Saskya & Sorcha

année 41 ; seconde saison tempérée ; soirée 98

quitter un bordel pour un autre

Le retour en territoire connu avait quelque chose de réconfortant, de rassurant parce que même si ce n'était pas toujours joyeux, toujours simple au moins c'était un quotidien, un cycle que je connaissais par cœur. J'allais pouvoir envisager à nouveau de me reposer, fermer complètement les yeux sans trop de crainte, sans être approchée par des personnes qui ne me mettaient pas forcément à l'aise. Sur le territoire, j'évitais évidemment certaines personnes mais c''était encore différent parce que je pouvais me réfugier dans ma tâche ou dans ma chambre si j'en ressentais le besoin, si l'angoisse montait. J'avais beau essayer d'être plus sociable, de tisser des liens avec les autres depuis le changement radical de politique au sein du clan, être entourée par tant d'inconnus, Jaguars, Vipères ou Dragons, ça m'avait vidée de mon énergie, sans parler de cette foutue maladie qui m'avait eu tout l'air d'une forme de justice pour avoir frayé avec les suiveurs de Joshua. La fatalité. J'avais besoin plus que jamais de filer m'isoler un peu, seulement le monde se moquait de moi. Me punissait une nouvelle fois.

« Contente de savoir que t'es en un seul morceau. » Ce n'était pas faux, pas hypocrite mais je n'arrivais pourtant pas à franchir cette distance invisible entre nous. Je mourais d'envie de l'approcher davantage, de lui prouver que je me souciais sincèrement de son état et d'elle en général mais elle avait réussi de sortir les griffes dès la fin de ce qui était une période de misère et de souffrance. Je tenais à elle mais ça ne signifiait pas que je devais me flageller parce qu'elle en avait décidé ainsi. Je m'étais suffisamment fait violence par le passé à cause de ces malades face auxquels je n'avais pas bronché. J'en avais encore honte.

Saskya & Sorcha

année 41 ; seconde saison tempérée ; soirée ??

quitter un bordel pour un autre

Elle était épuisée. Si ni les valises sous ses yeux, ni son apparence de plus en plus famélique ne suffisaient à le montrer, son manque affolant d’énergie ne pouvait qu’alerter son entourage quant à son état. Cet entourage qui s’amenuisait à mesure qu’elle refusait de tourner une page qu’ils avaient presque tous déjà brûlée. Elle avait d’abord vu l’expédition de chasse comme une bénédiction. À l’écart du territoire, elle avait pu mettre ses problèmes de côté; l’extérieur de la ville ne permettait aucune erreur, devoir se concentrer sur le concret, sur une activité à laquelle elle excellait de surcroit, l’avait requinquée. Elle avait senti que son sommeil était mérité après une journée à affronter le danger. Elle avait retrouvé un semblant de calme, s’était sentie utile, un sentiment qu’elle avait presque oublié. Le retour sur le territoire ne lui fut que plus difficile. Avant qu’elle ne parte, la ville s’était vidée d’une partie de ses membres. Elle n’avait pas été choisie pour ce voyage. Un mal pour un bien puisqu’il avait bien fallu quelqu’un pour s’occuper de Baba. Elle était bien la seule à vouloir encore l’assister, avec l’aide de Svenn. Après tout, elle lui devait bien trop que pour lui tourner le dos maintenant comme l’avait fait la moitié d’entre eux. Cette mission lui pesait sur les épaules. Baba n’avait jamais été un homme facile à satisfaire. C’était d’autant plus difficile quand elle devait essuyer ses coups de colère seule. Son absence avait empiré son état. Et Sorcha ne pouvait feindre qu’elle ignorait qu’elle en était responsable. La culpabilité aidait à accepter la violence et tant qu’il avait assez de force pour en venir aux mains, elle pouvait se leurrer sur le temps qu’il lui restait à vivre. Il arrivait au bout de sa corde, mais elle préférait ne pas penser à un monde sans son plus vieux repère. Avec Sven, il était le seul qui lui restait.


Les nuits étaient donc courtes depuis le retour. La flamme gagnée durant le voyage s’était définitivement éteinte. Et c’est une autre braise qui s’enflamma, surprise par une voix qui lui était de moins en moins familière. Par réflexe, elle avait regardé derrière son épaule pour vérifier qu’elle ne s’adressait pas à Svenn avant de répondre. Je te pensais meilleure menteuse que ça. Plus la distance grandissait entre elle, plus Sorcha peinait à refouler l’amertume et la colère qui pourrissaient en elle. Pas assez stupide pour ne pas voir la main tendue et l’effort de son amie, mais trop idiote pour faire, elle aussi, un pas en avant. L’absence apparente de Sloan le chevalier blanc ne présageait rien de bon et sans Maybel pour arrondir les angles, ce n’était pas étonnant qu’elle interprète tout pour de l’hypocrisie. Après tout, Sorcha n’avait jamais été connue pour faire preuve de civilité…ou de maturité quand il s’agissait de Saskya. Bien rigolé avec tes nouveaux copains ? Peu importe que Saskya ait l'air aussi mal, elle ne récoltait que le fruit de sa trahison.

Saskya & Sorcha

année 41 ; seconde saison tempérée ; soirée 98

quitter un bordel pour un autre

« Je te pensais meilleure menteuse que ça. » Un soupir s'était échappé spontanément. J'étais déjà fatiguée par une discussion qui n'avait pas encore réellement commencé. C'était un autre loupé. Une autre occasion manquée parce que nous avions pris des chemins divergents. Je ne prétendais pas être la seule à amorcer des tentatives qui tombaient à l'eau, dans l'idée que le peu de lien qu'il restait ne meure pas totalement mais que ça soit systématiquement avorté commençait à me peser. J'étais pourtant persuadée que je n'entreprenais pas quelque chose qui la blessait, ce n'était pas mon intention mais elle sortait si facilement les griffes. Il aurait été difficile de ne pas remarquer son regard noir et accusateur et ça n'aidait pas non plus à apaiser la tension qui grimpait en moi. Je ne trouvais pas une réponse, j'étais perdue et à court d'idées et c'était d'autant plus frustrant.

« Bien rigolé avec tes nouveaux copains ? » Je sentais mes mâchoires qui s'étaient serrées, une boule au niveau du nombre et une boule au niveau de la gorge. J'étais consciente que je luttais dans le vent quand j'essayais de lui expliquer que mon choix ne s'apparentait pas à de la trahison mais seulement au besoin très primaire de survivre. Elle aurait dû comprendre, elle devait savoir que mes conditions de vie n'avaient jamais été terribles et que je n'avais jamais totalement adhérer aux idées anciennes du clan mais au lieu de cela, elle s'entêtait en m'octroyant le mauvais rôle dans l'histoire qu'elle était la seule à vivre, complètement en dehors de la réalité.

« J'ai la tête de quelqu'un qui a rigolé ? Arrête ton char. Tu me connais, tu sais que je suis pas à l'aise avec les autres. Tu me fatigues. » Les mots étaient plus piquants et plus agressifs que je ne l'avais imaginé mais j'avais perdu le peu de patience que j'avais à lui accorder. Pour le moment. Je devais encore me rassurer, je retrouverais cette patience après un peu de repos. J'étais saoulée mais je ne pouvais pas être cette traîtresse dont elle parlait. Je tenais à elle. Encore un peu. Au fond, très fond de moi.