Circe & Faust

année 41 ; saison intermédiaire ; journée 87 ou 88

ne sois pas toi, pour une fois

J'entendais encore les conseils de Charlotte qui m'avait priée de revenir le lendemain si je tenais à ce que cette lacération se remette correctement. Ça me faisait un mal de chien, je n'avais pas de souci à le reconnaître mais je voyais, cette fois encore, le côté positif des événements ; les soins n'avaient pas traîné et, selon elle, si c'était soigné correctement, j'allais m'en tirer sans aucun problème. Celle qui m'inquiétait plus, c'était Faust. D'un naturel pessimiste et capable de nourrir ce pessimisme, elle risquait de se lancer dans un cercle vicieux, ce qui n'allait pas arranger son cas. J'étais persuadée que, si ça ne faisait pas tout, avoir le moral pouvait aider à traverser les épreuves plus facilement, surtout quand il s'agissait de problèmes physiques. Elle avait été soignée correctement par Charlotte et toute l'équipe des sous-infirmières mais j'avais peur qu'elle devienne folle et qu'elle cogite beaucoup trop pour son propre bien chez elle. Ses parents étaient là mais ils étaient certainement occupés s'ils n'étaient pas eux-mêmes en mauvaise posture suite à cette tempête qui n'avait pas épargné grand monde.

Marcher restait douloureux mais je n'y allais pas trop fort, ni trop vite. Je connaissais mes propres limites alors je pouvais me permettre d'aller leur rendre visite sans qu'on ne me tombe dessus. En plus, je n'avais pas trop envie de rigoler avec Charlotte qui détestait qu'on se moque d'elle ouvertement quand elle donnait des consignes claires et précises. J'avais dans mon sac le baume qu'elle m'avait donné et, de toute façon, je n'avais pas à marcher durant des heures. Faust et ses parents habitaient à deux maisons de chez mes parents et moi. J'avais toqué pour le principe, personne n'avait répondu mais elle ne pouvait être que là. Ses parents étaient aux abonnés absents mais même s'ils avaient été là, ils m'auraient accueillie les bras ouverts ; l'avantage d'être leur chouchoute. « Hey, la meilleure des binômes est là ! » Je l'avais retrouvée sans surprise dans son lit, ce qui était plutôt une bonne chose. Au moins, elle ne se fatiguait pas inutilement. « Charlotte m'a refilé un baume pour toi aussi. J'l'ai déposé sur la table. » Je m'étais posée au bout de son lit, le tout en évitant d'écraser ses pieds. Elle n'avait pas besoin de ça en plus. « Comment tu te sens ? Et pas de mensonge. »

Circe & Faust

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ne sois pas toi, pour une fois

Faust fulminait. Il ne manquait plus que la fumée lui sorte du nez et elle ferait la dragonne parfaite. Jamais de sa vie n'avait-elle été aussi frustrée. Forcée à rester au lit. Elle détestait déjà que l'on lui impose une décision mais qu'elle ne puisse physiquement rien y faire n'était que la goutte d'eau qui faisait déborder le vase. Après tout, on s'en fichait bien qu'elle meurt d'inquiétude vis-à-vis de ses proches ou qu'elle meurt d’ennui, coincée sur ce foutu lit qui grinçait au moindre petit mouvement. Elle voulait hurler et balancer le premier objet venu contre le mur mais voilà, même ça, on le lui avait interdit, faisant bien attention d'éloigner le moindre objet qui se trouvait à sa portée. Travail inclus. Elle détestait ça. Elle ne pouvait même pas se changer les idées. Il y avait elle et ce foutu mur qu'elle fixait en se demandant si Circe n'était pas morte quelque part dans une ruelle. Parce que ça serait bien son genre à cette grande dinde. De crever sans l'attendre. Cette espèce d'idiote trop optimiste. Vois le côté positif des choses, Faust! C'est qu'un petit coup de vent, même plus besoin de redécorer le territoire, qu'elle aurait été capable de dire. C'était pas faute d'avoir essayé d'en savoir plus. Ses parents lui avaient dit que Circe allait bien. Enfin, aussi bien que l'on pouvait aller dans une situation pareille. Ils lui avaient même dit qu'elle l'avait croisée, rapidement. Faust n'en avait aucun souvenir et franchement, elle préférait qu'on lui annonce les mauvaises nouvelles directement plutôt que de la laisser se torturer l'esprit comme elle le faisait déjà. Remarque, ça lui permettait d'oublier un peu la douleur. Que les choses soient claires, Faust n'était pas une petite nature mais entre les douleurs dans son dos et celles dans son ventre, trouver une position confortable n'était pas une mince affaire. Dans le silence quasi complet, le claquement de la porte retentit. Faust s'apprêta à demande à sa mère, comprenez: la supplier de la laisser travailler. Elle ne s'était pas attendu du tout à voir Circe débarquer et elle en resta muette. Meilleure binôme ? MEILLEURE BINÔME ????? Elle en avait manqué tout ce que la blonde avait pu dire après ça. Ses yeux se remplissant de larmes de frustration ? Soulagement ? Elle n'en savait rien mais elle savait une chose, ses cordes vocales n'avaient pas été abîmées dans la tempête. MEILLEURE BINÔME, MON CUL, hurla-t-elle, balançant son oreiller en plein visage, ne sentant même pas la douleur de se relever à moitié. T'ETAIS OU?? POURQUOI TU M'AS LAISSEE TOUTE SEULE ??, continua-t-elle, essuyant furieusement ses larmes parce qu'elle savait qu'elle était à moitié hystérique et cent pour cent pathétique mais c'était ça d'avoir Faust comme amie. J'CROYAIS QUE T'ETAIS MORTE. JE TE DETESTE. T'ES LA PIRE DES BINÔMES. Ses mots tombaient à plat parce qu'elle s'était tirée jusqu'au bord du lit, étreignant Circe si fort qu'elle aurait pu l'étouffer. Je te déteste. Si tu me refais ça, je te tue moi-même.

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ne sois pas toi, pour une fois

« MEILLEURE BINÔME, MON CUL. » Ce n'était pas la première fois que Faust se montrait virulente mais il y avait quelque chose en plus. Ce petit plus que j'avais également ressenti quand j'avais été récemment nommée espionne assignée aux Dragons. Faust était sûrement plus prudente que moi mais certainement plus pessimiste et fataliste. C'était une bonne chose, en soi, cet effet balance que notre binôme créait mais il m'arrivait d'être partagée entre l'envie de lui en coller une pour la faire revenir à la réalité et celle de continuer avec optimisme et le choix était toujours vite fait. A cause des nerfs et de la fatigue, je ne pus étouffer un rire qui n'avait rien de moqueur. L'oreiller ne fut qu'un détail supplémentaire dans ce sens. Je n'allais pas m'énerver pour si peu, il y avait pire et Faust n'était jamais sincère quand elle s'exprimait comme ça, elle le regrettait rapidement et, une fois la crise derrière, elle me parlait comme à un interlocuteur valable. J'avais, pour le plaisir, mimer la douleur alors qu'elle avait bien visé le visage.

« T'ETAIS OU?? POURQUOI TU M'AS LAISSEE TOUTE SEULE ?? » J'aurais bien aimé en placer une, chercher à la rassurer mais elle ne me laissait pas cette possibilité. Elle enchaînait, comme à chaque fois que quelque chose la frustrait ou la contrariait, elle était presque directement submergée par ses émotions. Sans parler de la gourde qu'elle voyait forcément à moitié vide.

« J'CROYAIS QUE T'ETAIS MORTE. JE TE DETESTE. T'ES LA PIRE DES BINÔMES. » Dans ces cas-là, il fallait laisser couler, le temps qu'elle reprenne ses esprits et qu'elle vide son sac. Il n'y avait pas d'autre solution avec quelqu'un comme Faust. Je l'aimais trop pour m'en aller à cause de son inquiétude. Sans elle, j'aurais certainement oublié plus d'une fois des éléments essentiels comme ma gourde ou mon arme lors de mes toutes premières missions en tant que Membre, trop heureuse.

« Si tu me refais ça, je te tue moi-même. » Je lui avais offert un sourire sincère, et au travers duquel on devinait encore de la joie. La joie de la savoir en état de râler comme elle le faisait, de la savoir coincée là mais pour un mieux. C'était tout ce qui comptait pour moi. « Je pensais que t'avoir croisée à l'infirmerie aurait suffi. Mais c'est rien, tu vois, j'ai pu me déplacer jusque chez toi. Et Charlotte m'a dit que si je continuais de prendre soin de moi, je pourrais reprendre les missions dans trois ou quatre jours. » Pour cette raison et celle de ne pas inquiéter mes proches, je comptais rester très sage jusque-là. « En plus, j'ai demandé aux étoiles d'être gentilles avec moi parce que j'avais une binôme à rebooster. »

Circe & Faust

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ne sois pas toi, pour une fois

Maintenant que les vannes avaient été ouvertes laissant s'échapper le trop plein d'émotions, Faust commençait peu à peu à reprendre ses esprits. Heureusement pour elle, la voix intérieure qui lui murmurait qu'elle finirait par faire fuir Circe à force d'éclater de la sorte était morte depuis bien longtemps, incapable de survivre à un sourire aussi rayonnant. Sa binôme était là, en assez bon état que pour se déplacer et parler mais Faust ne relâcha pas son étreinte pour autant, toujours soucieuse de la laisser s'échapper. C'était aussi plus facile de cacher sa honte et ses joues rouges quand elle était assez proche pour enfuir son visage au creux de son cou. J-J'avais oublié, marmonna-t-elle rapidement. Il fallait dire pour sa défense qu'au début, elle était loin d'être dans son état normal. La tempête ne l'avait pas manquée et elle ne gardait qu'un piètre souvenir de son passage à l'infirmerie. Trois ou quatre jours?? C'est pas trop rapide ? T'es sûre que Charlotte ne s'est pas pris un truc sur la tête ? Déjà la honte laissait place à son pessimisme et son inquiétude habituelle. À l'audace aussi de remettre en question les décisions de Charlotte. C'était toujours plus facile de la défier quand elle n'était pas en face de son charisme imposant. T'es pas obligée de repartir si vite. Ces crétins de dragons ne se seront pas volatilisés. C'était une triste certitude. L'idée de savoir Circe au milieu de ces bêtes avides lui retournait l'estomac. Surtout quand elle n'était même pas en état d'intervenir si quelque chose devait lui arriver là-bas. Si elle était repérée, personne ne la préviendrait car ils savaient tous que même si elle n'était pas une membre de terrain, même avec toutes les blessures du monde, elle marcherait droit sur le Nord pour sauver son amie.  Très utiles, ces étoiles. Tu pouvais pas leur demander de m'épargner ? Faust, la dramatique s'écarta vivement, grimaçant à la douleur, l'air consterné. Ils ne me laissent même pas bosser, Circe. Si tu pars aussi, je vais mourir d'ennui. Pas conne, la Faust, elle pouvait toujours essayer de faire d'une pierre deux coups. Garder Circe en sécurité et s'empêcher une longue agonie, seule, coincée entre quatre murs.

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ne sois pas toi, pour une fois

« J-J'avais oublié. » Quand Faust partait dans ce genre de délires, et ça arrivait assez souvent que pour ça devienne une vraie habitude, elle oubliait les détails les plus importants parce qu'elle se laissait submerger par ses émotions, elle n'avait plus aucun pouvoir de contrôle. C'était parce que je la connaissais par cœur et parce que c'était plus fort qu'elle que je ne lui en tenais pas rigueur. Elle n'avait pas un mauvais fond, elle était simplement trop pessimiste et trop rapidement inquiète. C'était elle et je l'acceptais dans son intégrité. J'avais haussé les épaules avant de grimacer un peu. On se rappelait lors de tels accidents à quel point une blessure même gérable pouvait avoir des conséquences sur le reste du corps.

« Trois ou quatre jours?? C'est pas trop rapide ? T'es sûre que Charlotte ne s'est pas pris un truc sur la tête ? » J'avais ri de bon cœur, c'était drôle de l'entendre douter des compétences de Charlotte en son absence quand on savait que personne n'osait le faire dans d'autres circonstances. L'Infirmière avait sa réputation et si on ne voulait pas avoir d'embrouilles avec elle, on doutait rarement de ses compétences, d'autant plus que ce n'était pas ses débuts. Mais encore une fois, l'angoisse de ma meilleure amie prenait le dessus et si je n'avais pas été concernée, elle n'en aurait pas une affaire d'état. Sauf quand il s'agissait d'elle.

J'avais tenté d'en placer une mais elle était inarrêtable quand elle se lançait dans une pareille tirade et j'avais appris à lui laisser cette place, moi qui en prenais toujours un peu trop, en squattant chez elle à tort et à travers. En l'occurrence, cette visite était légitime. « T'es pas obligée de repartir si vite. Ces crétins de dragons ne se seront pas volatilisés. » J'aurais pu penser comme elle si je ne risquais pas d'être dégagée à tout-va pour laisser la place à une Membre sans problème. Les vieilles habitudes du temps d'Annabella ou un rien pouvait vous mettre sur la sellette. Théa semblait différente mais je ne la connaissais pas assez et, plus encore, je réfléchissais encore avec l'impression d'être sous le règne de l'ancienne Chef.

« C'est mon boulot, Faust. Tu le sais bien. » Je ne voulais pas en rajouter une couche, juste mettre les choses au clair, rappeler que je ne m'étais pas donné tant de mal pour me faire dégager. J'étais posée, ni dans l'agression, ni dans la précipitation, encore moins dans le jugement, j'énonçais un fait, ni plus, ni moins. J'étais consciente que ça ne ferait pas taire sa voix intérieure mais je ne pouvais pas lui prétendre que tout se passerait bien, c'était complètement con et ça avait la fâcheuse tendance de porter la poisse. Un peu de superstition.

« Très utiles, ces étoiles. Tu pouvais pas leur demander de m'épargner ? » Encore une fois, j'avais rigolé parce qu'elle était prévisible et que ce qui en dérangeait plus d'un me paraissait mignon. Elle était mignonne à sa façon, à ronchonner pour le principe, sans aucune mauvaise idée derrière la tête, pas franchement sérieuse. C'était la routine et la routine rassurait.

« Ils ne me laissent même pas bosser, Circe. Si tu pars aussi, je vais mourir d'ennui. » La toute aussi habituelle pseudo menace. Il fallait toujours qu'elle soit dramatique dans tout, c'était notre quotidien. Si elle était soudainement devenue optimiste ou prompte à se moquer de sa situation, j'aurais dû m'inquiéter des effets de la tempête sur son humeur mais on m'avait laissé ma Faust. Pour l'embêter un peu plus, j'avais poussé très légèrement son front de mon index droit.

« On pourrait croire que c'est une bonne solution mais tu viendrais me hanter. Et les fantômes qui ne sourient pas, c'est même pas drôle. » Je tentais de la remuer, c'était mon rôle dans notre drôle de duo et on aurait pu croire que ça ne fonctionnait pas mais depuis le temps, si c'était le cas, je l'aurais retrouvée en train de dépérir dans un coin, dans une ruelle perdue du clan, à se laisser manger par les rats par dépit.