natural ennemies

Le dernier combat a laissé des traces. Du bleu sur tes phalanges. Du sang sous tes ongles. Quelques côtes se resoudent encore dans ta cage thoracique mais tu ignores la sensation désagréable. Pousses des épaules les passants trop nombreux dans la rue. L'heure de pointe. Pas le moment idéal pour arborer cette dégaine. Les vêtements un peu sales. Ton sac qui prends trop de place sur le dos. Tu as l'allure de quelqu'un qu'on ne veut pas fréquenter. Soit parce qu'il amène des problèmes, soit parce qu'il attire la pitié. Tu préfères la première option. Choques volontiers d'un geste provocateur. La mine bougonne. Vraiment tu ne veux pas être là. Parmi des humains trop enfoncés dans cette illusion de normalité. Stupidement aveugles à tout ce qui se trame dans l'ombre. Peu soucieux du fait que tu arpentes ce foutu pays depuis des années avec une gamine dans tes traces et que certains jours ont été bien trop difficiles à cause de leurs règles. Tu ne veux pas être là mais tu y es quand même. La poche lourde d'un paquet de billets et le ventre trop creux après tant d'efforts et les galères de cette dernière semaine. Tu rêves de te caler sur la banquette d'un café pour commander la moitié de la carte mais tu ne te contenteras de la plus grosse assiette qu'ils proposeront pour ne pas attirer les soupçons. En plus Al n'est pas là et tu ne feras pas un festin sans elle. Elle rôde quelque part dans la ville. Sans doute en hauteur comme à son habitude. A observer le monde tant que vous pouvez vous le permettre. Elle te contactera si elle a besoin de toi. En attendant tu lui laisses son espace. Certain que tu la retrouveras dans les bois plus tard dans la journée. Le café dans lequel tu te glisses est étonnement calme. Il y a du monde mais pas autant qu'ailleurs. Tu renifles un instant sous le prétexte de t'imprégner des odeurs de nourriture qui flottent mais c'est autre chose que tu repères. Une autre créature. Sans doute la raison pour laquelle c'est un peu moins bondé. Certains humains sont plus fins que d'autres. Se méfient d'instinct. Rejettent un lieu sous un faux prétexte parce que la mort rôde. Cela t'arrange bien. Tu continues vers un siège. Abandonnes ton sac avec un soupir et récupères à la place un menu. Tes mains sont redevenues normales. Tu notes le rose tendre avec satisfaction. Plus qu'une douche et un peu de repos et tu seras comme neuf. Mais d'abord. Tes yeux scannent la salle. Ne repèrent rien qui sorte de l'ordinaire. Le suceur de sang sait se faire discret. La commande part et tu oublies un instant. Tu scrutes l'extérieur. Les gens qui passent. Le soleil qui peine encore à traverser le brouillard hivernal. Mais il y a ce picotement caractéristique dans ta nuque et cette fois tu bouges un peu. Captes un regard qui se dérobe tout aussi vite. Une vampire. Passe-partout malgré la peau pâle qui tranche avec les cheveux foncés. « Qu'est-ce que tu mates ? » Tu lui grommelles entre tes dents serrées. Conscient qu'elle est la seule qui pourra l'entendre ici. Un regard de plus et un détail te marque. Des traits légèrement familiers. L'impression de l'avoir déjà croisé quelque part. Ce ne serait pas étonnant. Tu bouges beaucoup. Ce n'est même pas ton premier passage dans le coin. Et puis les sangsues ont cette fâcheuse tendance de s'étendre sur des territoires plus larges.

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Tu ne t'attends pas à ça. A ce qu'elle vienne. En paix. Tu dis pas vaut mieux ça qu'un bain de sang au milieu des humains mais tu n'es pas d'humeur bavarde. T'es pas très au clair avec l'anatomie vampire mais elle n'a pas besoin que ses organes fonctionnent pour sentir les mauvaises ondes en théorie. Elle s'installe et tu te demandes si c'est un truc de suceurs de sang. Si ils aiment s'inviter partout pour compenser le fait qu'ils ne puissent pas rentrer chez les gens sans qu'on leur en ait spécifiquement donné l'autorisation. Si cette histoire est vraie. De ça non plus, tu n'es pas certain. Tu as vu plus délirant, par principe tu gardes l'esprit ouvert. Ce ne serait pas un mauvais plan pour les humains. Une protection de plus contre la mort qui rôde. « Alice. Tu t'en rappelles ? Si tu veux, je peux commander quelque chose. T'as l'air d'en avoir besoin. » Pourquoi te parle-t-elle comme si vous aviez déjà couru sous la pleine lune ensemble ? Malgré toi tu l'observes avec plus d'attention. Cherches la familiarité. Il y a toujours ce petit détail mais rien qui ne fait remonter un souvenir. Qu'elle te dise un truc n'est pas si étonnant. Quand on bouge beaucoup, parfois, les visages s'emmêlent et on voit des têtes connues partout. Une impression de déjà-vu. Même son nom ne déclenche rien. « T'es sûre que tu te trompes pas de gars ? » Tu hausses les épaules. Un regret fusant un quart de seconde lorsque ça agite la côte qui se ressoude. « Je veux pas de ta pitié. Je mange, je paye. » Mais tu peux accepter qu'elle te serve d'alibi. Engloutir deux assiettes bien remplies ne te fera pas de mal.

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Tu prends le hochement de tête comme un signe pour indiquer à la serveuse que vous êtes prêts à commander. Des pancakes pour toi et un continental pour elle, tu commandes. Presque satisfait par la variété. Même l'idée de boire un chocolat chaud est plaisante. Du sucre rapide fera du bien à ton corps. Et tu es déjà assez à cran pour passer au-dessus de la possibilité de prendre un café. Tu te fiches pas mal de l'image que tu renvoies en commandant pour deux. Ou de paraître un peu ronchon avec l'employée même si tu t'efforces de dire merci et d'esquisser un sourire. Mais ça reste compliqué. Tous ces humains le sont alors que tu te retapes. « Il y a pas de pitié. Je veux juste aider à ma façon. J'étais déjà comme ça avant. » Tu fronces les sourcils au sous-entendu. Tu ne lui as pas vraiment donné l'occasion de comprendre que tu n'as en réalité rien contre les vampires. Tu soupires. Changes de position en plaçant dans une grimace le coude sur la table pour pouvoir y appuyer ta tête. « Si on se connait comme tu sembles le croire. C'est quoi mon nom ? » Tu lâches enfin tout en la scrutant. Il y a toujours cette familiarité un peu floue mais elle ne se rattache à rien. Aucun souvenir tangible.

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« Je-. Je ne sais pas. Je sais, j'ai l'air suspect mais on s'est vraiment croisés. On n'a pas exactement échangé. J'avais parlé quand tu m'avais vue pendant que tu courais mais tu n'as jamais répondu. » Tu laisses échapper un léger son de gorge. Quelque chose de pensif. Aussi confuse soit sa réponse elle a réussi à ne pas te rendre plus méfiant. Dans ta vie il y a des règles. Beaucoup. Question de survie. L'une d'elles est de ne pas jamais donner ton nom. Ceux qui l'utilisent peuvent être classés en deux catégories : des amis qui sont plus proches d'une famille et les ennemis. Il n'y a pas de milieu. Juste les deux tranchants d'une lame. Ta seule certitude est qu'elle n'appartient pas à tes alliés. Aucune chance donc qu'elle connaisse ton prénom pour les bonnes raisons. Cela ne t'assure pas qu'elle soit sans danger mais au moins elle n'est pas une menace directe. Elle n'est pas là pour te traquer. « Ok. » Tu lâches finalement en te redressant. Les vampires sont de drôles de créatures. Plus difficiles à lire. Leurs signaux moins odorants et bruyants que ceux des humains. Mais sa nervosité est évidente. Elle s'enfonce inutilement. Tu continues de l'observer. D'autant plus silencieux lorsque l'on vous apporte vos boissons. Tu t'empresses de récupérer le chocolat chaud pour avaler une longue gorgée. Ton corps enfin béni par quelques nutriments. « Je me suis battu contre un loup qui frappait comme un bulldozer. Il m'a défoncé les côtes. Ca m'a pas empêché de gagner. » C'est dit sur le ton de la conversation plus que pour frimer ou comme un avertissement. Tu justifies presque le fait d'avoir accepté la nourriture proposée et ton empressement à descendre le chocolat. « Alice donc. T'habites dans le coin ? Tu voyages ? » Les questions sont culottées venant d'un type qui refusent de révéler quoi que ce soit sur lui-même. Rien de nouveau venant de toi en soi.

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« Je suis née ici. Je vais devoir partir tôt ou tard mais c'est difficile. Je suis attachée à cette ville. » Etonnant qu'elle réponde malgré tout. Pourtant sa nervosité reste évidente. Plus tu la regardes moins elle dégage l'image d'une vampire. Elle semble commune. Une humaine un peu paumée dans sa vie. Cela doit l'aider à passer inaperçu. Même en étant au courant tu ne l'imagines pas plonger les canines dans la gorge de quelqu'un. Tout le contraire. Elle ferait une proie alléchante pour un suceur de sang. C'est peut-être pour ça qu'elle en est devenue une. Malgré ce qu'elle exsude tu ne la vois pas comme une petite idiote ayant accepté la transformation par amour ou une connerie du genre. « C'est pas si mal de bouger. Tu apprends des trucs sur toi-même. Tu découvres le monde. Ca met les choses en perspective. Et puis tu pourras revenir. Les gens changent, les villes un peu aussi mais le cœur reste le même. » Tu hausses les épaules. Pas sûr de la raison pour laquelle tu lui dis tout ça. Tu t'y connais en terme de voyage c'est clair. Tu ne connais que ça depuis trop longtemps.

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« Apprendre des trucs sur moi, je suis pas contre mais je suis pas certaine de survivre seule en-dehors de mes repères. Je fais un pitoyable vampire, n'est-ce pas ? » Tu lâches un soupir. Tu n'as jamais su comment faire avec les gens qui s'apitoient sur leur sort. Une part de toi le voit comme une chance qu'ils ont. Tout le monde ne peut pas se permettre de perdre du temps. Tu es un peu dur dans ton jugement. Trop endurci par la réalité de ton mode de vie. « Au pire tu mourras en essayant de nouveaux trucs. » Nouveau haussement des épaules. Tu le fais trop pour tes pauvres côtes qui se reconsolident. Le désavantage de te soucier si peu de la douleur. Tu ne veux pas te montrer cruel en disant ça. Simplement réaliste. Chaque action peut conduire à la mort après tout. Malgré toutes vos aptitudes, vous avez une cible dans le dos juste parce que vous n'êtes pas humains. Tu préfères y passer en continuant de vivre plutôt que d'attendre d'être rattrapé par tes ennemis. Tu ne la vois pas mourir de si tôt de toute façon. L'instinct est un atout magnifique. Tu connais peu de vampires qui se montrent faciles à tuer quand ils sont menacés. Ils se font avoir par des éléments extérieurs mais toujours en se battant. Il n'y a que les plus anciens pour ne pas écouter cette furieuse volonté de survivre prenant le contrôle de leur corps. « Puis vous avez vos réseaux. J'suis sûr que les nids des autres villes se montrent pas trop chien si tu les provoques pas. » T'en sais trop rien dans les faits. T'as juste pas l'impression que les vampires montrent leur territorialité de la même façon que vous. Même si toutes les meutes ne sont pas pareilles et qu'il y en avait pour accueillir ceux de passage.

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« Pour un loup, t'es drôlement conciliant avec quelqu'un de mon espèce. A moins que ce ne soit parce que je ne suis pas menaçante ? » Une question toute légitime. Auquel tu ne réponds pas à l'instant car tous les signes de l'approche de ton repas sont là. Le fumet t'embaume déjà les narines dans une promesse de donner enfin à ton corps les nutriments dont il a besoin. Et la satisfaction d'avaler quelque chose de bon plutôt que ces immondices trouvées dans les stations services et les gares croisées sur ta route. Elles faisaient l'affaire mais il y avait mieux. Cela fait un moment que tu n'as pas pu profiter de la sorte. Tu te feras un devoir en repartant d'emporter le même menu pour Alessandra qui mérite tout autant l'écart fait à votre absence de budget. Tu adresses un sourire à la serveuse qui dépose le festin sur la table avant de tirer vers toi une assiette couverte d'œufs et de lards. Tu commences par les protéines bien sûr. Après deux belles fourchettes, ton regard retombe sur la vampire. « Je dis pas y a toujours une méfiance. Faut pas être con non plus. Mais j'ai fréquenté assez d'occultes pour plus trop m'en faire des différences. J'traîne dans un milieu où y a un peu de tout et la galère qui rassemble suffit bien souvent. » Sincèrement tu t'en fiches d'à qui on te demande de casser la gueule pour quelques billets. Ca ne veut pas dire que tu détestes tous les vampires. Seulement certains et ils sont difficiles à louper. Des enculés prétentieux ne se sentant plus pisser, aussi peu appropriée que soit l'expression vu leur statut de cadavre ambulant.