Rose & ?

année 41, seconde saison tempérée, soirée 93

  vivre avec ce choix est plus compliqué que prévu

J'étais rentrée depuis plusieurs jours de ce voyage qui avait tout d'un cauchemar vivant. Il n'avait pas trop mal commencé, les incidents faisaient partie du lot mais je ne me remettais pas de l'enchaînement de la nuit où j'avais retrouvé Esfir dans un bien mauvais état, sans parler des autres. La part la plus compliquée à accuser était l'acte que j'avais posé et je les entendais celles et ceux qui me diraient que c'était la réalité de la vie à Paris et que j'étais juste bonne à me plaindre et à pleurnicher pour une histoire qui n'en valait pas la peine, que j'avais besoin de me démarquer parce que j'avais une trop grande estime de moi. A vrai dire, j'entendais précisément cette petite voix qui m'accablait : je jouais les gentilles mais je n'assumais pas ma part sombre parce que je me croyais supérieure. Je ne valais pas mieux que celles qui s'étaient fait un plaisir de me traîner plus bas que terre. J'avais essayé de la faire taire mais après bien vingt changements de position dans mon lit, je m'étais fait une raison, je devais sortir où j'allais devenir folle. J'allais finir par associer mes problèmes existentiels du moment à ma chambre et ce n'était jamais très sain.

Après avoir enfilé un pull et un bonnet, j'étais sortie et m'étais dirigée par réflexe vers le bar à drogue. D'une certaine façon, j'étais une bonne cliente parce que c'était aussi une manière de voir Esfir et Zorah. Sauf que là, j'y allais dans l'optique de retrouver une certaine sécurité, une certaine habitude. L'intention était bonne mais je craignais, plus que jamais, de franchir une limite bien établie pour oublier. Ca ne me ressemblait pas. Je flanchais et ça ne me plaisait pas. J'avais même le sentiment amer d'avoir dit à Théa que ça allait quand ce n'était pas le cas. Je pouvais ajouter menteuse aux nombreux reproches que je me faisais à ce moment précis. J'avais salué la patronne avant de commander une boisson et une fois assise dans mon coin, la tête penchée en arrière, j'avais senti les premières larmes. Un surplus émotionnel qui cherchait à s'évacuer. J'avais même des spasmes. Je ne me sentais pas menacée pour autant, on ne vous cherchait pas de noises en ces lieux quand on savait que vous étiez amie avec Esfir ou Zorah, pour ne citer qu'elles. En plus, ça éviterait d'inquiéter davantage ma mère ou Théa. Elles avaient d'autres chats à fouetter et j'étais assez grande pour gérer cette crise passagère.

Ripley & Rose
A41 ST2 93 (soirée)

vivre avec ce choix est plus compliqué que prévu

Une soirée bien entamée au bar à drogue était souvent le théâtre d'opposés. Il y avait ceux qui occupaient une table depuis un moment déjà, bien heureux d'avoir fini une nouvelle session de travail, et s'amusaient avec entrain, encouragés par tout ce qui avait été consommé, et puis ceux qui cherchaient dans l'alcool et la drogue une façon d'oublier sans jamais vraiment réussir. Pour peu qu'on soit intéressé, on pouvait voir des scènes qui n'auraient pas dû pouvoir cohabiter et qui pourtant se mêlaient sans mal entre ces murs. Assisse au bar avec un verre juste là pour justifier sa conversation avec l'adorable Soumis en train de servir et accompagner un reste de ration, elle avait capté la nouvelle venue uniquement à cause du salut offert par la patronne occupée un peu plus loin. Elle avait machinalement jeté un œil par-dessus son épaule pour voir qui venait s'ajouter à la petite foule déjà présente et repéra Rose, la binôme de la Chef croisée de temps en temps au Labo, qui venait de prendre une table en solitaire. Pendant que Joe la servait, elle reporta son attention sur son repas et oublia tout de la rouquine pour revenir à leur conversation jusqu'à ce que l'homme soit envoyé à l'arrière pour refaire les stocks. En l'absence de cette distraction, elle pivota sur le tabouret, posa les coudes sur le bar, et observa la salle d'un œil absent. Même de cette façon, il lui fut difficile d'ignorer la présence particulièrement morose dans un coin. Ce n'était pas ses affaires et elle n'était pas certaine que sa compagnie serait appréciée, mais ça ne l'empêcha pas de sauter de son perchoir, de fourrer son repas dans la grande poche de son manteau, d'attraper son verre, et d'aller rejoindre sa cadette. Elle tira une chaise en face d'elle et s'y installa sans chercher à se faire discrète.

- Si tu veux qu'on reste là en silence, c'est pas un problème, mais c'est pas une heure pour être seule dans le coin.

Physiquement, il n'y avait rien à craindre, le bar était bien géré par la patronne, mais la nuit avait l'art de faire des dégâts sur le mental si on ne faisait pas attention, d'autant plus quand l'alcool était impliqué. Parfois, une présence, à défaut de faire des miracles, apportait un peu de réconfort.

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année 41, seconde saison tempérée, soirée 93

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J'avais entendu le bruit de la chaise qu'on déplaçait devant moi, frottant contre le sol mais je n'avais pas immédiatement fait le lien avec ce qu'il se passait à deux pas de moi. Depuis le temps que j'étais là, sans bouger, j'en avais presque oublié que j'étais à l'intérieur du bar à drogue et que n'importe qui pouvait aller et venir autour de moi. Je m'étais encore moins attendue à ce qu'une aînée vienne se poser à ma table plutôt que d'aller discuter et rigoler avec quelqu'un d'autre. J'aurais aimé la mettre en garde, lui signaler que je n'étais pas de bonne compagnie mais rien ne venait. Au contraire, elle avait même eu tout le loisir d'en placer une. « Si tu veux qu'on reste là en silence, c'est pas un problème, mais c'est pas une heure pour être seule dans le coin. » Je la connaissais pour l'avoir croisée dans les couloirs du Labo ou sur le territoire en général mais je ne la connaissais pas bien. Au moins, j'avais eu la chance d'avoir droit à de la bienveillance. Je n'étais plus méfiante comme je l'avais été durant une période de ma vie mais je n'étais pas forcément celle à qui on allait spontanément parler, je ne me leurrais pas.

Je la regardais depuis quelques secondes, cherchant le moindre signe, un indice sur la raison de sa venue. Comme s'il en fallait forcément une pour approcher quelqu'un dans ce lieu. « Je sais pas trop à qui tu le répéterais mais ne le répète pas. Tu ne m'as pas vue au bar à drogue. » C'était con mais je ne voulais surtout pas que ça s'ébruite et que ça finisse par inquiéter Théa, malgré tous mes efforts. C'était con parce que le bar à drogue était toujours bien fréquenté mais je m'étais persuadée qu'on ne me voyait pas. C'était plus simple pour calmer mon esprit agité.

« Venir ici dans cet état, c'est pas un réflexe mais je crois que le voyage m'a détraquée. » J'avais souri pour ne pas plomber davantage l'ambiance. En temps normal, je rebondissais rapidement ou je me trouvais un endroit où me changer les idées. Voir Leonel aurait été tentant mais ça allait devoir encore un tout petit peu attendre. Surtout si je voulais qu'on soit tranquilles. C'était con mais j'étais paumée pour une histoire de maladie foudroyante qui n'était même pas de mon ressort.

Ripley & Rose
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vivre avec ce choix est plus compliqué que prévu

Pour quelqu'un qui aimait savoir avec quelles cartes elle jouait, elle en savait bien peu sur Rose. Sa proximité avec la nouvelle Chef l'avait mise en lumière récemment, mais elle lui avait toujours semblé très discrète et calme. Il lui semblait aussi qu'elle l'avait rarement vu accompagnée, ce qui ne voulait pas dire grand chose dans le fond, elle y repensait juste à cause de cette solitude qu'elle observait aujourd'hui. Un choix, elle apprit vite, lorsque le secret lui fut demandé après un moment d'étude silencieuse. Fidèle à sa déclaration, elle n'avait pas cherché à papoter et avait continué de boire son verre pendant que sa cadette décidait de ce qu'elle voulait faire de sa présence.

- Compte sur moi.

Elle avait glissé en mimant de se zipper les lèvres avec un sourire. Effectivement, elle ne voyait pas trop quel aurait été son intérêt à parler de ça à qui que ce soit, d'autant plus quand il n'y avait rien de mal à traîner ici tant qu'on était pas en service. Elle avait en plus une sacrément bonne raison de vouloir se changer les idées.

- Vous avez été là où personne ne va en temps normal et vous avez vécu l'Enfer, j'pense que ça justifie de ne plus trop savoir où on en est lorsqu'on revient dans un environnement familier et qu'on a enfin l'occasion d'accepter ce qui s'est passé.

Comme tout le monde, elle avait entendu les rapport, ainsi que les histoires qui se diffusaient à toute vitesse parmi les Vipères. On chuchotait pas mal au Labo, plus encore après la perte de la petite Louane. Pauvre gosse. Elle avait été sincèrement triste d'apprendre la mort d'une jeune Membre si gentille qui était tout juste entrée dans ses relations de boulot, mais qu'elle avait toujours côtoyé de loin sur le territoire.

- C'est probablement même plus sain d'être à l'ouest - pardon pour le jeu de mots - que de revenir à sa vie comme si rien ne s'était passé.

Rose & Ripley

année 41, seconde saison tempérée, soirée 93

  vivre avec ce choix est plus compliqué que prévu

« Compte sur moi. » J'avais souri, soulagée de la savoir coopérante. Je l'avais dit et je le pensais, elle n'y gagnerait pas de raconter une histoire aussi banale mais ça ne voulait rien dire. Certains appréciaient propager des bruits de couloir pour mettre un peu d'action dans leurs vies parfois moroses, ce n'était pas nouveau. J'étais chanceuse, une fois de plus dans ma vie, de ne pas tomber sur quelqu'un qui voulait profiter d'une façon ou d'une autre de la situation. L'occasion aurait pourtant été trop belle, avec celle qui forme un binôme avec la chef. J'avais senti le nœud au niveau de ma poitrine se desserrer. Je n'avais plus de raison d'être sur mes gardes.

« Vous avez été là où personne ne va en temps normal et vous avez vécu l'Enfer, j'pense que ça justifie de ne plus trop savoir où on en est lorsqu'on revient dans un environnement familier et qu'on a enfin l'occasion d'accepter ce qui s'est passé. » Elle avait réussi à trouver les mots justes, ceux qui résonnèrent en moi et je sentis mon cœur se serrer à nouveau sous le poids des émotions. J'étais non seulement tomber sur quelqu'un de respectueux mais aussi de perspicace. J'avais vraiment eu de la chance de croiser sa route à ce moment précis. Entendre ces mots de quelqu'un que je ne fréquentais pas amenait une touche différente et une forme de sérénité. C'était bizarre sans doute mais j'avais le sentiment qu'elle ne cherchait pas à tout prix à poser un pansement, sous prétexte de vouloir me protéger.

« C'est probablement même plus sain d'être à l'ouest - pardon pour le jeu de mots - que de revenir à sa vie comme si rien ne s'était passé. » Je sentais bien qu'en plus de mon cœur qui se serrait, mes mains tremblaient alors que j'essayais autant que possible de contrôler mon corps. Je n'avais pas vraiment honte de mes réactions mais je n'étais pas toujours à l'aise de l'afficher en public, vieux réflexes de protection. Elle ne s'imaginait pas à quel point elle visait dans le mille et à quel point ça m'évoquait un comportement que je ne reconnaissais toujours pas comme valable.

« C'est plus facile d'en parler aux autres que d'accepter la situation quand ça nous arrive à nous. » Je me voyais encore dire à Théa qu'elle devait prendre les décisions qui lui semblaient justes pour les Vipères à propos de la trahison des Dragons et je culpabilisais parce que je n'avais pas aidé l'une des leurs. C'était complètement con et hypocrite. « Je voulais pas t'embêter avec ce bordel. Tu devrais peut-être m'éviter. Certaines te diraient que je suis une fille bizarre, si ça peut t'aider à prendre du recul. » Bizarre et presque meurtrière.