenu autre chose que purement impersonnel. Parce que j'étais partie du principe que j'allais obéir aux ordres par instinct de survie et parce que les Aigles me dépassaient donc il y avait de la distance lors de l'attaque. Et puis, il y a eu toi. Que jusque-là, je m'étais persuadée que tu me verrais comme la majorité des gens à Paris, une Dragonne. L'ennemie à abattre. » C'est beaucoup d'un coup. Elle se montre vulnérable pour la première fois. Ne se cache pas derrière ce petit jeu de mauvaise de l'histoire. Tu ne t'étais pas attendue non plus à avoir une quelconque implication. Ce n'était pas ce que tu avais cherché à savoir. « Comment je suis censée garder cette distance quand ton histoire me touche et me donne envie de frapper des Aigles qui jouent les victimes alors que ce sont des fumiers, encore pire que certains Dragons ? » Ca non plus tu ne l'as pas vu venir. Même avec cette façade qu'elle avait tenté de conserver il t'avait semblé évident qu'elle avait bon fond mais tu n'as plus aucun doute maintenant. Ca te touche. Aussi maladroite soit la formulation. Ou le fait qu'elle semblait peiner à tout assumer. Tu ne sais pas quoi répondre. Paumée que tu es pendant qu'elle semble gênée. Pourtant il faut bien que tu réagisses. C'est toi qui l'a poussée à s'exprimer. Tu prends une inspiration profonde. Tes doigts un peu agités autour de ton verre pour te donner une occupation. « Je sais que mon avis sur tout ça ne t'a pas beaucoup intéressée jusque là mais t'es pas obligée de la garder cette distance. »

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« Je sais que mon avis sur tout ça ne t'a pas beaucoup intéressée jusque là mais t'es pas obligée de la garder cette distance. » Je m'étais attendue à tout sauf à ça. J'avais ouvert la bouche, étais restée un instant comme ça avant de serrer les dents. Elle ne me repoussait, ne me renvoyait pas juste à la figure que ce que je disais n'avait aucun sens et était beaucoup trop intense. Non, elle me poussait à m'ouvrir, à accepter ce que je ressentais, d'accueillir ce qui me traversait depuis ce qu'elle m'avait avoué. Tout le contraire de l'éducation dragonne en général. Même si mon père avait toujours été drôlement ouvert et me prêtait volontiers une oreille, dans les rues, c'était une autre affaire et il valait mieux ne pas montrer ses propres sentiments. On était rapidement taxés de faibles, quand on ne profitait pas de vos faiblesses. Au sein de l'équipe, c'était généralement plus safe, à l'hôpital aussi donc je me plaignais probablement pour rien mais ça n'empêchait pas que ce qu'elle venait de m'annoncer avait quelque chose de déstabilisant.

« Tu n'as pas peur, je sais pas, que je te foute un coup de poignard dans le dos ? Comment tu fais pour... faire confiance aux autres après tout ça ? » Je bloquais littéralement sur ce détail et c'était parfaitement ridicule. Elle pouvait bien faire ses propres choix, j'aurais dû être indifférente, voire heureuse de cette confiance. En plus, on parlait de l'instant présent, il n'y avait rien d'autre derrière ses mots. Alors pourquoi est-ce que j'avais du mal à ce point à accepter ce qu'elle me disait. Elle avait souffert et restait si ouverte, si bienveillante alors que je jouais les sales gamines qui râlent pour un rien à cause de la garce et de la situation chez les Dragons.

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Tu commences à te dire que les Dragons, hommes comme femmes, ne valent pas mieux que les mâles Aigles. Parler de leurs émotions n'est pas leur fort. Parler tout court sans doute. Tu es mal placée pour juger. Toi aussi on t'a appris à garder ta langue pour d'autres activités. Seule la raison derrière est différente. Elle a beaucoup d'énergie négative en elle. Sans doute légitime après ces dernières saisons. A cause de tant de choses difficilement imaginables pour la Soumise que tu es. A l'Est ou à l'Ouest, ça ne change rien à ce niveau. « Tu n'as pas peur, je sais pas, que je te foute un coup de poignard dans le dos ? Comment tu fais pour... faire confiance aux autres après tout ça ? » Question légitime. Tu te renfonces dans ta chaise. Soupires. « Je dirais pas que je fais réellement confiance aux autres. » C'est plus subtil. Tu dévoiles encore si peu de choses la plupart du temps. Une part de toi s'attends toujours à voir les belles promesses retournées contre toi. Mais t'as pas d'autre choix que de croire un peu si tu veux avancer. « Certaines personnes me prouvent qu'elles ne sont pas si mal ici. Ca aide que leurs intentions soient si différentes de celles de ma famille. Ne pas être considérée comme une pondeuse donne envie de leur donner le bénéfice du doute. Et puis toi tu m'as déjà aidé. La raison compte peu : le fait est que tu as pris un risque en me laissant partir. Statistiquement il y a moins de chance que tu me fasses un sale coup quand je suis protégée par un clan qui a une dent contre le tien. » La sincérité fait du bien. Elle glisse aisément hors de ta bouche. Tu t'en étonnes. Tu en profites. Ce n'est pas un sentiment auquel tu es prête de t'habituer.

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« Je dirais pas que je fais réellement confiance aux autres. » En entendant ça, je mourais d'envie de rigoler, de me moquer ouvertement d'elle parce qu'elle se contredisait mais quelque chose en moi m'avait contenue. Comme si tout à coup, il y avait une force plus forte que tout, même que la fatigue. Comme si j'avais eu une raison de lui montrer un peu de considération, alors que j'en avais si peu pour certains de mes semblables. Un peu comme lors de l'attaque. Cette fille avait beaucoup trop de pouvoir sur moi et le pire dans tout ça, c'est qu'elle ne se rendait compte de rien. A bien y réfléchir, c'était de moi que j'aurais dû me moquer. Me soucier d'une parfaite inconnue n'avait aucun sens, aucune logique. Je ne pouvais pas sauver toutes les âmes perdues de Paris non plus, des horreurs il y en avait à la pelle dans le Nord. Cette misère, ce n'était pas nouveau.

« Certaines personnes me prouvent qu'elles ne sont pas si mal ici. Ca aide que leurs intentions soient si différentes de celles de ma famille. Ne pas être considérée comme une pondeuse donne envie de leur donner le bénéfice du doute. Et puis toi tu m'as déjà aidé. La raison compte peu : le fait est que tu as pris un risque en me laissant partir. Statistiquement il y a moins de chance que tu me fasses un sale coup quand je suis protégée par un clan qui a une dent contre le tien. » Elle m'avait envoyé un coup auquel je ne m'attendais pas. Elle se fondait sur des actes mais pas que sur l'attaque et elle n'avait pas tort, les Dragons avait une cible dans le dos et ça ne venait pas que des Vipères. Que je sois une Spécialiste de l'équipe des Infirmiers ne me protégeait pas totalement, il faudrait être naïf de croire le contraire. On nous tournait le dos à l'hôpital à cause des décisions prises au sommet. Tout le monde n'arrivait pas à cloisonner les différents éléments de la vie quotidienne.

J'avais soufflé, un peu trop nerveuse. La situation aurait été probablement moins dérangeante si elle avait été quelqu'un de banal, quelqu'un qui se méfiait de moi, qui voulait mettre de la distance malgré mon geste suicidaire lors d'une autre saison mais au lieu de ça, elle me dévoilait une force insoupçonnée, une lutte interne et me donnait envie de frapper des personnes dont je n'avais même pas soupçonné l'existence jusque-là. Elle me parlait aussi d'ouverture aux autres, de penser à ce dont j'avais peut-être envie. Lui parler n'étais pas une bonne idée mais je continuais de m'engouffrer dans un bon merdier. « T'es un putain de mystère. Je comprends pas. Par contre, si tu veux pas être une poule pondeuse, laisse jamais personne décider pour toi. Pas que ça me regarde, hein. » Ca n'avait aucun sens, là, de lui parler encore et encore. De choses aussi sérieuses. Je regardais ma main droite par facilité.

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année 41 - saison tempérée 2 (fin de journée 93)

Il y a de quoi se demander si rester statique est coutumier pour elle. Tu l'imagines sans mal être toujours sur le départ. Prête à sauter d'une situation à une autre. Ne pas se poser aide aussi à ne pas trop s'enfoncer dans ses pensées. Ici elle doit faire un effort. Pour toi, pour elle, pour cette situation ? La réponse est sans doute plus compliquée. Et puis tu ne fais que des suppositions basées sur cette nervosité qu'elle dégage. « T'es un putain de mystère. Je comprends pas. Par contre, si tu veux pas être une poule pondeuse, laisse jamais personne décider pour toi. Pas que ça me regarde, hein. » Tu ne peux pas t'empêcher de sourire. Quelque chose de discret mais sincère. Tu n'es pas habituée à ce qu'on te parle comme ça. Personne ne t'a jamais considérée comme telle. Depuis le dressage à tes dix ans, tu n'avais été que prévisible si on se fiait aux règles familiales. Tu avais offert les réactions adaptées face aux Aigles. Mais son point de vue est différent et toi non plus tu ne sais pas trop quoi en penser même si cela te fait plaisir. « Être ici ça m'a donné une occasion d'avoir mon mot à dire sur le sujet. » Tu n'en dis pas plus. Parce que chez les Aigles les choses n'auraient pas été si simples. Ces paroles pleines de bons sentiments n'auraient pas résonné pareil. Être Vipère te donne d'autres droits. Principalement celui de te battre pour eux. Tu as cru comprendre que les femmes de ce clan n'étaient pas différentes sur certains points et c'est bien normal. Se reproduire est trop important pour la survie de la ville. C'est presque un devoir. Presque étant le mot sur lequel insister. Un devoir n'est pas toujours une obligation. Ici elle est surtout morale. Mais tu as cette chance de ne pas être forcée d'y réfléchir pour le moment. Tu as le temps. Il n'y a plus de date butoir, de futur impossible à éviter. Tu as dix-sept ans et l'autorisation d'en vouloir plus.

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