Gaëlle & Moira
A41 SI J74 (matin)

L'envahisseuse venue de l'Est

L'incident de la veille avait relevé mon niveau de méfiance à un cran inimaginable. Mon traître de corps m'avait fait passer pour faible et on avait cru qu'il était possible de piller l'armurerie. Cet acte me dégoûtait autant que mon propre échec. S'il n'y avait pas eu ce temps de merde, jamais cela ne se serait passé, j'en avais la certitude. En attendant d'arriver à arracher une solution viable à Théa, j'avais recruté quelques Membres pour installer des braseros juste à l'extérieur de l'Atelier pour créer une zone de réchauffement. De cette façon, je n'aurais plus à retourner pour un oui, pour un non à la maison. Lorsque je quitterais les lieux, ce serait tout l'Atelier qui fermerait ses portes, point final. La tactique mise en place s'était révélée plutôt efficace et, avec les vents moins forts, j'en étais presque venue à apprécier mon petit coin à l'extérieur. En sortant deux tabourets, il y avait moyen de bosser un peu dehors tant qu'on ne manipulait pas de poudre. Maintenant, je n'avais même plus besoin d'arrêter de bosser, preuve que l'on pouvait tirer du positif de la pire des situations. J'en étais à ma deuxième "pause" de la matinée, penchée sur un revolver enrayé, lorsque je sentis un regard pesant sur moi. Habituellement, la présence des autres ne me dérangeait pas vraiment, mais les circonstances étaient bien différentes et il y avait ce fameux incident. Je relevais la tête, repérant finalement une blonde. A vue de nez, elle ne me disait rien, mais ce n'était pas comme si je connaissais tout le monde. Voir que tout le monde m'intéressait.

- Je peux savoir ce que tu regardes ? T'as jamais vu quelqu'un bosser ?

Qu'avais-je dis à propos de mes conditions de travail étranges du jour ? Non, rien. Ce n'était pas une raison. Ce clan était juste beaucoup trop curieux. A croire que les Vipères ne pouvaient pas se mêler de leurs affaires. Est-ce que j'allais juger leur façon de bosser, moi ? Oui. Non. Bref, on parlait pas de moi !

- Rend-toi utile, remet du bois.

Je lui désignais le tas de combustibles contre la façade d'un geste du menton, retournant déjà à mes affaires. Tant qu'à être là, elle pouvait bien aider non ?

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année 41, saison intermédiaire, matinée 74

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Visiter les lieux ne m'effrayaient pas. J'avais certainement une âme de baroudeuse, comme me le disait toujours mon frère aîné. En plus, tout le monde était occupé ce matin, même Severus. Je pouvais bien me débrouiller toute seule mais ces histoires avaient quelque chose d'intriguant et de drôle. Je ne croyais pas un traître mot de ce qu'il disait mais il y mettait tellement du sien que c'en était magique. Je ne comprenais toujours pas à quel moment on s'était rapproché et je n'en prenais pas totalement conscience. Il y avait pourtant bien quelque chose. Mon but de la journée ? Découvrir de nouvelles choses, de nouveaux endroits stratégiques ou non et lui prouver que j'étais plus que cette ancienne Soumise Aigle. Il me le disait pour me taquiner, un peu pour me défier mais je ne l'imaginais pas vraiment sérieux. J'allais revenir avec une vraie victoire, j'en étais certaine ! J'étais gonflée à bloc.

« Je peux savoir ce que tu regardes ? T'as jamais vu quelqu'un bosser ? » Cette voix était sortie de nulle part. Enfin, pas exactement. J'avais compris qu'il s'agissait de la blonde assise sur un tabouret en train de bricoler quelque chose avec une arme. C'était justement cette arme qui m'avait attirée. Sans parler de la minutie avec laquelle la fille en question semblait travailler. On voyait que c'était une habituée. Je ne la voyais pas réfléchir des heures après chaque mouvement. Le temps que je revienne à moi, j'étais déjà à ses côtés. « Rend-toi utile, remet du bois. » C'était donc bien à moi qu'elle parlait. « Oui, oui. » Sans plus attendre, je revenais avec les combustibles en question et je les jetai la seconde qui suivait dans le feu. « C'est dommage que tout ça ait brûlé mais dans le cas contraire, je t'aurais certainement proposé de jeter un coup d’œil à mes vieilles bricoles. » Ce n'était pas exactement comme ça que se déroulaient les présentations classiques mais je n'étais pas farouche pour un sou. Il y avait bien quelque chose autour de mon cou, mais ce n'était rien, rien comparé à ce qui avait pris feu. J'avais toujours un pendentif en forme de triangle dans lequel j'avais incrusté les initiales de la famille entière. C'était pas grand-chose mais c'était déjà ça. En attendant, j'étais toujours plantée à côté d'elle, debout.

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J'avais cru faire une bonne affaire en utilisant cette fille, mais je commençais à en douter légèrement. Le but était qu'elle remette du bois et qu'elle se tire, pas qu'elle se sente invitée et tente de taper la discussion. J'avais dû être trop gentille sans m'en rendre compte, je ne voyais que cette raison pour expliquer qu'elle soit encore là une fois sa mission accomplie. Ou elle était comme Sasha. L'idée méritait réflexion. Ou pas. Je gardais les yeux sur mon travail, appréciant le regain de chaleur. Encore heureux, l'inconnue abordait un thème pas trop naze. Poussant un soupir, je me redressais légèrement pour m'étirer le dos et lui jeter finalement un coup d’œil. Qu'avait-elle dit à propos de ses vieilles bricoles ? Qu'elles avaient cramés ? Oh. Une Aigle donc. La prudence était désormais de mise, je n'avais jamais eu beaucoup de chance dans mes rencontres avec les pigeons.

- C'est con.

Un haussement des épaules et je retournais à mon travail. Ouais, c'était juste con. Sûrement que ce n'était pas très délicat de sortir ça à quelqu'un qui venait de tout perdre, mais la délicatesse restait toujours pour moi un concept étrange.

- Je ne savais pas que les meufs pouvaient s'adonner à des trucs utiles. C'était pas un peu prohibé chez vous ?

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Tout dans sa posture et même dans sa manière de me parler aurait dû m'indiquer qu'elle n'était pas la Vipère la plus ouverte et que je l'emmerdais plus qu'autre chose. Je l'aurais bien volontiers laissée tranquille si elle n'avait pas été en train de travailler avec des armes sous mes yeux. La tentation était trop importante. Beaucoup trop. « C'est con. » De son côté, elle n'avait pas l'air de connaître la délicatesse. Je n'attendais ni pitié, ni simagrées de la part d'une inconnue mais de là à réagir de la sorte. Plutôt que de m'énerver, je haussai les épaules, chassant cette réponse de ma tête. Ça ne servirait à rien de s'énerver contre mieux armée que soi, surtout quand je n'étais pas chez moi.

« Je ne savais pas que les meufs pouvaient s'adonner à des trucs utiles. C'était pas un peu prohibé chez vous ? » Toujours le même genre de questions. C'était logique vu les rumeurs qui circulaient au sujet des Aigles mais c'était épuisant. « Tu as raison. On pouvait à peine respirer. On servait tout juste de poules pondeuses. C'est comme ça que vous nous appelez ? » J'avais employé le ton de l'humour mais dans le fond, je mourrais d'envie de savoir si elle allait tomber dans le piège. A croire qu'elle ne sortait jamais de son territoire. « Tu vois, ce collier, il a été construit par une poule pondeuse. J'ai eu de la chance d'avoir des frères qui m'apprenaient la vie, à me défendre aussi et oui, je sais me servir de mes dix doigts. J'ai toujours adoré bricoler. » Qu'elle prenne mal la répétition du surnom qu'on nous donnait parfois ou mon comportement en général serait dommage mais elle avait touché un point sensible. Je savais que toutes les Soumises Aigles n'étaient pas heureuses mais nous n'étions pas toutes perçues comme telles, selon la famille et la mentalité de celle-ci.

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L'envahisseuse venue de l'Est

J'avais touché un nerf. Si je ne ressentais pas de culpabilité, je n'étais pas assez désintéressée pour ne pas le constater. Qu'elle me fasse la leçon m'importait peu aussi. J'étais simplement étonnée qu'elle n'ait pas déjà décampé, trop blessée ou agacée par mon comportement qui n'avait rien de sympathique. Je devais passer pour une belle garce en ce moment. Ce que j'étais, inutile de se leurrer. Il ne fallait pas le faire exprès pour l'être, ne pas avoir la sensibilité de faire gaffe à ses paroles vous plaçait aussitôt dans cette catégorie aussi. Un détail. En vérité, mon image des Aigles, je la devais beaucoup à Oz et à son point de vue bien tranché sur son clan. Dans le fond, je me fichais bien des racontars et la guerre entre l'Ouest et l'Est n'avait jamais été la mienne. J'avais été une étrangère trop longtemps pour comprendre ce conflit bien plus vieux que moi et reposant de plus en plus sur des problèmes de fierté.

- Descend de ton canasson, c'était juste une question.

J'avais levé les yeux pour observer son fameux collier, un symbole important pour elle, apparemment. Je pouvais reconnaître que ce n'était pas du mauvais travail. Même si ce n'était pas une arme ou un outil, j'avais gagné une certaine sensibilité pour ce type d'objet grâce à Laz. Poussant un soupir, je me forçais à reprendre la parole malgré une envie très poussée de me concentrer complètement sur mon travail. Tout au fond, une minuscule fraction de moi comprenait la difficulté d'être dans un clan inconnu, livrée à de nouvelles règles.

- J'ai - j'avais -, j'en sais rien... Bref. Mon pote chez les Aigles n'était pas très favorable à votre politique. Je l'ai écouté s'en plaindre plusieurs fois par saison pendant bien trois ans. Que tu sois une Aigle, une poule, tout ce que tu veux, je m'en tape en fait. Ce point de vue que Oz a sur les Aigles, j'aurais pu l'avoir sur les Vipères si elles ne m'avaient pas offert tant de chances. Si un autre clan l'avait fait, ça n'aurait rien changé. Les Vipères ont ma fidélité parce que, tu vois, y a quatre ans, j'étais dans la rue avec le ventre vide. Aujourd'hui, grâce à mon talent, je suis gradée et j'en ai bien plus qu'il m'en faut. Donc tu m'excuseras de m'être jamais intéressée à vos délires.

Je n'avais pas l'habitude de parler autant, certainement pas avec une inconnue, mais peut-être que sa situation faisait un peu trop écho avec une partie de la mienne, même minime. Je détaillais à nouveau son collier du coin de l’œil, le désignant finalement d'un coup de tournevis.

- Mon frère bricole des trucs comme ça aussi, pour passer le temps. Il les vend parfois aux échoppes. Tu devrais tenter si ce putain de temps se rétablit. Y a de la demande et ça permet de se faire des réserves.

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« Descend de ton canasson, c'était juste une question. » J'avais soit touché à un point sensible, soit j'avais droit à une fille cash qui ne supportait pas beaucoup les allusions. Je ne m'étais pas réellement vexée par rapport à son sous-entendu, même si je n'appréciais pas exactement ces fameux préjugés qu'on pouvait avoir à notre sujet. Certes, certaines Aigles répondaient à ces critères stupides mais ce n'était pas le cas de tout le monde. « Excuse-moi, je ne voulais pas te donner l'impression d'être susceptible. C'était plutôt un test, mais je reconnais que ce n'était pas la meilleure idée. » Je m'en voulais vraiment d'avoir glissé cette mauvaise ambiance, même si je n'étais pas la seule fautive dans l'histoire.

« J'ai - j'avais -, j'en sais rien... Bref. Mon pote chez les Aigles n'était pas très favorable à votre politique. Je l'ai écouté s'en plaindre plusieurs fois par saison pendant bien trois ans. Que tu sois une Aigle, une poule, tout ce que tu veux, je m'en tape en fait. Ce point de vue que Oz a sur les Aigles, j'aurais pu l'avoir sur les Vipères si elles ne m'avaient pas offert tant de chances. Si un autre clan l'avait fait, ça n'aurait rien changé. Les Vipères ont ma fidélité parce que, tu vois, y a quatre ans, j'étais dans la rue avec le ventre vide. Aujourd'hui, grâce à mon talent, je suis gradée et j'en ai bien plus qu'il m'en faut. Donc tu m'excuseras de m'être jamais intéressée à vos délires. » Décidément, cette fille n'était pas du tout du genre à compatir. En même temps, je ne cherchais certainement pas de la pitié chez les Vipères. Je voulais m'adapter parce que je n'avais pas d'autres choix mais si elles me prenaient en pitié, ça ne vaudrait pas exactement plus que les Aigles qui se permettaient de me dire faible. J'avais haussé les épaules. « On a tous nos raisons, je suppose. Si j'ai accepté les Aigles, c'est grâce à ma famille. Ils me voyaient comme une personne à part entière. » Pour ce que ça allait l'intéresser. J'avais gardé cette réflexion pour moi. Mettre de l'huile sur le feu n'arrangerait pas la situation, vu comme elle semblait avoir les nerfs à fleur de peau.

« Mon frère bricole des trucs comme ça aussi, pour passer le temps. Il les vend parfois aux échoppes. Tu devrais tenter si ce putain de temps se rétablit. Y a de la demande et ça permet de se faire des réserves. » Elle avait donc un frère qui avait la même passion que moi. C'était intéressant mais ce que je m'apprêtais à demander risquait de ne pas lui plaire. Je ne la connaissais pas encore suffisamment pour parier sans risquer gros mais pour ce que ça me faisait. « Je sais que je m'aventure sur un territoire délicat mais est-ce que tu crois que je pourrais rencontrer ton frère un jour ? » Très culotté. Je m'étais préparé à essuyer un refus catégorique. Préparée, on souffrait moins, n'est-ce pas ?

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L'envahisseuse venue de l'Est

Un test ? Qu'est-ce que c'était que ce délire ? Voilà que la nouvelle venue faisait passer des tests, à une gradée qui plus est. C'était le monde à l'envers. En soi, qu'elle vienne d'ailleurs ne me faisait pas grand chose. C'était plutôt le principe qui m'emmerdait. Mais que pouvait-on dire à une newbie qui ne connaissait pas les règles tacites ? Rien. Ça aurait été une perte de temps. Elle n'était pas foncièrement chiante ou irrespectueuse, en fait, elle me rappelait même un peu quelqu'un. Juste un peu. De toute évidence, elles devaient avoir deux ou trois trucs en commun avec Sasha. A la voir, je les aurais bien imaginé partager une grande conversation que j'aurais fui dès les premières secondes. Coincée entre deux spécimens pareils, non merci. Il suffisait de voir le culot. Est-ce qu'elle était en train de tenter de gratter un rencard avec mon frère ? Probablement pas. C'était un truc à la Théa, ça.

- Bah, je suppose. Laz aime bien les gens créatifs.

Je n'avais aucune raison de refuser. Déjà car il était assez grand pour décider s'il aimait ou non quelqu'un. En plus, traîner avec une nana ne lui aurait pas fait de mal. Il était ami avec trop de mecs et il était un peu jeune pour prendre des habitudes de Soumis. Il n'aurait pas fallu qu'il ait l'idée étrange d'agrandir la famille.

- Il a pas beaucoup de trucs à faire en cette saison. Tu devrais pouvoir le trouver facilement avec ses potes réparateurs. Il leur file un coup de main. Je te dis ça, mais ça doit pas beaucoup t'aider maintenant que j'y pense.

Il aurait sûrement été plus facile que je lui présente directement l'animal, mais cela représentait beaucoup de si et je manquais de motivation à jouer les intermédiaires.

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« Bah, je suppose. Laz aime bien les gens créatifs. » Son frère s'appelait donc Laz. Il fallait que j'enregistre l'information pour tenter de discuter avec lui bricolages en tout genre. J'avais à peine penser à ça que je m'étais crispée. Elle avait l'air d'apprécier son frère mais peut-être ne voulait-elle pas le voir traîner avec quelqu'un qui s'était emporté selon elle. Elle pouvait dire que son frère aimait les personnes créatives, ça ne disait pas grand-chose sur son propre point de vue sur la chose. J'avais compris que j'avais merdé avec elle, je ne voulais pas lui donner plus de raison de m'en vouloir ou de me trouver culottée. Au fond de moi, je savais qu'il fallait que j'apprenne à inhiber même partiellement cette mauvaise habitude. Ça ne convenait pas à tout le monde. Et à force de réfléchir, j'en oubliais de réagir ouvertement.

« Il a pas beaucoup de trucs à faire en cette saison. Tu devrais pouvoir le trouver facilement avec ses potes réparateurs. Il leur file un coup de main. Je te dis ça, mais ça doit pas beaucoup t'aider maintenant que j'y pense. » Je comprenais à mi-mots que je m'étais encore une fois emballée. Elle n'était pas si contraire que ça en fin de compte, ce qui m'arrangeait. Discuter avec des réparateurs, prendre le pouls ne me ferait pas de tort. Ça me manquait de ne pas pouvoir travailler même par de telles températures. Au contraire, ça réchauffait tout le corps. « En effet, ça va être compliqué de pouvoir le reconnaître avec ces indices mais je te fais déjà perdre assez de temps, non ? Enfin, je ne suis pas contre plus d'éléments pour le reconnaître... » Il fallait reconnaître que je lui tenais la jambe avec cette discussion parce que je n'avais pas grand-chose à faire pour l'instant mais elle avait certainement d'autres chats à fouetter.