rentrer dans la cour des grandes
année 41 - saison intermédiaire (matinée 79)

Tu te souviens sans mal du jour de ton marquage. La peur au fond de ton ventre, la main chaude ta mère sur ton épaule, la fierté dans les yeux paternels parce que tu n'avais pas pleuré, l'affection maladroite de Zak. Les choses avaient vite changées. Comme si un interrupteur avait été actionné. Règles différentes et plus présentes, enseignements maternels à ingurgiter sans poser de questions. Seul son regard à lui était demeuré identique. Et progressivement le quotidien que tu avais chéri durant dix années s'était consumé. Dans les cendres, l'avenir était loin d'être rose. Ce que tu avais pris comme la dure réalité de la vie, comme le fait d'être maintenant considérée comme une grande avait trouvé une explication plus logique au fur et à mesure que tu avais vraiment grandi. La vérité, c'était qu'on ne donnait pas envie de fuir à une personne qui avait encore un choix à faire. Tu avais eu la belle vie jusqu'à être coincée. Inutile de feindre quoi que ce soit dès l'instant où tu avais été à leur merci. Aujourd'hui la situation est différente. Ils ne sont plus là pour te soutenir, encore moins pour te contenir. Mais leur présence ne te manque pas. Tu es soulagée de ne plus sentir le regard de Zak sur toi. D'être débarrassée du joug parental. Peut-être que ton choix en est moins un qu'à l'époque. Après tout tu n'as pas d'autre option. Les Vipères restent une sécurité. Chez les Jaguars existe un risque. Dehors ne t'attends que la mort. Alors les Vipères ce sera même si tu as encore des doutes à leur sujet et que certaines te rappellent de mauvais souvenirs. Avec le temps peut-être trouveras-tu ta place. C'est une chance qui s'offre à toi en tout cas. Tu peux être différente ici. Enterrer celle qu'on t'avait contrainte à être. Même si ce ne sera pas pour tout de suite. Tu sais que tu es condamnée à prendre ton temps pour grandir dans cette nouvelle Nova qui bourgeonne à peine. En attendant le premier pas reste à faire. A proximité de la Fine Lame, tu n'es pas bien à l'aise. Il se dégage d'elle une telle puissance. Ce qui te frappe le plus reste pourtant sa stabilité. Elle semble bien dans sa peau, en contrôle. Tu l'envies pour ça. « Tu peux entrer, Nova. » Tu déglutis malgré toi. Elle reste une femme impressionnante. June si tu te rappelles bien. C'est comme ça que Sofia l'a appelée. Au fil des bavardages incessants de cette fille, tu as appris qu'elles étaient binômes. Équipières face à l'adversité quelque part. Les concepts vipères te dépassent encore un peu. Tu la rejoints d'un pas un peu hésitant mais ton bras se tend directement, la manche relevée. Pour ça tu n'as pas de doute. Cette vieille cicatrice sur ton poignet n'est qu'un fardeau. Tu la veux remplacée.

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année 41 - saison intermédiaire (matinée 79)

« Je suppose que ça signifie que tu n'as pas de doute. Cette certitude est une bonne chose. » Tu es heureuse qu'elle le comprenne. Un brin de sourire se glisse même sur tes lèvres alors que tu confirmes quand même d'un hochement de tête. La communication non-verbale reste bien ancrée. Sur ce territoire c'est comme une façon de te protéger des erreurs que tu pourrais faire. La procédure n'avait pas attendu. Ton souffle s'était un instant coupé lorsque tu avais vu la lame mais tu t'étais forcée à respirer en sentant le froid sur ta peau. L'expérience n'était pas nouvelle. Tu savais à quoi t'attendre. Ton esprit d'enfant avait même comme empiré la chose. La douleur était présente, vive dans ton esprit, mais supportable. Si tu n'avais pas laissé échapper un seul son, tu t'étais quand même mordu la lèvre sur la fin, sous un pic de douleur plus vif. « Tu tiens le coup ? » Nouveau hochement de tête. Mais très vite tu comprends que ce n'est pas suffisant. Que si tu veux devenir quelqu'un de différent, tu dois commencer par sortir plus souvent de tes habitudes. « Ça passe. » Tu glisses entre tes mâchoires crispées. Tu as les yeux baissés vers ton poignet, posés sur ce V sanglant qui vient de sceller ta nouvelle vie. C'est définitif. Tu es une Vipère désormais. Et tu souris encore, étrangement satisfaite. La douleur était le prix de la liberté. Pas de cette liberté utopique naturellement. Non. Tu étais enfin sortie du carcan familial. Plus que libre, tu étais inaccessible. Enfin tu étais devenue ta propre personne et pas une possession. Il ne fallait pas chercher trop loin, tu appartiendrais toujours à un clan quelque part mais tu n'avais jamais cherché à sortir de l'influence de l'un d'eux. Jamais tu n'avais été dérangée d'être Soumise. Tes chaînes avaient été ailleurs. « Merci. » Tu murmures enfin en essuyant une larme du bout des doigts. C'était trop intense pour ce simple marquage mais tes remerciements n'étaient pas énoncés que pour cette raison. Ils s'adressaient à ce clan qui t'avait permis de te sauver la peau, de t'extraire d'un quotidien qui t'avait dévoré durant trop longtemps.