sirra
A41 SI J82

te noyer dans ce sang qui nous unit

Ifan avait sa tête des mauvais jours et les commentaires qui allaient avec. Comme la moitié du temps, en vérité. Il avait dans le ventre comme un orage qui vous réservait chaque matin une surprise. Rageur comme il était, il avait la pique facile dans ces passades où il rejetait la faute sur le reste du monde. L'attitude avait de quoi énerver et usait bien des patiences, mais, dix ans plus tard, Silas était toujours présent. Qu'importe que ce soit l'habitude, l'amitié ou même encore le flegme, il n'avait jamais lâché le côté d'un Ifan que sa réputation rendait solitaire. A moins que ce ne soit le contraire ? Il était possible que ce dernier ne traîne avec lui que parce qu'il était le seul à le supporter. Les raisons comptaient peu, la réalité de la chose était qu'ils n'avaient pas été absents de la vie de l'autre durant plus d'une journée depuis une décennie bien tassée.

- Pouah. Je comprends vraiment pas ce qu'elle fout chez nous. T'as vu la nana ? Pas foutue de toucher une cible.

Il se lâchait depuis au moins trois rues sur le cas de l'une des nouvelles de l'équipe qui avait offert un spectacle ridicule durant leur dernière réunion d'équipe. Jackson, il lui semblait. Contrairement à Ifan, il se contrefichait bien du sort de la nana qui ne manquerait pas d'être éliminée par la machine si elle ne se reprenait pas. Fille de sommité ou non. Sur les instructions de son paternel, il s'était toujours appliqué à ne pas se soucier des performances des autres. Pour autant, il n'allait pas faire taire son ami, qu'importe qu'il se répète à ce sujet depuis deux jours au moins. Il en fallait bien plus pour lui taper sur les nerfs, même un commentaire qui lui aurait été directement adressé n'aurait su le faire sortir de ses gongs. L'incident de la veille n'avait même pas à servir d'excuse, c'était simplement ce qu'il était. Comme le disait Ifan, il réagissait autant qu'un mur qu'on aurait traité de sac à viande. Tout ça n'était qu'une histoire de surface, il restait émotionnellement stable, juste désintéressé de trop de choses. Mais il avait ses colères et ses tristesses. Pour autant, rien n'aurait su le préparer à cette émotion qui l'avait comme tranché en deux. Une part de lui était restée en arrière, là où son pote râlait encore à propos de Jackson, étranger à ce bouleversement qui s'était déclenché en un claquement de doigts. L'autre partie de lui pleinement consciente, pleinement dans l'instant, était en overdrive, passant d'une émotion à une autre. Avant de s'arrêter sur une colère sourde qui lui avait fait serrer les poings si forts que ses ongles s'étaient enfoncés sans mal dans la peau caleuse de ses paumes. De mémoire d'Ifan, jamais il n'avait été vu dans un état pareil, ses sentiments en plein écran. Le bougre était revenu vers lui en ne se sentant pas suivi et il se trouvait maintenant à ses côtés, sa grande carcasse pliée pour tenter d'intercepter son regard.

- Mec ? Ça va ?

La réponse était naturellement non, mais les mots de son ami ne l'atteignait même pas. Il avait en ligne de mire ce duo croisé quelques secondes auparavant. Duo qui s'éloignait désormais vers les frontières.

- Korra ?!

Les deux syllabes s'étaient échappées difficilement d'entre ses mâchoires serrées. C'était un prénom qu'il n'avait plus prononcé depuis des années, auquel il n'avait même pas pris la peine de penser. Pourquoi s'attarder sur un passé sans importance ? La page n'avait pas été tournée, elle avait été arrachée, déchiquetée, puis on en avait brûlé les morceaux. Là était la réalité dragonne, la meilleure façon de réagir à une trahison entraînant la mort. Apparemment, la mort n'avait pas été au programme dans ce cas-ci. Il aurait pu s'agir d'une erreur, d'une simple ressemblance. Après tout, il l'avait aperçue durant une seconde, tout au plus. Ses tripes lui hurlaient le contraire. C'était sa sœur, il le savait, même si son esprit rationnel tentait de lui dire que ça n'avait pas de sens, que Korra ne devait plus être que des os éparpillés dans la ville après avoir été rongés par des animaux de passage. Ignorant les appels d'Ifan, il décolla pour la rattraper, cognant l'épaule de la sentinelle sans y réfléchir pour lui prendre sa place. Sa main s'était au passage serrée comme un étau sur le bras de la jeune femme pour l'empêcher de fuir. N'était-ce pas dans son caractère ? La précaution ne semblait pas de trop en tout cas.

- Mais qu'est-ce que tu fous ?
- Faut que je lui parle. Dégage.
- Elle est Messagère, je dois la ramener aux frontières.
- Je le ferais.

Aussi peu convaincue soit la sentinelle, elle avait vite abandonné l'idée d'insister. Le calme dans la voix de Silas détonnait bien trop avec cette colère qui irradiait de lui et cela lui filait un air un peu maniaque qui aurait donné envie de reculer à n'importe qui. Même Ifan l'avait abandonné avec dans la tête trop d'incompréhensions. Sans plus d'obstacle sur son chemin, il avait poussé Korra dans la première ruelle venue, abandonnant si tôt sa dernière parcelle de calme - peut-être même de sanité - dans un grand éclat de rire.

- T'es morte, putain. T'es morte, mais pourtant t'es là.

Il enterra la main dans ses cheveux trop longs, tirant un peu sur les racines alors qu'il les repoussait de son visage. Tout ça n'avait pas le moindre sens. Peut-être était-ce le cas ? Peut-être qu'il perdait juste la boule à cause de la pression et de ce mauvais coup reçu la veille. Oui, ça devait être ça. Mais alors qu'il la regardait encore, il ne ressentait aucun doute en lui. Il avait juste cette certitude primale. Korra et lui, ils n'avaient jamais été particulièrement proches, mais il y avait des trucs qu'on ne s'expliquait pas. Ils avaient le même sang et le sien résonnait un peu trop fort en sa présence.

sirra
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Elle n'était plus une petite fille fragile, le voir était un choc. C'était comme si son esprit peinait à s'acclimater à la nouveauté, à cette Korra 2.0 qui avait grandi, qui était adulte. Désormais, leur différence d'âge semblait encore plus minime. Ils étaient deux adultes pleinement formés, des égaux. En théorie. La voix paternelle résonnait encore dans son esprit, assénant la vérité dragonne. Elle était une femme, une traîtresse pour son clan, jamais ils ne pourraient se trouver sur le même échelon. Il lui était supérieur en tout et il n'était pas question de l'oublier. Qu'importe que cette fille, cette sœur morte pour lui, vienne penser le contraire depuis son passage sous la houlette des Vipères. Le choix semblait logique, maintenant qu'il y pensait. Dans sa lâcheté, elle avait sélectionné un clan où la compétition naturelle entre les sexes avait purement et simplement été effacée. Au moins, elle n'avait pas dû se confronter à un nouvel échec car elle n'était pas assez forte. C'était pitoyable.

- Et t'en es fière ?

A quoi bon survivre si c'était pour atterrir dans un clan pareil ? C'était à se demander si elle avait même fait ce choix. Peut-être avait-elle simplement été ramassée par une Vipère prise de pitié pour cette petite chose fragile qu'elle n'avait pas eu le courage d'achever. Dans son esprit, d'autres images s'imposaient pourtant. La toute jeune Korra s'acharnant à s'entraîner dans son coin, reproduisant ce qu'elle le voyait faire. Ces nuits où, dans le lit d'en-face, elle se berçait de ses larmes, le corps meurtri. Sortant brutalement de cette espèce de transe, il secoua vivement la tête, confus. Éprouver quoi que ce soit pour elle lui avait toujours été interdit, ce n'était pas maintenant qu'il allait se prendre à approcher même du bout du doigt le principe de la tendresse fraternelle.

- Si tu voulais une vie, il fallait rester ici.

Au-delà des murailles, ce n'était que la survie. On y existait sans honneur, sans grandeur. Même sans être Membre, elle aurait pu trouver sa place chez les Dragons, s'accomplir dans une destinée valeureuse à sa façon en continuant la lignée. Il s'agissait là des mots de son père, presque son exact discours. Celui-là même qui était son maître d'après les insinuations de Korra. N'importe qui aurait bondi après une telle insulte, mais la pique n'avait heurté aucun point sensible, ne l'avait pas blessé dans sa fierté. Il lui avait toujours paru normal d'obéir au patriarche, d'écouter sa parole comme si elle était divine.

- Je ne suis pas comme toi. Je ne me crois pas au-dessus des autres, je ne pense pas détenir la vérité. T'étais qu'une môme et tu te pensais mieux informée que lui. Ce n'est pourtant pas difficile à comprendre qu'il ne voulait pas te voir mourir durant ton Test.

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te noyer dans ce sang qui nous unit

Bien malgré lui, il l'avait écouté, avait absorbé les mots qui agissaient comme des balles sur cette carapace que son père lui avait appris à porter. Impact après impact, il encaissait. Ce qu'elle disait n'aurait pas dû l'affecter. Elle ne savait pas de quoi elle parlait. Elle n'était plus qu'une étrangère. Juste une fille lâche qui avait choisi la fuite parce que papa n'avait pas voulu satisfaire ses petits caprices. Elle disait n'importe quoi. Il pouvait presque entendre la voix du patriarche démonter un à un ses arguments. Plutôt que de s'appuyer sur les bases solides que sa famille lui avait offert, il se retrouva à glisser. Il n'arrivait pas à l'ignorer et à nier en bloc ce qu'elle disait. Quelque part dans la carapace, il y avait une faille et un peu de son poison avait réussi à s'infiltrer. Il remontait jusqu'à son esprit, laissant bien trop de doutes dans son sillage.

- Tu mens !

C'était la seule possibilité. La seule explication valable. Elle n'avait jamais su ce qu'elle racontait et ça n'avait pas dû s'améliorer avec toutes les idioties que les Vipères déversaient sur leurs Membres. Ce clan était tordu avec ses lois fantaisistes. Il sentit sa colère redoubler. Il ne pouvait pas la laisser continuer à parler comme ça. Il devait l'arrêter. Là était son devoir. Elle avait perdu son âme le jour où elle avait décidé de partir, il pouvait se charger de se débarrasser de son corps. C'était ce que son père aurait attendu de lui. Lorsqu'il se jeta sur elle, il visa directement la gorge, ses doigts se resserrant durement autour pour la priver d'oxygène.

- T'aurais pas du revenir. Tout ça, c'est de ta faute.

Il la repoussa plus loin dans la ruelle jusqu'à ce qu'elle heurte le plus, profitant de cette position pour serrer plus fort encore.