Nell & Lorin

année 41 ; deuxième saison tempérée ; après-midi 100

 c'est compliqué à ce niveau

Je n'étais pas une fille ingrate mais je n'étais pas toujours adroite et on ne vous apprenait pas à remercier chez les Dragons et si Lily et Felix ont toujours cherché à rattraper le coup avec bienveillance, il me manquait des bases essentielles. Pour ces raisons, il aurait été plus sage de partir du principe que Lorin avait compris que je le remerciais pour son geste lors du voyage mais je n'avais pas pu m'empêcher d'écouter cette petite voix dans ma tête qui me murmurait que j'avais beaucoup de chance, qu'on aurait tout aussi bien pu me laisser dans mon coin puisque je n'étais pas une vraie Jaguar, que je ne valais probablement pas mieux que ceux du Nord, j'étais des leurs par le sang. Sans même parler de mon caractère en général, je râlais tout le temps, je n'appréciais pas les surnoms et je grognais dès qu'on me parlait de ma taille. A ce sujet, j'avais eu l'air d'un microbe dans ses bras. Si Kaz avait remarqué ça, il se serait moqué sans aucun doute.

Je marchais en prenant des airs de fille relax, un air nonchalant qui ne me collait pas du tout à la peau, à la recherche de Lorin. Avec un peu de chance, je le trouverais si je trouvais Ella. Ils étaient souvent fourrés ensemble. L'avantage d'un gars comme lui, c'était qu'il était visible à des kilomètres à la ronde. Je n'avais pas foncé sur lui le jour de leur retour, ni le lendemain parce qu'il avait mieux à faire comme se reposer ou discuter avec ses proches mais je n'avais pas pu me retenir plus longtemps. Je ne me sentais pas forcée par le geste symbolique mais c'était une façon de me rassurer, une façon de me détacher de celle que j'aurais pu devenir si j'étais restée dans ma famille. Quand j'avais avoué tout ça à Felix et Lily, ils avaient rigolé. Ils pouvaient rire, ça crevait les yeux qu'ils étaient heureux que je m'ouvre encore un peu plus, à ma manière, très brutale. Il était dans sa chambre mais Ella m'avait juré qu'il ne dormait pas, le tout avant de me faire un clin d'oeil et de sourire. Bizarre. Je ne la comprenais pas. « Lorin ? C'est Nell. Tu sais, tu m'as sauvée pendant le voyage. » J'avais frappé avant de lui répondre ça timidement. J'étais en train de me faire un film dans la tête, un film incomplet parce que je ne savais pas quoi lui dire après l'avoir remercié. Anya ne vous apprenait pas ce genre de choses. Il n'était pas accompagné, je comprenais encore moins le clin d'oeil de l'autre Membre.

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Après autant de temps passé sur les routes, souvent trop accompagné à son goût, retrouver la tranquillité de sa chambre était un sentiment délicieux dont il n'était pas prêt de vouloir se débarrasser. Certes, il n'y séjournait pas seul et l'endroit n'était même pas celui où il dormait avant le voyage, mais accepter les changements ne le dérangeait pas tant qu'on lui fichait un peu la paix. Il comptait bien profiter à fond de ces quelques jours de repos avant d'avoir à reprendre le train-train quotidien pour se requinquer. Il n'allait par contre pas avouer que la visite d'Ella faisait partie de ce petit processus pour se remettre, même si elle faisait partie de ces choses qui symbolisaient si bien un tel retour à la maison. Elle lui avait manqué, l'avoir dans les pattes était devenu trop naturel. Cette dernière venait d'ailleurs à peine de s'esquiver lorsque des coups furent frappés à la porte. Un peu étonné, il s'était arraché à son lit pour aller ouvrir, d'autant plus surpris lorsque sa visiteuse s'annonça. Une fois la porte ouverte, il l'observa un instant avant de se caler contre le chambranle, les mains fourrés dans les poches de son pantalon.

- T'as l'air en forme.

Il n'avait pas eu l'occasion de la revoir depuis qu'elle avait été assez bien pour reprendre sa vie, mais il n'avait pas manqué de poser quelques questions autour de lui. Il n'avait pas été mécontent d'apprendre qu'elle avait repris la route pour Paris avec un peu d'avance, tout comme Ella.

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Idiote. Tu le déranges, ça crève les yeux. Je mourais d'envie de prendre mes jambes à mon cou et de me cacher dans ma chambre alors qu'il était là, posé devant moi. Il n'était pas méchant ou en tout cas n'en avait pas l'air mais il n'aurait probablement pas voulu être dérangé par une inconnue. Mes parents avaient enfoncé le clou depuis que j'étais capable de marcher toute seule, je n'étais pas une fille incroyable, juste banale à souhait et c'était pour ça que j'avais du mal à m'intégrer aux autres Dragons. « T'as l'air en forme. » Je grattais le sol avec mes bottines, les fixant pendant quelques instants. C'était beaucoup plus facile avec Kaz que j'en oubliais qu'il avait le mode d'emploi. Son habitude de me mettre hors de moi était une façon comme une autre de me faire cracher ce qui était en moi. Je n'étais pas incapable de parler aux autres mais avoir été aussi faible et vulnérable n'avait pas aidé.

« Je suis désolée, je. C'est con. Je voulais juste te remercier pour cette nuit. Je devrais y aller maintenant. » Pour ne pas me rendre encore plus ridicule aux yeux de qui que ce soit. On ne me prenait déjà pas des masses au sérieux à cause de ma taille et de mon allure en général, je ne devais pas donner davantage de munitions. Toujours à gratter le sol, je chipotais cette fois à mon coude gauche. La nervosité crevait les yeux et pourtant j'attendais bêtement un signal pour m'échapper. Je savais bien que mon éducation dragonne y était pour quelque chose mais je ne pouvais pas tout mettre sur ce compte.

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Il ne savait décidément pas quoi penser de cette visite. Elle n'était pas malvenue, simplement surprenante au vu du peu de contacts qu'ils avaient eu en tant que Membres d'un même clan. Elle n'avait pas l'air beaucoup plus avancée au vu de son attitude. Clairement, il ne la connaissait pas, mais elle lui avait semblée plus animée au sein du QG, d'autant plus lorsqu'elle était accompagnée de ce géant de Kaz. Aujourd'hui, elle ne dégageait qu'une gêne qui n'allait pas trop de paire avec sa volonté de le remercier. Selon lui, en tout cas. Il dégagea l'une de ses mains pour aller la passer contre sa nuque avant de s'écarter de la porte.

- Tu veux entrer ?

Ce n'était peut-être pas la meilleure des idées, encore plus après qu'elle ait suggéré le fait de partir, mais elle n'avait rien fait pour bouger après tout. Il s'était simplement dit qu'elle serait peut-être plus à l'aise si tout le QG n'était pas susceptible de passer derrière pendant qu'ils parlaient. Si elle ne voulait pas, il supposait qu'elle serait assez grande pour refuser et s'éclipser. Ce n'était pas lui qui allait s'offusquer, il ne faisait que pousser un peu parce qu'elle n'avait pas l'air au top et qu'il fallait croire que l'avoir aidé une fois l'avait rendu plus sensible à son existence.

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C'était visible que j'apportais plus de questionnements et de doutes que de réelles réponses, ce qui me rappelait que si je m'étais adaptée sans trop de mal aux Jaguars, je n'étais toujours pas la plus sociable. J'étais aussi à l'aise qu'un Libre pris en pleine traque, un nouveau Libre qui n'avait pas les codes de la ville. Lorin n'était pas à l'aise et se demandait sûrement pourquoi je le dérangeais là, sans aucune raison solide. Le pire dans tout ça, c'était qu'il prenait sur lui pour rendre l'ambiance un peu moins gênante. Kaz se serait moqué de moi en me voyant galérer.

« Tu veux entrer ? » J'avais simplement acquiescé d'un mouvement de la tête, les joues rouges. C'était bien la preuve qu'il était beaucoup plus habile et beaucoup plus débrouillard que moi, en plus de ne pas être con fini qui profitait de ma gêne et de ma maladresse. S'il apprenait mon clan de naissance, il comprendrait mieux et ce serait un autre échec. J'avais toujours espéré devenir une mentor un jour, Noâ rigolerait bien si elle l'apprenait. Stupide enfant trop ambitieuse pour ce qu'elle vaut, pas foutue de survivre à une maladie sans déranger.

« Je voulais pas te déranger, je t'assure. J'ai pas l'habitude d'être aidée. Vas pas croire que je me diminue mais en temps normal, il n'y a que Kaz qui peut réellement m'approcher. J'ai d'autres potes en vrai, au sein de ma fournée mais. On m'a pas appris à accepter de l'aide gratuitement. Du coup, je tenais vraiment à te remercier en personne. Kaz était malade, il n'aurait pas pu m'aider et sans ton aide, j'aurais tout aussi bien pu crever. » Et ça leur aurait donné raison. Leur fille serait vraiment morte, pas juste aux yeux du clan. Et ils se seraient moqué de la situation parce que c'était inévitable quand on quittait le bon clan pour le clan poubelle. Pendant que je parlais, je regardais mes mains que je craquais nerveusement.

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Etape une, passée. La situation n'en était pas devenue moins maladroite maintenant qu'ils étaient dans la chambre, mais il se sentit un peu moins con en allant s'asseoir sur le bord de son lit. Il n'en dirait rien, mais ne plus avoir à incliner la tête vers le bas pour pouvoir la regarder bien en face était plus agréable. Les deux mains en arrière en guise d'appui et les chevilles croisées devant lui, il s'efforçait de se donner un air détendu en espérant que cela se passerait mieux. Après ces derniers jours, il arrachait chaque occasion de se reposer qui lui passait sous la main dans tous les cas. Il s'était cru préparé à de telles marches en temps que patrouilleur et s'était gravement trompé. Une chose était sûre, sa prochaine patrouille tiendrait d'une promenade de santé en comparaison.

- Okay. J'comprends.

En quelques sortes. Tout aussi bougon qu'il pouvait être, il n'avait jamais été si difficile que ça à approcher. Même si il avait eu des envies de solitude, il avait de toute façon la fâcheuse manie d'attirer des spécimens comme Ella qui avaient l'art de le jeter dans des groupes dans lesquels il finissait par se faire sa place. Il pouvait donc difficilement se mettre à la place de Nell avec ses barrières. Un truc qu'il pouvait comprendre néanmoins était l'inconfort à accepter de l'aide gratuitement. Malgré les six ans de règne de Noâ, il n'était pas si facile d'oublier le climat dans lequel ils avaient grandi. Se faire aider pouvait signifier beaucoup de problèmes en vue à l'époque et, encore aujourd'hui, il n'aimait pas l'idée de se coltiner des dettes. Il avait appris à accepter le soutien de ses proches, mais ils étaient peu nombreux et soigneusement choisis. Venant d'un patrouilleur qui aidait sans grand mal, le principe était curieux, mais chacun avait ses hypocrisies.

- Je sais pas trop quoi te dire. Ca m'a paru naturel de le faire sur le moment parce que tu étais une Jaguar, un visage que je croisais au QG. Je dis ça, mais j'aurais sûrement fait pareil dans le cas où t'étais venue d'un autre clan. Dans tous les cas, j'accepte tes remerciements. Si ça peut t'aider à te faire à l'idée ou un truc du genre.

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Malgré tout ce que je pouvais prétendre, malgré toutes les envies de me persuader que je m'étais complètement affranchie du raisonnement dragon, je me retrouvais à me demander si je ne me montrais pas trop vulnérable, là, plantée devant un mec qui m'avait sûrement sauvée parce que la situation l'y avait poussé et parce que c'était un véritable Jaguar, un bon élément. L'obliger à m'écouter était presque contre-nature mais je n'avais pas réussi à fuir pour autant pour lui laisser la possibilité de s'extirper d'un bordel sans nom, par la même occasion. « Okay. J'comprends. » Même si j'émettais un jugement et même si on ne me demandait pas mon opinion, je ne pouvais pas m'empêcher de me dire qu'il était différent, il était plus ouvert, plus sociable parce qu'il était patrouilleur alors que je n'étais qu'un petit format toujours prompt à exploser pour un rien. Cependant, j'avais retenu tout commentaire, c'était plus prudent si je ne voulais pas le vexer. Ce serait drôlement culotté après qu'il m'ait sauvé la vie ou du moins donné plus de chance de réchapper à une mort certaine et horrible.

« Je sais pas trop quoi te dire. Ca m'a paru naturel de le faire sur le moment parce que tu étais une Jaguar, un visage que je croisais au QG. Je dis ça, mais j'aurais sûrement fait pareil dans le cas où t'étais venue d'un autre clan. Dans tous les cas, j'accepte tes remerciements. Si ça peut t'aider à te faire à l'idée ou un truc du genre. » C'était presque trop simple, surtout quand mon regard se concentrait sur mes vieilles bottes dégueulasses. Tant que je ne le regardais pas dans les yeux, je ne pouvais pas être déçue. Ils prétendaient se soucier de mon avenir mais rien ne collait avec leur visage et leur langage corporel. Si je voulais lui foutre la paix, il faudrait pourtant que je relève la tête pour ne pas risquer une chute aussi ridicule que mon attitude actuelle.

« Merci et désolée pour ce moment gênant. » Pour ne pas dire désolée d'avoir été bizarre ou complètement détraquée. Le Nord me collait plus à la peau que je ne pourrais jamais l'admettre et c'était décevant. Le Nord m'avait toujours déçue. Ils m'avaient particulièrement déçue. Ma force m'avait quittée, j'avais dû attendre quelques instants avant de trouver l'énergie nécessaire pour enchaîner un pas après l'autre.