Reyn & Chrom

année 41 ; saison intermédiaire ; journée 85

  le culot n'est qu'une question de point de vue

Si ça n'avait pas été pour l'une de mes mères, je n'aurais quitté l'armurerie pour rien au monde. A défaut de pouvoir rester, j'avais crié des ordres à chacune, faisant globalement confiance à Maze et Zola pour des raisons différentes et même si ça signifiait mettre son ego de côté. Les autres n'étaient pas aussi brillantes, ni aussi dégourdies à mes yeux, encore moins à ceux de Gaëlle. Je savais que rien ne me serait excusé mais je n'aurais pas été dans de bonnes conditions en restant là. J'avais pris un choix et j'espérais honnêtement ne pas le regretter. Raison pour laquelle je m'étais montrée intraitable, plus garce que jamais. Ça ne m'avait pas empêché de quitter le territoire la peur au ventre, souhaitant qu'il y ait quelque chose au-dessus de ma tête pour me venir en aide, cette fois au moins. D'habitude, je comptais sur mes mères mais il fallait croire que cette protection les avait lâchées.

Depuis que j'étais arrivée à l'hôpital, on m'avait écartée, pour le bien de tout le monde. Je comprenais l'idée parce que je n'aimais pas être dérangée quand  je bossais pour ne pas me foirer mais là, c'était différent, c'était trop personnel. Dans un premier temps, je m'étais assise, cherchant à duper mon esprit, me mentant à moi-même. Je n'étais pas quelqu'un de calme, j'étais une boule de nerfs. Je n'aimais pas me fatiguer inutilement mais quand mon esprit s'y mettait, c'était encore pire. Les sous-infirmiers occupés prenaient trop de temps à mon goût. Quand j'avais entrepris de sortir pour parler seule mais tranquillement, j'avais découvert quelque chose qui n'arrangeait pas mes affaires. Sortir rimait à prendre des risques inconsidérés. En plus de ça, je n'avais rien pris à grignoter avec moi. Rien. Désespérée, je m'étais laissée tomber au sol, les jambes tendues devant moi. « Gaaaaaah. » Je ne le connaissais pas mais il était sorti d'une chambre et avec ça, l'espoir de m'occuper un peu l'esprit. « T'as un morceau ? J'ai faim et t'as pas besoin d'un malade supplémentaire. » Le culot n'était qu'un détail à ce moment-là.

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 le culot n'est qu'une question de point de vue

Poussant un soupir, il se glissa hors de la chambre de son dernier patient, essuyant de sa manche retroussée la sueur qui avait commencé à s'accumuler sur son front. Il n'aurait pas dû être là, mais bien installé dans son lit après une garde déjà trop longue, seulement, les éléments en avaient décidés autrement. Personne n'aurait été assez idiot pour se risquer dehors avec ce vent, impossible donc de faire le voyage retour jusqu'au territoire. Correction, il n'était pas un crétin contrairement aux gens qui s'étaient rassemblés dans le hall en attente de soins ou que cela passe, tout simplement. Il était par contre assez bête pour continuer à travailler, un détail qui lui avait valu un commentaire de la part d'un soigneur plus âgé qui avait insisté pour qu'il fasse une pause. Ce qu'il avait accepté, de mauvais gré, lorsqu'il avait constaté un léger tremblement dans sa main alors qu'il effectuait un simple bandage. Hors de l'action, la fatigue était plus évidente encore, mais il devenait évident qu'il ne se reposerait pas de si tôt si quelqu'un l'arrêtait toutes les deux secondes.

- J'ai l'air d'être ravitailleur ?

Elle occupait le couloir comme si elle était chez elle, apparemment plus intéressée par son estomac que par ce qui était en train de se produire. Il lui cogna les jambes du pied, un brin agacé par ce sans-gêne.

- Rabat au moins tes guibolles avant que quelqu'un ne se casse la gueule. Y a des gens pressés qui circulent ici.

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« J'ai l'air d'être ravitailleur ? » C'était de bonne guerre, je pouvais le reconnaître sans trop de mal. J'avais souri parce que malgré la remarque cinglante et l'intention très claire, j'étais trop nerveuse et il se défendait presque trop gentiment. Il aurait pu être beaucoup plus méchant que ça et j'étais loin d'imaginer que tous les sous-infirmiers étaient de bonnes poires. Tous n'étaient pas comme Rory, une fille pleine d'énergie et toujours optimiste mais beaucoup trop bienveillante pour une ville comme Paris.

« Rabat au moins tes guibolles avant que quelqu'un ne se casse la gueule. Y a des gens pressés qui circulent ici. » Là, j'admettais que j'avais réagi comme une belle égoïste. Je ne niais pas que j'avais mes moments égoïstes mais là, même pour moi, c'était trop. Je n'avais pas râlé quand il m'avait donné un coup et m'étais appliquée la seconde suivante. « Ouais, j'suis désolée. C'est juste que l'hôpital me rend nerveuse et j'déconne complètement à ce moment-là. Tu dois t'en foutre mais j'aimerais pas qu'on déconne à l'armurerie non plus. » J'avais déposé mes bras autour de mes jambes repliées. « J'suppose que t'es pressé aussi mais tu sais pas comment va une certaine Natalia ? Promis, j'serai plus dans tes pattes, j'irai me foutre dans un coin pour que tu n'voies plus ma tête mais j'suis morte d'inquiétude. » Je prenais des risques après l'avoir emmerdé mais j'allais finir par me bouffer à force d'attendre et malheureusement pour lui, c'était le premier que je croisais depuis un moment.

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 le culot n'est qu'une question de point de vue

Au moins, il avait eu la chance de ne pas tomber sur une fille trop fière et incapable d'admettre ses erreurs. Il se fichait bien des manières des autres, sauf lorsqu'elles étaient des gênes aussi ouvertes pour les gens qui bossaient. Si elle n'avait pas montré patte blanche, il se serait sans doute montrer plus incisif, mais elle manifestait du regret, ce qui signifiait qu'il y avait de grandes chances pour qu'elle ne reproduise pas ce comportement plus tard.

- Inutile de faire la victime. Je ne vais pas réclamer l'exil parce que tu n'as pas été une Membre modèle.

Il avait levé les yeux au ciel, légèrement blasé par ce discours, avant de s'installer à ses côtés. Elle était un chouïa trop intense. Il pouvait néanmoins comprendre son inquiétude, c'était toujours difficile lorsque la vie d'un proche était en jeu. Même lui n'était pas totalement à l'aise en cet instant, avec tout ce qu'il se passait dehors. Il ne pouvait pas s'empêcher de penser à ses parents, à Levi, à Elain, et aux autres.

- J'irais me renseigner après. Faut que je récupère.

Il ne faisait pas exprès de la faire attendre, une part de lui hésitait encore à se relever pour aller demander aux autres, mais il savait pertinemment que s'il ne s'arrêtait pas maintenant, il ne le ferait jamais. La tête basculée contre le mur, il ferma les yeux et soupira longuement. Avant de les ré-ouvrir sous les plaintes bruyantes de l'estomac de la blonde. Il souffla tout en fouillant dans la sacoche accrochée à sa ceinture pour en sortir quelques morceaux de nourriture. De bouts de viande séchée et un reste de pain qu'il lui déposa sur les genoux sans dire un mot.

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« Inutile de faire la victime. Je ne vais pas réclamer l'exil parce que tu n'as pas été une Membre modèle. » On n'entendait pas ça tous les jours. En tout cas, Annabella aurait pu apprendre de ce gars, elle n'avait jamais connu l'indulgence, elle était plutôt du genre entière et il suffisait qu'elle soit mal lunée pour qu'elle tue une Membre et sa binôme pour une broutille. C'était peut-être pour ça que j'en avais fait autant avec lui, l'habitude et les réflexes. Une question de survie. Malgré tout ça, j'étais convaincue qu'il n'avait pas envie de m'entendre m'exprimer sur le sujet et puis, si j'avais droit à un Dragon, il valait mieux ne pas se montrer trop à la merci de quoi que ce soit.

« J'irais me renseigner après. Faut que je récupère. » Instinctivement, je l'avais mis dans la catégorie Jaguar mais je me rendais compte que c'était stupide. Je ne ressemblais en rien à Gaëlle, encore moins à Maze et pourtant nous étions toutes les trois des Vipères. Je ne ressemblais même pas à Natalia qui m'avait éduquée autant que l'autre femme de ma vie. En tout cas, j'étais beaucoup plus intense qu'elle. Si elle m'avait croisée en pareil moment, elle m'aurait dit que j'en faisais des tonnes. Je m'étais tournée vers l'inconnu, Dragon ou Jaguar, réalisant qu'il avait effectivement besoin de récupérer et pourtant c'était moi qui recevais des bouts de viande séchée et du pain. « Merci. La prochaine fois qu'j'te croise, j'me rappellerai de te donner du pain et de la viande. Sinon j'm'en voudrai d'avoir profité d'un gars qui soigne les autres. J'suis chiante mais pas complètement méchante ou insensible. » Je n'étais pas capable de dire les choses sans détour et pourtant, cette fois, j'avais un comportement plus droit.

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 le culot n'est qu'une question de point de vue

Tomber sur une ingrate aurait sans doute été plus facile. Elle se serait contenté d'avaler la nourriture et, pendant ce temps, elle se serait tue et il aurait pu faire sa sieste, aussi minuscule soit-elle. Pour autant, il préférait ce genre de profil, agir n'en était que plus satisfaisant. Il ne jugeait pas réellement les gens qu'il soignait, mais il fallait reconnaître que certains pouvaient vous filer des regrets. Ici, c'était encore différent puisqu'elle était là pour quelqu'un d'autre et non pour être prise en charge. Cela ne changeait pas grand chose, ils étaient toujours coincés ici et personne ne pouvait dire pendant combien de temps la tempête rugirait encore dehors.

- C'est pas dans mon intérêt de laisser quelqu'un crever de faim dans l'hôpital. Imagine ma tête si je t'avais retrouvé inconsciente au milieu d'un couloir en pleine urgence.

Un réflexe lui avait arraché un sourire fatigué.

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« C'est pas dans mon intérêt de laisser quelqu'un crever de faim dans l'hôpital. Imagine ma tête si je t'avais retrouvé inconsciente au milieu d'un couloir en pleine urgence. » Ce mec était sûrement beaucoup trop bon pour une fille dans mon genre. Je n'étais peut-être pas la pire mais je n'étais pas un ange non plus, je ne me le cachais pas. En plus, il ne se rendait pas compte qu'il aurait fait des heureuses en me laissant crever à l'hôpital. Comment l'aurait-il su ? A cet instant, j'étais juste la fille de mes mamans, celle qui s'inquiétait pour ses proches alors il n'aurait pas pu voir le reste. Il s'en moquait peut-être aussi, qualité des sous-infirmiers, je supposais.

« T'es un Dragon ou un Jaguar ? Te sens pas obligé de répondre. Pure curiosité. » J'aurais probablement mieux fait de m'éclipser et le laisser prendre la fameuse et précieuse pause dont il m'avait parlé mais je restais là, plantée dans ce couloir, à la recherche de quelque chose qui me tirerait de ma tête. Il fallait que j'arrête d'envisager trop de scenarii, la plupart totalement improbables.