Shiloh & Kaiden

année 41, saison intermédiaire, soirée 78

I don't know the rules in that case

Ça faisait déjà trois jours que j'avais été promue au rang de numéro neuf dans l'équipe des Tireurs d'Elite et trois jours que mon père n'avait pas pipé un mot à ce sujet. La seule chose qu'il évoquait quand ma mère le poussait à me féliciter enfin c'était que j'avais intérêt à me donner à fond pour grimper rapidement les échelons. Ce n'était pas tout de ne pas tomber, il fallait surtout que je fasse toujours mieux que les autres et il y aurait toujours meilleur que moi jusqu'à ce que je ne devienne moi-même Lieutenant, alors j'étais mal barré. Ce dont j'avais besoin en ce moment, ce n'était pas qu'il me rappelle quel était mon objectif, j'en étais convaincu et je ne le perdais pas de vue, non, j'avais surtout besoin qu'il puisse reconnaître ma valeur. J'étais plus jeune que Jackson et pourtant j'étais numéro neuf, juste au-dessus d'elle. Je ne la dénigrais  pas, je prouvais simplement que je n'avais pas fait les choses à moitié, quoi qu'il en dise.

Ce matin, je m'étais entraîné seul dès l'aube pour lui démontrer que je ne lâchais pas la pression et que je me donnais corps et âme afin qu'il soit fier de moi et que je ne renvoie pas l'image d'un fainéant qui se reposait sur sa victoire récente. Je n'avais reçu qu'un haussement d'épaules parce que c'était normal pour lui. Il l'avait dit lui-même, me féliciter pour des petits pas ne ferait que me conforter dans la paresse. Il ne m'avait pas adressé le moindre mot lorsque nous avions mangé à midi. L'après-midi, il s'était assis dans la salle qui nous servait de salle d'entraînement privée dans le silence le plus total. Depuis ma nomination, ça se répétait tous les jours. A croire que je ne valais même plus la peine qu'il se fatigue à m'entraîner. L'amertume me bouffait et plutôt que de tout balancer, comme il m'arrivait de le faire quand nous nous prenions la tête, j'avais décidé de m'éclipser pour la soirée et la nuit. Il ne voulait plus m'aider ? Très bien. Je pouvais me débrouiller tout seul.

Errer dans les rues ne me ressemblait pas et je commençais à avoir froid, malgré mes couches et mes gants, ainsi que mon écharpe et mon bonnet. Il n'était pas question de jouer avec ma santé par fierté. Je valais mieux que ça. En plus, ce serait lui donner raison en lui laissant croire que je n'étais pas capable de me gérer tout seul. Une solution se profilait dans les environs mais honnêtement, je n'étais pas certaine de la démarche à suivre. Je n'étais pas le genre à frapper à une porte pour demander l'asile, encore moins s'il suffisait d'empiéter sur le confort et le quotidien d'un nouveau coéquipier. La fierté m'empêchait de tambouriner mais le froid m'avait poussé à me laisser tomber contre la porte de la bâtisse. Il me faudrait encore argumenter avec moi-même un bon moment avant de me décider.

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année 41, saison intermédiaire, soirée 78

I don't know the rules in that case

« Shiloh ? Je sais que tu n'es pas frileux, mais tu dois avoir de la glace à la place du cul. » Sa voix m'avait sorti de ma tête et je reprenais pied avec la réalité. Si je m'étais pressé de sortir de chez moi, je me sentais drôlement ridicule, planté, là, devant la maison de Kaiden. Ça avait été une évidence. Je n'aurais pas pu me tourner vers Maxine ou Jackson puisqu'il fallait fuir le Golden Quarter et la seule personne qui pouvait décemment m'aider sans poser trop de questions. La preuve en était sa réaction. Il ne m'avait pas chassé, alors qu'il n'aurait même pas eu à se justifier en pareille occasion. Le visage toujours un peu abattu, j'avais pris la main qu'il m'avait tendue, réchauffant en même temps la mienne qui commençait à se refroidir et ce malgré les gants. J'avais l'air bien idiot. J'avais fonctionné en automatique, sans piper un mot, le suivant tout naturellement. Je cherchais de la compagnie mais je n'étais pas certain d'être le plus doué dans ces situations. Je ne parlais jamais de mes problèmes. J'obéissais presque aveuglément à mon père pour le rendre fier. J'avais soudain l'impression de ne pas avoir d'opinion propre ou de ne pas être capable de me comporter normalement en-dehors des carcans familiaux. J'avais bêtement hoché la tête, en croisant son regard, pour le remercier.

« Allez, viens. » Je le suivais toujours mécaniquement, découvrant par la même occasion sa maison. C'était petit, plus petit que notre maison familiale, mais une autre ambiance s'en dégageait. En même temps, il n'y avait pas photo entre mon père et Kaiden. L'un était incapable de me dire quelque chose de gentil, l'autre m'avait presque poussée à lancer un duel pour rejoindre l'équipe des Tireurs d'Elite. Perdue dans l'observation, j'avais réagi dix ans après. J'avais déposé toutes mes couches aux crochets avant de secouer un peu mon t-shirt. « Mer-. » Je voulais le remercier mais il était déjà occupé. « Je me change vite, j'ai trop transpiré. » Un détail divergent frappant vis-à-vis de notre maison dans le Golden Quarter, c'était que, justement, c'était plus petit et qu'il y vivait seul, donc pas besoin de chipotages. On était entre mecs, ce n'était pas un problème, n'est-ce pas ? Alors pourquoi je sentais mes joues devenir brûlantes ? Pourquoi je me sentais gênée ? J'avais rapidement détourné le regard, le posant sur le sol, tel un gamin. « Tu veux un change ? Tout ce que tu portes doit être cru. » Réponds. Par pitié, réponds. Au moins quelque chose. La question n'était pas compliquée. « Je... euh... Je veux bien. Mais je ne suis pas aussi musclée que toi. Enfin... Du coup, au pire, ce sera juste trop grand... » Si je me sentais toute bête d'avoir réagi de la sorte en le voyant torse nu, la situation inverse m'embarrassait moins. A quelques détails près. Je n'étais justement pas aussi musclé que lui. Mais c'était le cadet de ses soucis, n'est-ce pas ? J'avais retiré mon haut sous ses yeux, sans plus de cérémonie. Entre mecs, ce n'était pas exceptionnel...

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Si j'avais regardé la scène d'un point de vue externe, je nous aurais certainement trouvé parfaitement idiots parce que j'étais la premier à trouver ridicule le fait de se focaliser sur des genres et sur des histoires pareilles alors que nous avions tellement d'autres projets une fois devenus Membres. Nous étions encore jeunes et nous avions la vie devant nous, il fallait donc avoir des priorités, tout ne pouvant forcément s'arranger sans poser de problème tôt ou tard. Je n'avais jamais eu pour objectif de m'attacher à quelqu'un parce que mon épanouissement primait pour laisser quelqu'un m'approcher réellement. C'était ça, ma priorité. A ce moment, cependant, nous avions tout l'air d'être des adolescents découvrant la vie et sa réalité, c'est-à-dire des corps différents, des attirances éventuelles et le corps qui pouvait être totalement chamboulé pour ce qui ne ressemblait qu'à un tout petit malentendu ou un tout petit incident de parcours. J'avais bloqué et j'avais cafouillé. Kaiden avait bégayé et avait perdu soudainement toute répartie digne de son niveau. « Bah, tu sais... » étaient les seuls mots qu'il parvint à sortir. Quelque chose le mettait mal à l'aise, c'était flagrant.

Je n'avais pas directement réalisé que c'était mon geste qui l'avait mis dans un tel état. C'était pourtant clair, j'avais une petite poitrine mais une poitrine malgré tout, ça n'avait rien du torse musclé d'un homme, d'un vrai. Ce détail ne me choquait plus outre mesure parce que ce n'était que l'aspect physique et même si le physique me contredisait réellement, j'avais été éduqué comme un homme. J'occultais presque naturellement des éléments de mon physique presque trop dérangeants. Je ne savais pas si je trouvais son attitude mignonne ou drôle, peut-être un peu des deux parce que je n'avais pas été beaucoup plus réactive. Je ne me le cachais pas. « Les bras mériteraient de pousser un peu plus de fonte. » Il avait décidé de se focaliser sur les bras ce qui nous permettrait peut-être d'être moins ridicules. Même si je n'étais pas convaincue que ça suffise. Quelque chose me disait que la cohabitation promettait d'être haute en couleurs. J'avais bêtement hoché de la tête, trop gêné par tout ce bordel, n'ayant aucune piste de réaction à une situation de ce style. Je n'y avais jamais songé. Comment en aurait-il pu être autrement ?

Il m'avait tendu un sweat shirt et s'était attardé avec beaucoup de rigidité sur mon visage. A croire qu'il avait eu besoin de se discipliner. « On devrait s'entraîner ensemble, maintenant que tu as accès à la salle. Développer ces épaules. Je suis sûr que ça en boucherait un coin au Lieutenant s'il te voyait maîtriser des armes avec plus de recul, un de ces quatre matins. » Son idée n'était pas mauvaise mais je sentais encore le besoin de contrôle. Ce n'était sûrement pas hypocrite mais pas totalement spontané non plus ou, plutôt, c'était la première chose qui lui était passée par la tête à cause du moment gênant. « Merci... » Je pris le temps de m'habiller avant de baisser légèrement la tête, les joues rouges mais c'était à cause de la chaleur. Oui, c'était sûrement ça. « Ce serait une super idée ! » Même quand j'essayais d'y mettre du mien, on sentait que je n'étais pas le Shiloh de d'habitude.

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Ce n'était pas compliqué de sentir quelque chose de particulier dans l'air. Le problème ne venait pas des conditions climatiques particulières, ni même d'un souci de disposition dans la maison de Kaiden. Ce genre de détails me dépassaient et de loin. Si ça me travaillait de la sorte, c'était quelque chose de plus personnel, quelque chose dans le rapport à l'autre, là, Kaiden. Nous nous connaissions depuis un moment, nous nous entendions bien mais je n'avais jamais été dans un pareil état. C'était nouveau et bizarre. Un peu inconfortable mais pas détestable. « T'as déjà mangé un truc ce soir ? » A nouveau, quand il m'avait posé cette question, j'étais tombée des nues. Ce n'était pas quelque chose de très intrusif, c'était même plutôt gentil et attentionné mais j'avais l'impression de tomber sur un os, de faire face aux questions dérangeantes de Levi. Comment je pouvais seulement les comparer ? D'un signe de la tête, la tournant de gauche à droite, je lui signifiais que ce n'était pas le cas, comme si j'avais perdu la capacité de parole.

« Je sais pas trop si t'en as envie, je comprends qu'on ait des histoires persos qu'on ne veut pas partager, mais tu sais que tu peux me parler ? De la raison pour laquelle tu étais devant ma porte, d'un autre truc,... Paraît que j'écoute bien quand je ferme ma gueule. » Ce n'était pas le premier à s'inquiéter pour moi. Max et Magnus, par exemple, se souciait régulièrement de ça parce que nous habitions le même quartier et qu'ils connaissaient les règles de la maison. Ils n'étaient pas dupes et connaissaient mon père, ainsi que sa rigueur parfois trop militaire et trop inhumaine. Lui, c'était autre chose. Il ne pouvait pas tout remarquer mais les quelques signes avaient suffi à lui faire poser une question, sans forcer la main. Le fait qu'il soit en action rendait la chose moins oppressante. C'était drôlement touchant, cette fois encore. Je l'appréciais mais je ne l'avais jamais côtoyé en dehors d'entraînements en comité réduit. Les circonstances étaient différentes, on se voyait quand je ne travaillais pas et qu'ils n'étaient pas en entraînement d'équipe, avant que je ne la rejoigne. C'était la première fois que je le voyais faire preuve de petites attentions et ça me faisait quelque chose. « J'ai pas à me plaindre, tu sais, je fais partie du Golden et je dois mériter ma place. Seulement, ce soir, c'était trop. Trop difficile, trop lourd, trop blessant. Je n'en fais jamais assez pour lui. Je ne suis pas Lieutenant, je ne suis que numéro neuf, mais je pensais qu'il serait fier que je sois devenu Spécialiste. » J'avais un air penaud, un peu blessé mais surtout perdu. Je n'en avais jamais parlé à personne jusque-là. Le sujet était un peu tabou. J'avais peur du jugement des autres et là plus encore que d'ordinaire.

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« Tout Golden que tu sois, tu ne peux pas tout faire en un jour. » C'était bien la première fois que j'entendais quelqu'un me le dire, en grande partie parce que je restais mystérieux quant à mes problèmes. Ça m'ennuyait d'en parler et je n'avais jamais appris à me confier aussi facilement, ça ne faisait pas partie des habitudes familiales, c'était même tout le contraire. J'avais levé les épaules pour moi-même puisqu'il était occupé de fouiller ses rations. Ça aussi, c'était difficile à avaler parce que je me sentais honteux de profiter de sa gentillesse. Il aurait sans doute mieux valu pour lui qu'il se garde de jouer les vrais potes cette fois au moins. En tout cas, je ne comptais pas lui laisser l'occasion de recommencer. Si même mes parents n'étaient pas aussi généreux, je ne pouvais pas lui faire ça.

« Est-ce que tu crois que, un jour, il sera satisfait ? Je peux pas comprendre ce que ça fait d'avoir un parent comme ça, mais j'vois pas comment ça pourrait s'améliorer. La vérité, c'est qu'il y a toujours une autre étape à atteindre. Tu peux toujours aller plus loin sans jamais apprécier ce que tu as avec cette mentalité. » Je soupirai, un peu penaud, conscient qu'il avait totalement raison. Mon père ne serait jamais satisfait et je le savais depuis longtemps, même si j'avais préféré nier la réalité jusque-là. En l'entendant, j'étais forcé de l'accepter. Si j'aurais sans doute mieux fait de ne pas l'ennuyer avec mes histoires futiles, il se montrait très attentif et très prévoyant. Il n'y allait pas cash, ne me jugeait pas et donnait de vraies réponses. « Je suis désolé. Je sais pas ce qui m'a pris de venir chez toi. Je suis lâche, ce qui n'est pas digne d'un Dragon. » Je ne savais pas exactement pourquoi mais j'avais ressenti le besoin de m'excuser, comme si la réalité venait seulement de me frapper. Je jouais les sqatteurs et ça ne me ressemblait pas.

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année 41, saison intermédiaire, soirée 78

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« Tu me fais quoi là ? » Je ne m'étais pas attendu à une telle réaction parce que j'avais été habitué à m'excuser à longueur de temps chez mes parents. Ma mère n'aimait pas particulièrement ça mais elle n'osait pas s'interposer les trois quarts du temps, alors mon père en abusait à tort et à travers. J'étais encore plus embêté, ne sachant pas quoi faire ou quoi dire. Il m'avait totalement pris au dépourvu et c'était la preuve supplémentaire que je n'étais pas le plus adroit quand il s'agissait de communiquer avec les autres. En apparences, ça se passait mieux que Cam mais ce n'était bien qu'une question d'apparence. J'étais sûrement encore plus inadapté que lui.

« C'est des conneries tout ça. Digne d'un Dragon... Tu crois que t'es là ce soir parce que ce qu'il t'a fait est digne d'un Dragon ? Et qui est le plus lâche ? Le père qui abuse de son statut et de sa force pour te faire plier dans le sens qui l'arrange sans se soucier des dégâts ou le fils qui s'éloigne lorsqu'il atteint sa limite et accepte de se reposer sur quelqu'un d'autre ? » Je sentais bien qu'il cherchait à m'ouvrir les yeux sur une réalité que j'avais accepté pendant trop longtemps. Si elle me convenait toujours, je ne serais pas là, planté chez lui, à squatter après lui avoir pratiquement forcé la main. J'aurais aimé lui répondre mais ça coinçait dans ma gorge, ça ne voulait pas sortir.

« Tu sais pourquoi ce n'est jamais assez pour lui ? Pourquoi il ne te donne pas la reconnaissance que mérite tes réussites ? Tu ne vas s'en doute pas me croire parce qu'il t'a appris à penser comme ça, mais je pense que c'est juste une façon de te garder sous sa coupe. Je doute pas une seconde du fait qu'il soit terrifié à l'idée que, un jour, tu te rendes compte que tu es suffisamment fort et que tu n'as pas besoin de lui. Si il est en contrôle, c'est parce que tu lui laisses ce droit. » J'avais l'impression d'entendre Ead. Pour la première fois, je prenais conscience de ce qu'elle me disait parce que Kaiden était sur la même longueur d'onde et je l'acceptais plus naturellement de sa part, ce qui était bien ridicule quand j'y repensais. Ead avait compris comme notre père fonctionnait et j'avais refusé de l'écouter parce qu'elle était elle et parce que j'avais souffert de son absence et de son silence.

« Vous avez tous les deux raison. » J'allais le perdre si je commençais comme ça mais c'était venu spontanément. Je m'étais mis à rire nerveusement, comprenant à quel point j'avais pu être aveugle pendant tout ce temps. C'était clair qu'il avait toujours eu ce pouvoir sur moi et à moins de l'arrêter, il irait toujours plus loin. « Pardon, ma sœur m'en a parlé et je ne voulais pas la croire. J'ai toujours fonctionné comme ça et je pensais qu'il serait content pour moi, un jour. Mais je me trompe depuis le début. J'suis vraiment con. » Je regardais le mur, gêné de me confesser comme ça, gêné de me montrer aussi vulnérable, alors que Kaiden était trop gentil pour en profiter.