Même pour une espionne, les évènements de ces derniers jours étaient difficiles à suivre. Entre les retours sporadiques de voyageurs, la tempête, les manœuvres des vipères et cette pyramide du pouvoir bousculée au sein des dragons, Thalia ne savait plus où donner de la tête. Elle suivait le rythme comme elle l'avait toujours fait, forte de son expérience de spécialiste et des entrainements de son enfance. A défaut d'avoir fait d'elle une fine lame, ces derniers l'avaient préparés pour ce jour. Quelque chose pour laquelle elle ne remercierait jamais son père. Thalia n'était pas exactement faite de gratitude, plus encore avec ceux qui ne la méritaient pas à ses yeux.

Malgré les blessures et un dégoût certain pour ce qui se produisait dans les rues du territoire, la blonde avait continué son petit bonhomme de chemin. A sa façon, elle avait été chanceuse de pouvoir sortir régulièrement. Rarement elle avait pensé ça mais Thalia prenait ses incursions chez les vipères ou en centre neutre comme une bouffée d'air frais. L'extérieur paraissait délicieusement normal en comparaison. Cela ne l'avait pas empêché de collecter ses informations sur le nord. Certaines étaient venues lui titiller les oreilles. Aucun espion n'ignorait qu'Ezio s'était fait attraper par les jaguars. Pour l'heure, les infos s'arrêtaient là. Personne n'était sûr de son sort. Si Thalia ne sous-estimait pas les jaguars, elle se doutait bien qu'il reviendrait bien moins amoché que si il avait été pris ailleurs. Contrairement aux dragons, ils relâchaient vivant. Ce qui ne serait peut-être pas un cadeau dans le cas d'Ezio. L'échec était haït ici. Si Samuel n'était pas un homme cruel, Martin était lui un homme dur. Ezio avait mal choisi son moment pour se faire avoir comme un bleu. Thalia ne l'enviait pas. Elle éprouvait même un peu de pitié pour lui. Mais chacun devait porter ses échecs. Le transfuge était un joueur, cela se savait, et une telle attitude se payait toujours un jour.

Lorsque la convocation était arrivée, Thalia avait tout de suite compris. Il ne fallait pas être un génie pour ça. Les choses bougeaient vite chez les dragons. Quand un gradé montrait des signes de faiblesse, il était remplacé. Elle était un élément solide de l'équipe depuis des années et une place d'espion était à pourvoir. En l'absence de Bellamy et de certains éléments, ses chances montaient encore. Le moment était venu.

Aucune excitation n'était venue gonfler la poitrine de Thalia. Elle s'était chaudement vêtue et s'était mise en route à la suite de la sentinelle sans une once d'impatience. Le sentiment qui s'éveillait le plus en elle était la fatigue. Elle était rentrée de repérage tard dans la matinée et le froid lui donnait envie de bailler.

N'était-ce pas triste ? Des dizaines de membres attendaient chaque jour ce genre de nouvelle et Thalia ne parvenait pas à s'en réjouir. Comment l'aurait-elle pu ? Elle avait vingt-et-un ans et ses ambitions étaient mortes depuis longtemps. De plus l'idée de prendre du galon sous un pareil règne ne l'enchantait pas. Elle n'était pas sûre d'avoir envie d'aller mettre la nuque sur le billot pour satisfaire des gens qui s'appliquaient à détruire le clan. Restait que le choix ne lui appartenait pas. Thalia allait être affectée, ce n'était pas une proposition qu'on allait lui faire. Dans le fond, il n'y avait rien de réjouissant. Encore une fois, on prenait les décisions pour elle. Les choses ne changeaient pas. Thalia n'était plus une enfant, elle était consciente que chacun était la marionnette de quelqu'un d'autre. Tout ceci lui rappelait néanmoins son test et cette annonce qui avait brisé un bout d'elle.

L'occurrence était rare ces dernières années mais elle se prit à penser qu'elle aurait aimé qu'Icare soit là. Thalia ne se leurrait pas, cela aurait changé peu de chose mais lui aussi compris.

Il fallait aussi croire que son sort était lié à celui des jaguars. Quelle ironie.

La sentinelle la conduit jusqu'à la salle de réunion où Martin l'attendait. Thalia le salua d'un signe de tête avant de desserrer son écharpe. Il faisait bon ici. Ce fut la première chose qui la marqua. Ensuite vint la bonne humeur de l'homme. L'espionne ne connaissait pas bien l'ancien. Elle l'avait vu sur le territoire et son enfance avait été baignée par son règne mais elle n'avait jamais servi sous ses ordres. Elle n'était donc familière qu'avec le persona.

— Ezio, oui. Répondit-elle sobrement.

Thalia comprenait sans mal ceux qui décidaient de suivre Martin. Au-delà des privilèges qu'il promettait aux bonnes personnes, il exsudait beaucoup de charisme. Si elle n'avait pas su tant de choses, qu'elle n'avait pas vu aussi le résultat de son renversement, elle aurait pu se laisser charmer par sa légende. Il paraissait solide. Tellement plus que Samuel et son désintérêt chronique. Seulement, elle en savait trop et Thalia avait eu trop de raisons de devenir blasée. La vie lui avait aussi appris à se méfier des hommes de sa trempe.