Mackenzie & Basile

année 41 ; saison intermédiaire ; matinée 81

  La chance peut nous sourire quelques fois

On m'aurait demandé quelques semaines ou même quelques jours plus tôt de m'occuper d'un Aigle, volontairement, j'aurais refusé et j'aurais laissé n'importe quel autre Membre s'en charger parce que ça représentait un fardeau pour une jeune maman comme moi, en plus de ne pas avoir beaucoup de patience avec beaucoup de monde, encore moins avec des personnes qui avaient tous les traits de resquilleurs de bas étages puisque nos rations étaient encore diminuées depuis qu'ils squattaient le territoire. Seulement, mon opinion s'était nuancée. Je ne les accueillerais pas tous les bras ouverts mais j'avais pu constater que certains étaient comme moi et s'inquiétaient sincèrement pour leurs frères et sœurs. C'était la fratrie composée de Gaspard et de son aîné qui m'avaient touchée et j'espérais tomber sur l'un ou sur l'autre, le contact était trop bien passé que pour manquer une telle occasion.

Et la chance me souriait. J'avais déposé Casey chez ma mère, un baiser sur le front et je partais en direction de la plus grande bâtisse habitée par les anciens Aigles en transition. Je ne voyais que cette façon maladroite de les nommer puisqu'ils n'étaient plus Aigles mais pas encore officiellement Jaguars. Cet entre-deux me semblait être un compromis tout à fait juste et réfléchi, ce qui n'était pas réellement étonnant de la part de Noâ et Roxanne. Elles se complétaient assez bien, de là où je me trouvais en tout cas. J'avais toqué à la porte parce que depuis que j'avais une enfant, je me rendais compte que l'intimité était une chose vraiment très importante. On vint m'ouvrir et je rentrai avant de fermer la porte derrière moi. Dans ce qui faisait penser à une salle commune, je vis passer la tignasse typique de celui que je cherchais. « Comme on se retrouve, mon fugitif préféré. » Gaspard m'avait reconnue et avait attiré l'attention de son aîné. « Tu vas passer ta journée avec moi. J'espère que tu vas me supporter tout ce temps parce qu'il n'y a pas d'échange possible ! » Je ne comptais évidemment pas le fatiguer dès le départ mais ma tâche allait lui permettre de découvrir amplement le territoire. C'était l'avantage d'être recruteuse et sentinelle itinérante. Mon bonnet sur la tête, l'écharpe autour du cou et les gants, j'étais parée. Je l'attendais, le sourire aux lèvres et les mains disposées de chaque côté des hanches.

Basile & Mackenzie
A41 SI J81 (matinée)

La chance peut nous sourire quelques fois

Il s'était réveillé avec un sentiment étrangement nostalgique. Encore tout embrumé, installé pour la première fois sur ce que l'on pouvait considérer comme une couche décente, il s'était presque senti de retour à la maison, une saison plus tôt. Les bruits dans la maisonnée étaient ceux de la vie quotidienne. Le fracas des couverts dans les gamelles, de trop nombreux pieds qui se déplaçaient, quelques chamailleries,... Lorsqu'il avait relevé la tête pour se trouver seul dans l'une des pièces converties en chambre, au milieu d'un mélange de matelas et de couvertures abandonnés, la réalité lui était tombée dessus comme une enclume et il avait été sonné quelques secondes durant par ses émotions. Il avait essuyé quelques larmes traîtresses dans sa couverture avant de se lever pour se vêtir des nouveaux vêtements offerts par les Jaguars. Eux et la possibilité de se décrasser un peu lui avaient permis de se sentir plus humain. Même cette coupe de cheveux pour laquelle Tybalt avait tant insisté avait été plus libératrice qu'il ne l'avait envisagé. Il ne se sentait pas comme un homme nouveau, mais l'amélioration était là. Dans la salle commune, il avait retrouvé ses frères et partagé un peu de leur ration, heureux de cet espèce d'équilibre qu'ils retrouvaient. Gaspard restant Gaspard, il s'était vite mis à passer d'un groupe à l'autre avec toujours une remarque au bord des lèvres. Depuis sa rencontre avec Noâ, la veille, il ne tenait tout simplement plus en place.

- Mackenzie ! Basile est juste là.

Dire que Basile se fit littéralement traîner jusqu'à la Jaguar n'était pas une exagération. Il avait à peine eu le temps de lever la main pour la saluer avant que le cadet ne monopolise une nouvelle fois la conversation.

- Hé, c'est pas juste ! Pourquoi c'est toi qui va avec Mackenzie ?

Clairement jaloux, il croisa les bras sur son torse, l'air boudeur. Trop habitué par tout ça, il lui ébouriffa les cheveux pour le faire bouger avant de lancer un regard apologétique à la blonde.

- Ne fais pas le difficile. On est toujours des invités ici. Alors sois déjà content si un Jaguar prends de son temps pour s'occuper de toi. Retrouve Nate, maintenant. On se verra ce soir.
- Oublie pas que je veux rencontrer Casey.

Il avait lâché ça à la Jaguar avant de partir bon gré, mal gré, le visage toujours aussi marqué par sa moue boudeuse. Sûrement serait-il comme ça jusqu'à ce qu'un autre élément excitant ne vienne ponctuer sa journée.

- Désolé. Il tient encore moins en place aujourd'hui. Je crois que sa rencontre avec votre Chef lui a fait quelque chose. Où allons-nous ?

Il avait déjà entrepris de fouiller parmi les manteaux pour en trouver un plus ou moins à sa taille avant de prendre un bonnet, une écharpe et des gants qu'il passa rapidement. Il était désormais paré.

Mackenzie & Basile

année 41 ; saison intermédiaire ; matinée 81

  La chance peut nous sourire quelques fois

« Mackenzie ! Basile est juste là. » Ça ne m'étonnait pas de retrouver Gaspard en si grande forme. C'était l'impression qu'il m'avait laissé lors de notre rencontre et je supposais que l'avancée des derniers jours et leur lot de surprises et de promesses l'avait encore enthousiasmé davantage. A bien y penser, il se fondrait parfaitement dans la masse. Basile aussi mais dans un autre genre, celui de la sagesse des aînés. Je ne pouvais m'empêcher de penser que d'avoir vécu en famille, nombreuse si j'avais bien compris les explications, avait aidé puisque nous étions comme un grand groupe soudé au sein du quartier général. Ils ne seraient donc pas les premiers embêtés ou gênés par ce concept, j'en étais convaincue.

Sans tarder, le cadet avait attrapé son aîné et l'avait traîné jusque devant moi. Je ne m'étais jamais gêné quand il s'agissait d'en faire autant avec Kahlan, alors je n'allais pas m'offusquer. C'était moins drôle pour le principal concerné mais il je devinais qu'il devait avoir l'habitude à force. « Hé, c'est pas juste ! Pourquoi c'est toi qui va avec Mackenzie ? » Cette réaction ne m'avait pas plus surprise mais elle m'avait donné le sourire. A croire qu'il s'était attaché à moi. A moins que ça ne soit seulement l'intérêt pour Casey. Dans tous les cas, c'était vraiment adorable mais je ne me voyais pas demander à Noâ un passe-droit dans le but de m'occuper de deux Aigles. « Je te fais la promesse de venir discuter avec toi de temps en temps, quand j'en ai l'occasion. » Je ne pouvais pas le laisser en plan quand il en demandait plus. Certains avaient besoin de plus d'attention que les autres et j'avais appris avec le temps que ce n'était pas qu'une question de caprice.

« Ne fais pas le difficile. On est toujours des invités ici. Alors sois déjà content si un Jaguar prends de son temps pour s'occuper de toi. Retrouve Nate, maintenant. On se verra ce soir. » Que Basile soit embarrassé et désolé, je pouvais le comprendre mais il était difficile de leur en vouloir, à l'un comme à l'autre. Le comportement de Gaspard était celui d'un garçon excité et impatient et jusque-là, ce n'était pas étonnant. En plus, il avait vécu enfermé entre des limites presque invisibles pendant une très longue période froide, qui plus est. On ne pouvait pas lui demander de rester stoïque dans de telles circonstances. « Oublie pas que je veux rencontrer Casey. » Voilà qu'il me faisait rire. « Promis ! Je viendrai avec elle quand je trouve un moment. » Je n'éprouvais aucune difficulté à vouloir lui faire plaisir. A croire qu'il avait ça dans le sang.

« Désolé. Il tient encore moins en place aujourd'hui. Je crois que sa rencontre avec votre Chef lui a fait quelque chose. Où allons-nous ? » Lui, par contre, semblait se sentir constamment responsable de ses petits frères. Ce n'était pas exactement faux mais à s'excuser à tout va, il allait finir déprimé ou plus bas que terre. J'allais devoir lui apprendre à s'excuser quand la situation l'imposait et devant les bonnes personnes avant qu'il ne se fasse manger par des Jaguars se sentant soudainement supérieurs. S'il ne fallait pas forcément porter tous les anciens Aigles dans notre cœur, il ne fallait pas non plus les traumatiser ou les terroriser à tout prix. « Elle fait souvent cet effet là aux plus jeunes. Par contre, tu t'excuses encore une fois devant moi à son sujet et je te fais entrer dans le crâne que tu peux te les garder pour toi tes excuses mais moins gentiment. » Je n'étais ni réellement agressive, ni pour autant en train de rigoler. J'étais sérieuse dans le fond, je voulais qu'il s'écrase moins que ça. J'avais ouvert la porte et n'attendis plus que lui, préparé, pour démarrer. « On va rejoindre le quartier général pour ensuite faire une petite ronde. Ne t'en fais pas, je ne vais pas t'achever, c'est pas le but. Par contre, dis-moi, t'as changé de look. Ça te va mieux. » Il fallait que je le mette à l'aise, petit pas par petit pas.

Basile & Mackenzie
A41 SI J81 (matinée)

La chance peut nous sourire quelques fois

Elle en faisait bien trop pour cet indécrottable sans-gêne qu'était Gaspard. Peut-être aurait-il dû la prévenir que, aussi adorable soit-il, il finirait par lui dévorer le bras jusqu'à l'épaule si elle continuait à lui offrir la pointe de ses doigts. Son frère n'était pas méchant, mais il était un bel exemple de petit dernier de la famille. Ce n'était théoriquement plus vrai depuis la naissance de Emma, mais cela n'allait rien changer au fait qu'il avait été élevé comme le chouchou durant quinze bonnes années. Si rien n'avait changé dans leur vie, il était certain que l'équilibre familial n'aurait pas beaucoup évolué. Gaspard serait toujours le cadet protégé, véritable fils à maman, mais il aurait été un grand frère gaga juste pour les beaux yeux de la petite. En partant du principe que tout irait bien pour les membres restants du clan familial, il était curieux de savoir comment ils se remettraient de tout ça. Si Emma aurait la chance qu'ils avaient tous eu en faisant partie d'une fratrie soudée.

- Directement les méthodes dures. Je dois vraiment être un mauvais élève.

Il avait glissé avec un brin de sourire, les mains levées dans un faux geste d'apaisement. Ce n'était pas la première fois qu'on lui faisait cette remarque. Il était trop respectueux, trop mou, toujours à se juger coupable. Qu'y pouvait-il, c'était tout simplement dans son tempérament.

- Une ronde, ça va me rappeler des souvenirs.

Le temps où il était sentinelle semblait tellement lointain. Peut-être car c'était le cas maintenant qu'il y pensait. Il avait dû arrêter au début de la saison précédente pour commencer son entraînement d'Espion. Enfin, pas que cela changeait énormément la donne.

- Un ami pense la même chose. Il me fait des commentaires sur mes cheveux depuis des jours, j'ai fini par craquer. J'ai l'impression que ça m'a aéré l'esprit.

Il n'avait pas pu s'empêcher de détourner légèrement la tête, heureux que ses oreilles rougissantes soient cachées sous son bonnet. Il n'était vraiment plus habitué à recevoir des compliments.

Mackenzie & Basile

année 41 ; saison intermédiaire ; matinée 81

  La chance peut nous sourire quelques fois

« Directement les méthodes dures. Je dois vraiment être un mauvais élève. » J'étais certaine d'une chose, vu sa réaction, ce n'était pas la première fois qu'on lui soufflait cette idée. Tempérament ou pas tempérament, cette transition était l'occasion de remettre les choses en place, de s'ajuster un peu. Si je n'hésitais pas à rappeler aux bleus qu'ils nous devaient le respect par la force des choses, je n'hésitais pas non plus à rappeler à quelqu'un dans son genre de se respecter un peu également. Même s'il était en période d'adaptation et que rien ne l'obligeait à nous rejoindre, il me semblait être de mon devoir que d'instaurer une relation saine avec un potentiel nouveau Jaguar, Membre ou Soumis, qui ne me semblait pas être un mauvais élément. J'avais bien compris ce que Noâ attendait de nous et dans toutes ces attentes, il y avait notamment celui de montrer cette franche camaraderie qui existait chez nous. A mon sens, quelqu'un qui se dévalorisait constamment se ferait marcher dessus tôt ou tard et ça ne représentait pas ce que nous cherchions à instaurer au sein du territoire Sud. « Un mauvais élève pour toi avant tout. » J'avais souligné ça toujours sur ce même ton, sans aucune agressivité. J'étais sérieuse mais pas dure. L'effrayer n'arrangerait rien.

« Une ronde, ça va me rappeler des souvenirs. » C'était intéressant comme réponse. Tout de suite, je l'imaginais soit patrouilleur, soit sentinelle itinérante. Ce serait assez incroyable qu'il ait eu la même tâche pendant ses années de service en tant qu'Aigle. Peut-être était-ce un autre point qui avait attiré soit Noâ, soit Roxanne. « Tu as réussi à capter mon attention, là. T'étais patrouilleur ou sentinelle itinérante ? T'étais peut-être même recruteur aussi ? Je sais pas trop comment ça fonctionnait chez vous, j'dois dire mais c'est une part importante, pour moi en tout cas, de mes deux tâches. » Rentrer dans le vif du sujet, parler de nous plus en détails, c'était de bons signes pour la suite. Le pairing marchait plutôt bien, j'étais même sacrément heureuse de pouvoir le découvrir un peu plus qu'à travers son jeune frère.

« Un ami pense la même chose. Il me fait des commentaires sur mes cheveux depuis des jours, j'ai fini par craquer. J'ai l'impression que ça m'a aéré l'esprit. » Il s'ouvrait encore une fois. C'était vraiment sympa de le découvrir de manière plus informelle et moins problématique encore que lors de notre première rencontre. Par contre, il manquait cruellement de confiance en soi. Quand on lui faisait un compliment, il n'osait pas donner son avis directement, dire que ça lui allait bien, non. Au contraire, il exprimait l'avis des autres et encore, il ne s'avançait pas beaucoup non plus à ce niveau. « Et toi ? T'en penses quoi ? Que ce soit tes cheveux ou ta vie actuellement et cet avenir plus ou moins lointain ? Parce que je t'entends parler des autres mais j'ai l'impression que ton avis ne compte pas des masses. » J'y allais peut-être franco mais j'avais l'impression qu'il ne se donnait pas beaucoup de place.

Basile & Mackenzie
A41 SI J81 (matinée)

La chance peut nous sourire quelques fois

Apparemment, il n'allait pas s'en sortir aussi facilement avec un tel chaperon. Ce n'était pas désagréable en soi, il n'était qu'un peu confus, peu habitué au final à ce que quelqu'un d'aussi neuf dans sa vie se comporte déjà de la sorte avec lui. Des amis de longue date avaient essayés - et échoués, donc, si on était logique -, mais jamais une personne qu'il apprenait à peine à connaitre. C'était la preuve qu'elle avait eu vite fait de le percer à jour. Et puis, tout s'expliqua. Une recruteuse devait avoir un certain don pour décortiquer les gens assez rapidement.

- J'étais sentinelle avant de commencer mon entraînement en tant qu'Espion. Deux ans de bonheur aux frontières. J'aimais beaucoup ce rythme.

L'idée de devenir Espion ne lui avait pas déplu, il avait même aimé les débuts de formation qu'on lui avait donné, mais il y avait quelque chose de particulièrement plaisant à bosser en tant que sentinelle. Il y avait toujours des choses à voir, des personnes à découvrir. Cela lui avait aussi permis de rester proche de la population selon les zones où il était affecté. Aussi basique que soit cette tâche, il lui trouvait un réel intérêt.

- Les recruteurs n'étaient pas particulièrement bien vu chez les Aigles. Je ne sais pas comment ça se passe ici, mais là-bas on pratiquait encore des enrôlements forcés avec les recrues prometteuses, alors certains avaient des a-priori.

Il n'avait pas l'impression de se montrer avare en informations sur lui, mais ce n'était toujours pas assez. Elle continuait de le piquer légèrement, comme pour le faire sortir de sa zone de confort. Ce n'était pas tellement qu'il ne voulait pas s'exprimer, il n'était tout simplement pas habitué à s'imposer. Il passa un instant la main sur son bonnet, cherchant comment lui communiquer au mieux sa situation.

- Je suis le quatrième fils dans une famille de six enfants, dont cinq garçons. Celui qui était le moins intéressé à l'idée d'être Membre. Ce n'est pas le début d'une histoire dramatique, enfin, peut-être que si. Bref. Dans tous les cas, j'aime ma famille. Comme tu l'as vu, Gaspard a du caractère. Mon grand-frère Tim était un peu comme ça. L'Aigle par excellence, sans forcément tirer dans les clichés. A leur façon, ils ont tous une personnalité plus forte. J'étais le plus calme. La bonne pâte. J'ai moins l'habitude d'exprimer mon avis parce qu'il y avait toujours quelqu'un pour le faire avant moi.

Il s'était embrouillé et n'était même pas certain de faire sens. Ces dernières semaines, il avait aussi perdu certaines habitudes. Il doutait d'avoir eu l'occasion de parler autant depuis l'attaque. Difficile de dire si c'était une bonne ou une mauvaise chose. Ce n'était sûrement pas si mauvais, au vu des délires par lesquels il était passé.

- Il y a quelques jours, je n'avais même pas la sensation d'être vivant. Alors l'avenir... Les Aigles ne me manquent pas vraiment, de toute façon, ma loyauté a toujours été à ma famille. C'est sans eux que j'ai du mal. Sans celles qui sont ailleurs et ceux qui ne reviendront plus. Tout ce que je veux, c'est qu'on puisse être ensemble et en sécurité, mais ce n'est pas possible. Mais vous nous offrez une réelle chance et j'ai toujours apprécié les Jaguars, alors je suppose que je n'ai pas vraiment à me plaindre.

Mackenzie & Basile

année 41 ; saison intermédiaire ; matinée 81

  La chance peut nous sourire quelques fois

« J'étais sentinelle avant de commencer mon entraînement en tant qu'Espion. Deux ans de bonheur aux frontières. J'aimais beaucoup ce rythme. » Nous avions donc un point en commun. Nous étions tous les deux des sentinelles à un moment donné, même si j'étais une sentinelle itinérante. Nous gérions globalement la même chose, la protection du clan depuis l'intérieur de celui-ci. « Je comprends tout à fait. Noâ a trouvé ce qu'il me fallait en me nommant sentinelle itinérante. » Rencontrer quelqu'un qui partageait un centre d'intérêt était toujours plaisant. Je l'appréciais de plus en plus. Le temps passer à lui faire découvrir le clan promettait d'être une partie de plaisir. Au fond, ça collait assez bien avec ma tâche de recruteuse, d'une certaine façon.

« Les recruteurs n'étaient pas particulièrement bien vu chez les Aigles. Je ne sais pas comment ça se passe ici, mais là-bas on pratiquait encore des enrôlements forcés avec les recrues prometteuses, alors certains avaient des a-priori. » Je ne pouvais pas nier que je connaissais un peu l'impression que ça laissait sur un territoire, cette façon de fonctionner. Du temps de Joshua, c'était la même chose et Noâ s'était appliquée à rompre avec cette méthode de recrutement et j'étais contente d'être devenue recruteuse dans ces conditions. Je n'aurais jamais eu la force nécessaire de forcer la main, même si le potentiel était présent et cet état d'esprit ne datait pas de ma grossesse. « A l'époque, c'était d'application chez les Jaguars aussi mais Noâ a changé ce que je considère être une très mauvaise façon de fonctionner. Sous Joshua, le chef précédent, je n'aurais sans doute jamais tenté de passer mon Test, alors devenir recruteuse, c'était impensable. » Raison pour laquelle je n'aurais pas pu juger les Aigles qui avaient un a priori dans ce contexte.

« Je suis le quatrième fils dans une famille de six enfants, dont cinq garçons. Celui qui était le moins intéressé à l'idée d'être Membre. Ce n'est pas le début d'une histoire dramatique, enfin, peut-être que si. Bref. Dans tous les cas, j'aime ma famille. Comme tu l'as vu, Gaspard a du caractère. Mon grand-frère Tim était un peu comme ça. L'Aigle par excellence, sans forcément tirer dans les clichés. A leur façon, ils ont tous une personnalité plus forte. J'étais le plus calme. La bonne pâte. J'ai moins l'habitude d'exprimer mon avis parce qu'il y avait toujours quelqu'un pour le faire avant moi. » Je fus surprise et ça se lisait dans mon regard Ce n'était pas tous les jours qu'on entendait parler d'une famille aussi grande. Je n'aurais pas su me mettre à sa place parce que je n'avais jamais connu que ma mère, je n'avais ni frère, ni sœur et j'avais été drôlement gâtée par l'unique femme dans ma vie. Elle avait toujours mis un point d'honneur sur la discussion et ce malgré des crises évidentes à l'âge adolescent.

« Il y a quelques jours, je n'avais même pas la sensation d'être vivant. Alors l'avenir... Les Aigles ne me manquent pas vraiment, de toute façon, ma loyauté a toujours été à ma famille. C'est sans eux que j'ai du mal. Sans celles qui sont ailleurs et ceux qui ne reviendront plus. Tout ce que je veux, c'est qu'on puisse être ensemble et en sécurité, mais ce n'est pas possible. Mais vous nous offrez une réelle chance et j'ai toujours apprécié les Jaguars, alors je suppose que je n'ai pas vraiment à me plaindre. » Quand on mettait bout à bout chaque morceau de son explication, entre sa famille à laquelle il tenait et le fait qu'il n'ait jamais eu réellement l'envie d'être Membre un jour, c'était logique que les Aigles ne lui manquent pas réellement. C'était plus les personnes en tant que telles qui lui manquaient, pas le concept d'appartenance à l'ancien clan Est. « Je crois que je commence à te cerner, petit à petit. Je ne connaissais pas bien les Aigles, je dois l'admettre. J'avais un a priori au sujet de la façon dont le clan voyait les choses mais j'ai cru comprendre que ça n'allait pas coincer à ce sujet entre toi et moi. C'est chouette à savoir. Je crois que tu te feras ta place sans trop de problème. Il n'y a pas que des phénomènes comme moi ici. Certains Membres sont plus discrets et moins exubérants, je te rassure. » Je lui offris un sourire amusé mais également et surtout bienveillant. Je pensais notamment à Oksana, une fille à peine plus jeune que nous.