Rose & Gaëlle

année 41 saison polaire

do want to build a plane ?

Ça faisait déjà plusieurs jours, peut-être même deux semaines que j’avais parlé avec cet homme qui m’avait fait des dessins de ce qu’il appelait des avions. Il avait même imité pour mon plus grand plaisir le bruit de ces machines de métal. Il avait perdu pas mal de temps sur sa journée pour me donner des explications à ce sujet et je n’en revenais toujours pas. C’était bien la première fois que j’en entendais parler et de nature curieuse, j’aurais dû en avoir déjà parlé autour de moi. Ça ne me ressemblait vraiment pas de garder tout ça pour moi. Le souci, c’est que Théa avait été pas mal occupée, moi aussi avec ma tâche et les tours sur le territoire. Ça ne s’était pas arrangé rapidement. Avec ce que nous vivions comme tensions sur le territoire, ce n’était pas du tout évident. J’avais constaté l’ampleur du phénomène – ampleur inconnue jusqu’à ce que Théa ne me prenne en aparté, chez Gaëlle plus exactement – plus tard encore. Il n’y a pas si longtemps. Deux jours très exactement. Ce n’était pas plus mal que tout ça reste relativement secret. Je connaissais le côté vindicatif de beaucoup de mes coéquipières d’armes. Il valait mieux que tout cela ne leur parvienne jamais jusqu’aux oreilles, certainement pas plus tard. Elles n’apprécieraient pas forcément avoir perdu des camarades comme ça. Nous étions trop fières pour ça. De mon côté, je m’étais décidée. J’allais franchir le pas cette après-midi, après une bonne garde matinale. Je mourrais d’envie d’en parler. Je ne pouvais plus garder ça pour moi. J’avais trouvé la personne idéale à qui cracher le morceau. Elle ne s’embêterait pas avec le détail de la personne qui m’avait appris tout ça. Elle avait la réputation de ne penser qu’à ses armes et de n’écouter qu’une fois sur deux. Et encore, c’était gentil. Si je l’avais choisie elle, c’est parce que je reconnaissais son talent indubitablement. Elle était douée de ses mains. Elle nous confectionnait des armes toujours plus efficaces les unes que les autres. Alors, peut-être, qui sait, connaissait-elle les avions ou pourrait-elle en fabriquer un prototype si elle n’était pas trop occupée. J’avais été voir jusqu’à l’armurerie mais elle n’y était pas. Je connaissais bien sa maison mais j’avais soudainement peur de la déranger peut-être encore plus que dans endroit de prédilection. Te dérange pas. La voix de ma binôme me poussait à y aller, comme si elle me poussait l’épaule. Je toquai, attendant poliment dans ce froid glacial. J’étais habillée en conséquence, je ne risquais pas grand-chose, sauf si, bien évidemment, elle n’était pas chez elle ou trop concentrée. « C’est Rose. »

Gaëlle & Rose
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La journée était divinement calme. Laz et sa sangsue avaient miraculeusement décidés d'aller roucouler ailleurs, me laissant tout le loisir de profiter de la maison. Je m'étais étalée sur la table, descendue au maximum pour l'occasion, et installée à même le sol avec une couverture sur les épaules et un coussin sous les fesses. C'était l'un de mes endroits préférés pour travailler lorsque je ne voulais pas subir les regards curieux des autres. Mais ça, c'était avant Théa. A une époque plutôt lointaine, la maison avait été pour moi un sanctuaire. Avec Laz, nous y avions mis tout notre cœur. C'était la première fois que nous avions connus le principe d'avoir un toit sur notre tête et, une fois adaptés, il avait été pleinement exploité. L'endroit regorgeait de créations. Entre ses mains et les miennes, nous pouvions tout faire. La plupart de nos possessions étaient faites maison. Cette table, en l’occurrence, aussi. Laz s'était chargé de toutes les boiseries avec un copain et j'avais construit les mécanismes pour lui permettre de changer de hauteur et d'angle. Elle était parfaite pour travailler que ce soit pour moi ou pour lui. Les nombreuses entailles et les coups le prouvaient, mais ce n'étaient là que des marques d'amour pour son utilité.

J'entendis la voix avant de capter qu'on avait frappé à la porte. C'était le genre de son que j'occultais car je n'ouvrais jamais. Les voix, par contre, étaient plus difficiles à bloquer complètement. Une partie de mon esprit se focalisait toujours dessus, que je le veuille ou non. Rose. Au moins avait-elle eu la bonne idée de se présenter. Je savais désormais qu'il était inutile que je bouge.

- Elle est pas là.

J'avais crié pour être sûre d'être entendue, toujours concentrée sur ce que je faisais. Maintenant, j'allais pouvoir être tranquille à nouveau. La binôme chercherait l'autre gourdasse ailleurs et me ficherait la paix. Rien ne pouvait troubler cette journée.

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J'avais dû attendre un petit moment avant que Gaëlle ne daigne répondre. Ce n'était pas un problème, j'étais patiente et même si le froid piquait mon visage, je prenais sur moi. Plutôt que de lui en vouloir, je préférais me dire qu'elle avait certainement d'autres choses à faire que de répondre à quelqu'un. Elle était tout le temps occupée à l'atelier alors pourquoi ne le serait-elle pas chez elle ? La confection d'armes et par extension d'objets ingénieux, c'était sa passion et elle vivait de sa passion. Je trouvais ça vraiment merveilleux. D'autant qu'elle excellait dans ce domaine. Elle n'était peut-être pas la plus ouverte et la plus bavarde des Vipères, elle n'en restait pas moins une fille passionnée et pleine de ressources. Il ne fallait pas la dénigrer. Différente ne voulait pas dire moins bien. Je ne le savais que trop bien. Elle me sortit de toute cette réflexion quand elle me répondit tout naturellement qu'elle n'était pas là. Le elle faisait référence à Théa, c'était certain. « Ce n'est pas Théa que je cherche. C'est toi. Si je ne te dérange pas trop évidemment. » J'avais peur qu'elle ne me remballe parce qu'elle avait mieux à faire et parce que nous n'avions jamais réellement parlé. Peut-être qu'elle m'en voulait d'avoir squatter pendant un court moment chez elle quand Théa m'avait invitée. Néanmoins, je restais plantée devant cette porte, dans le froid. Heureusement, je m'étais habillée en conséquence. Je ne partirais pas tant qu'elle ne me l'avait pas demandé. Je gardais un petit espoir, tout petit.

Gaëlle & Rose
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Uh ? La déclaration était suffisamment frappante pour que je m'arrête net. J'avais les outils suspendus dans les airs et je relevais légèrement la tête, fixant le mur dans une intense concentration. Est-ce que j'avais bien entendu ? Parce que si c'était le cas, il y avait un truc pas logique dans l'histoire. Qu'est-ce que Rose, la précieuse binôme de la grognasse, pouvait bien me vouloir ? Surtout en l'absence de la susnommée. On devait bien avoir échangés quelques mots depuis que je vivais sur le territoire, mais sans plus. La fille n'était pas d'une présence frappante et c'était une bonne chose. Quand quelqu'un ne vous frappait pas, c'était qu'il n'était pas chiant. Ce qu'était Rose, contrairement à Théa. On avait jamais vu une équipe aussi bizarre. Enfin, c'était peut-être l'hôpital qui se foutait de la charité au vu du duo comique que nous formions avec Sasha. Je lançais un regard vers la porte, songeant presque que la rousse avait peut-être disparue dans l'entre-temps même si j'en doutais. Si elle voulait me parler, elle n'allait sûrement pas se barrer sans avoir essayé au moins une ou deux fois de plus.

- Ben, entre, alors.

J'étais aussi un peu choquée qu'elle ne l'ait pas déjà fait. La maison était devenue un vrai moulin depuis l'emménagement de la Chef et elle avait la fâcheuse tendance de dire à tout le monde que la porte était toujours ouverte. L'autre jour, j'avais trouvé quelqu'un dans un fauteuil en rentrant du boulot. Il attendait calmement le retour de Théa. L'idée qu'un inconnu puisse rester seul chez moi m'avait tellement dégoûtée que je l'avais jeté dehors avant de bricoler quelques verrous pour la porte de ma chambre. Mais revenons-en à Rose qui toquait et attendait patiemment, même si ça gelait dehors. Pas que j'ai vraiment pitié d'elle, pour le coup. Elle avait décidé de se déplacer, il fallait assumer maintenant.

- Tu veux quoi ?

J'avais même abandonné l'idée d'avoir l'air occupé. Les outils reposaient soigneusement sur la table et j'avais fait pivoter mon tabouret pour la regarder. Je pouvais travailler au travers de plus ou moins tout, mais impossible de cacher que j'éprouvais une pointe de curiosité face à cette visite.

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J'avais bien compris au temps qu'elle avait pris pour me répondre et à sa réponse qu'elle était surprise. Je pouvais comprendre mais j'aurais tout de même souhaité rentrer, être un peu au chaud. J'aurais pu aller la voir à l'atelier, ça aurait peut-être donné une impression de visite plus formelle et ça aurait peut-être semblé plus logique pour Gaëlle. Je n'y avais pas pensé parce que ma question n'avait rien de formel, justement. Je ne voulais pas la déranger sur son lieu de travail et faire passer le mauvais message, concernant ma requête. Quand elle m'avait finalement invité à rentrer, je l'avais fait sans me faire prier. Une fois à l'intérieur, je m'étais rendu compte que je ne savais pas par où commencer. L'aura qu'elle dégageait n'arrangeait rien. Même celle de James m'avait moins dérangée.

Je n'allais pas me laisser démonter pour ça. J'avais vécu pires expériences. En plus, je n'avais pas le sentiment de venir avec quelque chose de problématique. J'espérais mais je n'obligeais en rien qu'elle m'aide. J'allais au culot, à peu de choses près. Ne pas se sentir petite. Gaëlle n'était pas méchante, n'est-ce pas ? Elle ne valait pas les pestes qui m'avaient écrasé par pure jalousie. Elle valait mieux que ça. Parfois trop sérieuse, parfois trop fermée, mais pas méchante gratuitement. Allez, Rose. Prends ton courage à deux mains. Je m'étais motivée avant de lancer la question, toujours plantée devant la porte, comme si j'avais déjà trop dérangé son espace vital. L'aura dans la maison était vraiment... dérangeante. « Est-ce que ça te tente de construire quelque chose d'inconnu jusque-là ? » Au moins, j'essayais de vendre la chose. Essayer, tout était dans le terme. « Un homme m'a parlé de ce que les anciennes générations appelaient des avions ; des grosses machines en métal - ou quelque chose dans le genre - qui volaient dans le ciel. » Si l'aventure ne la tentait pas, je m'avouerais vaincue et la laisserais tranquille.

Gaëlle & Rose
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La réponse avait mis un peu de temps à venir, mais je ne m'en faisais pas outre mesure. Les gens tendaient à traîner pour s'exprimer face à moi, quoi que cela puisse signifier. Je m'en fichais au fond, tant qu'ils ne restaient pas comme des poissons hors de l'eau, la bouche béante et l’œil bête. Tant qu'ils ne me saoulaient pas, aussi, parce que je m'étais remise à travailler entre temps. Dans ce cas-ci, mon attention était restée sur elle, j'avais même failli la houspiller un peu pour qu'elle s'avance dans le salon. Lorsqu'elle s'exprima enfin, ce fut avec des mots quasiment magiques. A croire qu'elle s'était faite briefée par Laz ou Sasha avant de venir. Bricoler des trucs inédits, c'était ma deuxième passion, pas bien loin derrière les armes à feu. Un léger sourire m'étira les lèvres, le genre un peu flippant pour certains car cela ne se produisait pas tous les jours en dehors de ma bulle. Sauf que j'y étais, dans ma bulle, en cet instant. La rousse venait de s'y introduire avec son appareil volant. Voler, c'était une prouesse qui n'appartenait qu'aux oiseaux. Et aux objets légers lors de la tempête annuelle, mais le principe était différent.

- Tu sais à quoi ça ressemble ?

Le mot avion ne voulait rien dire pour moi et, même si je pouvais laisser parler mon imagination, avoir une idée de ce dont il s'agissait vraiment aurait aidé. Je lui sortis un papier de mon tas personnel, ainsi qu'un bout de charbon, et tapotais le tout après l'avoir posé au bord de la table.

- Tu sais dessiner ? Même vaguement la forme.

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« Tu sais à quoi ça ressemble ? » Le poisson avait mordu à l'hameçon et j'en étais ravie. Je n'aurais pas eu de difficulté à reconnaître ma défaite mais ça n'enlevait pas la joie immense qu'elle ait marché et qu'elle se soit prise au jeu. Intriguer les gens, c'était la clé dans ces cas de figure. Il ne suffisait pas d'amener une question générale mais de prononcer des mots qui laissaient planer le doute. J'avais donc hoché la tête en guise de réponse pour ne pas en faire trop. J'essayais, par la même occasion, d'envisager la suite dans ma tête pour ne pas la perdre au moindre faux pas. C'était qu'elle n'était pas ni très patiente, ni banale. Elle avait un caractère très fort et elle pouvait très vite se désintéresser des autres êtres humains. Elle n'était clairement pas la plus sociable, Théa me l'avait répété plus d'une fois. Personne n'était parfait mais elle était une sacrée Armurière et une génie quand il s'agissait d'inventer des trucs du tonnerre. Ça encore, ça venait de Théa, même si elle ne le disait pas précisément comme ça. En revanche, Laz l'avouait volontiers.

Le matériel de dessin déposé sous mes yeux m'encouragea sur cette piste. Elle était curieuse d'en savoir plus et ne me priait pas de m'en aller. J'étais donc enfin entrée pour de bon, appâtée à mon tour, et entrepris de faire un dessin approximatif. « Tu sais dessiner ? Même vaguement la forme. » C'était très approximatif, plus exactement. J'avais retenu les grandes lignes du dessin, son croquis très minimaliste mais on pouvait constater que ça ne ressemblait en rien à des pigeons ou autres oiseaux qui jouaient souvent les nuisances dans Paris. Pour ne pas me tromper dans mes explications, je lui tendis la feuille à l'horizontale. « Donc ça, ce sont ses ailes, un peu comme des ailes d'oiseau mais version machine. Et tu dois le regarder comme ça. » Je lui indiquai les quelques nuances que j'avais cernée pour que l'information se transmette le mieux possible.

Gaëlle & Rose
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Je commençais à me sentir impatiente, ma jambe remuant légèrement sous la table. C'était le premier signe. Je pouvais rester en place durant des heures, à travailler, mais c'était un peu différent lorsque j'étais en phase de réflexion. Laz avait l'habitude de dire que c'était la façon que mon corps avait de s'adapter aux idées qui tourbillonnaient dans ma tête. L'idée était particulièrement intrigante et venait combler une période difficile pour quelqu'un comme moi. Depuis mon tabouret, j'observais son croquis, les sourcils froncés et la lèvre inférieure calée entre mes dents. Il était difficile de visualiser cette drôle de chose dans les airs. On aurait dit deux boudins formant une croix. Le manque de finesse venait peut-être aussi simplement du dessin, même si ça ne changeait pas grand chose à la forme générale. En imaginant, je pouvais bien visualiser la forme d'un oiseau, mais ce truc n'était pas prêt de battre des ailes comme eux. Tout au plus, avec une surface suffisante, il pourrait planer. Pour ça, il lui faudrait déjà atteindre une certaine altitude. Quelque chose que l'on connaissait peu ici. Les bâtiments n'étaient pas très hauts. Au loin, il existait encore des collines et des montagnes, mais il fallait une éternité pour les atteindre. Et cela n'assurerait en rien la réussite d'un vol d'essai.

- Il est fiable, cet homme ? Ça paraît vraiment difficile à croire.

J'avais toujours les sourcils froncés, un peu frustrée de ne pas comprendre correctement le mécanisme. Nos ancêtres avaient eu entre les mains un potentiel immense, mais il s'était perdu en cours de route. De là où je me trouvais, j'étais déjà bien heureuse de la progression offerte aux Vipères, mais il était agaçant de se dire que nous ne faisions qu'emprunter un chemin déjà tracé par les générations précédentes, celles dont on ne savait pas grand chose et qui avaient vécu avant le chaos.

- Une machine, tu as dit... Alors ça devait être en métal. Je suppose qu'on pourrait emprunter quelques débris pour réaliser un prototype. Ça se recyclera facilement en cas d'échec.

Sauf si, bien sûr, cet avion s'envolait sans se reposer - encore un détail auquel il faudrait réfléchir -, mais nous n'étions pas encore là.

- Et il t'a parlé du fonctionnement ? Ou d'autres trucs. Avoir la forme et le but, c'est un peu maigre.

Rose & Gaëlle

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A mesure qu'elle remuait de la jambe, je me sentais devenir de plus en plus petite. Gaëlle n'était pas la gradée la plus ouverte et elle avait la réputation d'être impatiente et de dégager très rapidement ceux qui ne l'intéressaient pas ou plus. Peu habituée à la côtoyer, j'avais peur de mal m'y prendre et il aurait fallu d'un geste maladroit pour que je ne vise la porte de sortie. Théa m'avait dit à plusieurs reprises qu'elle n'était pas la plus habile d'un point de vue du contact social mais qu'elle n'était pas méchante dans le fond. Elle ne le répétait pas devant Gaëlle mais c'était encore une autre histoire. Je l'avais vu froncer les sourcils face à mon croquis et je m'en voulais de ne pas savoir mieux dessiner que ça ce qui nous entourait. Ce n'était pas exactement la formation prioritaire à Paris. C'était donc un don si quelqu'un avait un bon coup de crayon. Je ne doutais pas d'avoir l'air ridicule à ses yeux, elle devait être d'autant plus douée mais là étaient mes limites.

« Il est fiable, cet homme ? Ça paraît vraiment difficile à croire. » La question se posait naturellement mais s'il s'agissait d'un menteur, il faisait partie du haut gratin. Peut-être était-ce mon esprit rêveur et mon émerveillement intacts depuis toutes ces années qui m'avaient fait boire ses paroles. Si c'était le cas, je promettais encore une fois de passer pour la fille trop naïve et trop crédule aux yeux des autres. J'avais d'autant plus envie d'y croire et que ça se confirme parce que j'avais vécu trop de désillusions depuis que j'étais haute comme trois pommes. « Je sais que c'est difficile à croire mais il n'avait pas l'air de sortir du bar à drogue. » Ce qui signifiait qu'il avait toute sa tête. En tout cas, c'était le sentiment qu'il m'avait laissé.

« Une machine, tu as dit... Alors ça devait être en métal. Je suppose qu'on pourrait emprunter quelques débris pour réaliser un prototype. Ça se recyclera facilement en cas d'échec. » Malgré les ondes qu'elle renvoyait, elle avait l'air intriguée. Peut-être pas aussi emballée que moi mais on sentait bien que j'avais réussi à attirer son attention. Elle réfléchissait à voix haute et c'était plutôt sympa de la voir aller dans ce sens. Je préférais largement ça à l'idée me faire jeter de chez elle, un coup de pied aux fesses, ou pire. Elle n'aimait pas perdre son temps et ne connaissait pas exactement les limites intégrées par la société, pas toutes en tout cas. « Et il t'a parlé du fonctionnement ? Ou d'autres trucs. Avoir la forme et le but, c'est un peu maigre. » Oui, son intérêt était sur ce projet un peu farfelu et je me sentais victorieuse. Ça ressemblait à une mince victoire mais avec l'Armurière, ce n'était pas rien. « Il me semble qu'il m'a parlé d'ailes qui ne bougent pas mais plutôt d'une machine qui plane. Des moteurs particuliers mais des moteurs malgré tout. » C'était difficile de totalement imaginer ces oiseaux de métal dans le ciel mais mon imagination était débordante.

Gaëlle & Rose
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Une question évidente que j'aurais pu poser était : d'où sortait ce type ? Je ne savais pas trop ce que fichait Rose dans la vie, mais il était curieux qu'elle ait pu croiser quelqu'un qui avait ressenti le besoin de lui parler d'une technologie du passé. Généralement, c'était un délire de Libre. Lorsque l'on voyageait et que l'on découvrait des restes de l'ancienne civilisation plus souvent que de vivre au cœur de la nouvelle, il y avait de quoi développer un intérêt. Avec Laz, nous avions pu observer deux ou trois trucs, mais nous avions surtout écouté des histoires. Souvent abracadabrantesques. Peut-être que c'était pour cette raison que j'arrivais à croire à ce qu'elle me racontait. Tous ces récits m'avaient bercée et construite à une époque où les clans ne voulaient rien dire.

- Des voitures volantes.

Avec de grandes ailes. En poussant les moteurs à fond et en prenant beaucoup de vitesse, peut-être que le phénomène créé permettrait aux ailes de se soulever. Était-ce ça le secret ? Je repris le bout de charbon pour griffonner par-dessus son croquis, ajoutant des roues et un corps plus plat avec un habitacle. Cela ne répondait peut-être pas à toutes les questions, mais il y avait une clarté nouvelle.

- Je ne pense pas que Théa me laissera démonter un moteur. Même en le faisant discrètement, elle saura que c'est moi. C'est toujours les mêmes qu'on accuse.

A raison, généralement. Je n'aurais pas été contre l'idée d'aller voler un autre clan, mais les plus mal intentionnés auraient pu voir ça comme un acte de guerre.

- Je pourrais demander aux mécanos, mais je doute qu'elles seront motivées par le bénévolat. La peur, ça fonctionne bien aussi, mais, encore une fois, Théa...

Toujours un problème, cette fille.

Rose & Gaëlle

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« Des voitures volantes. » J'avais frappé mon poing, au niveau du plat formé par le petit doigt refermé, sur mon autre main. Une évidence ! L'image était parfaite, si ce n'était que cet engin avait des espèces d'ailes que n'avait pas une voiture, aussi sophistiquée soit-elle. Si on m'avait dit un jour que j'aurais cette discussion avec une Vipère, je n'y aurais pas cru. Le plus extraordinaire était que j'échangeais des idées avec une gradée plutôt recluse en temps normal, une fille qui n'échangeait pas énormément avec les autres. J'avais hâte de raconter tout ça à Théa. « C'est exactement ça ! Je n'aurais pu avoir meilleure image que celle-là. » Je ne savais pas si dans sa tête j'avais ma part d'implication dans cette recherche un peu particulière mais j'étais contente de participer à tout ça.

La voir gribouiller à son tour rendait la chose encore plus excitante. J'avais le sentiment de faire une découverte extraordinaire et un peu secrète. C'était comme de découvrir un trésor très ancien. A croire que mon besoin d'en apprendre toujours plus pouvait servir de temps en temps. « Je ne pense pas que Théa me laissera démonter un moteur. Même en le faisant discrètement, elle saura que c'est moi. C'est toujours les mêmes qu'on accuse. » A noter, ne pas parler de toute l'expérimentation à Théa. Je n'aimais pas l'idée de garder Théa en dehors de tout ça mais je ne voulais pas qu'elle tombe sur Gaëlle alors qu'elle concédait que ce n'était pas l'idée du siècle.

« Je pourrais demander aux mécanos, mais je doute qu'elles seront motivées par le bénévolat. La peur, ça fonctionne bien aussi, mais, encore une fois, Théa... » Si c'était évident que piquer des moteurs de voiture chez des clans ennemi ou allié n'était pas l'idée du siècle, j'étais beaucoup plus franchement du côté de Théa en ce qui concernait la peur. L'utiliser contre ceux et celles qui se croyaient tout permis était une chose et j'avais appris à ne plus me laisser bouffer grâce à James, notamment, mais l'utiliser contre des subalternes pour un caprice - que je partageais - en était une autre. C'était une limite que je ne voulais pas franchir. « Je te promets de garder ça pour moi jusqu'à ce qu'on en décide autrement. » Et je ne revenais jamais sur une parole donnée. « Si ça peut t'aider à me faire confiance, je te propose de trafiquer mon arme une et une seule fois si je ne tiens pas cette promesse. » Je savais que je ne risquais rien. Si elle décidait de trafiquer mon arme, c'était soit un choix délibéré de sa part. Quelque part, je me forçais à lui faire aveuglément confiance, moi aussi. « Je te laisse peut-être cogiter là-dessus sauf si tu as d'autres questions ? » J'avais le sentiment qu'elle réfléchissait mieux toute seule et que je ne pouvais pas lui apporter plus d'éléments.

Gaëlle & Rose
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Qui sait ce que nous aurions pu faire avec l'une des ces merveilleuses inventions. J'aurais pu révolutionner les ravitaillements, nous permettre de découvrir plus de terrains et, donc, potentiellement, trouver des matériaux rares qui nous permettraient de nous élever plus haut encore sur l'échelle technologique. Si mon cœur avait toujours appartenu aux armes, je pouvais reconnaître l'intérêt - qu'il soit pratique ou intellectuel - d'une belle création. Construire un tel appareil serait un challenge de taille. Si je réussissais, je laisserais une empreinte plus importante encore sur le monde. Toute cette histoire devenait foutrement excitante.

- T'es plus cool que je le pensais comme fille.

Pas que j'avais souvent réfléchi à Rose en tant que personne. Pour moi, elle avait toujours été la binôme de Théa, un titre un peu péjoratif. L'idée d'apprendre à la connaître ne m'était jamais venu comme elle n'était jamais venu avec une centaine d'autres personnes. Je préférais éviter de perdre mon temps dans des relations inutiles. Aujourd'hui, elle avait su prouver qu'elle valait la peine d'être fréquentée et se voyait donc séparée de son étiquette.

- T'sais, y aura de toute façon pas d'autre fois si je décide de trafiquer ton arme.

Si je prenais la peine d'endommager une arme ce n'était pas pour faire une frayeur à une Membre. Les conséquences tenaient plus souvent de la perte de quelques doigts ou d'un œil. Voire la mort. Je haussais les épaules avant de me concentrer sur mon croquis. De toute façon, j'avais besoin d'elle pour le moment. Rencontrer son contact spécialiste des avions ne serait pas de trop et elle semblait avoir la motivation de se charger de quelques corvées ce qui allait grandement me faciliter la vie. Je n'étais pas non plus certaine d'avoir envie de supporter une Théa affectée par la perte de sa binôme, elle était déjà assez chiante comme ça en temps normal.

- Ouais. Je t’appellerais.

J'agitais à peine la main vers la porte, elle la trouverait toute seule.

Rose & Gaëlle

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« T'es plus cool que je le pensais comme fille. » Je ne savais pas trop comment je devais prendre une telle remarque de sa part mais je supposais que c'était sacrément positif. Elle ne devait pas dire ça à tout le monde, vu la réputation qu'elle s'était forgée avec le temps. J'avais simplement souri, heureuse d'avoir réussi à attirer son attention et heureuse aussi d'avoir enfin appris à la connaître un tout petit peu plus. Je ne prétendais pas la connaître aussi bien que sa binôme, Sasha, mais j'avais appris à voir Gaëlle sous un autre aspect et j'avais bien compris qu'il en était de même de sa part, avec peut-être un brin moins d'enthousiasme mais je n'allais pas m'offusquer pour ça. C'était déjà un bel effort et un pas en avant. Peut-être ne me verrait-elle plus que comme la binôme de Théa avec qui ça passait souvent difficilement.

« T'sais, y aura de toute façon pas d'autre fois si je décide de trafiquer ton arme. » Et là, on retrouvait l'armurière dans toute sa splendeur. C'était à cause de ça que j'entendais souvent Théa grommeler certaines choses à son sujet. Gaëlle était drôlement radicale et si je ne la comprenais pas quand elle entrait dans ses délires, je ne me voyais pas lui donner de raison suffisante pour vouloir trafiquer mon arme. Je respectais mes promesses et je n'aurais jamais l'idée d'être dans ses pattes ou de faire foirer ses plans puisqu'ils étaient supposés aller dans le même sens que les miens, pour les Vipères avant tout. Au lieu de me crisper, je rigolai, un peu nerveusement, sans aucun doute. Son sens de l'humour était plutôt particulier.

« Ouais. Je t’appellerais. » J'avais compris le signal, je pouvais m'en aller. Je ne me fis pas désirer et après un dernier salut, je pris la porte et je pris le chemin jusqu'à ma maison où j'allais pouvoir me reposer et réfléchir à ce grand délire que nous venions de mettre en place. Il ne manquait plus que l'occasion désormais.