Kyla

année 41, saison intermédiaire, matinée 92

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La démarche était nouvelle et bizarre, je sortais très clairement de ma zone de confort et jusqu'au dernier moment, j'avais senti tout mon corps prêt à faire demi-tour. Ca aurait sûrement été beaucoup plus prudent parce que je ne connaissais pas bien ce comportement, encore moins avec elle. La facilité des mots faussement blessants et cette rengaine avait quelque chose de gratifiant, de rassurant. Là, j'étais paumée. Depuis plusieurs jours je n'étais qu'une épave, c'était déjà particulier en soi, mais là, je marchais jusque chez-elle, totalement insécure, à la merci de la première personne qui ne trouverait pas meilleure occasion de m'écraser et de me rendre la pareille. Des filles que j'avais blessée, il y en avait à la pelle. Sans parler de soumis que j'avais mené du bout du doigt. Les raisons et les personnes étaient trop nombreuses. Sans aucun doute, si elles avaient fait la file, celle-ci rejoindrait le Labo.

Je n'étais pas suffisamment bien que pour me soucier de ce qui m'entourait. J'avançais en marche automatique. Certaines personnes tentaient un mot mais remarquaient que je n'étais pas totalement présente. Tout juste physiquement. Un pas après l'autre. Il ne fallait pas trop réfléchir ou j'allais trouver une excuse toute trouvée pour m'éclipser. Même une fois que j'avais frappé à la porte, mes jambes tremblaient et ma tête me criait de m'enfuir pour ma propre survie. Oui, mon cœur me criait qu'elle méritait un remerciement, même trois jours après son geste, mais j'avais trop peur. Peur d'être blessée à nouveau. Peur d'être écrasée par la vie une nouvelle fois. Peur qu'elle se moque ouvertement de moi. Qu'elle regrette d'avoir été humaine avec une fille aussi mauvaise. Je ne le cachais pas. Je n'étais pas une fille saine. Je n'avais rien de la bonne amie. J'étais quelqu'un qui détruisait tout sur son chemin. Elle la première. Quand elle vint ouvrir, rien ne sortit. Pas un mot. Le néant.

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L'admettre était frustrant, mais elle avait eu de la chance de s'en sortir si bien. Au-delà des dégâts physiques qu'elle aurait pu collecter, autant qu'elle en aurait rendu si elle écoutait sa fierté, Rekk était vicieux et il n'aurait pas hésité à utiliser les tactiques les plus basses pour lui attirer des emmerdes si ils étaient venu à se faire repérer par une sentinelle. Au sein même du QG des Jaguars, là où il jouait à domicile, il aurait pu aisément déformer la vérité et la fait passer pour la nuisible de l'histoire. Malgré un certain goût pour le danger, elle n'était pas idiote non plus, et elle ne tenait pas plus que ça à visiter la prison du Sud, encore moins celle de l'Ouest. C'était sans même parler des conséquences qu'un tel événement aurait pu avoir sur la bonne entente, une Membre qui déconnait aurait fait une jolie tache sur cette alliance amicale que les clans tentaient de vendre. La fuite avait donc été la meilleure des options, même si elle détestait cette impression de l'avoir laissé gagner et, qu'en plus, c'était par Jaeger qu'elle avait été secourue. Elle n'avait vraiment pas besoin de passer pour une demoiselle en détresse après ce qu'il avait déjà vu et elle craignait qu'il l'approche avec des inquiétudes en plus. Le seul avantage était encore qu'il ne faisait pas partie de ces blaireaux qui estimeraient qu'elle lui devait quelque chose ou qui attendrait des remerciements. Il avait beau l'avoir aidé, il s'était mêlé d'une histoire qui ne le regardait pas, elle ne comptait donc pas s'abaisser à avoir l'air trop reconnaissante. Après tout ce bordel, elle était rentrée sans faire de détour, courant durant les trois quart du chemin jusqu'à s'en faire brûler les poumons, juste pour se débarrasser de toutes ces énergies qui lui couraient dans le corps et tenter de faire le vide dans sa tête. Si elle s'était écroulée dans son lit directement, le sommeil n'en était pas venu pour autant, la méthode manquant clairement d'efficacité, et elle avait passé plus de temps à regarder le plafond en chassant une à une les idées qui montaient. Il avait fallu attendre l'aube pour qu'elle sombre enfin, mais le repos ne fut que de courte durée. Elle avait toujours eu le sommeil particulièrement léger, sans doute parce qu'elle avait eu trop de raisons de ne pas se laisser aller, même pour quelques heures, les coups frappés à la porte la réveillèrent donc sans mal. Emerger et comprendre de quoi il s'agissait étaient des choses plus compliquées. Elle jeta machinalement un regard vers la fenêtre, craignant soudain d'avoir loupé sa garde, mais le soleil n'était pas assez haut pour que l'après-midi soit déjà là. Assez logiquement, n'étant pas la personne la plus sociable du territoire, elle n'était pas habituée à recevoir des visites. Si des gens passaient sa porte, c'était en sa compagnie, parce qu'ils avaient été invités pour une raison spécifique. Elle n'était même pas certaine que le peu de gens à qui elle parlait connaissaient l'endroit où elle vivait. Même si elle ne voyait pas bien ce qu'on aurait pu lui vouloir, elle pencha donc vers une présence plus officielle et se dépêcha de s'extraire du lit, ramassant un pull qu'elle enfila en progressant maladroitement jusqu'à la porte.

- Zola.

Elle n'allait pas mentir, elle ne l'avait pas vue venir celle-là. Depuis leur dernière rencontre, elle avait gardé dans un coin de sa tête la possibilité de passer chez elle, mais elle n'avait jamais réussi à rassembler assez de courage pour ça. L'idée était juste trop étrange, mais elle l'était presque autant que son attitude et les émotions trop vives qu'elle avait ressenties. De toute évidence, elle n'était pas la seule paumée dans cette situation, la blonde n'avait pas l'air particulièrement à l'aise sur le pas de sa porte.

- Euh... Rentre ? Si tu veux ?

Elle s'était effacée pour lui laisser la place de passer, beaucoup trop de questions résonant entre elles. Non seulement elle ne savait pas quoi faire avec de la visite tout court, mais, là, c'était Zola avec qui elle échangeait des piques en temps normal, mais qui n'était clairement pas en état pour ça.

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Sa réaction n'avait rien de surprenant et me rappela que je n'avais pas ma place là. Parce que Kyra ne traînait pas avec les autres et parce que j'étais certainement encore pire qu'elle. Non seulement je ne traînais pas des masses avec qui que ce soit, Rory comme seule exception, mais en plus j'étais du genre à me prendre de haut. En apparence. Mais les apparences comptaient beaucoup plus que la dure réalité, surtout au sein d'une ville où les clans se faisaient plus ou moins la guerre. Surtout quand on faisait partie d'une famille reconnue, famille qui apportait réellement quelque chose, tandis que j'étais à côté de la plaque pour ça aussi. J'aidais James d'une certaine façon. Un peu minable. Je ne touchais pas au poison. Avec Louane en moins dans l'environnement, je n'avais plus quelqu'un avec qui en parler facilement sans avoir le sentiment d'être un élément de plus dans les pattes, sans avoir l'impression de faire tâche. Le nouveau rang de James l'occupait pas mal. Charlotte avait également ses obligations, surtout depuis la tempête et c'était parfois compliqué d'aborder certains points sans avoir peur de les décevoir, elles qui brillaient naturellement.

J'aurais dû fuir. C'était la solution la plus prudente plutôt que de m'essuyer un refus catégorique ou un jugement qui aurait été de bonne guerre. Encore une fois, c'était plus rassurant de recevoir des piques de sa part que de la voir agir bizarrement avec moi. Le pire dans cette histoire, c'était que celle qui venait foutre le bordel dans une dynamique bien rodée, c'était moi. J'étais l'emmerdeuse mais pas dans le sens classique de notre relation. J'étais devenue trop vulnérable et je la perturbais. Elle aurait sûrement préféré que je morde, elle aussi. « Euh... Rentre ? Si tu veux ? » Une invitation forcée. Sans aucun doute. J'avais péniblement mis un pied dans sa maison avant de traîner le suivant. Je regardais autour de moi, complètement perdue dans cet environnement. D'habitude, on se bagarrait à l'extérieur ou en salle d'entraînement. Mon regard s'était ensuite posé sur Kyra mais je n'étais qu'à moitié présente, à moitié consciente de ce qui m'entourait. « Désolée. J'sais pas ce que je fais ici. » Alors que je le savais très bien, au fond de ma petite tête. Mais j'avais la trouille de m'ouvrir. Pourtant, un merci, ça coûtait rien. « Enfin, si. Merci. Mais j'vais te laisser. » J'ai pas ma place ici. Je regardais mes chaussures, c'était moins périlleux.

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En fermant la porte, elle avait pris une longue inspiration pour tenter de calmer les pensées qui s'affolaient. Non seulement Zola n'était pas bien et, même si c'était logique, elle ne savait pas comment se comporter dans ces circonstances, mais, en plus, elle venait de prendre conscience de ce que cela signifiait vraiment d'avoir de la visite et elle ne pu pas s'empêcher d'être étrangement soucieuse de son environnement. La maison n'était pas grande et manquait clairement d'une touche plus personnelle malgré les années qu'elle avait passées ici. Si on omettait les rations stockées dans un coin proche du feu, la pièce faisait inhabitée, il n'y avait bien que sa chambre dans laquelle une touche de chaleur s'était glissée par la force des choses. La pensée était stupide, la blonde n'était sûrement pas venue pour se moquer de sa décoration intérieure ou, en tout cas, pas maintenant. En autre temps, elle ne s'en serait sans doute pas privée, mais, en autre temps, la porte lui aurait simplement été refermée au nez. Elle appuya maladroitement l'épaule contre un mur et croisa les bras sur sa poitrine, clairement pas à l'aise, mais elle évita de dire quoi que ce soit, attendant simplement un indice quelconque. Au début, Zola ne l'aida pas vraiment à comprendre, semblant tout aussi paumée, mais quelque chose finit par sortir. Merci ? Elle ne la pensait pas totalement ingrate non plus, mais cela restait surprenant.

- J'allais passer chez toi pour... Tu sais...

Un instant, elle avait cru ne pas savoir quoi répondre à ça et l'instant d'après les mots s'enfuyaient sans beaucoup d'éloquence. Elle bloquait sur trop de choses, grimaçant à chaque tentative avortée. Elle comptait passer chez elle pour voir comment elle allait, mais elle n'avait pas voulu le dire comme ça, parce que naturellement Zola n'allait pas bien. La tournure était juste stupide. Il aurait été plus facile d'admettre la vérité, cette petite chose qui aurait été comme un caillou tombant au milieu d'une lame de verre, pulvérisant tout sur son passage. Elle s'inquiétait, mais le formuler de la sorte était effrayant et trop lourd de sens. Elle n'était pas censée se soucier de Zola, c'était ce qui avait toujours été si facile avec elle. Elles se prenaient la tête et passaient leur chemin, raison pour laquelle elle était sans doute sa relation la plus ancienne, si on pouvait la considérer comme telle.

- Tu peux rester. Si tu veux. Ca me dérange pas.

Le haussement des épaules avait été glissé là pour tenter d'apporter une sorte de nonchalance à la conversation, mais rien n'aurait pu le faire et elle grimaça à nouveau, baissant les yeux vers le sol pour le fixer comme si il allait pouvoir lui apporter une quelconque aide.

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« J'allais passer chez toi pour... Tu sais... » Pour savoir si j'allais bien. Quelle blague. J'aurais dû trouver l'attention touchante parce que ce n'était pas tous les jours qu'on s'inquiétait sincèrement pour moi, j'étais trop mauvaise pour qu'on veuille se soucier de mon état. Je l'avais cherché. Le problème, c'était que je trouvais effectivement son comportement émouvant mais que j'avais du mal à accepter quoi que ce soit de ce genre. Venant de ma famille, c'était moins compliqué à vivre parce qu'ils avaient toujours été là pour moi et parce que je n'avais pas peur d'être trahie par James et Charlotte, pour ne citer qu'elles. Ma mère ne m'aurait jamais fait de mal volontairement non plus. Avec les autres, c'était beaucoup plus flippant. Leur accorder un peu de confiance était synonyme d'un potentiel retournement de veste. L'agression était beaucoup plus rassurante. On ne s'attacherait de cette façon jamais à moi. Quitte à être seule. J'avais regardé ailleurs, dans le vide. La regarder directement était presque impossible. Ca me demandait trop d'énergie et de courage.

« Tu peux rester. Si tu veux. Ca me dérange pas. » Elle me prenait sûrement en pitié. La pauvre Zola incapable de répondre quelque chose d'intelligible. Incapable de donner une image de prestance. Incapable de passer outre les événements qui venaient de se dérouler et de continuer une vie presque normale. Je n'étais pas la première à perdre un proche mais je réagissais comme un être vulnérable. J'étais humaine dans le fond. Je le savais mais j'avais réussi à m'éloigner le plus possible de cette faiblesse humaine pour un temps. Cracher, mordre plutôt que d'avouer ce que cette petite voix me disait. Que je n'étais jamais à la valeur. D'où la compétition entre elle et moi. J'avais eu un rire nerveux. Un rire mauvais. Qui en disait long sur mon état d'esprit. « Je fais pitié, hein ? Si t'avais des doutes avant, maintenant tu sais que j'vaux pas grand-chose. C'était que du vent avant. J'suis misérable. » C'était sûrement la première personne qui m'entendait me descendre de cette façon et c'était désagréable comme sensation. J'avais l'impression de lui tendre mon couteau pour qu'elle m'achève. Mon sourire était sombre alors que je fixais le haut de sa tête.

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La transition avait eu quelque chose de brutal qui lui fit relever les yeux en un instant, l'inconfort mutant en un sentiment plus dérangeant encore. Cela n'avait aucun sens, pourtant elle aurait préféré être la cible de ce venin. L'encaisser aurait été plus facile que de l'entendre se descendre de la sorte. Elle se surprit aussi à se rebiffer qu'on cherche à lui mettre ce genre de mots dans la bouche alors qu'elle avait été la première à les prononcer. Elle avait frappé bas à plus d'une reprise avec Zola, usant de ses insécurités pour la faire sortir de ses gonds, mais, aujourd'hui, elle en aurait été incapable. Tout était devenu trop réel, elle ne se contentait pas d'aller mettre un peu hasardeusement le doigt là où ça faisait mal avant de ramasser un commentaire tout aussi indélicat. Elles avaient aussi la distance nécessaire pour que la blessure de l'autre ne compte pas. Elle se fichait pas mal de ce qui se passait une fois que Zola se détournait parce que sa mission avait été accomplie jusqu'à la prochaine fois qu'elles auraient à se croiser. Depuis que les règles du jeu avaient été bousculées, elle se sentait incapable de revenir en arrière. Une pensée terrifiante en soi, mais pour laquelle elle n'avait pas le temps pour le moment.

- Tu me fais pas pitié, okay ?!

Elle l'avait dit avec un peu de mordant dans la voix, une maladresse qui rendait sans doute sa sincérité plus évidente. Elle ne savait pas comment se comporter avec Zola, luttait contre beaucoup de ses instincts, mais ça n'avait rien à voir avec de la pitié. Elle ne s'était jamais assez soucié des autres que pour éprouver ce genre d'émotions. Sauf qu'elle se souciait d'elle, mais ce n'était quand même pas ça, elle en était certaine. L'idée même était trop révoltante.

- Tu viens de perdre quelqu'un qui comptait. Ta vie a changé, pour toujours, et t'as pas d'autre choix que de t'adapter, mais ça veut pas dire que ça se fait en un claquement de doigts. C'est si t'agissais autrement que je me poserais des questions. T'es humaine, t'étais sa sœur, et t'es toi avant d'être cette espèce de princesse des glaces que t'as l'impression de devoir vendre aux autres ou je sais pas quoi.

Kyla

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« Tu me fais pas pitié, okay ?! » C'était complètement déroutant. A cause de ses mots, j'étais complètement déstabilisée et plus que jamais je préférais fuir son regard, fixer mes pieds parce que c'était encore la position la plus confortable. La nuance était bien dans le fait que c'était la plus confortable et non confortable. Kyra était mordante mais ça, ce n'était pas nouveau, nous avions l'habitude de nous lancer des piques avec plus ou moins d'agressivité mais la réponse était différente. Quand on se cherchait, d'une certaine façon, je la poussais à me dire ce que je voulais entendre, je contrôlais un tout petit peu la situation et ça m'aidait à confirmer ce que ma tête me répétait. Là, elle me balançait une vérité qui n'arrangeait pas mes affaires plutôt sombres.

« Tu viens de perdre quelqu'un qui comptait. Ta vie a changé, pour toujours, et t'as pas d'autre choix que de t'adapter, mais ça veut pas dire que ça se fait en un claquement de doigts. C'est si t'agissais autrement que je me poserais des questions. T'es humaine, t'étais sa sœur, et t'es toi avant d'être cette espèce de princesse des glaces que t'as l'impression de devoir vendre aux autres ou je sais pas quoi. » J'avais froncé les sourcils, mes dents s'enfonçant douloureusement dans ma lèvre inférieure. Que mes plans soient si visibles et déjoués si facilement n'avait rien d'agréable, que du contraire. J'avais l'impression que j'allais d'autant plus m'enfoncer sous terre, plus que ce n'était déjà le cas. Si ma seule certitude s'écroulait, celle d'être persuadée de leurrer ceux qui m'entouraient, qu'est-ce que je devenais exactement ? A cause d'une fille que je prétendais détester et mépriser. A cause de la seule qui comptait réellement de cette façon que je n'assumerais sans doute jamais. Laisser quelqu'un m'approcher était une chose. Laisser quelqu'un avoir un tel pouvoir sur mon être ? Jamais. Les larmes montaient dans un mélange de rage et de tristesse. Je n'avais même pas la force de serrer les poings. Les larmes roulaient et je restais immobile. « Pourquoi ? Comment ? » Même pour moi, le message n'était pas complètement clair. L'idée c'était que j'étais paumée. Que j'avais le sentiment qu'elle me connaissait trop bien et que ça me foutait la trouille.

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Pour une fois, elle ne ressentait aucune satisfaction d'avoir réussi à percer sous la peau dure pour atteindre une zone sensible, mais elle ne regrettait pas parce qu'elle n'aurait pas voulu avoir tort. Pas sur ce point là, après en avoir été persuadée depuis tout ce temps. Malgré tout ce qu'elle avait pu prétendre, elle était consciente depuis un moment que Zola n'était pas que cette indécrottable garce qui se trouvait un peu trop souvent sur son chemin. En jouant à la détester, elle avait appris à la connaître à son insu, alors qu'elle s'était refusé à découvrir tous les autres qui avaient essayés de l'approcher avec des intentions bien plus pures en tête. C'était ridicule de se dire qu'un mécanisme bien rodé avait été brisé par quelqu'un qui n'avait fait que sortir constamment les griffes en sa présence. Pourtant, ce n'était pas illogique car elle représentait tout le contraire de ce qu'elle fuyait en temps normal. Elle s'était laissé séduire par le jeu de la familiarité car elle lui demandait juste de mordre et non de se soucier ou de se dévoiler.

- Depuis le temps qu'on se prends la tête, j'ai compris deux ou trois trucs.

Les mots n'étaient pas si aisés à sortir, malgré le haussement des épaules qu'elle tenta d'esquisser pour chasser le poids qui commençait à s'amonceler là. Elle n'était pas censée avoir ce genre de conversation avec Zola, avec personne à vrai dire, pourtant, elle aurait été incapable de garder le silence.

- Je suis pas conne, à force de frapper là où ça fait mal, j'ai capté le pourquoi. Un peu. Tu m'aurais laissé t'ignorer si ça avait pas été le cas.

Beaucoup de choses manquaient encore de sens, elle était loin d'avoir cerné toute la complexité planquée dans cette tête blonde, mais elle était bien forcée d'admettre qu'elle s'en sortait mieux que d'autres. Peut-être un peu moins aujourd'hui, elle avait la sensation d'avancer à l'aveugle, les réactions qu'elle recevait en retour se contredisant plus qu'elles ne lui assuraient quoi que ce soit.

Kyla

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« Depuis le temps qu'on se prends la tête, j'ai compris deux ou trois trucs. » A chaque nouvelle affirmation de sa part, la peur grandissait et me prenait dans la cage thoracique et tout l'abdomen. Je sentais comme une énorme boule dans la gorge et une autre toute aussi gênant au niveau du nombril. C'était compliqué à gérer. Compliqué à admettre. Accepter que quelqu'un s'était approché à ce point, m'avait percé à jour était flippant. Ca signifiait qu'elle pouvait me piétiner avec la même facilité qu'on shootait dans un caillou qui ne représentait rien à notre échelle. Les larmes continuaient de couler et je regardais les murs qui nous entouraient plutôt qu'elle.  

« Je suis pas conne, à force de frapper là où ça fait mal, j'ai capté le pourquoi. Un peu. Tu m'aurais laissé t'ignorer si ça avait pas été le cas. » Admettre que j'avais une part de responsabilité dans cette sombre histoire était encore plus insupportable. Au fond de moi, je le savais bien, j'avais merdé, je l'avais laissée l'opportunité de creuser un peu trop profondément mais le plus surprenant, c'était d'avoir l'impression d'avoir agi par la force des choses, un peu sans en avoir réellement le choix. Ce qui était complètement con parce que je mettais une vraie distance en temps normal. Rory mise à part. Mais elle, c'était encore une autre affaire. « J'ai peur. C'était plus simple quand-. Quand je pensais te détester. Mais c'est pas le cas, putain. Et ça me fout la trouille. » J'avais hurlé ces mots parce que je ne savais pas comment le faire autrement. Parce que j'avais jamais appris à aimer correctement quelqu'un. Parce que j'avais déjà parfois du mal avec mes propres limites. Je tentais de diminuer le tremblement de mes mains en les gardant l'une dans l'autre mais c'était compliqué. Je la regardais avec un air misérable qui traduisait essentiellement la peur.

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Elle ne savait pas quoi faire. C'était aussi simple que ça. Devant la détresse de Zola, elle se sentait paumée et ce n'était pas vraiment illogique. Elle n'était pas habituée à ce genre de discussion, à ce genre de situation même. Elle ne s'approchait pas des autres pour cette exacte raison, parce qu'ils étaient trop compliqués, qu'ils prenaient de la place et qu'ils laissaient toujours des dégâts dans leur sillage. Elle la première, ce qui faisait une raison supplémentaire d'éviter les occasions de créer une relation, mais certaines choses étaient comme inévitables. Laisser la blonde lui tourner autour et lui chercher des noises avait été tout aussi inévitable que le fait qu'on perdait toujours les autres lorsque l'on s'attachait. Pourtant, elle était toujours là, luttant contre son envie de tout foutre en l'air, parce qu'elle était plus douée pour se faire du mal que pour laisser les autres le faire, mais pourtant incapable de la regarder en face. La prendre dans ses bras pour la consoler la dernière fois avait été plus facile parce qu'elle n'était pas la cause de ce qu'elle ressentait, ici, elle ne savait même pas si agir de la sorte aurait été toléré. Elle se serait sans doute pris un mauvais coup dans la manœuvre et peut-être que ça aurait été pour le mieux. La dynamique aurait été plus proche de ce qui les caractérisait en temps normal. Ou avant, apparemment.

- Ca me fout la trouille aussi.

L'aveu était sorti sans attendre son avis et elle s'arracha à sa contemplation du sol dans un sursaut, bien forcée de regarder Zola désormais. Malgré le rush de peur provoqué par sa déclaration, elle ne la détestait pas et ce n'était pas rien, elle avait ressenti autre chose, un sentiment plus positif. Quelque chose de curieusement chaleureux qui avait pris place au niveau de sa cage thoracique, mais qui s'estompa un peu lorsqu'elle croisa son regard.

- C'est pas comme... C'est pas comme si ça devait tout changer.

Des choses avaient déjà été changées par la force des choses, mais il devait rester des fondations intactes sur lesquelles elles auraient pu s'appuyer. Malgré ce qu'elle disait, elle n'en était pas certaine. Elle n'avait aucune envie d'être désagréable à l'instant et, même plus tard, elle ne se voyait plus être blessante. Elle le serait sans doute, les vieux réflexes et les mécanismes de défense ne s'effaçaient pas si facilement, mais plus avec une réelle intention derrière la tête. Elle ne pouvait pas se mentir sur ce point à cause de cette envie qui continuait de revenir et semblait chercher à l'attirer vers Zola. Tout n'était pas clair, mais il y avait ce besoin poignant d'être proche, de combler la distance.

- Je vais t'embrasser.

Elle l'avait proclamé stupidement en s'exécutant, probablement plus pour se forcer à bouger que dans un but de prévention. Elle fut rapidement dans son espace, une main glissant dans sa nuque pour la tirer vers elle. Elle ne se laissa pas plus de temps pour y réfléchir, l'idée aurait été trop dangereuse si elle s'était laissé cette occasion, et l'embrassa simplement. La tension avait toujours été là, une autre certitude entre elles, et peut-être était-ce une base assez solide sur laquelle trouver un équilibre.

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« Ca me fout la trouille aussi. » Ca aurait pu et ça aurait même dû être rassurant d'une certaine manière parce que ça signifiait qu'elle n'était ni infaillible, ni parfaite, elle non plus, qu'elle n'était pas cette fille toujours mieux que moi dans tous nos combats. Mais bordel, il y avait de réconfortant là-dedans. Au contraire, dans ces conditions, nous avions toutes les raisons de nous enfuir, de ne plus jamais parler de ça, de ne plus jamais évoquer même une bribe de souvent de ce moment parce que c'était plus simple. Sauf que, même si j'étais tentée par la facilité en ce moment, une autre part de moi me tirait dans l'autre sens et me poussait à puiser dans ce qui existait comme courage en moi pour ne pas la laisser comme ça. Et du courage, je n'en avais pas beaucoup. J'étais juste lâche. Une fille qui attaquait plutôt que de tenter de découvrir les autres et accepter la vie sans tant de contrôle.

« C'est pas comme... C'est pas comme si ça devait tout changer. » Elle avait sûrement raison. C'était moins risqué. Pourquoi vouloir quitter sa zone de confort quand ça nous arrangeait toutes les deux. Sauf que c'était visible dans son regard qu'elle n'était pas vraiment décidée. Elle avait l'air aussi paumé que moi. L'air aussi perdu. C'était con. Tout ça, c'était de ma faute. J'étais venue bousculer une routine qui marchait très bien, qui avait fait ses preuves depuis des années. C'était complètement idiot d'avoir cherché du soutien ou quoi que ce soit d'autre chez elle. C'était contre-nature. Contre toutes les règles que nous nous étions instaurées jusque-là. Encore une fois, je n'étais pas foutue de suivre un plan bien ancré dans ma tête, de suivre des règles tacites qui nous avaient réussi. J'étais le nœud du problème. Plus le sentiment de panique grandissait, plus je me griffais les mains. J'étais complètement détraquée. Bonne pour le fossé, où j'aurais dû me jeter. Qui m'avait autorisée à parler de mes sentiments ? Pas moi, en tout cas. Perdre le contrôle était flippant. Face à elle encore plus. Parce qu'elle aurait pu m'écraser comme une mouche.

« Je vais t'embrasser. » J'étais sonnée. Elle m'avait asséné le coup fatal. Pourtant, je ne cherchais pas à m'échapper. Non, je restais bêtement debout, face à elle, face à cette évidence. Mon cœur s'était loupé. Et alors que je m'étais attendu à devoir le ramasser à la petite cuillère après qu'elle l'ait piétiné, il était intact. Peut-être même mieux. C'était bizarre. Mais je n'avais pas le temps de réfléchir à la signification de tout ça. Je sentis d'abord sa main contre ma nuque et au lieu de la rejeter, de garder mon espace vital intact, je la laissai faire. Ensuite, ce fut ses lèvres sur les miennes que je sentis. Les joues rouges. Encore une fois, il ne me vint pas à l'idée de la dégager d'un coup sec, au contraire, je m'accrochai à son pull, les mains dans son dos, pour profiter de cet instant dont j'avais voulu sans même l'admettre. Les yeux fermés, je voulais profiter de tout ce que ce geste insufflait dans mon corps. Un sentiment d'apaisement fugace.

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Ca n'aurait pas dû être si facile. La situation avait quelque chose de distordu qui aurait dû la déranger ou faire résonner toutes les alarmes dans sa tête, mais rien de tout cela ne s'était produit. C'était loin d'être la première fois qu'elle embrassait quelqu'un, mais elle n'avait jamais ressenti un tel sentiment. Ce simple contact n'avait jamais été là pour apaiser, juste un moyen d'obtenir ce qu'elle voulait, toujours lié à quelque chose de trop brûlant qui menaçait de la consumer si elle ne gardait pas le contrôle. Lorsque Maze lui avait fait de grandes déclarations au sujet de Hazel, elle les avait trouvé stupides et bien trop niaises, mais elle ne pouvait pas nier, qu'à l'instant, elle comprenait un peu ce qu'elle avait voulu dire. Un baiser partagé avec quelqu'un qu'on ne détestait pas, dont on se souciait même, était différent. Elle aurait dû être terrifiée par cette révélation et glisser derrière ses habituelles défenses comme elle l'avait fait à chaque fois que quelqu'un était parvenu à venir toucher quelque chose en elle, mais l'envie n'était pas là. Ou peut-être qu'il était simplement trop tard pour ça et ce devait être le cas depuis longtemps. Pour la première fois, l'option d'accepter les sentiments comme ils venaient et de prendre le risque d'être blessée par l'autre était celle qu'elle voulait saisir parce qu'elle était la moins effrayante des deux. Parce que l'autre option ne proposait pas de retour en arrière, n'offrait rien de positif, et lui ferait perdre la seule vraie touche de familiarité qu'elle avait conservé au fil des années sur ce foutu territoire. Zola était miraculeusement réceptive et elle trouva dans ses gestes le courage d'aller plus loin. C'était quelque chose d'avoir une telle fille soudainement moins sauvage contre elle et elle se rapprocha encore, son bras libre passant autour de sa taille dans une étreinte. La suite devait s'être fait naturellement parce qu'elle sentit ce même bras coincé entre le mur et le dos de la blonde avant de comprendre ses propres mouvements. L'appui supplémentaire n'était pas exactement une mauvaise chose puisqu'il lui permis de se hisser sur la pointe des pieds pour changer d'angle. L'embrasser n'était peut-être pas consumant, mais c'était addictif.

- Okay, peut-être que deux ou trois trucs vont devoir changer.

Oublier ça n'allait pas être possible, elle le sentait bien. Le souffle un peu court, elle alla poser le front contre l'épaule de Zola et ferma les yeux pour tenter de calmer les battements erratiques de son cœur. Elle ne ressentait aucun regret et c'était toujours aussi déroutant, d'autant plus dans une situation si incertaine où il aurait suffi d'un faux pas pour glisser.

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année 41, saison intermédiaire, matinée 92

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C'était étrange ce sentiment d'être à la fois apaisée et peut-être même à sa place, d'avoir trouvé au moins une situation dans laquelle j'étais relativement sereine et une personne avec qui j'étais bien. C'était particulier de se laisser aller quand on avait l'habitude et le besoin de contrôler absolument tout ce qui nous entourait. Pourtant, pour une fois, cette part de moi qui se mobilisait face à une telle situation semblait être aux abonnés absents. Je n'étais pas prête à mordre, pas prête à m'enfuir, non, je m'accrochais inexorablement à Kyra, à son pull, comme si j'avais peur qu'elle ne me laisse. Je sentais bien ces frissons et ce sentiment de bonheur qui grimpait et prenait de plus en plus de place dans mon corps. Je n'avais jamais expérimenté une émotion aussi forte auparavant. Et le plus déstabilisant dans l'affaire, c'était que c'était pour elle que je ressentais cette émotion. Quelques jours avant je me serais moquée de qui que ce soit me disant que je pouvais tomber amoureuse, moi aussi. Je m'étais résignée à devoir me coltiner un mec un jour dans le but de suivre les règles de la famille. Je ne pensais pas pouvoir m'attacher à ce point à quelqu'un. Encore moins à la fille que j'avais continuellement cherché à piquer à tort et à travers, à chaque occasion qui se présentait.

« Okay, peut-être que deux ou trois trucs vont devoir changer. » Elle confirmait l'impression que j'avais depuis le début de cette discussion bizarre, elle était beaucoup plus dégourdie que moi à ce sujet. J'étais tout juste capable de réagir par un mot, peut-être deux et, le reste du temps, je lui montrais une version de moi purement passive. En temps normal, j'aurais probablement mal répondu à sa façon de faire. Histoire d'ego et de problèmes de confiance. Là, contre toute attente, je me laissais aller. J'étais à la limite bien heureuse qu'elle prenne les devants et donc le lead. Ca ne signifiait pas que je ne nierais pas la chose en bloc si quelqu'un décidait de l'afficher en place publique. « Oui, j'suppose qu'on peut plus vraiment se considérer comme de simples rivales ? Mais j'y connais rien là-dedans. Tu sais bien, j'suis pas la plus ouverte aux autres. » L'aveu n'était même pas douloureux. En tout cas, pas à cet instant précis, pas face à elle. Ca m'avait juste semblé important à signaler, même si c'était sûrement clair pour elle. Je la regardais mais sans aucune assurance, la main toujours accrochée à son pull.

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Elle afficha un semblant de sourire, le visage toujours caché contre l'épaule de Zola en entendant le terme enfantin utilisé pour les définir. Rivales. Lorsqu'elle avait une dizaine d'années et n'était qu'une teigneuse miniature cherchant les problèmes pour se donner des raisons de ne pas rentrer dans cette maison qui n'en était pas vraiment une, elle l'avait considéré comme telle. Une tête blonde qu'elle associait toujours au mot trop. Elle était déjà trop grande, trop arrogante, trop ennuyante et parlait trop. Avec les années et une forme de maturité qui s'était installée, pour ne pas dire de désintérêt pour le monde qui l'entourait, elle avait progressivement cessé de l'être. Zola était toujours trop, mais elle avait cessée de se sentir inférieure parce qu'elle avait gagné des atouts avec lesquels elle s'était construite une confiance en elle que personne ne pourrait lui arracher. Les provocations étaient restées, les piques et les mots violents parce qu'elle répondait quand on venait la chercher et la blonde était si douée pour le faire. Il y avait l'habitude, aussi. La solidité d'un détail qui ne changerait pas parce que quoi qu'elle fasse, quoi qu'elle dise, Zola revenait avec son attitude hautaine et une nouvelle vanne plus ou moins bien orchestrée. Lorsqu'un idiot tentait de faire la conversation en lui demandant ce qu'ils se passaient entre elles, elle répondait toujours qu'il n'y avait rien, que Zola elle-même n'était rien, mais le mensonge avait toujours été semi-conscient. Elle avait accepté, sans réellement le faire, d'apprendre à la connaître pour conserver des munitions pour l'inévitable prochaine fois.

- Je ne vaux pas vraiment mieux.

Elle avait relevé la tête, absolument pas dérangée par la vérité. Elle n'avait pas de relation, simplement des gens avec lesquels elle échangeait des services précis selon ses conditions, la plupart du temps. Il y avait les plans culs, les partenaires de garde avec lesquels il fallait bien coopérer, et les filles avec lesquelles elle s'entraînait. Elle n'avait jamais connu d'histoire d'amour ou réellement d'amitié, même si certains personnes réussissaient parfois à tomber dans une faille inqualifiable et qu'elle les laissait y vivre car ignorer était plus facile jusqu'à ce que cela devienne intolérable.

- Peut-être qu'on a pas besoin de qualifier quoi que ce soit. Juste être au clair sur des trucs entre nous. Les autres ont l'air à fond sur cette chose, la communication.

Il y avait un fond de moquerie un peu sombre dans sa voix, plus par habitude qu'avec un réel but en tête. Elle n'aurait même pas su dire qui ça visait exactement. Elle déplaça sa main toujours accrochée derrière la nuque de Zola pour empoigner un peu de sa manche et frotter doucement les traînées de larmes qui étaient restées sur son visage.

Kyla

année 41, saison intermédiaire, matinée 92

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« Je ne vaux pas vraiment mieux. » Sans être moqueuse, loin de là, j'avais rigolé. C'était plutôt l'aveu mutuel qui avait quelque chose de spécial, comme si nous étions deux filles paumées qui s'étaient par miracle ouvertes à la bonne personne, comme si le destin avait tout calculé. Une part de moi ne pouvait pas s'empêcher de laisser une part de responsabilité à ce destin, à cette fatalité, qu'importe le nom qu'on lui donnait, parce que j'avais toujours tout fait pour éviter de trop m'attacher, parce que j'avais constamment rejeté l'autre pour ce qu'il représentait ou pour tout ce que je pouvais lui attribuer. Mes insécurités m'empêchaient d'être complètement honnêtes, de tout avouer et de tout raconter à qui que ce soit. Rory mise à part. Cette fille était un autre mystère dans ma vie. Je savais bien que Kyra comprenait ça. Quelles étaient alors les chances que tout ça nous arrive ? Oui, c'était drôle. C'était particulier. Trop bizarre.

« Peut-être qu'on a pas besoin de qualifier quoi que ce soit. Juste être au clair sur des trucs entre nous. Les autres ont l'air à fond sur cette chose, la communication. » C'était difficile de nier le sarcasme de ses propos. Dans le fond, elle avait raison. Nous n'étions pas obligées de mettre une étiquette sur ce que nous vivions mais au moins nous mettre au clair sur la suite pour ne pas se tirer dans les pattes, ne pas créer de la tension qui pouvait être évitée. Même avec certaines choses au clair, nous risquions de retomber dans nos travers mais ça restait malgré tout une étape importante dans le bon sens.

« Première chose. Tu risques d'avoir Rory dans les pattes. C'est une fille sympa mais un peu excessive, tu as déjà dû le remarquer. Elle veut mon bonheur depuis toujours ou un truc du genre. Me concernant, je suis pas la fille la plus dégourdie. La preuve, c'est toi qui as fait le premier pas. J'suis pas forcément la plus démonstrative non plus. Ca veut dire que quand je te complimente ou quand je te dis un truc sympa, je le pense vraiment. Je t'étoufferai jamais mais j'oserai probablement jamais te demander si on peut passer du temps chez toi ou chez moi. Je sais jamais comment m'y prendre. Mais je ferai des efforts. Pour toi. » J'étais aussi à l'aise qu'un Libre au beau milieu de Membres trop directs. Raison pour laquelle je me grattais nerveusement la nuque.

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Pour quelqu'un qui ne savait pas comment s'y prendre et peinait à s'ouvrir aux autres, Zola était soudainement bien bavarde. Elle s'était attendue à devoir lui tirer des réponses ou à ce que des limites beaucoup plus claires soient réclamées, mais elle avait l'air d'envisager ce qui avait tout d'un futur proche. Aucune étiquette n'était posée, mais il n'empêchait que ce qu'elle mettait en avant avait tout d'une relation. Fuir avait toujours été un mécanisme de défense bien ancré dans ce genre de situation, mais elle n'en ressentit pas le besoin, même avec cette réalité de plus en plus prenante dans laquelle elles s'ancraient. Au vu de ce sourire qui s'étirait aux coins de ses lèvres, elle était même à l'aise, presque amusée. Elle garda un semblant de dignité en contenant une remarque qui aurait été too much et qu'elle se maudit d'avoir envisagé, le sourire plus sobre maintenant qu'il avait été mordillé. L'exercice était d'autant plus compliqué que les informations apportées étaient loin d'être neuves, mais plutôt des rappels, comme si elle ne connaissait pas Rory et ses tendances protectrices et qu'elle n'était pas consciente que la blonde était maladroite et mal à l'aise avec les autres. L'aveu final était plus inattendu et touchant, ce qui la fit sourire plus timidement, les joues peut-être un peu chaudes alors qu'elle détournait le regard.

- Comme si j'avais pas déjà expérimenté Rory. Je dois dire que j'ai mieux compris pendant le voyage pourquoi vous étiez toujours fourrées ensemble.

Il y avait peu de choses plus impressionnantes qu'une personne aussi solaire et sympathique qui se transformait soudainement pour vous faire de l'intimidation. A la main qui avait été serrée sur son épaule et à l'autre qui l'avait attrapé par le col, elle avait bien compris que l'avertissement serait suivi de conséquences si elle avait déconné. Au final, son orgueil avait été plus malmené par le fait qu'elle ait accepté sans broncher plutôt que de procéder comme elle en avait l'habitude, c'est à dire en la cognant pour être entré dans son espace vital. Elle n'avait jamais été très tolérante à ce sujet. Il aurait été facile de rebondir sur l'une ou l'autre choses, mais, puisqu'il semblait qu'il n'y avait jamais trop de sincérité, elle allait devoir y passer aussi.

- J'ai des mauvais jours durant lesquels je veux vraiment pas parler. Souvent, le seul truc qui aide, c'est la proximité avec quelqu'un. Sauf que, comme j'aime pas me rapprocher des autres, l'option qui reste c'est de trouver quelqu'un de pas trop chiant et de... Je vais pas te faire un dessin. C'est juste du sexe.

Elle avait haussé les épaules, tentant d'injecter une nonchalance qu'elle ne ressentait absolument pas à son témoignage. Elle n'avait pas honte d'avouer l'existence de ce qui avait tout d'un mécanisme bien rodé ou de mettre en avant le fait qu'elle avait multiplié les partenaires, mais parler du besoin en lui-même restait compliqué. Cette recherche de chaleur humaine était ridicule au vu des distances qu'elle s'appliquait à mettre entre elle et les autres. Le fait qu'il ne s'agisse que de sexe cassait un peu cette impression de n'être qu'une gosse en manque de câlins.

- Je sous-entend rien, c'est pas ça. Juste, quelque chose me dit que t'apprécierais pas que ça continue donc... Bordel, la communication craint. Ce que je veux dire c'est que parfois je risque d'être collante. Juste collante et silencieuse, si tu me pousses pas. Je sais que je suis pas équilibrée et que c'est pas normal, mais je veux pas que tu me cherches au mauvais moment parce que, dans ces cas-là, si je mord, je vais te faire du mal. Je comprendrais que ça t'emmerde. Je m'attends pas non plus à ce que tu sois dispo dès que j'ai un coup de mou, tu peux juste m'envoyer bouler si ça se produit, j'en ferais pas une maladie.

Kyla

année 41, saison intermédiaire, matinée 92

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J'étais étonnée de ne pas avoir été coupée, d'avoir été écoutée respectueusement et ce jusqu'au bout. Ce n'était pas que je ne l'en croyais pas capable mais c'était nouveau comme situation et nous n'étions, ni l'une ni l'autre habituées à tout ça et ce que ça impliquait. Je ne m'étais pas forcément attendue à ce qu'elle ne me laisse pas dire tout ce que je voulais parce qu'elle avait mis sur le tapis le fait que la communication était importante mais j'étais surtout heureuse d'avoir cette nouvelle place sans restriction apparente. « Comme si j'avais pas déjà expérimenté Rory. Je dois dire que j'ai mieux compris pendant le voyage pourquoi vous étiez toujours fourrées ensemble. » Je n'avais pu m'empêcher de rire à cette réflexion. C'était moins surprenant parce que c'était du Kyra tout craché. Cette distance qu'elle s'efforçait à mettre entre elle et les autres. Plus avec moi, normalement. Ou plus avec cette même énergie.

« J'ai des mauvais jours durant lesquels je veux vraiment pas parler. Souvent, le seul truc qui aide, c'est la proximité avec quelqu'un. Sauf que, comme j'aime pas me rapprocher des autres, l'option qui reste c'est de trouver quelqu'un de pas trop chiant et de... Je vais pas te faire un dessin. C'est juste du sexe. » Je rigolais beaucoup moins. La révélation était moins enthousiasmante. Forcément, je n'allais pas être heureuse d'entendre ça. En vrai, ça la regardait, elle fonctionnait comme elle le voulait. Du moins tant que ce n'était pas officiel parce que je le vivrais mal qu'elle aille coucher ailleurs. M'ouvrir était déjà toute une épreuve, je ne voulais pas m'écrouler après tout ça. Je n'y survivrais pas. Sans aucune exagération. Je ne partageais pas.

« Je sous-entend rien, c'est pas ça. Juste, quelque chose me dit que t'apprécierais pas que ça continue donc... Bordel, la communication craint. Ce que je veux dire c'est que parfois je risque d'être collante. Juste collante et silencieuse, si tu me pousses pas. Je sais que je suis pas équilibrée et que c'est pas normal, mais je veux pas que tu me cherches au mauvais moment parce que, dans ces cas-là, si je mord, je vais te faire du mal. Je comprendrais que ça t'emmerde. Je m'attends pas non plus à ce que tu sois dispo dès que j'ai un coup de mou, tu peux juste m'envoyer bouler si ça se produit, j'en ferais pas une maladie. » Qu'elle évoque autre chose que le sexe aidait. Je pouvais la suivre sur cette lancée. C'était une bonne chose qu'elle s'explique, qu'elle ne laisse pas de flou inutile entre nous. Nous aurions très mal commencé dans le cas contraire. C'était encore mieux qu'elle mette de vraies limites. Quelque chose que je connaissais dans les grandes lignes.

« Je peux comprendre. En général, quand je vais mal, je vais dans mon coin ou en tout cas, je reste mais j'évite globalement le sujet. Quand je me sens prête à parler, je le fais. Maladroitement évidemment. » Tant qu'à avouer ce genre de choses, autant continuer sur la lancée. Je ne savais pas comment aborder le reste. Je misais sur le fait qu'elle avait compris que, effectivement, ça ne me plaisait pas qu'elle aille voir ailleurs dès que ça n'allait pas. Je préférais la savoir à côté de moi, silencieuse.