Zola & James

année 41, seconde saison tempérée, après-midi 89

  it's a nightmare

Je n'y croyais toujours pas, j'étais complètement perdue, désorientée par la nouvelle. Assommée aussi. Je tremblais, je tenais à peine sur mes jambes mais au moins j'avais le soutien physique et moral de Kyra qui ne m'avait pas lâchée. Je ne comprenais pas bien ça non plus, elle aurait eu toutes les raisons de me laisser dans ma merde, ce n'était une situation nouvelle au sein de Paris, les morts lors de missions. C'était plutôt le quotidien. De mon côté, je ne pensais même pas à l'impression que ce duo pourrait laisser sur son chemin, c'était le cadet de mes soucis et je supposais que James ne s'arrêterait pas là-dessus non plus. Louane était partie. C'était tout ce qui nous importait pour le moment. Je me le répétais encore et encore mais ça semblait encore une réalité alternative ou peut-être lointaine. C'était tellement difficile de l'avaler, d'admettre que je ne la reverrais plus, que je ne pourrais plus jamais lui ébouriffer les cheveux et foutre la pagaille dans sa tenue juste quand on devait partir pour nos tâches ou pour un rassemblement pour l'embêter et m'assurer d'arriver la première. Je ne pourrais plus non plus lui piquer des coussins au passage ou sa couverture pour l'emmerder parce que nous fonctionnions comme ça. J'aurais tellement voulu lui dire que je l'aimais avant qu'elle ne parte, lui dire que j'étais là et que j'allais prendre soin d'elle jusqu'au bout.

Quand on arriva au Labo, on dut chercher un moment, Kyra dut poser des questions pour retrouver ma cousine qui était occupée dans un coin. Elle était forcément au courant puisqu'elle était Seconde mais elle s'occupait pour ne pas y penser. Elle fonctionnait comme ça. Elle était plus mesurée que moi. Plus réfléchie aussi. Mieux en somme. J'avais faiblement essayé de l'appeler mais c'était Kyra qui avait réussi à attirer son attention avant qu'elle ne s'efface. J'étais là, plantée devant ma cousine, sans un mot. Je pleurais encore et encore. Je ne savais même pas comment aborder ce bordel. Jusqu'à ce que la même question ne revienne mais sorte enfin. « C'est vrai ? Elle est vraiment morte ? » Tout était flou à force de pleurer. Incapable de se tenir.

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  it's a nightmare

S’il y avait bien un aspect de sa vie qu’elle s’était évertué à cultiver avec attention, c’était bien sa réputation. On oubliait souvent sa face cachée, sournoise et hargneuse comme elle n’avait pourtant jamais cessé de l’être. Publiquement, elle était solide et intimidante; efficace à en faire peur, et il y avait cette distance qui la rendait inaccessible sauf avec sa famille. Fait connu, on ne s’en prenait jamais à sa famille si on désirait avoir une vie longue et heureuse. Mais de l’extérieur, elle gardait cet air inébranlable, pas plus perturbée que ça par le tremblement de terre qui venait de secouer son clan. Une véritable vipère au sang froid, elle était horrible de froideur, incapable de réagir autrement face à la tragédie. Son cerveau avait pris l’habitude de compartimentaliser chacune de ses actions. Louane était morte mais James avait poursuivi sa journée presque comme si de rien n’était. Peu importe que cela soit ce que l’on attendait d’elle ou pas, que certaines auraient accepté qu’elle flanche. Elle s’était interdit le moindre écart. Elle était Seconde et la vie de Louane ne pouvait avoir plus de valeur que celle d’une autre membre. Elle devait rester efficace. S’activer pour celles qui restent, continuer à oeuvrer pour le bien du clan. Pourquoi aurait-elle le droit de pleurer quand elle était responsable de cette perte? On ne demandait pas au bourreau s’il avait besoin de temps quand on lui assignait une victime. Du poison à la mise en place du plan, elle avait approuvé chaque étape. Elle n’avait pas que le sang de Louane sur les mains, il était juste le plus difficile à ignorer.

Plongée dans son travail, l’esprit occupé ailleurs, on ne l’avait que très peu abordée. Sans doute par décence ou par répulsion. Elle était là depuis de longues minutes mais toujours aucune larme à déplorer, pas même les yeux humides. Elle avait relevé la tête, presque agacée d’avoir été dérangée, son regard se posant momentanément sur une membre avant de trouver une Zola détruite, en larmes et tremblante. Face à sa cousine, tout était différent. Le poids du secret n’en était que plus lourd à porter. Comme elle aurait aimé la rassurer, lui dire que ce n’était qu’une rumeur, que sa soeur la rejoindrait en même temps que le reste des troupes…Mais Louane était morte et elle avait emporté une partie de Zola avec elle. Viens là. Son corps s’était mis en route tout seul, étreignant sa cousine avec force. Elle ne savait pas quoi lui offrir d’autre que sa présence. Elle ne pouvait ni la protéger, ni ramener sa soeur ni lui dire la vérité mais elle pouvait être là jusqu’à ce que ses larmes s’arrêtent, prête à planter ses crochets dans la gorge de celles qui seraient tentées de s’en prendre à elle.

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J'avais entendu ses mots mais de loin, comme s'ils ne pouvaient pas réellement m'atteindre dans cet état. Je n'avais réellement réalisé qu'elle me parlait et qu'elle faisait attention à moi quand elle m'avait prise dans ses bras, ce qui était nouveau même pour moi. James n'était pas distante mais elle était généralement présente d'une autre façon que celle-là. J'étais touchée par le geste et d'autant plus qu'elle le faisait en public et je savais plus que quiconque qu'elle n'aimait pas s'exposer de cette manière. Moi non plus. Les événements nous apprenaient des choses même sur notre famille et j'étais heureuse de ne pas être jugée, d'être acceptée avec ma propre vulnérabilité alors que j'aurais probablement dû attendre qu'elle rentre chez elle pour lui en parler et exposer mes sentiments et mon mal être. C'était bien la preuve qu'elle était elle-même bousculée par la nouvelle mais le contraire n'aurait même pas été envisageable. Louane était de notre famille. Elles ne pouvaient pas être indifférentes, ni elle, ni Charlotte.

Contre elle, je me laissais pleurer, bruyamment parce que j'étais en sécurité avec elle, j'en étais consciente. Elle ne me laisserait pas tomber. « J'aurais voulu être à ses côtés. J'étais à l'abri pendant qu'elle souffrait. Elle a forcément souffert. Toute seule. » Les mots étaient entrecoupés de reniflements et de pauses parce qu'il était difficile de respirer correctement dans ces conditions. Il fallait que ça sorte. Je ne pouvais pas garder ça pour moi, pas quand elle me laissait une telle place alors qu'elle avait ses propres devoirs. Autant ne pas la déranger inutilement.

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Voir sa jeune cousine craquer comme ça était invivable. James sentait son coeur se serrer face à son désespoir. Un immense chagrin qu’elle avait causé, tout ça était de sa faute. Elle n’avait pas le droit de perdre pied, elle se devait d’être le roc auquel se raccrocher. Elle laissa la tristesse de Zola s’exprimer sans aucune injonction à la retenue, il fallait qu’elle puisse exprimer ce qu’elle avait sur le coeur, le retenir ne ferait que plus de dégâts sur le long terme. Alors James la consola, la gardant dans ses bras comme elle le faisait pour les chagrins bien moins graves de Piper.

James ne pouvait la laisser se culpabiliser pour une tragédie sur laquelle elle n’avait eu aucun pouvoir. C’était facile de vouloir prendre la faute sur soi mais emprunter cette voie était dangereux, James ne pouvait pas laisser cette idée prendre racine dans les pensées de sa cousine. Elle s’écarta doucement, essuyant du pouce les larmes qui roulaient encore sur les joues de la jeune femme. Tu n’aurais rien pu faire, Zola. Elle se voulait ferme, il fallait qu’elle comprenne que la mort de Louane était un tragique accident, un dégât collatéral qu’elle n’avait pas vu venir. Et Louane…elle est partie vite. Elle n’a pas eu le temps de souffrir. Et surtout, elle n’aurait jamais souhaité que tu sois en danger. Te savoir en sécurité, ici, a dû être un grand réconfort pour elle. Toute sécurité étant relative, la ville avait aussi du essuyer une tempête, des morts qu’elle n’avait pas sur le coeur. Tu la connaissais mieux que personne. Elle détesterait t’entendre te faire du mal comme ça. Je ne vais pas te dire que tu dois être forte. Pleure autant que tu veux mais ne t’affuble pas d’un fardeau qui n’est pas le tien à porter. Personne n’y pouvait rien. Encore un mensonge éhonté mais la vérité ne la détruirait qu’un peu plus.

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Ce n'était pas la première fois que James et moi étions proches mais cette fois, c'était encore nouveau, dans un autre genre. D'une certaine façon, c'était une bonne chose qu'on n'ait pas à être dans cet état à chaque nouvelle saison mais je prenais encore une fois en compte cette chance que j'avais, d'avoir des cousines qui, si elles mettaient de la distance entre elles et celles qui ne faisaient pas partie de leur environnement, étaient présentes quand j'étais vulnérable. J'étais chanceuse de pouvoir m'appuyer sur elles. Je me faisais la promesse de les rendre fière et de me rendre utile à mon tour dès que j'irais mieux et ce même si ce mieux me semblait particulièrement lointain. C'était probablement ce qui me faisait le plus peur dans l'histoire, j'avais peur de ne jamais remonter la pente et de m'afficher trop faible dans les rues du territoire, ce qui ne pardonnerait pas après tous les coups de pute que j'avais pu faire à tellement de personnes.

Cette attention de la part de James était bienvenue et je ne doutais pas du fait que celles et ceux qui passeraient dans les environs partiraient tout aussi vite, alors je pouvais toujours me laisser aller. « Tu n’aurais rien pu faire, Zola. » J'avais besoin de l'entendre mais une part de moi luttait toujours parce que j'avais ce besoin stupide d'expier mon comportement qui n'était pas digne d'une grande sœur. Je soutenais son regard, seule force qu'il me restait.

« Et Louane…elle est partie vite. Elle n’a pas eu le temps de souffrir. Et surtout, elle n’aurait jamais souhaité que tu sois en danger. Te savoir en sécurité, ici, a dû être un grand réconfort pour elle. » J'étais malheureusement certaine que Louane aurait encore voulu s'assurer que j'allais bien avant d'y rester, si elle en avait eu la possibilité. Elle était beaucoup trop bien pour son ingrate d'aînée. Je comprenais un peu l'idée de James, de cette manière, Louane était partie sans craindre en plus que je ne sois moi-même malade. Sauf qu'elle n'était plus là, elle. Elle ne serait plus jamais là. J'avais peur des nouvelles convocations, peur de mes réactions. Pendant ce temps, je continuais de renifler et de frotter nerveusement mes yeux.

« Tu la connaissais mieux que personne. Elle détesterait t’entendre te faire du mal comme ça. Je ne vais pas te dire que tu dois être forte. Pleure autant que tu veux mais ne t’affuble pas d’un fardeau qui n’est pas le tien à porter. Personne n’y pouvait rien. » Je le savais bien que personne n'y pouvait rien, on ne provoquait pas une telle maladie, c'était les risques d'un voyage hors des frontières et loin des soins de Charlotte et des sous-infirmières bien drillées. Si même Rory n'avait rien pu y faire, c'était la fatalité. Ca ne rendait pas les choses plus évidentes. C'était ça le problème.

« Putain de maladie. Si même les Vipères y passent... Tu aurais dû voir la tête de Kyra. Un carnage. » C'était éprouvant de parler dans ces conditions mais j'avais encore un goût de trop peu, des mots qui avaient besoin de sortir. « Toi et Charlotte, ça va aller, hein ? Parce que vous êtes gradées et moi j'en rajoute. » Je savais bien, elle me l'avait dit que je pouvais me lâcher mais si j'étais une peste avec tout le monde, quand il s'agissait de Charlotte et James, j'avais toujours peur d'en faire trop.

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Peut-être que ce n’était qu’un déformation professionnelle ou peut-être qu’elle était véritablement un monstre. Même avec tout ce sang sur les mains, la part d’elle qui luttait toujours pour avoir le contrôle ne perdait pas le Nord, comme une boussole infaillible, elle s’arrêta sur ce prénom, le stockant dans le compartiment « à étudier plus tard ». « Kyra: à étudier plus tard » avec au moins la décence de ne pas questionner Zola dans un moment pareil. L’état de cette vipère, elle pouvait l’imaginer. Elle n’avait pas besoin qu’on lui décrive les effets d’une maladie, d’un poison qu’elle avait délibérément choisi, prête à sacrifier une partie de ses propres troupes. Et tous les retours n’en étaient que plus horribles mais si cette Kyra avait survécu et que sa survie aidait sa cousine alors James pouvait bien se taire pour le moment. Je peux l’imaginer. Ce n’était pas la peine non plus d’en ajouter une couche sur la misère qui s’était abattue sur les voyageurs, elle ne voulait pas donner plus de munition à l’esprit de Zola, il ne fallait pas nourrir les scénarios qu’elle se faisait sans doute déjà depuis la nouvelle. Ne t’en fais pas pour nous, ça ira. Elle ne pouvait pas parler réellement pour Charlotte et elles ne voulaient non plus donner l’impression que la mort de Louane n’était qu’une mort de plus qu’elles voyaient mais elles avaient simplement plus d’expérience, cette situation avait beau être différente, elles avaient été rodées, éduquées pour affronter ce genre d’événements. Zola, malgré son apparence de peste, avait toujours le coeur entier. La preuve était là, même dans son état, elle trouvait le temps de s’inquiéter pour elle alors qu’elle ne le méritait pas. Si tu as besoin de quoique ce soit, n’hésite pas à nous en parler. Elle devait lui faire comprendre qu’elle n’était pas un fardeau, qu’elle pouvait lui se reposer sur elles, elles lui devaient bien ça.

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« Je peux l’imaginer. » Ce que j'avais vu dans le regard de Kyra et dans son état général avait été une infime partie du cauchemar qu'ils avaient vécus mais personnellement, ça m'avait suffi à imaginer, comme elle le disait si bien. Qu'elle n'en dise pas plus n'était pas surprenant de sa part et était plutôt logique. Il n'y avait jamais rien de bien à dire, rien qui puisse aider et si j'avais besoin de sa présence et d'extérioriser, je n'avais certainement pas envie qu'on discute des heures de l'état dans lequel Louane avait dû être. C'était assez horrible sans ça.

« Ne t’en fais pas pour nous, ça ira. » Une part de moi était rassurée de l'entendre dire ça précisément mais une autre était certaine qu'elles me cacheraient leur souffrance même si elles étaient chagrinées parce qu'elles étaient les aînées, que ce n'était pas dans leurs habitudes et parce qu'elles penseraient à moi avant tout. C'était con. Je me sentais impuissante, ça n'aidait pas à voir tout ça du bon œil. En discuter avec Rory m'aiderait peut-être à trouver une solution. Elle était tout ce que je n'étais pas, une personne capable de communiquer correctement avec les autres.

« Si tu as besoin de quoique ce soit, n’hésite pas à nous en parler. » Je comprenais le principe, c'était moi qui avais perdu une soeur mais pour la première fois, ça me dérangeait d'être devenue le centre d'intérêt. Profiter des autres, jouer les princesses de glace, ça ne me dérangeait pas mais j'étais moins à l'aise quand il s'agissait d'accepter cette formation d'attention. Parce que j'avais tout gâché avec ma propre soeur. Ce crétin de Jaguar n'avait peut-être pas tort dans le fond. Dans le fond, si on ne comptait ni ma famille, ni Rory, j'avais Kyra. J'étais pas foutue de me comporter correctement avec Louane. Quelque chose devait clocher chez moi.

J'avais soupiré avant de forcer un sourire. Elle n'avait pas besoin de ça en plus. Elle gérait tellement d'affaires pour le clan. « Ca finira par passer. Et puis, je suis pas toute seule. Aider maman m'occupera l'esprit. » C'était un gros mensonge mais ça devait passer. Je devais me reprendre en mains.