Laz & Gaëlle

année 41, seconde saison tempérée, zénith 98

  la vie peut reprendre son cour normal

Je ne pouvais pas réparer grand-chose en ce moment, la plupart du temps je supervisais les tâches que je ne pouvais pas accomplir et je bricolais, le cul posé sur quelque chose. C'était toujours mieux que de se morfondre dans la maison familiale en l'absence de Gaëlle et de Théa qui avait d'autres préoccupations, elle aussi. Quand je rentrais le soir, je m'affalais dans le fauteuil, en élevant suffisamment mon pied, posé sur un tabouret, pour le reposer un maximum. Je confectionnais quelques bricoles non loin du feu quand elle n'était pas rentrée la première et c'était souvent le cas. Dès que la vie reprendrait, j'aurais de quoi amasser quelques rations supplémentaires et c'était ce que je gardais en tête. Ma tâche n'était pas tout dans ma vie. J'avais besoin de passer un peu de temps aux échoppes, ça me permettait de me sentir utile d'une autre manière qu'à travers mon boulot plus officiel et de découvrir toujours plus de nouvelles têtes. Sous mes airs ronchons, j'aimais bien la vie qu'on pouvait mener quand on passait quelques heures aux échoppes.

J'étais assis sur un gros pneu quand un autre Soumis se mit à courir dans tous les sens pour annoncer à tout le monde le retour des derniers voyageurs. Aussi vite que mon corps me le permettait, à l'aide d'une canne, j'avais rejoint le groupe de voyageurs, à la recherche d'une personne en particulier, ma sœur. Théa avait vu juste, ils n'avaient plus traîné et c'était sans doute mieux pour mon cœur. Je risquais de mourir jeune dans le cas contraire. Nous avions quartier libre pour les accueillir tant que nous retournions à notre tâche sans se faire prier et sans y passer non plus des heures. Je ne voulais pas attendre de rentrer à la maison pour me rendre compte de son état, c'était beaucoup trop important. Il ne fut pas compliqué de la retrouver puisqu'elle s'était rapidement écarté du groupe, comme à son habitude. Elle n'était pas seule et cette fois, ce n'était pas Sasha qui la collait. C'était un chien ? « C'est bon de te retrouver. » J'aurais aimé pouvoir la prendre dans mes bras mais la canne m'empêchait de me mouvoir comme je le souhaitais. Elle ne s'en plaindrait probablement pas. « Tu m'as manqué. » C'était dit avec le sourire du grand frère soulagé de la savoir en un seul morceau, même si je n'en doutais pas. C'était une peur irrationnelle. Elles le sont toutes, par définition.

Gaëlle & Laz
A41 ST2 J98 (zénith)

la vie peut reprendre son cour normal

Revoir la ville après tout ça était bizarre. Je n'aurais jamais cru pouvoir me dire un jour qu'un lieu me manquerait. J'avais passé les trois quart de ma vie sans me poser réellement, avec Laz comme seule certitude, mais j'avais hâte de revenir à mon quotidien. L'Atelier et toutes ses armes me manquait, ainsi que la maison et la solitude qu'elle représentait malgré la présence de mon frère et de sa squatteuse de meuf. Plus nous approchions, plus je sentais cette énergie en moi grandir, une anticipation proche de l'excitation. Il y avait tellement de choses à faire, tellement d'habitudes dans lesquelles retomber. Bien sûr, il y avait simplement Laz aussi. Cela restait notre première séparation et elle avait été plus longue que prévu. De mon côté, les choses n'avaient pas été si difficiles à vivre car nous n'avions pas manqués d'occupations et que je le savais en sécurité sur le territoire, mais il ne pouvait pas dire la même chose. Je ne savais même pas ce qu'on lui avait raconté, bien qu'il soit bien placé avec Théa pour apprendre la vérité. Au moins, il aurait vite su que cette maladie ne m'avait pas achevé. Je me pensais increvable, mais ça ne voulait pas dire qu'il avait un tel point de vue sur la question. Dès que nous avions mis les pieds chez les Vipères, le bordel avait commencé. Partout, il y avait des gens ravis de retrouver leurs proches, je ne m'étais donc pas fait prier pour m'écarter, Lion sur les talons, esquissant une grimace devant l'exagération de certains. A croire qu'ils n'avaient pas de maison pour se retrouver. Laz me trouva à ce moment là avec sa canne et sa tête de déterré. A croire qu'il n'avait pas fermé l'œil depuis la petite vingtaine de jours durant laquelle nous étions parti.

- T'as décidé de faire la paire avec ta meuf ?

Je restais inquiète, quoi que je puisse en dire. Je n'avais jamais aimé le voir amoché, ce n'était pas pour rien que j'avais été si satisfaite qu'il ne puisse pas aller au combat dans ce clan. Il pouvait y avoir des accidents sur les chantiers, mais rien de similaire. Je m'étais finalement approchée, me glissant du côté où il n'était pas blessé pour me serrer contre lui.

- Toi aussi, tu m'as manqué. C'était bizarre de revoir tout ça sans toi.

Laz & Gaëlle

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« T'as décidé de faire la paire avec ta meuf ? » C'était du Gaëlle tout craché, une façon bien à elle de dire qu'elle s'inquiétait. Dans le cas contraire, elle aurait continué son chemin sans un mot et sans un regard pour la personne en question. On savait rapidement si on dérangeait. Je savais bien que la famille n'était pas épargnée, qu'on ait pris soin l'un de l'autre pendant ces années de débrouille nous avait rapprochés mais si j'avais été un frère médiocre ou incapable de faire des efforts au quotidien pour elle, elle n'aurait pas été plus tendre avec moi. Je priais chaque jour le ciel ou qu'importe d'avoir eu la chance que ça se passe bien entre nous. Je ne pus pas retenir ce rire, avec une pointe de nervosité, après cette remarque. La pression retombait, étape après étape, maintenant que je l'avais sous les yeux.

« Un accident de rien du tout. » Je ne devais pas l'inquiéter bêtement et je voulais éviter une tension inutile entre elle et Théa. Elle ne se retiendrait pas de me reprocher ma bêtise mais elle pourrait également tomber sur sa colocataire, plus que sa chef, parce que c'était plus facile généralement mais ça n'aiderait pas l'entente au sein de la maison. Je ne jouais vraiment pas les fiers après cette décision particulièrement pourrie.

« Toi aussi, tu m'as manqué. C'était bizarre de revoir tout ça sans toi. » Entendre ça avait le don de me réchauffer le coeur. D'une certaine manière, j'avais eu peur qu'elle ne revienne et qu'elle ait pris cette véritable indépendance ou qu'elle ait eu le sentiment qu'il était temps qu'elle prenne plus de distance vis-à-vis de moi, de nous. C'était égoïste mais c'était surtout plus fort que moi, j'avais besoin de savoir que nous étions encore importants l'un pour l'autre, qu'elle ne me jetterait pas après tout ça, après toutes ces mésaventures. Alors j'avais profité du contact autant que possible.

Gaëlle & Laz
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Laz était doué pour éviter les accidents en temps normal. Il n'aurait pas réussi à nous garder en vie dans le cas contraire. Je ne pouvais donc pas m'empêcher de mettre ça sur le dos de notre sédentarité. Il était devenu un peu plus mou depuis qu'on s'était posé chez les Vipères. C'était normal, on vivait mieux au sein d'un clan, ici encore plus. Un mal pour un bien donc. Je comptais bien le garder en un seul morceau, mais j'aimais aussi le gars qu'il devenait depuis qu'il se relâchait. Il avait l'air plus heureux quand il n'avait pas le poids de notre survie sur le dos. Je pouvais assurer ses arrières maintenant. De mauvaise foi, je devais accepter que c'était aussi un peu le rôle de Théa. On ne pouvait malgré tout pas faire de miracle. Des embrouilles, il y en aurait et je ne pourrais aider qu'avec les conséquences.

- T'es toujours avec notre coloc, j'suppose ? Pas de changement pour lequel il faut que je me prépare ? J'espère qu'elle en a pas profité pour toucher à mes affaires.

La fin tenait plus d'une pensée. Cela valait autant pour la maison que pour l'Atelier. Je ne voulais pas vraiment me débarrasser de sa copine. Plus maintenant. J'avais accepté le fait qu'elle resterait dans les parages et qu'il faudrait que je fasse avec. Même chose pour elle, dans les faits. Je ne comptais pas lui laisser ma place, je tolérais juste le fait qu'elle faisait plus ou moins partie de la famille vu que Laz l'aimait pour tellement de raisons auxquelles je ne voulais pas penser sous peine de vomir.

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« T'es toujours avec notre coloc, j'suppose ? Pas de changement pour lequel il faut que je me prépare ? J'espère qu'elle en a pas profité pour toucher à mes affaires. » La question n'était pas folle parce que je n'avais pas pensé avant de me poser avec Théa à une relation exclusive, ça m'avait plu de m'amuser. Ca ne m'empêcha pas de rigoler, un mélange de bonheur de l'avoir retrouvée et de soulagement parce qu'elle n'était pas revenu aussi tendue que je ne l'avais imaginé. Si la vie en dehors des frontières ne l'effrayait pas, je m'étais dit qu'elle aurait pu revenir excédée ou qu'elle aurait pu être liée à un accident. On parlait de ma petite sœur qui n'avait aucune patience, à part avec moi et même dans ce cas, c'était à petite dose.

« Loin de moi l'idée de changer constamment ton quotidien. Je te rappelle que je te connais comme si je t'avais fait. » J'aurais pu répondre plus sobrement mais elle m'avait tenté. J'avais évité de franchir la limite invisible, je la respectais trop pour ça mais la titiller de temps en temps ne pourrait pas lui faire de tort. « De ton côté, tu as respecté le deal ? Pas de mort à ton compte ? » J'avais souri, amusé. Théa me l'aurait déjà signalé dans le cas contraire.

Gaëlle & Laz
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J'espérais bien. J'aurais pu lui répliquer que le fait de me connaitre ne l'avait pas empêché de ramener Théa, mais, même pour moi, cela semblait viser un peu bas. Je devais accepter qu'il avait le droit d'avoir ce genre de relation, bien que j'aurais préféré l'apprendre autrement. La meuf en question avait cruellement manqué de délicatesse à ce sujet. Deux saisons plus tard, cela ne me dérangeait plus, dans les faits son côté direct la rendait plus tolérable que si elle avait essayé de gagner mon aval à grand coup d'hypocrisie, mais je me serais bien passé de vivre ce moment. J'avais donc préféré ne pas réagir à ça et partir du principe que tout irait bien à la maison.

- Aucune qui n'était pas autorisée.

J'avais haussé les épaules après m'être retiré de sous le bras de Laz, peu affectée comme toujours par l'idée d'ôter la vie à quelqu'un. Je ne pensais plus aux Libres qui étaient tombés depuis longtemps déjà. Je ne me rappelais même pas de leurs visages. D'autres auraient pu sentir comme une connexion sous prétexte que nous avions vécus des trucs similaires, mais Libres ou citadins, c'était du pareil au même à mes yeux. L'appartenance ne changeait rien au fait que quelqu'un était une gêne.

- Pourtant, c'était tentant par moment. Ils ont envoyés de sacrés débiles. Normal, il faut bien des gens qu'on puisse perdre en route, mais bon.

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« Aucune qui n'était pas autorisée. » Cette réponse, venant de Gaëlle, était rassurante. Il suffisait d'avoir le mode d'emploi pour comprendre qu'elle avait fait des efforts, ce qui lui demandait de prendre sur elle. Elle n'avait pas les codes de la vie en société et ce n'était pas qu'une question de différence de traitement entre la vie de baroude et celle plus citadine parce que je m'adaptais plus facilement qu'elle. Elle se prenait moins la tête, ne réfléchissait pas en termes de bienveillance ou d'interdits mais en termes d'utilité et, d'une certaine manière, ce n'était pas une mauvaise façon de voir le quotidien. Si la société n'était composée que de personnes comme Gaëlle, nous ne tiendrions pas sur le long terme mais l'hypocrisie de certains me donnait envie de vomir.

« Pourtant, c'était tentant par moment. Ils ont envoyés de sacrés débiles. Normal, il faut bien des gens qu'on puisse perdre en route, mais bon. » C'était précisément là le souci dans son attitude. Elle présentait mal un point de vue qui se tenait. Envoyer certains éléments incapables de penser efficacement et en terme de survie se rapprochait du suicide collectif mais avouer ouvertement certaines réalités, surtout sans prendre de pincette la desservait. Puisque nous n'étions qu'entre nous, je pouvais bien rigoler de la situation, d'autant que je voyais déjà ses mimiques et je l'entendais marmonner suffisamment haut pour que la personne concernée s'en rende compte.

« Je suis content parce que tu as quand même l'air de quelqu'un qui a pu en profiter malgré tous les éléments négatifs. » J'avais souri, en bon grand frère fier et heureux d'apprendre toutes ces nouvelles de sa bouche et non plus par l'intermédiaire de qui que ce soit. J'aimais profondément Théa mais ce n'était pas vraiment la même chose que de voir qu'elle était là, en un seul morceau et avec suffisamment d'énergie en réserve que pour cracher sur les incapables.