Chiara & Darius

année 41, seconde saison tempérée, journée 94

  l'abri le plus sûr au monde

Il ne m'avait pas fallu longtemps à la fin de la tempête pour apprendre la situation dans laquelle se trouvait Darius. Les deux premiers jours, ce fut compliqué d'échapper à la maîtresse de maison parce qu'elle était littéralement sur mon dos, me répétant de préserver mon poignet et de le faire vérifier le plus souvent possible à l'infirmerie. A l'entendre, j'allais bientôt perdre ma main entière alors qu'il s'agissait d'une simple foulure, rien de bien méchant en somme. Dès la première occasion, quand elle était partie au-delà du coin de la rue, je m'étais envolée, me sentant pousser des ailes en ayant l'impression de lui jouer le pire des tours et la vérité n'était pas si éloignée. Son fils était parti, ce n'était pas pour que je ruine le peu d'espoir qu'il lui restait. Elle ne cessait de me le ressasser quand je déconnais, ce qui représentait bien trop de situations : traîner chez les Jaguars, boire à pas d'heure ou encore traîner en centre neutre où ces satanés Jaguars étaient autorisés. Quel sacrilège !

J'étais certaine qu'une fois chez Darius, j'allais pouvoir souffler et balancer tout ce qui me traversait l'esprit. Le seul tabou était l'inquiétude que je pouvais ressentir en pensant à Elio parce que j'étais trop fière. Selon certains et certaines. A mon sens, c'était un raisonnement qui ne tenait pas la route. Le plus borné des deux, c'était lui. Pas moi. Vu son état, ce serait facile de changer de sujet rien qu'en changeant de pièce et en prétextant tout et n'importe quoi. Nous aurions beaucoup trop à nous dire de toute manière.

Sur la route, j'étais sans doute trop attentive ou paranoïaque mais je regardais tout autour de moi. Je ne voulais pas d'une mauvaise surprise. Alors, une fois devant chez mon meilleur ami, je n'hésitai pas et me fondis à l'intérieur sans crier gare. C'était un luxe que je me permettais depuis quelques années. En me voyant débarquer de cette manière, il n'aurait même pas besoin de me demander la raison de cette intrusion soudaine. « T'es arrangé, mon gars. Je te croyais moins faible que... lu... ça. » J'avais failli me trahir. Tout ne pouvait pas être ramené à mon petit frère. Surtout pas quand j'étais avec quelqu'un qui me faisait vraiment du bien. Je m'étais déjà glissée dans la pièce à vivre, appuyée contre un fauteuil, le regard désolé.

Chiara & Darius

année 41, seconde saison tempérée, journée 94

  l'abri le plus sûr au monde

« Tu devrais voir celui qui m'a fait ça. » En entendant cette blague, j'avais feint de vérifier l'état de mon écharpe pour ne pas le mettre encore plus dans l'embarras. Pour une fois, juste une fois, je pouvais l'épargner. Je mettrais cette mauvaise blague sur le compte de la fatigue ou un sale coup lors de la tempête, c'était plus simple d'imaginer ça que d'assumer quelque chose de ce genre venant de mon meilleur ami. 

« T'as pas trop à te plaindre de ce que je vois. » Je m'étais installée en face de lui, un grand sourire aux lèvres. Je n'étais pas de ceux qui allaient le plaindre, ce n'était ni sa philosophie, ni la mienne. Il devait déjà suffisamment se faire chier à rester cloîtré chez lui, ça n'aurait rien arrangé de pleurer sur son sort quand il était encore en vie et en un seul morceau, même si le morceau en question avait dégusté à plusieurs niveaux.

« Je ne pouvais pas me permettre d'être amochée. Tu connais la patronne. Elle a dû acheter une espèce de protection divine ou ce genre de connerie pour protéger sa famille. » Du moins, ceux qui le méritent. Elle le répétait sans cesse. J'étais partagée de mon côté parce que je n'aurais pas voulu apprendre qu'il lui était arrivé une horreur, même si c'était pour prouver le point de vue familial. Pourtant, une part égoïste trouvait ça plus simple de nier cet attachement.